LUCII
ANNAEI SENECAE
PHAEDRA, v. 515
– v. 549
Excussa
silvis poma compescunt famem
515
et
fraga parvis vulsa dumetis cibos
faciles
ministrant. Regios luxus procul
est
impetus fugisse : sollicito bibunt
auro
superbi ; