LUCII ANNAEI SENECAE

 

PHAEDRA, v. 515 – v. 549

 

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texte

Excussa silvis poma compescunt famem                                   515

et fraga parvis vulsa dumetis cibos

faciles ministrant. Regios luxus procul

est impetus fugisse : sollicito bibunt

auro superbi ; quam juvat nuda manu

captasse fontem : certior somnus premit                                    520

secura duro membra versantem toro.

Non in recessu furta et obscuro improbus

quaerit cubili seque multiplici timens

domo recondit : aethera ac lucem petit

et teste caelo vivit. Hoc equidem reor                                         525

vixisse ritu prima quos mixtos diis

profudit aetas. Nullus his auri fuit

caecus cupido, nullus in campo sacer

divisit agros arbiter populis lapis ;

nondum secabant credulae pontum rates :                                 530

sua quisque norat maria ; non vasto aggere

crebraque turre cinxerant urbes latus ;

non arma saeva miles aptabat manu

nec torta clausas fregerat saxo gravi

ballista portas, jussa nec dominum pati                                      535

juncto ferebat terra servitium bove :

sed arva per se feta poscentes nihil

pavere gentes, silva nativas opes

et opaca dederant antra nativas domos.

Rupere foedus impius lucri furor                                                 540

et ira praeceps quaeque succensas agit

libido mentes ; venit imperii sitis

cruenta, factus praeda majori minor :

pro jure vires esse. Tum primum manu

bellare nuda saxaque et ramos rudes                                         545

vertere in arma : non erat gracili levis

armata ferro cornus aut longo latus

mucrone cingens ensis aut crista procul

galeae comantes : tela faciebat dolor.

 

Traductions

Traduction du XIXème , tirée d’Itinera electronica, opérant à partir de la Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. NISARD, Le Théâtre des latins comprenant Plaute, Térence et Sénèque le Tragique, Paris, Didot, 1855.

Les fruits sauvages, tombés des arbres qu'il ébranle, apaisent sa faim; les fraises, cueillies parmi les buissons, lui offrent une nourriture facile. Ah! Que je hais le luxe des rois! Ils ne boivent qu'en tremblant dans leurs coupes d'or, ces mortels superbes. Ne vaut-il pas mieux puiser une eau pure avec sa main dans le cristal des fontaines?

[520] On goûte avec plus de sécurité les douceurs du sommeil sur un lit grossier. Bien différent du pervers qui, caché dans sa retraite, médite, comme au fond d'un antre, ses sinistres projets; qui s'enferme, se craignant lui-même dans une impénétrable demeure; l'homme innocent recherche la clarté du jour, et vit à la face du ciel. Telle était sans doute la vie de ces héros des premiers âges, formés du sang des dieux. Alors l'aveugle cupidité était inconnue; nulle pierre sacrée ne divisait les champs et ne servait de limite entre les peuples.

 [530] Les vaisseaux hardis n'avaient pas encore affronté les mers lointaines; on ne côtoyait que les rivages voisins. L'enceinte des villes n'était pas défendue par de vastes remparts et des tours nombreuses. Le soldat n'armait pas sa main d'un fer meurtrier, et des rochers énormes lancés par la baliste ne brisaient pas encore les portes des cités. Des bœufs attelés au joug ne forçaient pas une terre esclave à répondre aux vœux d'un maître exigeant; féconde par elle-même, elle nourrissait les hommes, qui ne lui demandaient rien. Les bois leur offraient des aliments tout préparés, et des antres obscurs, des demeures toutes faites.

[540] Mais cette douce paix s'enfuit devant l'intérêt barbare, la colère impétueuse, et l'ambition qui trouble et embrase les cœurs. Bientôt naquit la soif cruelle du pouvoir. Le faible devint la proie du plus fort: la violence fit le droit. D'abord les mortels n'eurent d'autres armes que leurs mains; puis ils se servirent de pierres et de branches non façonnées. Ils n'armaient pas d'une pointe de fer une flèche de cornouiller; ils ne suspendaient point une longue épée à leurs flancs, ne couvraient point leurs têtes d'un casque ombragé d'aigrettes flottantes. Le bras irrité se faisait arme de tout.

 

Traduction du XXème (Léon Hermann, collection Budé, 1961)

 

Les fruits qu’il fait tomber  des branches apaisent sa faim, et les fraises qu’il cueille à leurs tiges rampantes lui fournissent une nourriture frugale. Son penchant le pousse à fuir le luxe des rois : que d’inquiétude réserve aux superbes la coupe d’or où ils boivent ; combien il est doux de se servir du creux de la main pour puiser l’eau des sources ! Plus sûr est le sommeil qui accable celui qui repose ses membres sur une couche dure. Il ne médite pas, dans l’ombre de la retraite où est son lit, de clandestines débauches (en bon cynique !) et ne se cache pas, dans sa crainte, au fond d’un palais dont les détours sont multiples : c’est l’air et la lumière qu’il cherche et le ciel est le témoin de sa vie. Or, c’est bien là, je crois, la façon dont vécurent les êtres semi-divins que vit naître le premier âge. L’aveugle passion de l’or leur était étrangère et nulle pierre sacrée délimitant  les peuples ne divisait leurs champs en s’élevant dans la plaine ; les vaisseaux téméraires ne fendaient pas encore les flots, chacun ne connaissait que sa propre mer ; un vaste rempart et de nombreuses tours ne ceignaient pas encore les flancs des villes ; le soldat n’armait pas encore sa main du glaive cruel et la baliste n’avait pas encore brisé les portes <des cités> avec les roches lancés (sic !) par la détente <de son treuil>, la terre n’avait, encore aucun maître et ne subissait pas l’esclavage que lui infligent les bœufs accouplés : mais les champs, dans leur fertilité spontanée, nourrissaient les nations sans qu’elles exigent rien d’eux ; la forêt leur offrait ses richesses natives et les antres obscurs des demeures naturelles.

            Mais ce pacte fut rompu par la fureur impie du gain, la haine aveugle, et les mauvaises passions qui mènent les âmes qu’elles embrasent ; alors vint la soif sanguinaire du pouvoir et le faible devint une proie pour le fort : pour droit, on eut la force. C’est alors qu’on commença à combattre avec les mains seulement et puis on transforma en armes les pierres et les branches brutes : point encore de cornouiller léger armé d’un fer effilé ou de glaive à la longue lame pendu au côté des guerriers ; point encore de casques chevelus d’un vaste panache ; c’est la fureur qui faisait <des choses> des armes <fortuites>. 

 

Critique de la traduction du Budé

D’emblée, Hippolyte est trahi : son ascétisme, dû à son culte de Diane/Artémis, cherche seulement à « réduire la faim », et non à «  l’apaiser  » (COMPESCUNT), ce qui serait une marque de satisfaction, voire de satiété, propre à un civilisé. Les deux relatives en parallèle (« qu’il fait tomber, qu’il cueille » soulignent certes la cohérence de la construction des deux coordonnées, bien structurée et renforcée paradoxalement par  le chiasme (EXCUSSA SILVIS POMA # FRAGA PARVIS MULSA),  mais c’est en imposant la présence réitérée (« il » deux fois, « sa » avec son écho « lui ») de l’INNOCUUS initial du vers 502 (le Bon Sauvage ?)  sans qu’il y soit explicitement fait référence dans ce passage…même si FAMEM induit bien un estomac - donc au moins un être vivant - et de quoi le remplir avec CIBOS (ce dernier point, pour superfétatoire qu’il puisse te paraître, a le mérite de montrer à ton auditeur/correcteur – au masculin transgenre ! -  que tu maîtrises si parfaitement ton texte que tu te permets ce clin d’œil – sans flagornerie, bien sûr).  En outre, nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de faire preuve de plus de précision naturaliste que l’auteur : certes, les stolons des fraisiers sont rampants, mais nous ne sachons pas que ce soit le sens de PARVIS, pas plus que FACILES ne semble renvoyer en quoi que ce soit à « frugal », nonobstant la subtilité du jeu de mot car nous restons dans le cadre du fruit ! Oserions-nous, quant à nous, proposer : servent (=MINISTER !) sans difficulté (trop facile !) de nourriture (en supprimant  « la » pour privilégier le collectif, donc le pluriel !). En fait, Hippolyte évoque le fait de se nourrir sans formalité et il ne cueille pas les fraises : il les prend, je le soupçonne même d’en recracher le chapeau, voire la tige. « Penchant » pour  IMPETUS manque d’impact, reste empreint de délicatesse surannée (cf. plus loin, « superbes ». Une traduction fleurant le XVIIème versaillais et ses artifices de cour ?), au rebours de la tonalité, la tension violentes, voire implicitement militaire, du passage (cf. FUGISSE, SUPERBI, MANU CAPTASSE, CERTIOR, SECURA, DURO, voire le TIMENS en fin de vers 523) ; « fuir » lui-même est trop ramassé,  étriqué, pour « FUGISSE PROCUL » puisque la reprise quasi pléonastique de la même idée est perdue; ensuite, l’exclamative rend bien l’inversion du sujet, peu commune en latin, confortée par la disjonction opérée par le verbe à l’intérieur du groupe nominal « SOLLICITO AURO ». Même si nous en regrettons le développement trop verbeux dû à l’éclaircissement de la synecdoque AURO: 13 mots en français pour les 4 termes concis du latin. Et la deuxième exclamative en français, vu l’invention de la première, rend le texte trop rigide. Nous déplorons derechef les effets logorrhéiques de l’explétion : cette fois-ci, 17 mots contre 6. Le passage sur la couche dure est trop ascétique, voire stoïcien : le terme DURO fait seulement perdre à TORO tout son artifice et son moelleux néfaste au vrai repos, et traduire PREMIT par « accable » force par trop le trait… Le traducteur abuse aussi du verbe « être » : 8 sur 6 vers (519 – 525) en français pour…  aucun en latin ! Le parallélisme IMPROBUS/TIMENS est complètement perdu, et « clandestines débauches » pour  FURTA est d’une pudibonderie affectée et fort abscons, sauf pour les pervers. Un  tic fleurant  la traduction qui se veut élégante : la conversion d’un adjectif (OBSCURO) en nom abstrait : « obscurité », avec un développement parasite proche du commentaire explicatif : CUBILI= « où est son lit ». La suite est l’illustration caricaturale de ce dernier point : « au fond (sic !) d’un palais (DOMO ?) dont les détours (-PLICI) sont multiples (MULTI-) ; passons sur le présentatif : on peut toujours arguer qu’il exprime l’asyndète ; nonobstant, nous sommes contraint de constater que nous sommes face à une belle infidèle : CAELO devient sujet, le verbe VIVIT change de catégorie du discours et se transforme en nom. EQUIDEM= « c’est bien là », s’avère assez lourd, et REOR devient une banale incise, « je crois », comme de précaution oratoire, qui vient paradoxalement remettre en cause ce qu’avait de conclusif la locution conjonctive. On comprend bien qu’il s’agissait de mettre en valeur HOC… RITU et sa disjonction. Il n’en reste pas moins que le résultat n’est guère heureux. La perte du doublon fortement martelé NULLUS est définitive et rendue évidente par le « nulle » de la deuxième juxtaposée. On pourrait disserter pendant des heures sur la pertinence de la traduction de GENTES par « nations » ; faut-il y voir une obsession, moins de 20 ans après la seconde guerre mondiale, en pleine guerre froide ? « Famille » reste préférable. Comment ne pas sourire à la surrection, stricto sensu, des pierres ? Car IN CAMPO= « en s’élevant dans la plaine », nous nous contentons de relever… « les flots » pour PONTUM est estimable, utiliser un registre poétique est ici bienvenu vu PONTUM grec et RATES, en sujet inversé. Il en est de même pour la suite, et l’on pourrait en thème retraduire en latin le texte d’Hermann ; sans solécisme, on retrouverait exactement tous les termes, dans un ordre différent bien sûr, vu le sénaire. URBES perd malheureusement son statut de sujet, et le mouvement qui va avec le verbe CINGERE se fige ; ensuite ARMA SAEVA passe au singulier, alors que le soldat a plusieurs moyens de tuer ses ennemis ; au reste, pourquoi se focaliser sur le seul « glaive » ? L’abus des 2 adjonctions, assumées comme telles, souligne à l’envi que le traducteur s’est fourvoyé, cf. la fin du v. 549 ! Dans l’attaque disparaît d’ailleurs la cause essentielle de la prise de la ville (des villes ? Généralisation abusive !), car SAXO, certes, mais GRAVI ; qui plus est, « la détente » apparemment pour TORSA prend le résultat pour la cause. La phrase à un seul verbe personnel se trouve ensuite monnayée en deux coordonnées : « avait et subissait » ; n’ayons pas le mauvais esprit de dénoncer la maladresse de « bœufs accouplés » là où tout brave paysan faisait (car maintenant c’est le tracteur à n chevaux !) son affaire de leur « paire » ! Autre abus : PER SE= « en leur fertilité spontanée ». Il était certes difficile de conserver la répétition de NATIVAS et nous regrettons de ne pas être plus écologique qu’Hermann. v. 540 : on conseille habituellement de passer le passif (sic !), fréquent en latin, à l’actif ; Hermann fait tout le contraire, l’ensemble ternaire reste satisfaisant, à l’exception notable de LIBIDO qui est dénoncée par « mauvaises passions » – encore de la pudibonderie ? L’inversion du sujet « soif » en latin comme en français est digne d’approbation, ce qui rend encore plus impardonnable la perte des comparatifs immédiatement après, même si nous sommes sensible à la frappe quasi proverbiale de l’ensemble. Perte aussi de l’infinitif de narration, alors qu’il n’est pas plus fréquent en français. Lourdeur du « commença » pour PRIMUM, dont le seul mérite est d’induire l’infinitif de BELLARE. Platitude du pluriel commun : « à mains nues seulement » (adverbe en supplément gratuit !) au détriment du singulier, fort pertinent, au rebours du pl. automatique en cette occurrence. La paronomase « branches brutes » fait écorcé vif, et notre jeu de mot est au même niveau que ce résultat… « branches grossières » serait de meilleur aloi. Nous apprécions la concision de la tournure : « point encore » pour NON ERAT. Tout le reste eût été de la même eau, nous nous serions abreuvé à cette source pure ! Mais cela ne dure jamais : nous ne pouvons que sourire au « glaive pendu au côté des guerriers » – en supplément lui aussi, pour ceux qui n’auraient pas compris – ENSIS CINGENS LATUS, c’est confondre horizontale et verticale. L’accumulation soulignée par les deux AUT amène derechef un « point encore » ! Cette bévue devrait mettre un point final à notre mise en coupe réglée : hélas, qui peut le plus avec un très bien vu : « casques chevelus d’un vaste panache » pour CRISTA PROCUL GALEAE COMANTES, peut de toute évidence aussi le moins et la traduction de s’embourber  dans deux adjonctions inutiles : « des choses,  fortuites », ce d’autant plus que les règles de traduction sont strictes : « chose » n’est pas plus recevable que ; « c’est », « il y  a », « faire », etc. ; il convient de tendre à la plus grande précision; donc, DOLOR ou fureur ? Notre choix est fait.

 

Scansion

Quelques mots de mise en bouche sur la scansion dramatique

Dans ce passage, un DIVERBIUM, il s’agit de sénaires ïambiques, donc 6 pieds, de quantité brève-longue, l’ictus frappant la longue, ce compte non tenu que la longue sous ictus (=demi-pied fort) est en fait égale à deux brèves et que le demi-pied faible peut-être condensé, donc s’échanger contre deux brèves ou… une longue. Seul le dernier pied est obligatoirement pur ; mais comme la dernière syllabe est indifférenciée, on peut aussi avoir un dibraque, soit deux brèves… Donc, si tu as bien suivi, tu n’es sûr(e) au départ que d’une seule chose : dans ce rythme, la syllabe pénultième est… brève !

Nos abréviations :

P=coupe Penthémimère, H=coupe Hephtémimère, p=pause phono-sémantique à la coupe

a=anapeste (2 brèves, 1 longue), d=dactyle (1 longue, 2 brèves), D=Dibraque (2 brèves), i=ïambe (1 brève, 1 longue), s=spondée (2 longues), t=tribraque (3 brèves)

[donc, résultat infra, sauf erreur(s) de notre part, tant dans la détermination des pieds que dans la correspondance entre le rythme présenté et la réalité… (en bon entonneur rabelaisien, nous soutiendrons tout cela jusqu’au bûcher, exclusivement); au reste, aucun examinateur n’aura la cruauté mentale d’exiger de ta part ce type de scansion, nonobstant, il sera très sensible à une tentative pour réaliser cet exploit, surtout si elle est réussie.

ULTIMA VERBA : Pour ce faire, un Gaffiot non abrégé te sera précieux, comme à nous, même en nous servant de l’étymologie ; l’anapeste (voire le tribraque !) peut te déconcerter…]

 

v. 515 sisisi, P

sisisi, P

aisisD, Pp

sisiai, Hp

sisisi, Pp

v. 520 sisisD, Pp

sisisi, H

peut-être, cf. 531, sisisD, P si O long s’élide sur IMPROBUS

sisidi, P

iiiisD,Pp

v. 525 sisiaD, Hp

sisssi, P

sisisD, Pp

siiisD, Pp

sisiaD

v. 530 sisisi, P

aidisD, Hp (si O long s’élide sur AGGERE)

siissD, P

siiisi, P

sisisi,P

v. 535 sisias, Pp

sisiaD, P

sisisD, P

sisisi, Pp

atsisi, P

v. 540 siiisD, P

iisisD, P

iisiaD, Pp

iisiiD, P

v. 545 sisisi, P

siisiaD, Pp avec VERTERE s’élidant sur IN

 

sisisi, Hp

sisisD, P

sisisD, P

aistsD, Pp

 

 

 

Mot-à-mot

Poma excussa silvis Les fruits secoués dans les forêts compescunt famem réduisent la faim et fraga vulsa parvis dumetis et  les fraises, arrachées à leurs pieds, ministrant faciles cibos servent sans difficulté de nourriture. impetus est fugisse L’élan : fuir procul luxus regios bien loin les excès des rois: superbi bibunt auro sollicito Les Grands boivent dans de l’or inquiétant  ; quam  juvat captasse fontem manu nuda Comme on est heureux d’étancher sa soif à la source de sa main nue ; somnus certior premit  un sommeil plus profond terrasse versantem membra secura toro duro celui qui tourne ses membres en toute quiétude sur une couche dure. Non quaerit improbus furta il ne cherche pas en pervers des adultères in recessu et cubili obscuro dans le retrait de son lit obscur, que se recondit timens domo multiplici et il ne se cache pas +plus+ en angoissé dans une demeure labyrinthique : petit aethera ac lucem il vise l’éther et la lumière et vivit caelo teste et il vit avec le ciel pour témoin. Equidem reor hoc ritu Sans aucun doute je pense que +c’est+ de cette manière +qu’+  vixisse quos prima aetas ont vécu ceux que le premier âge profudit mixtos diis a prodigués, mêlés aux Dieux. his fuit nullus caecus cupido auri En eux il n’y eut aucun désir aveugle d’or  ; nullus lapis sacer in campo aucune pierre sacrée dans la plaine divisit agros populis arbiter ne répartit les champs entre les peuples en tout arbitraire ; rates credulae Les vaisseaux fanfarons nondum secabant pontum ne coupaient pas encore les flots quisque norat sua maria chacun +ne+ connaissait +que+ sa propre mer ;  urbes non cinxerant latus les villes n’avaient pas entouré leur pourtour vasto aggere crebraque turre d’un vaste retranchement et de tours multipliées ; miles non aptabat manu arma saeva le soldat ne préparait pas de sa main ses armes cruelles nec ballista torta fregerat ni la baliste tendue n’avait brisé portas clausas gravi saxo les portes fermées de sa lourde pierre, terra jussa pati dominum et la terre contrainte +actuellement+ de souffrir un maître nec ferebat servitium juncto bove ne subissait pas l’esclavage que lui impose une paire de boeufs sed arva per se feta pavere mais les champs d’eux-mêmes féconds nourrissaient gentes poscentes nihil les familles qui n’en attendaient aucune contrepartie, silva (dederat) nativas opes la forêt offrait ses propres richesses et opaca antra dederant nativas domos et les sombres grottes  fournissaient des demeures naturelles. Rupere foedus Mais rompirent le pacte furor impius lucri la folie impie du lucre et ira praeceps, la colère avec ses oeillères que libido quae agit mentes succensas et le désir qui conduit les esprits +ainsi+ enflammés ; venit sitis cruenta imperii,  Vint la soif sanguinaire du pouvoir, minor factus praeda majori  Un plus petit devint une proie pour un plus grand : vires esse pro jure. Et les forces de tenir lieu de droit. Tum primum bellare manu nuda Alors, en premier, combattre de sa main nue -que vertere in arma saxa et ramos rudes puis de transformer en armes rochers et branches grossières:  non erat cornus levis Il n’y avait pas de cornouiller lisse armata ferro gracili armé d’un fer effilé aut ensis longo mucrone ou d’épée à la longue lame cingens latus ceignant le côté aut galeae comantes procul cristal ou de casques chevelus d’un vaste panache : dolor faciebat tela. La douleur faisait les traits.

 

Mot-à-mot commenté

Avant-propos : nos commentaires peuvent paraître superfétatoires, ils visent l’exhaustivité, rien de moins ; au reste, ils sont truffés de remarques qui concernent la critique de la traduction (=les 3 points de bonus à l’oral du bac !), et ouvrent donc des horizons dans cette perspective…

Poma excussa silvis Les fruits secoués dans les forêts (POMUM I n. cf. Pomone, déesse de la fructification ; EXCUTIO CUSSI CUSSUM, « faire sortir ou tomber en secouant » ; nous avons gardé « forêts » car SILVAE, « arbres » serait pléonastique, et supposerait un semblant de verger) compescunt famem réduisent la faim (cf. PARCO, « épargner », avec le suffixe itératif-inchoatif, donc retenir, réprimer, aux antipodes du douceâtre « apaiser » d’Herman, peut-être amené par PASCERE, paître, avec la paronomase de « paix ») et fraga vulsa parvis dumetis et  les fraises, arrachées à leurs pieds, (FRAGA ORUM – d’aucuns préfèrent le terme plus général de « baies » ; VELLO VULSI VULSUM « détacher en tirant » ; DUMETUM I n, « arbrisseau », d’où, avec PARVIS, la touffe que forme un fraisier, ici celui des bois, bien loin des fraises artificielles d’Espagne) ministrant faciles cibos servent sans difficulté de nourriture (le MINISTER est un serviteur ! Cette nourriture - CIBUS, « aliment » - fournie d’elle-même par la nature, sans intervention ni travail humains, est donc FACILIS ; le pluriel souligne son abondance et qu’Hippolyte se satisfait de peu –passe-nous cette anacoluthe !). impetus est fugisse L’élan : fuir (le perfectum  est le résultat présent de l’action passée ; on peut difficilement rendre l’efficacité immédiate de l’IMPETUS (« tendance » manque de force) : à peine évoqué, le résultat est là et le LUXUS, loin, PROCUL ce que souligne son antéposition dans le cadre de cette hyperbate) procul luxus regios bien loin les excès des rois (PROCUL est un adverbe ; LUXUS est péjoratif, cf. débauche, gabegie, et le pluriel le souligne ; bien que fils de roi, Hippolyte a les préjugés romains contre leur engeance): superbi bibunt auro sollicito Les Grands boivent dans de l’or inquiétant (SUPERBUS, terme insultant en fait,  cf. Tarquin le Superbe ; les Grands, n’en déplaise à leur éminence, n’ont pas bonne presse ni chez La Bruyère ni pour Voltaire, cf. « Micromégas, nom qui convient fort à tous les grands ». La synecdoque AURO (la matière pour le contenant – je n’ose taper « verre ») est affectée directement de son expansion pour garder, tant que faire se peut, l’hypallage puisque le sens de SOLLICITUS – SOLLUS CIEO « entièrement bougé, mu » - porte bien sûr sur le sujet) ; quam  juvat captasse fontem manu nuda Comme on est heureux d’étancher sa soif à la source de sa main nue (JUVAT a comme sujet « impersonnel » CAPTA(VI)SSE; le fréquentatif de CAPIO souligne l’effort  pour prendre l’eau… à sa source – FONS, «  source » car la fontaine implique une intervention humaine ; on boit plus, et plus vite, dans le creux d’une seule main à un filet d’eau, même si c’est plus difficile ! « étancher »  a le mérite du résultat, « soif », celui de l’intensité ) ; somnus certior premit  Un sommeil plus profond terrasse (PREMIT : « terrasse » plutôt qu’ « accable » d’Hermann, trop négatif) versantem membra secura toro duro celui qui tourne ses membres en toute quiétude sur une couche dure (SECURA indique le résultat : c’est le sommeil de plomb de l’innocent, assuré (CERTUS !) sans insomnie, avec les mouvements, VERSANTEM,  du corps propres au sommeil… profond, qui se tourne et retourne, d’où le fréquentatif ! Les Belles Lettres optent pour la LECTIO DIFFICILIOR, avec VERSOR ARI, déponent, et l’accusatif de devenir de relation ; nous avons choisi une tournure (sic !) plus… naturelle…). Non quaerit improbus furta il ne cherche pas en pervers des adultères (FURTA en ce sens chez Ovide dans l’Art d’aimer, sens que corrobore IMPROBUS, cf. « clandestines débauches » chez Hermann ! Phèdre, elle – quelle ironie tragique de la part de son beau-fils - recherche l’adultère sans pudeur aucune, pervertie par sa passion)  in recessu et cubili obscuro dans le retrait de son lit obscur (par hendiadys ; je n’ai pu résister au jeu de mots : « retrait »  signifie aussi les toilettes, par ex. chez Marguerite de Navarre, car l’endroit où repose l’IMPROBUS est forcément répugnant, OBSCURO : un voile pudique devrait recouvrir ces turpitudes, étrangères à la lumière du jour), que se recondit timens domo multiplici et il ne se cache pas +plus+ en angoissé dans une demeure labyrinthique (ne serait-ce point la DOMUS AUREA, ou, du moins, le PALATIUM ? C’est bien le mal-être des puissants qui est en ligne de mire ; adjonction de +plus+ pour exprimer le parallélisme des deux coordonnées : c. de lieu, adjectif en fin de vers, verbe en début de vers//c. de lieu en disjonction cf. FURTA inséré, adjectif en fin de vers, verbe à la coupe p) : petit aethera ac lucem il vise l’air et la lumière (PETIT : « cherche » a été pris avant, et ce terme reprend en polyptote IMPETUS ; c’est bien ce qui nous pousse, notre élan vital. L’AETHER – à l’accusatif grec - est cher aux stoïciens, comme la lumière, car il permet au feu de brûler) et vivit caelo teste et il vit avec le ciel pour témoin ( traduction esclave d’un automatisme médiatique, vu le bestseller de Sara Jarrod ?). Equidem reor hoc ritu Sans aucun doute, je pense que +c’est+ de cette manière +qu’+  (EQUIDEM rend REOR indubitable ; au Hoc en disjonction répond la mise en valeur, chez nous, par le présentatif) vixisse quos prima aetas ont vécu ceux que le premier âge (VIVO déjà rencontré au vers précédent ; est-ce à dire que les citadins sont des morts-vivants ? QUOS=relative déterminative, malgré l’absence de déterminant exprimé ! PRIMA AETAS=l’âge d’or, corroboré, non sans humour, par AURI au v. suivant ; selon Hésiode, c’est l’âge de Cronos) profudit mixtos diis a prodigués, mêlés aux Dieux. (PROFUNDO= « verser devant/en abondance » ; les hommes ne se reproduisaient pas, mais étaient semés. N.B. pour les partisans de l’euthanasie : ils mouraient de vieillesse, en s’endormant ; MISCEO MISCUI MIXTUM, « mélanger » : « Alors, les repas étaient communs, les assemblées étaient communes entre les dieux immortels et les humains », citation d’Hésiode par Origène, Contre Celse, 4) ; de toute façon, le déluge déclenché par Zeus pour se venger du « plat de tripes » concocté par Deucalion et sa femme Pyrrha a fait de tout ceci table rase !). his fuit nullus caecus cupido auri En eux il n’y eut aucun désir aveugle d’or (ESSE + datif de possession ; d’aucuns auraient communément traduit par : « ils n’avaient aucun désir », « ils ne ressentaient… », l’or rend aveugle à tout autre objet que lui), nullus lapis sacer in campo aucune pierre sacrée dans la plaine (« aucune », lourd certes, pour la reprise de NULLUS ; LAPIS LAPIDIS, m., cf. LAPIS NIGER, sur le forum – vu cette référence, « ce passage est scandaleux, blasphématoire », éructerait un fanatique !) divisit agros populis arbiter ne répartit les champs entre les peuples en tout arbitraire (DIVIDO VISI VISUM, « distribuer qqe à qqn » ; on peut préférer : ARBITER POPULIS, « délimitant les peuples », mais j’ai un faible pour mon « arbitraire » ! N’oublions pas que le partage de l’AGER PUBLICUS était une revendication des POPULARES, qui s’est heurtée à un autre arbitrage avec l’élimination des Gracques qui annonçait la fin de la République romaine…) ; rates credulae Les vaisseaux fanfarons (CREDULUS, « aventureux » ? Le mépris des Romains pour la mer est avéré, mais leur avidité aussi (cf. le traitement infligé par les Parthes à Crassus), l’expression familière « qui s’y croit » s’y prête bien.) nondum secabant pontum ne coupaient pas encore les flots (PONTOS en grec est le passage – car il est plus facile en Grèce de naviguer que de traverser des terres escarpées, cf. en latin le PONTIFEX MAXIMUS , celui qui permet d’accéder aux Dieux ; le mot est latinisé en poésie, d’où notre traduction, cf. « l’onde » pour « l’eau », « nef » pour bateau – ce que nous n’avons pas osé ici, même si le ridicule ne tue pas) quisque norat sua maria chacun +ne+ connaissait +que+ sa propre mer (adoption pour une fois de la traduction du Budé, dont le restrictif est apprécié, alors qu’il était, chez nos universitaires, prohibé dans les traductions des étudiants, au même titre que les présentatifs ; NO(VE)RAT en crase, avec son sens perfectum ; le distributif en français est singulier, au rebours du latin – un des pièges éculés de l’ancien thème !); urbes non cinxerant latus Les villes n’avaient pas entouré leur pourtour (CINGO IS CINXI, cf. ceinture, ZWNH en grec ! LATUS ERIS, cf. latéral) vasto aggere crebraque turre d’un vaste retranchement et de tours multipliées (l’AGGER protège de son excavation, de son tumulus et de ses pieux le camp journalier des légionnaires ; pourquoi pas « large rempart » ? CREBER, « fréquent » permet de multiplier la tour de défense) ; miles non aptabat manu arma saeva le soldat ne préparait pas de sa main ses armes cruelles  (APTARE, « disposer » ; ARMA ici d’attaque – car sinon pourquoi l’adjectif SAEVA ? De deux types : le pilum – un telum car de loin, et le glaive, car au corps-à-corps) nec ballista torta fregerat ni la baliste tendue n’avait brisé (cf. la balistique, chère à Napoléon en ses débuts ; TORQUEO TORSI TORTUM : on tend le fléau de la baliste en tournant un treuil ; FRANGO FRAXI FRACTUM, cf. fracture, « par effraction ») portas clausas gravi saxo les portes fermées de sa lourde pierre (PORTAS au pluriel : il y a les deux battants, au rebours de la JANUA ; SAXUM : « rocher » ; le terme générique est : « projectile »), terra jussa pati dominum et (cf. le NEC plus loin) la terre contrainte +actuellement+ de souffrir un maître (JUBEO JUSSI JUSSUM +infinitif, « ordonner »; PATIOR PASSUS SUM, déponent, d’où COD, « supporter ». RAPPEL : le déponent, comme son nom l’indique, dépose son sens passif pour prendre le sens actif ; DOMINUS, cf. l’œil du maître dans le DE RE RUSTICA de Caton le Censeur) nec ferebat servitium juncto bove ne subissait pas l’esclavage que lui impose une paire de bœufs (FERRO FERRE, « porter », d’où « supporter », SERVITIUM, très fort, renforce DOMINUS ; JUNGO JUNXI JUNCTUM, « joindre », on passe au pluriel en français pour éviter : un « bœuf joint »… sous-entendu : « à un autre » ; pour finir, « imposé par une paire » eût été plus concis, mais trop laconique. Ne relevons pas le ridicule de « bœufs accouplés » chez Budé – désolé de ce coup de pied… de l’âne ?) sed arva per se feta pavere mais les champs d’eux-mêmes féconds nourrissaient (ARVUM I peut désigner aussi la moisson ; FETUS A UM « plein » au sens vétérinaire du terme ; nous avons conservé la construction latine, très élégante en français ; PASCO PAVI PASTUM, « mener paître », cf. pasteur ; la traduction perd le perfectum)  gentes poscentes nihil les familles qui n’en attendaient rien/aucune contrepartie (Sénèque a suffisamment le sens de l’histoire humaine pour ne pas envisager des nations – autre sens de GENTES - en cette période légendaire ; par ailleurs, les familles auraient été en droit d’attendre un retour sur investissement, si elles avaient travaillé la terre, ce qui n’était pas nécessaire, d’où, en mot-à-mot, « ne réclamant rien »), silva (dederat) nativas opes la forêt offrait ses propres richesses (DEDERANT est en facteur commun pour les deux coordonnées, DO DEDI DATUM avec son sens perfectum, donc « offrir ») et opaca antra dederant nativas domos et les sombres grottes fournissaient des demeures naturelles (OPACUS, ici « sombre » plutôt qu’ « obscur » ; NATIVUS A UM, « de naissance », cf. naïf – des djeuns jargonnent « de base » ! Dernier détail : « propres » avec « demeures » aurait induit un effet… grotesque (sic !)). Rupere foedus Mais rompirent le pacte (« Mais » pour souligner l’asyndète, confortée elle-même par l’inversion des 3 sujets en accumulation ; RUMPO RUPI RUPTUM ; FOEDUS ERIS n, contrat… social ? En fait avec les Dieux, cf. RELIGIO=contrat) furor impius lucri la folie impie du lucre  (FUROR PIUS fait se jeter au milieu des ennemis et/ou les massacrer en toute inhumanité ! J’ai gardé le terme « lucre », plutôt que « gain » car, no body is perfect,[mon fond est catholique] je vomis l’argent et adhère totalement à IMPIUS)  et ira praeceps, la colère avec ses œillères (ET=virgule ; praeceps, « la tête en avant », sans pr-udence < PRO-VIDENS, « voyant devant soi »!) que libido quae agit succensas mentes et le désir qui conduit les esprits +ainsi+ enflammés (LIBIDO INIS f., SUCCENDO CENDI CENSUM, cf. CANDIDUS, « blanc », incendier) ; venit sitis cruenta imperii,  Vint la soif sanguinaire du pouvoir (CRUOR=le sang ; IMPERIUM… ROMANUM, comme la PAX ROMANA, via force génocides, même si, grâce aux prêtres fétiaux, toutes leurs guerres étaient justes), minor factus praeda majori  Un plus petit devint une proie pour un plus grand (opposition PARVUS, MIN-OR, MIN-IMUS # MAG-NUS, * MAG-IOR, *MAG-SIMUS au comparatif ; La traduction avec les indéfinis est incontournable puisqu’elle sauvegarde le comparatif ; de plus, elle exprime la lutte pour la vie, cf. la chaîne alimentaire, en emboîtements successifs, au rebours de la traduction formulaire du Budé [aux antipodes du scoutisme], en adage : « le faible devint une proie pour le fort » ; PRAEDA AE f, le butin, cf. prédateur ; tout le lexique militaire est convoqué, un relevé rapide le confirme : FOEDUS, FUROR, IRA, IMPERII, CRUENTA, JURE, VIRES, MANU BELLARE, ARMA, ARMATA en polyptote, FERRO, etc. Le passage de la nature à la culture change en fait l’homme en super-prédateur): vires esse pro jure. Et les forces de tenir lieu de droit (VIS VIRIS, ESSE= « être » infinitif de narration, d’où notre coordination dans le droit fil de La Fontaine ; JUS JURIS, « droit », ou « loi » ? cf. « la force de la loi » ; le JU-DEX est, étymologiquement  celui qui dit que telle loi s’applique au cas qui lui est soumis. Ceci n’a rien à voir avec notre équité, cf. en grec, la différence en Dikê et Thémis, le texte de loi et la balance de la Justice, la lettre et l’esprit). Tum primum bellare manu nuda Alors, en premier, de combattre de sa main nue (TUM PRIMUM – « on commença », in Budé… HINC v. 551… TUM début du v. 553…  SED début du v. 559, pour la péroraison,  une diatribe très vive contre la femme ; « manu » au singulier car elle préfigure celle d’attaque qui tiendra l’épée alors que celle de défense arborera le bouclier) -que vertere in arma saxa et ramos rudes puis de transformer en armes rochers et branches grossières (avec un jeu de mots ? RUDIS signifie aussi la baguette d’entrainement pour les soldats et les gladiateurs ; est-ce pour évoquer l’allitération en liquides que, chez Budé, on a droit à « branches brutes » ?):  non erat cornus levis Il n’y avait pas de cornouiller lisse (écorcé, ce bois présente un aubier lisse, un sens de LEVIS – qui plus est, « blanc », cf. aubier !) armata ferro gracili armé d’un fer effilé (les noms d’arbre sont féminins le latin ; FERRUM=synecdoque ; nous avons gardé l’« effilé » du Budé, plus rare que « pointu », subtil comme la syntaxe raffinée : correspondance étroite des 2 groupes de part et d’autre d’ARMATA en début de vers) aut ensis longo mucrone ou d’épée à la longue lame (ablatif de qualité ; ENSIS surtout en poésie ; la précision technique de la « longue lame » est attestée archéologiquement :  si les gaulois sont restés fidèles à leur lourde épée, souvent tenue à deux mains, le GLADIUM du légionnaire républicain classique est à lame courte, beaucoup plus pratique pour le corps à corps, stricto sensu ! La lame ira ensuite en s’allongeant. MUCRO ONIS signifie certes la pointe, mais on frappait plus de taille que d’estoc, vu la qualité discutable du fer – sauf martelé avec du carbone, d’où le choix judicieux de « lame », en adéquation donc avec « longue »)) cingens latus ceignant le côté (le fourreau de l’épée – car comment marcher lame nue ? -  est fixé à la taille par un baudrier, ceinture qui entoure, comme ce nom le précise, le côté du soldat : l’expression du Budé « pendue au côté des guerriers », trop verbeuse en soi, est mal venue ici) aut galeae comantes crista procul ou de casques chevelus d’un vaste panache (COMO ARE, cf. comète ; « coiffés » était trop commun ; notre traduction, pour déconcertante qu’elle soit, en cela d’accord avec Hermann, comme nous l’avons constaté après-coup, nous paraît répondre au désir de Sénèque de ridiculiser cet artifice militaire qui visait à impressionner l’adversaire – ou à reconnaître un ami en combat rapproché ; le « vaste » traduit, d’assez loin, l’adverbe « procul »): dolor faciebat tela. La douleur faisait les traits (Le ressentiment faisait flèche de tout bois ? Nous avons opté pour la traduction la plus proche du texte, car elle en conserve l’impact inquiétant, en un raccourci qui touche son but !).

 

Commentaire

N.B.: les commentaires entre crochets n’engagent que leur auteur et lui permettent seulement de reprendre son souffle de sexagénaire pour poursuivre… A déparasiter pour le bac ! Donc, copier-coller l’ensemble et le retravailler pour soi en éliminant ce que l’on n’a pas compris, il devrait rester suffisamment de pâture pour brouter à sa mesure…

 

A l’appel (VENI=impératif) de la nourrice de jouir du bonheur (SED TU BEATIS MITIOR REBUS VENI, v. 437),  au lieu d’être TRUCULENTUS ET SILVESTER (mal dégrossi, une « bûche » (sic !), pour filer la métaphore sylvestre, v. 461), « rends-toi en ville, passe au réseau réel » (URBEM FREQUENTA, CIVIUM COETUM COLE, v.482 ; N.B. : pour anachronique qu’elle soit, notre traduction présente elle aussi une allitération initiale), d’emblée Hippolyte prend le contrepied (NON) : son choix personnel est une LIBERA… VITA (483/4) ; Il aime les forêts (AMAT SILVAS, (v. 485, 13 occurrences de ce nom dans Phèdre), libre d’espérance et de crainte (SPEI METUSQUE LIBER, v. 492), nous verrons, après notre passage, qu’il hait les femmes (v. 566 : DETESTOR OMNIS, HORREO, FUGIO, EXECROR).

 

Sa tirade fonctionne en trois temps :

I. Par une série de négations, jusqu’au v. 500, il esquisse le tableau atroce de la vie d’un « rat » [pour faire court, voire course du rat chère à Lauzier, en 1978] des villes.

II. Le contraste (SED, v. 501) est saisissant avec la vie à la campagne (RURE) : après une courte évocation poétique (jusqu’au v. 514)  [imprégnée – vu la prégnance de l’eau - de la fraîcheur chère à un grec, ou plutôt à un méditerranéen], il montre comment les besoins naturels sont satisfaits, avec plaisir, MIXTOS DIIS, à l’égal des dieux : tout était opposé à l’âge actuel.

III. La rupture (RUPERE) avec cet état de commune union entre l’Homme, demi-dieu, et la Nature, due aux passions humaines [Misère de l’homme sans Dieu, dira Pascal dans ses Pensées] a un effet d’abord limité (jusqu’au vers 549), puisqu’on n’avait pas encore la panoplie du soldat romain sous l’empire, ensuite cataclysmique [voire apocalyptique, avec une révolution industrielle avant la lettre ; nous, nous nous échauffons aux effets de la nôtre !], INVENIT (en début de vers, en anacoluthe) NOVAS ARTES au vers 550, MILLE FORMAS MORTIS, avec le même jeu, voire les mêmes mots que dans l’élégie I, 3 de Tibulle) ; la conclusion est inattendue et déconcertante : SED, au v. 559, la cause initiale de toute cela n’est pas en fait MAVORS (Mars), c’est la femme, en une phrase nominale laconique et assassine [noyau de la cerise sur le gâteau], DUX MALORUM, avec la solution : FEMINA.   

 

Ce passage est intéressant par plusieurs de ses aspects : la rigueur de sa construction suscite l’adhésion, son appui sur la philosophie emporte la conviction, la brutalité dont il fait preuve nous entraîne, la dénonciation satirique de différents travers de son temps est très polémique pour qui sait lire entre les lignes ou suivre le regard, et le topos évoqué, pour commun qu’il soit, trouve de nombreux échos chez nos auteurs !     

 

Notre extrait lui-même (v. 515 – 549) suit une démarche très cohérente :

A)  Sénèque évoque pour commencer la satisfaction, présentement, des besoins premiers:

·       Manger (d’abord par une double négation : COMPESCUNT < PARCO FAMEM – puis une expression dont les deux termes sont positifs : CIBOS MINISTRANT, les deux noms étant en parallélisme de place et de fonction, avec la VARIATIO du singulier/pluriel), sur 2 vers ½, se terminant à la penthémimère. En un passage subtil de la verticale (EXCUSSA) à l’horizontale (VULSA)

·       Le passage au boire (sur 4 vers) se fait par l’opposition entre FACILES et REGIOS ; le contenant, par synecdoque, est d’or (AURO) ; nous retrouvons une opposition extrême entre ce qui est l’objet d’une dépense somptuaire ainsi que d’une critique acerbe (LUXUS, FUGISSE, SOLLICITO, SUPERBI : il est difficile d’être plus péjoratif !) et la simplicité (sans artifice technique : NUDA MANU) d’une FONTEM, derechef à la coupe penthémimère, soulignée, comme la première évoquée, par une pause phono-sémantique ; au reste, les voyelles fermées du premier volet critique laissent place ici à une ouverture sonore marquée par la concision d’une exclamative

·       Nous terminons sur le sommeil (en 5 vers), en une démarche inversée : d’abord le positif (CERTIOR, SECURA, même au prix d’un certain ascétisme : DURO… TORO – qui n’est pas loin d’un pléonasme : les lits romains étaient loin d’être douillets) à terre (VERSANTEM), puis, quasi au fin fond du sol avec RECESSU, le négatif (NON en début de vers, une kyrielle de termes dépréciatifs (FURTA, OBSCURO – qui annonce, par le contraire, LUCEM – IMPROBUS en insulte virulente, en fin de vers comme TIMENS – fortement opposé ainsi au CERTIOR supra) pour finir par une envolée vers le ciel: AETHERA, LUCEM, CAELO. Boire et dormir - aussi incontournables l’un que l’autre pour ne pas mourir rapidement [remarque anachronique ? Je pense que les Romains ont suffisamment maltraité d’esclaves pour le savoir] – convoquent dans ce passage les 4 éléments, l’eau (FONTEM), la terre (DURO TORO), l’air (AETHERA) et le feu (LUCEM) ; on arrive ainsi à la vraie vie : TESTE CAELO VIVIT à l’hephtémimère (au rebours des propos désespérants de la nourrice : RAPACES FATI MANUS, v. 467, EXHAUSTUM, SQUALIDO, TURPIS, STYGA, ad libitum).

B)  Puis il évoque l’âge d’or, celui d’un passé révolu, car celui qui vit comme présenté supra est aussi l’épigone des ancêtres : on passe donc, avec la forte articulation logique EQUIDEM, de VIVIT à VIXISSE, en polyptote, en début de vers, donc à PRIMA AETAS, à la penthémimère ; c’est une période où la vie surabonde (PROFUDIT en début de sénaire), où la brisure entre les hommes et les Dieux ne s’est pas encore opérée : MIXTOS DIIS, donc avant que Pandora n’ouvre la boîte que lui a confiée Jupiter (= en prémices de la fin profondément misogyne de la tirade ?) ! Avec un trait d’humour : l’or qui, habituellement, qualifie cette période initiale est l’obsession des contemporains d’Hippolyte, ou plutôt de Sénèque, AURI, V. 527, ultérieurement déprécié en LUCRI au v. 540. C’est d’ailleurs aussi, mais cette contradiction ne le gêne pas, cet intérêt que l’on peut reprocher au riche Sénèque, même si les Romains ont apprécié ses jardins… La mort développée ensuite sur 9 vers est ainsi encadrée, jugulée par la vie, de façon équilibrée : 2 vers en avant (v. 525-527), pour ceux qui restent proches de nous avec les deux démonstratifs de proximité immédiate, en fait qui nous concernent au premier chef : HOC, HIS, 3 vers pour finir (v. 537-539) ; c’est en creux, par l’absence, qu’apparaît le malheur : NULLUS deux fois, en parallèle. Il est corroboré par l’accumulation pléthorique des négations : NONDUM en début de vers, deux NON, dont le deuxième repris en début de vers, comme le premier NEC ensuite… Les exemples évoqués se complètent et se renforcent réciproquement, deux par deux :

·       En avers, la cupidité (CUPIDO AURI), celle des chevaliers-banquiers ? En revers, ne peut-on y voir une allusion nette, nonobstant le SACER puisque toutes les activités se font sous l’obédience de la loi divine et en stricte BONA FIDES, à l’arpentage cher aux Romains qui prenaient ainsi la juste mesure de leur conquête pour mieux se l’approprier (cf. l’ager  publicus, en un processus dont les patriciens étaient coutumiers) ?

·       La terre répartie, reste le vaste espace de la mer, donc en avers, les vaisseaux (RATES, fréquent en poésie) des marins (dépendant en fait des chevaliers et de leurs expéditions maritimes), en revers, les remparts des urbains (dépendant en fait des patriciens ?), mais ce retour sur la terre ferme s’explique : tout marin, qu’il soit phénicien, grec, voire étrusque [et non latin : la mer n’est pas la tasse – de thé ! - de Rome, au départ] est commerçant quand il accoste dans une ville portuaire fortement fortifiée (en parallélisme : VASTO AGGERE, CREBRA TURRA, en allitération des liquides), pirate quand la défense est mal assurée.

·       Est-ce pourquoi on passe au soldat, agresseur avec l’harmonie des [a]. Nous avons même droit à un cours de poliorcétique, le soldat romain, polyvalent, se montre aussi efficace (APTABAT/ TORTA, cf. le parallélisme des deux verbes à l’imparfait, avec les armes de près/ARMA et de loin/BALLISTA ), dans la bataille au corps-à-corps que lors d’un siège (PORTAS CLAUSAS)… Donc, en avers, le soldat et ses techniques (baliste) qui ont permis l’IMPERIUM ROMANUM, en revers, le paysan et sa technique (charrue tirée par deux bœufs) qui permet d’exploiter le sol conquis, curieusement et moins développé et présenté de façon péjorative : DOMINUM est le terme exact, mais fleure la tyrannie, ce que confirme SERVITIUM ; en fait, le labour est un vrai labeur, apparemment à l’époque de Sénèque moins honorable que le métier des armes. Ou c’est pour mieux souligner combien ce travail de la terre, pénible, s’oppose (SED) à une nature en son état natif (NATIVAS deux fois, sans intervention humaine). C’est un vrai pays de Cocagne : FETA PER SE, PAVERE, OPES, DOMOS.

·       A tout cela s’opposent (SED), de façon encore complémentaire, ARVA et SILVA ; à l’AURI du v. 527, on préfère les NATIVAS OPES… C’est sur ces deux visions, champêtre et sylvestre, que ferme ce paradis perdu.

C)  Il y a bien incompatibilité entre la vie idéale explicitement prônée par Hippolyte dans ce qui précède et la vie pleine de vices et de danger des autres dans un passé plus récent… en toute logique, la SECUNDA AETAS, la TERTIA étant donc celle de Mars, à partir du v. 550, ou plutôt [à suivre les invectives misogynes dont nos réactionnaire feraient leurs choux-gras s’ils comprenaient le latin], FEMINEA !

Avec, comme fil conducteur, la reprise de la même structure d’un groupe nominal au nominatif pour dénoncer ce qui est : nom avec deux expansions, adjectif et complément du nom, cf. AURI CAECUS CUPIDO, en prétérition avant au v. 528, IMPIUS LUCRI FUROR (v. 540), IMPERII SITIS CRUENTA (avec l’impact des 3 gutturales), avec son résultat (hors-texte)  en objet : MILLE FORMAS MORTIS (551). L’accord (FOEDUS) hommes/dieux n’existe plus, l’anacoluthe brutale, l’hyperbate (verbe, cod, sujet) le prouvent au vers 540. La cause : FUROR, IRA, LIBIDO le dernier en début de vers, l’ensemble en accumulation ternaire. Y répondent 3 phrases verbales, en anacoluthe (au rebours des 3 noms qui forment ainsi un réquisitoire implacable et imparable), angoissantes, car de plus en plus sèches et tranchantes, proches du laconisme des proverbes ; ceci est corroboré par l’harmonie stridente des [I] dans la première avec la paronomase polémique IMPIUS (540) IMPERIUM (542), l’opposition MAJORI#MINOR dans la seconde, la phrase infinitive dans la dernière, presque formulaire, comme pour concentrer l’abus de la force, alors que, dans leur propagande, les Romains se targuent de respecter le JUS : toutes leurs guerres sont justes (cf. les prêtres fétiaux). On quitte ces généralités abstraites pour montrer comment, TUM PRIMUM, ceci s’incarne dans le réel : le conflit (BELLARE) est présenté sans fard, dans sa violence crue : MANU NUDA, ses projectiles bruts : SAXA, RAMOS RUDES, présentés en tant que tels, sans les lanceurs ; paradoxalement, l’impression de barbarie est renforcée par cette constatation froide : lance (amenée par RAMOS), d’une délicatesse raffinée (GRACILI, LEVI) mais aussi mortifère que les RAMOS comme l’exprime l’allitération en liquide de RAMOS à… CORNUS, épée dans sa précision technique – le seul endroit où le corps du combattant est évoqué avec LATUS, ou casques à l’esthétique avérée (CRISTA, COMANTES) sont un progrès par rapport au combat de sauvage impliqué par mains nues, et ces armes primitives que sont SAXA ET RAMOS : la conclusion est brève, inquiétante dans son inversion et son laconisme abscons : DOLOR, qui sera illustré ensuite…

 

Nous avons donc un passage fortement charpenté en 3 parties, qui jouent sur les contrastes et sur nos émotions avec, en entame, un début empreint de simplicité pour finir sur les progrès techniques, voire esthétiques, dans l’armement, du temps d’Hippolyte, le tout rehaussé par une opposition finale où la douleur fait flèche de tout bois…  

 

Quelle philosophie ?

Ce pour nous apporter quel message ? Sur quelle philosophie ce passage se fonde-t-il? Après une cabale d’érudits dans laquelle nous n’interviendrons pas, il appert que Sénèque le philosophe et Sénèque le tragique sont une seule et même personne. Si cette production, plus littéraire que proprement théâtrale au sens étymologique du terme, « voir », QEAOMAI, date de la retraite politique de notre auteur (il se retire dans la mesure où il sait qu’il ne peut plus rien faire), on s’attend à ce qu’il prône le stoïcisme. Mais force nous est de constater qu’il est difficile ici de faire la part entre l’apatheia stoïcienne et l’ataraxia épicurienne.

A)            Au début, il s’agit bien d’épicurisme (à l’instar de certains passages des Lettres à Lucilius où, non sans humour, l’auteur s’appuie, avec la plus grand habileté dialectique, sur cette philosophie) : C’est ce que, sans dire son nom, pratique Hippolyte, comme le fameux (sic !) ILLUM (486, cf.. 490, 492), LIBER SPEI METUSQUE, un sage qui fait en 3 mots la synthèse entre Zénon et Epicure : « fais ce que dois » évite de se poser la question du futur (SPEI - on agit HIC et NUNC) ; adhérer à un matérialisme absolu libère de toute crainte du manque, des dieux et de la mort. Oui, NUNC ILLE, NUNC (505-6). Le texte prône donc les plaisirs naturels et nécessaires, dans le droit fil de la doxa épicurienne et c’est d’ailleurs ce que l’on retient le plus facilement de cette doctrine (RATIO, à lire Lucrèce) :

-  manger ce que propose la généreuse nature (=POMA, FRAGA), en toute sobriété, uniquement pour échapper à la faim : COMPESCUNT FAMEM, sans rechercher des mets raffinés, comme les hédonistes, ni avoir à travailler la terre : FACILES. Cette simplicité est corroborée par la reprise du même rythme sur les deux premiers .vers

- Boire l’eau d’une source (qui n’a pas besoin d’être explicitement mentionnée en tant  que telle : elle s’est écoulée sur 10 vers (v. 504 – 514), immédiatement avant notre passage), par opposition au vin, car quel autre liquide pourrait s’accorder au réceptacle induit par REGIOS LUXUS et AURO en synecdoque ? Notre ascète préfère bien sûr NUDA MANU (malgré son côté peu pratique…). Cette simplicité, pour ne pas dire sobriété, est confirmée par FONTEM à la penthémimère, soulignée par la pause phono-sémantique (notons en passant une première entorse à l’épicurisme : IMPETUS, malgré le manque de maîtrise de soi qu’il implique, renvoie à l’impératif moral que doit suivre le stoïcien pour être conforme au LOGOS [si Lucrèce connaît un IMPETUS, c'est celui de l'élan vital])

-  Dormir sur le sol nu : DURO TORO permet de jouir d’un sommeil réparateur, comme l’indique la double négation encadrant le vers 522. Si DOMO il y a, elle n’est donc pas multiplex (comme l’est, en dépassant toute mesure, la DOMUS AUREA néronienne), mais SIM-PLEX (ce qui annonce le v. 539).

Le rythme pour cet ensemble est régulier, avec souvent la séquence spondée-ïambe…

Le résultat ? Il respire (AETHERA) en pleine lumière (LUCEM, obsession lucrétienne s’il en fût !) ; sa vie (VIVIT) satisfait son désir (PETIT), ce qu’indique la structure binaire.

B)            Comme chez Lucrèce, où les Dieux existent, mais ailleurs, et incarnent (car provoquant des sensations par ex. dans les rêves des êtres humains, eux aussi sont composés d’atomes !) l’idéal du sage épicurien, les Dieux sont mis à contribution : MIXTOS DIIS ! La Nature encore vierge était (vu le parfait ! FUIT, DIVISIT, etc.) prolifique, riche en hommes : PROFUDIT en début de vers, et le désir (CUPIDO, terme profondément épicurien, à la penthémimère, à une pause) aveugle (CAECUS, non pas sur l’objet - comme cru communément dans l’adage usé sur l’amour, mais sur sa recherche même : ce n’est pas à cela que doit se consacrer un homme) n’était pas celui de l’or ! Ni propriété privée (Rousseau retiendra la leçon !) avec, en fait, sa sacralisation, SACER en fin de vers [mais c’est trop forcer le texte dans un sens marxiste] ni navigation dans un but mercantile (CREDULES) ! Vive la sédentarité et l’entre-soi, le voyage est une activité inutile (ici, l’épicurisme, pour étranger qu’il était au départ au MOS MAJORUM, rejoint les vieilles préventions romaines contre la mer ; cf. aussi le SUAVE MARI MAGNO); c’est la liberté (et non DOMINUM, SERVITIUM, cf. 535-6), l’ataraxie qui sont prônées, au rebours des CINXERANT, APTABAT, FREGERAT et autre FEREBAT . Après cette dénonciation du comportement de ses contemporains (grecs ? Plutôt romains, sans souci de cohérence : AGGERE, BALLISTA ; certes, la poliorcétique est un mot grec, mais ce sont les Romains qui ont amené cette technique de prendre les villes à son optimum), Hippolyte reprend son éloge de la Nature, bonne mère : le ravitaillement des GENTES est garanti, alors que la disette à Rome – plutôt qu’à Athènes - est l’angoisse absolue pour le pouvoir, comme le logement de toute la plèbe. Là, ces deux gros problèmes sont réglés d’eux-mêmes. POSCENTES NIHIL avec son double sens (ne demandant rien à la terre, mais aussi sans réclamation car satis-faits) renvoie derechef à l’idéal épicurien, ce d’autant plus que tout vient de soi-même, PER SE, sans travail, (DEDERANT) : c’est un donné naturel : NATIVAS deux fois…

C)            Mais dans cette optique épicurienne, on s’explique mal la perte de cet état de bonheur. Cette philosophie montre comment atteindre le bonheur, mais que faire quand le mal, la perversité humaine se donnent libre cours ? C’est un peu court que de dire que, dans les moments de déréliction, il faut et il suffit de se souvenir de ses instants de bonheur, sans résister à ce qui nous arrive de négatif. Sur ce point, le stoïcisme est plus convaincant, puisqu’il faut agir pour être conforme au logos, à la Raison qui gère le Monde, dans le cadre de ce qui dépend de nous… Et, en cas d’échec, aller jusqu’à se suicider stoïquement s’il s’agit d’échapper au pire, la satisfaction du devoir accompli étant suffisante pour assurer, contre vents et marées, notre bonheur présent : même dans le taureau de Phalaris, le stoïcien est heureux !

Nous retrouvons donc ici, non seulement le Sénèque auteur de Médée (cf. FUROR et DOLOR en encadrement, tous deux en fin de vers 540 et 549), mais encore le philosophe, FUROR dénonçant le manque de maîtrise de soi par rapport à l’extérieur, DOLOR la même chose, mais par rapport  au ressenti intérieur, d’où d’ailleurs l’adjectif stoïque ; ce passage , du v. 440 au v. 549, fonctionne comme la palinodie stoïcienne de la partie précédente (à partir du v. 525), en dénonçant par de courtes phrases le comportement de ceux qui ne pratiquent pas cette sagesse. Au reste, le terme IMPIUS n’a pas plus de sens pour un épicurien que PIUS alors que la PIETAS (qualité romaine prisée, cf. PIUS AENEAS) est aussi l’adhésion stoïcienne au FATUM, le destin que, dans sa sagesse, a édicté le LOGOS, l’inéluctable auquel il faut adhérer dans la joie et la bonne humeur puisque, en dernière ressort, de toute façon, on n’y échappe pas (on ne parlera pas ici d’enthousiasme puisque ce terme relève, étymologiquement, du culte de Bacchus : mettre le dieu Dionysos en soi, c’est boire); cette PIETAS est intrinsèque à la VIRTUS, elle qui donne le bonheur au stoïcien (RAPPEL: Fondamentalement, c’est le plaisir qui donne le bonheur à l’épicurien); s’opposent à elle FUROR, IRA (cf. le DE IRA de… Sénèque !) où l’on ne reste plus dans son quant-à-soi, où l’on n’est plus « maître de soi comme de l’univers » pour citer Auguste, dans Cinna, de Corneille, et LIBIDO devenue maîtresse de MENS (MENTES, à la coupe penthémimère, à une pause). Avec un clin d’œil, encore une fois, de Sénèque : nous ne pouvons croire à la gratuité de SUCCENSAS quand on connaît l’importance, dans le stoïcisme, du feu qui est l’image de la RATIO, sans oublier l’embrasement final du Monde, l’EKPURWSIS, ekpyrôsis [Pascal s’en souviendra dans ses Pensées puisqu’il dénonce dans l’épicurisme la LIBIDO SENTIENDI (sensations), dans le stoïcisme, la LIBIDO DOMINANDI !] ; l’homme n’a plus son IMPERIUM sur lui-même, mais l’exerce sur le monde au grand détriment des autres; SITIS, PRAEDA (HOMO HOMINI LUPUS EST)  montrent que l’on a perdu son indépendance pour sombrer dans le besoin ; nous avons donc droit à une présentation du stoïcisme, en creux [anti-stoïcisme ?] : au JUS, propre à la VIRTUS font place VIRES, scandale que souligne la coupe hephtémimère, à une pause très marquée. Celles du VIR, avec le jeu de mots que faisaient déjà les latins. L’homme, violent par définition (cf. notre 3ème partie) ? Ces déchaînements profilent en filigrane le héros stoïcien qui, ici, sert de transition pour passer à l’âge de fer (Ici, implicitement, la TERTIA AETAS=l’âge du massacre généralisé, pour ne pas dire industriel ou de masse, cf. plus loin, MILLE, CUNCTAS) : Hercule [héros stoïcien car, parti de la folie bestiale, il réussit, à travers les épreuves qui lui sont imposées comme à tout homme, à dépasser son humanité, et il rejoint la sagesse personnifiée par les Dieux de l’Olympe] ; il semblerait ici (mais Sénèque nous a habitué aux contrastes) l’exemple d’un pis-aller, celui du meurtre individualisé : n’a-t-il pas combattu à mains nues (NUDA MANU) Antée, on retrouve au moins deux fois un rocher (SAXA) dans la mythologie herculéenne (quand Athéna l’assomme lors d’une crise de folie, quand il enfouit, sous une pierre tombale, la dernière tête immortelle de l’Hydre de Lerne), quant aux RAMOS RUDES, comment ne pas y reconnaître sa célèbre massue (Sénèque joue aussi sur les sg#pl dans ce passage en utilisant l’un là où l’on attendrait l’autre). De ce fait, vu l’absence d’armes véritables, dignes de ce nom  (pourtant ressassées par la polyptote : ARMA, ARMATA, détaillées par la description au plus près de la panoplie du légionnaire avec un luxe de détails qui fleure encore une fois l’humour de la prétérition), on se contentait de coups et blessures: TELA FACIEBAT DOLOR (après la coupe penthémimère, avec la pause ; notons les brèves dans ce vers au rythme particulièrement travaillé : aistsD). On a le pire ensuite, où le « labor » remplace DOLOR pour laisser CRUOR…

 

Un texte brutal

Ce que préfigure notre texte, lui-même sous tension  [le jeu de mots était trop facile, désolé]

En fait, il est empreint d’une vivacité évidente, la violence est rendue palpable : la vie d’Hippolyte n’est pas un farniente, un nonchaloir imbécile [un long fleuve tranquille !]: d’emblée, EXCUSSA, secoués violemment, VULSA arrachés, à l’hephtémimère possible [#notre scansion !], avec l’opposition verticalité versus horizontalité, le tout en chiasme, IMPETUS est le terme militaire pour l’attaque avec le clin d’œil FUGISSE à l’hephtémimère [n’est-ce pas plus clair avec le titre du film d’Yves Robert, courage, fuyons ?]. Autre clin d’œil d’ailleurs : LUXUS REGIOS, SUPERBI : Hippolyte en prend à son aise avec son milieu social et familial; tout ceci permet de passer à la mauvaise vie, pour ne pas dire voie, de ses contemporains : l’or qui devrait donner la sûreté est SOLLICITO (cf. Le Savetier et le Financier, cher à La Fontaine, VIII, 2) ; se désaltérer n’est pas si facile (NUDA MANU CAPTASSE, syncopé en début de vers, expression renforcée ultérieurement par NUDA BELLARE MANU) ; pour positifs qu’ils soient, CERTIOR et SECURA impliquent leur contraire. FURTA est d’une virulence insultante. OBSCURO  pourrait évoquer la sécurité d’un réduit, c’est dénié par TIMENS, en fin de vers comme PETIT : le bonheur nécessite une quête. Ces gens-là sont aveugles (cf. IN RECESSU avant), et LAPIS ARBITER POPULIS s’avère n’être qu’un vœu pieux : il n’y avait pas de bornage certes avant, le fait qu’il en existe n’empêche pas les conflits ! SECABANT est un verbe… tranchant. La défense des villes induit des travaux titanesques [un travail de Romain, on ne peut dire pharaonique !] , VASTO, CREBRA au sg (sic !), comme leur attaque, des efforts intenses, TORTA, SAXO GRAVI, au sg (resic !), l’adjectif SAEVA à la penthémimère rend le soldat barbare et le jeu du singulier#pluriel, réitéré (MILES au sg), en focalisant le regard sur la main, et l’attention sur l’imminence du combat, inquiète. Le vocabulaire employé ensuite est écrasant : DOMINUM PATI, FEREBAT… SERVITIUM. Par un contraste saisissant, souligné par l’adversatif SED en début de vers, une pause pour retrouver un pays de Cocagne : tout ce qui devrait générer du rejet – celui du pénible labour pour les champs (ARVA), celui de l’inconnu pour la forêt (SILVA) et les grottes (ANTRA)  où n’entre pas la lumière (OPACA : notons en passant que, sous la PRIMA AETAS, l’obscur, cf. OBSCURO, v.522), est vécu paradoxalement comme positif. Derechef, le texte incarne la rupture brutale : anacoluthe, ordre des mots (avec le verbe en début de phrase et l’hyperbate due au COD qui le suit immédiatement), virulence du vocabulaire, absence de voyelles ouvertes dans ce vers 540, succession des [i] en 542, de nouveau, verbe en début de phrase (VENIT), accumulation de ces dernières en anacoluthe, réalisme de CRUENTA en début de vers, confirmé par la transformation de l’être humain en carnivore par PRAEDA. Avec, pour un romain soucieux du droit pour bénéficier seul de la protection des Dieux, l’horreur absolue : la disparition du JUS sans lequel il ne peut y avoir de BONA FIDES [= la FIDES ROMANA (cf. parjure !)]. S’ensuivent, avec une logique imparable, contraignante (TUM PRIMUM) les deux infinitifs de narration. Mais cette époque, déjà cruelle, l’est moins que celle des progrès techniques. Hippolyte s’étend dessus avec une alacrité juvénile qui laisse circonspect car, malgré son rejet de la TERTIA AETAS, il est sensible, comme tout jeune homme, à l’efficacité de l’armement et à son éclat ; en fait, son intérêt perceptible rend ceci encore plus atroce : GRACILI pour rentrer plus facilement dans le corps, LEVIS pour atteindre plus facilement une cible éloignée (le légionnaire avait deux armes de jet, un javelot pour le tir au loin, comme ici (30 m.), le PILUM entre 10 et 20 m. [plus sophistiqué : une virole métallique entre la hampe de frêne et le fer lui-même (rapport 2/3#1/3) , permet à l’ensemble de se scinder en deux , s’il n’entre pas dans le corps de l’adversaire ; soit il se plante en terre et gêne alors la course de l’attaquant, soit il se fiche dans son bouclier qui en devient encombrant, ce qui, pour une protection, est un comble], avec les matériaux utilisés, résistants : FERRO (donc âge de fer – un progrès face à l’or, à l’argent et au bronze, trop mous), CORNUS, souple aussi pour moins embarrasser le lanceur ; LONGO MUCRONE : c’est l’armement du légionnaire sous l’empire, ENSIS  est plus poétique que GLADIUM : au reste, ce dernier est court – pour le corps-à-corps emmêlé ! On termine par les casques étincelants [mis à la mode par Hector] avec COMANTES à la coupe penthémimère et à la pause. DOLOR encadre avec FUROR ce passage qui annonce la suite…

 

La satire

Une critique du temps présent.

En fait, il ne s’agit pas ici de regretter un passé révolu ou légendaire (au rebours de ce que pourrait faire croire la période mythique impliquée par le titre de cette tragédie) ce que conforte l’indifférence de Sénèque à l’égard des REALIA (du moins quotidiens, car c’est avec force détails choisis comme à plaisir, souvent sanglants, atroces, voire immondes qu’il évoque les traitements affreux des victimes de la FUROR, cf. la dispersion des morceaux d’Hippolyte : tout est décrit sans pudeur ni fard, comme Hercule dans la tunique de Nessus); peu lui chaut, en dehors de ces passages paroxystiques, du détail qui fait vrai, de la couleur locale, ou du lieu lui-même, il ne répugne pas à l’anachronisme ni à l’anachronisme spatial (ou « dysgéographisme », un néologisme qui risque d’attendre longtemps l’aval de l’Académie)?). Seul compte le message : dénoncer plus ou moins ouvertement l’état de déliquescence de la société du temps (Cicéron avait entamé cette antienne (sic !) : « O tempora, o mores »). Sénèque poursuit sur cette lancée… En l’occurrence, il n’enfourche pas le cheval de bataille de la dénonciation frontale ; il préfère la position, voire la pose, du sage conseiller (n’a-t-il pas été le précepteur de Néron, avec un succès sujet à caution, il est vrai) : discret, donc efficace… voire un moraliste auquel on ne pourrait que reprocher de ne pas s’appliquer les préceptes qu’il promeut – même s’il avoue ses manques, par ex. dans la première lettre à Lucilius (ce recueil de lettres étant lui-même fort « pédagogique » à l’égard du destinataire).

A le suivre dans cet extrait, il faut et il suffit, lors d’un repas, d’apaiser sa faim (COMPESCUNT FAMEM), au rebours des complications culinaires et de la surabondance alimentaire que dénonce par ex. Pétrone dans le Satiricon – qui attaquait peut-être Néron en la personne de l’affranchi-parvenu-(in)suffisant, Trimalcion; La CENA (puisque c’est le repas principal) ne se veut pas une orgie et l’on approuve [mais sans saliver d’envie], la frugalité qu’impliquent POMA ET FRAGA. Quant à la boisson, foin des coupes en or (PROCUL - pas pour Sénèque, vu sa richesse astronomique de 300 millions de sesterces alors qu’il suffisait d’un cens d’un million pour pouvoir être sénateur); AURO SOLLICITO : Faut-il y voir un rappel des boissons empoisonnées concoctées à la demande de Néron pour se débarrasser par ex. de Britannicus ? De toute façon, la comissatio n’est pas de mise : FONTEM ; le lit des romains était, semble-t-il, particulièrement dur ; ce n’est donc pas tant un lit confortable qui est recherché qu’un sommeil roboratif (CERTIOR SOMNUS, SECURA MEMBRA) sans avoir l’angoisse d’être assassiné, ce dont se plaint, si l’on en croit les historiens, Néron, qui, avec sa DOMUS AUREA MULTIPLEX, ne s’est pas garanti des rêves sans cauchemar.  Le risque est réel : à la mort du préfet de la ville, Pedanius Secondus, en 61, un débat s’engagea au Sénat pour savoir s’il fallait appliquer l’antique coutume de l’extermination de toute la gent servile de la maisonnée du maître assassiné. Il semble que la présomption de complicité ait été retenue, règle déjà admise par le senatus-consulte silanien en l’an 10 de notre ère. Mais nous ne saurons pas qui est désigné par le terme IMPROBUS. Il ne serait pas surprenant que ce fût Néron, mais Sénèque reste très prudent dans sa dénonciation, qu’il reprendra plus loin. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un fauteur de turpitudes : FURTA, à l’abri des regards, IN RECESSU. Tourmenté par sa conscience, au vu du TIMENS ?

Si, à l’époque héroïque d’avant Pandore, les hommes étaient mêlés aux dieux (MIXTOS DIIS), maintenant, la pierre de touche de la NOBILITAS est, après la seconde guerre punique, pour les chevaliers-banquiers, l’or (AURI) – la première frappe d’une pièce en or par les TRES VIRI MONETALES date de -218, pour les patriciens, la terre, qu’ils s’accaparent; la propriété se marque par des pierres censées éviter tout litige (ARBITER POPULIS): elles représentaient le dieu Terme qui présidait aux limites des champs…. En fait, les vers 530 à 536 évoquent le développement de l’IMPERIUM ROMANUM, TERRA MARIQUE (RATES) ; la mer est devenue MARE NOSTRUM (#SUA QUISQUE NORAT MARIA !), avec le développement des fortifications dans les colonies sur le modèle de celles d’un camp romain (VASTO AGGERE), la multiplication des légions (MILES), les sièges comme lors de la conquête de la Gaule avec, en conclusion, la mise en coupe réglée des territoires conquis par leur mise en culture (SERVITIUM JUNCTO BOVE). La débauche de moyens est patente à l’époque de Sénèque (cf. la statue colossale de Néron, disparue en laissant comme trace le nom de Colisée à l’énorme Amphithéâtre Flavien (à partir de +72) à côté duquel elle se dressait) et bien éloignée de la simplicité ancestrale dont se targuent les adeptes du MOS MAJORUM : les OPES sont de toutes natures ; nous n’en voulons pour preuve que la célèbre DOMUS AUREA qui formait un ensemble spectaculaire, à lire Suétone, de pavillons étincelants (#ANTRA OPACA, ce qu’est devenu, par ironie de l’Histoire, le palais de Néron, enseveli qu’il a été par les thermes de Trajan) de dorures, d’ivoires, de pierres précieuses, de marbres polychromes – OPES HAUD NATIVAS ! – immergés dans une campagne (ARVA) boisée (SILVA), artificiellement reconstituées au beau milieu de la ville. Hippolyte critique donc en creux l’apparat ; reconnaissons que la DOMUS romaine classique, avec son péristyle est loin de l’ATRIUM primitif, lui-même sans rapport avec les cases du début de Rome, cf. le temple rond de Vesta, elles-mêmes fort éloignée des grottes, comme celle du Lupercal, au pied du palatin, la grotte de Romulus et Remus. Ainsi, Sénèque n’hésite pas à convoquer le mythe fondateur de Rome, à mots couverts, il est vrai, mais si l’on passe la phrase au singulier (et ce n’est pas artificiel : nous avons plusieurs fois déjà rencontré ce jeu d’échange entre le sg et le pl), l’allusion est directe. Au reste, le stoïcisme ne s’oppose pas à la religion traditionnelle romaine, d’où son succès… relatif !

Faut-il voir de nouveau une attaque subreptice du PRINCEPS Néron (ce qui ne serait pas improbable vu la date tardive, d’après les chercheurs, de l’ensemble de l’œuvre dramatique de Sénèque) : sa mauvaise réputation (usurpée ?) s’explique par les exactions que lui attribue sa légende noire, induites par les 3 défauts énumérés : son besoin effréné d’argent l’a poussé (IMPENDIORUM FOROR, chez Suétone, De Vita Neronis, XXXI, in De Vita duodecim Caesarum) à maints forfaits, dont le sacrilège(cf. IMPIUS) de dépouiller les temples des dons reçus (id., XXXII), l’irascibilité de Néron est bien connue, laissons un voile pudique sur la libido qui se montre sans fard même quand on ne l’attend pas, avec l’humour (pour le compte, involontaire nous semble-t-il) du terme SUCCENSAS, cf. l’incendie de Rome en 64. Les coupes sombres (CRUENTA) opérées dans les rangs de la nobilitas relèvent bien d’une SITIS IMPERII, nous sommes dans un système de prédation généralisé, avec la loi du plus fort. Au reste, l’amélioration (INVENIT NOVAS) par Mars des techniques (ARTES) pour tuer arrive immédiatement après (cf. 550), donc, si notre interprétation est juste, ne concerne pas Néron. Et c’est bien le cas : Suétone (XVIII) apprécie que Néron n’ait pas cherché à repousser les frontières de l’Empire… 

Ces critiques sont d’autant plus acerbes que nous avons, par contraste une image laudative de la nature, et de son bon sauvage : FACILES, QUAM JUVAT (avec son harmonie en UA/A-U), SECURA, l’effusion se veut palpable, avec l’exclamative, les termes positifs abondent, plus loin, TESTE CAELO VIVIT précédé d’une tournure lucrétienne: LUCEM PETIT; après un long passage négatif, deux fois NULLUS, NON, NEC), 3 vers positifs (537, avec la double négation: POSCENTES NIHIL qui souligne la pleine satisfaction, le bonheur total), avec des effets sonores : allitération en dentales au v. 539, un parallélisme marqué par une répétition (NATIVAS OPES, NATIVAS DOMOS) ; mais ceci, hélas ! n’est pas fait pour durer : l’attestent la reprise de MANU DURA, cette fois-ci pour l’agression physique, donc puiser du sang et non plus de l’eau, l’utilisation de ressources rhétoriques pour souligner le succès désastreux de la violence (allitération en liquides en 546/47,  en gutturales en 548-9, appréciation positive de l’armement, aux antipodes des propos tenus jusqu’à maintenant, jouissance esthétique qu’il suscite, cf. CRISTA, COMANTES), la tournure formulaire, quasi gnomique de la courte phrase finale, en ordre non canonique…

                                                             

LOCI COMMUNES et « TOPOI »

Tout ce qui précède est la part d’originalité d’un texte qui est aussi dans le droit fil des propos pessimistes et polémiques tenus depuis des lustres par d’autres auteurs et qui seront repris par la suite : NIHIL NOVI SUB SOLE ;Sénèque fait preuve, quant aux idées elles-mêmes, de peu d’originalité en l’occurrence puisque tout ceci a déjà été rencontré ailleurs ; ces propos sont éculés,  c’est le ressassement nostalgique –et fondamentalement faux même si c’est psychologiquement souvent incontournable – d’un passé mythifié ; nous ne remonterons pas jusqu’aux Pyramides où un scribe déplore le manque de respect des jeunes envers leurs aînés [suivez mon regard] et nous ne descendrons pas jusqu’aux hussards noirs de la République ni au beau temps [pour nous, franchouillards] des colonies: nous ne voulons pour preuve que ces quelques textes…

-  Prenons l’élégie I, 3 à partir du v. 35 de Tibulle : Sénèque semble s’acharner à en reprendre les idées mêmes, comme pour nous y renvoyer ; c’est ce que révèle un simple survol : la présentation se fait aussi par le contraire ; la mer restait vierge alors que les navires sont maintenant brutaux : CONTEMPSERAT (mépris), PRESSERAT, termes que ne dénierait pas le SECABANT de Sénèque ; RATEM, JUGA, LAPIS FIXUS IN AGRIS d’un côté, RATES, JUNCTO, SACER LAPIS de l’autre ; ne tenons pas compte d’ENSIS ni de SAEVUS, quasi incontournables dans un tel contexte…

-  Ovide, avec ses Métamorphoses, I, semble, lui aussi, être mis à contribution : NULLAQUE MORTALES PRAETER SUA LITORA NORANT (v.96) «  les mortels ne connaissent nul autre littoral que le leur », cf. v. 531; NONDUM PRAECIPITES CINGEBANT OPPIDA FOSSAE (v. 97), « des fossés profonds n’entouraient pas encore les places-fortes », cf. 531-2, NON GALEAE, NON ENSIS ERAT : SINE MILITIS USU […] SECURAE PERAGEBANT […] GENTES (V. 99-100, avec toujours cette présentation par le contraire : c’est la démarche privilégiée par tous ceux qui tâtent de ce lieu commun) ; dans le vocabulaire aussi : SAUCIA, (CONTENTI) CIBIS, FRAGA, (cf. TELLUS INARATA FRUGES FEREBAT); notre poète s’ébroue ensuite à cœur joie dans le rêve idyllique : lait et miel coulent à flots, sous le règne de Saturne…

-  Virgile, dans le livre I de ses Géorgiques, I, à partir du v. 125 jusqu’au vers… 129, esquisse un tableau très bref de la vie avant le règne de Jupiter (ANTE JOVEM) ; nous retrouvons l’essentiel : l’absence de bornage (NE SIGNARE AUT PARTIRI LIMITE CAMPUM), la fertilité exubérante de la terre (IPSA TELLUS OMNIA LIBERIUS NULLO POSCENTE FEREBAT), en toute liberté et farniente, au sens étymologique; notons que nous retrouvons des bribes de ce vocabulaire chez Sénèque ; néanmoins, cet extrait nous semble trop court pour être vraiment pertinent, même si nous remercions de cette référence Mmes Alizon et Tardiveau, les éditrices du texte dans la collection des Belles Lettres chez Hatier [sachons rendre à César ce qui lui appartient !])

-  Cette idée d’abondance est reprise à l’envi et déclinée sous des aspects multiformes – ou protéiformes ? - par Horace… Au voyage dans le temps par un retour vers le passé, il préfère, dans sa XVIème épode, un déplacement dans l’espace, (PETAMUS BEATA ARVA), vers les Îles fortunées, les Baléares ? Pays encore plus de Cocagne que le Latium archaïque regretté par Tibulle et Ovide: cette terre n’a pas besoin du labour (travail ô combien pénible, un labeur certain, même avec une paire de bœufs) cf. v. 43, REDDIT UBI CEREREM TELLUS INARATA QUOTANNIS (« où la terre non labourée donne une moisson chaque année », MELLA CAVA MANANT EX ILICE, « le miel (au pl. de la pléthore) coule du creux de l’yeuse », avec « l’eau » (LYMPHA, d’autant plus évoquée par son bruit qu’elle est rare en pays méditerranéen). Aux antipodes (sic !) de la vie paysanne habituelle : ni vipères ni ours, des chèvres obéissantes, donc que l’on attend à la bergerie sans avoir à les rassembler; les marins de Sidon pas plus que ceux d’Argo ou Médée n’ont souillé ce pays merveilleux de leurs pieds, et ce sont des gens pieux qui en bénéficient, tempérés comme le climat, au rebours des furieux impies de Sénèque (FUROR IMPIUS).

-  Mais aucun de ces auteurs ne s’attaque explicitement au pouvoir de l’argent, au désir forcené d’accumulation monétaire (nonobstant une allusion chez Tibulle : NAVITA REPETENS COMPENDIA, « le marin cherchant des profits », et les sous-entendus d’Horace : les Phéniciens ne naviguaient pas pour l’amour de l’exploration, Jason cherchait la toison d’or – Mais Ulysse sa Pénélope). Cela semble pourtant bien la cause initiale chez Sénèque (cf. NULLUS AURI CUPIDO, RUPERE FOEDUS LUCRI FUROR) avec le souci évident de la dénoncer avec la plus grande énergie. Il reprend en fait le jugement de valeur formulé sans ambages par Salluste, XI, 4-5 in conjuration de Catilina, au premier siècle av. J.-C. : PRIMO PECUNIAE DEINDE IMPERI CUPIDO CREVIT, écrit-il, « D’abord, la soif de l’argent s’accrut, puis celle du pouvoir » comme Sénèque en 527, qui y revient en 540, suivant encore en cela notre historien : AVARITIA PECUNIAE STUDIUM HABET, « la cupidité a la passion de l’argent ». Nous avons d’ailleurs évoqué la seconde guerre punique : Salluste et Sénèque, qui fait d’Hippolyte son porte-parole en cette occurrence, sont bien d’accord que la débâcle des mœurs ancestrales l’a suivie, les guerres, sociale puis intestines (v. 555) ont parachevé l’effondrement de la famille romaine.

-  Mais n’allons pas croire que cette vision paradisiaque du passé était partagée de tous : si Hippolyte prétend être fidèle à la vie sous PRIMA AETAS, en s’appuyant de fait sur des auteurs qui lui sont fortement postérieurs ( :=) ), un passage par l’épicurisme nous renvoie à la réalité brute : la vie de nos ancêtres, d’après Lucrèce, De Rerum Natura, v. 937 sq., n’était pas attrayante (ce qui n’est qu’une constatation objective : ils n’avaient pas le choix !), même s’ils étaient physiquement plus résistants et robustes, mieux armés en tout cas que les contemporains de notre poète épique : ils affrontaient une vie errante, primitive, quasi ascétique, avec le problème de la survie ; on retrouve les mêmes arguments que ceux qui ont été mentionnés auparavant, mais revus à l’aune du réel : QUOD TERRA CREA(VE)RAT ce que la terre avait produit SPONTE SUA, spontanément /d’elle-même, ID DONUM PLACABAT SATIS PECTORA; ce don apaisait suffisamment leurs cœurs CURABANT CORPORA ils soignaient leurs corps  PLERUMQUE INTER QUERCUS GLANDIFERAS le plus souvent parmi les chênes porteurs de glands […] ARBITA, les arbouses TUM TELLUS FEREBAT alors la terre les offrait PLURIMA ETIAM MAJORA plus nombreuses et aussi plus charnues ; PRAETEREA NOVITAS TUM FLORIDA MUNDI outre cela, la nouveauté alors florissante du monde TULIT PABULA DURA MULTAQUE, a fourni une nourriture grossière et abondante, AMPLA MISERIS MORTALIBUS suffisante pour de malheureux mortels […] PARES SUBUS SAETIGERISQUE et pareils aux sangliers porteurs de soie  DABANT SILVESTRIA MEMBRA ils donnaient leurs membres sylvestres NUDA TERRAE nus à la terre  CAPTI TEMPORE NOCTURNO saisis par la période nocturne  INVOLVENTES CIRCUM SE s’enveloppant autour d’eux FOLIIS AC FRONDIBUS de feuilles et de feuillages. Ces animaux ne sont pas de super-prédateurs, car nous terminerons notre étude sur une des images les plus atroces de Lucrèce : les premiers hommes dévorés vivants (mais nettement moins nombreux que ceux qui meurent à son époque à la guerre), PABULA VIVA FERIS PRAEBEBAT //VIVA VIDENS VIVO SEPELIRI VISCERA BUSTO « il fournissait une pâture vivante aux bêtes fauves, ses vivantes être ensevelies dans un tombeau vivant » .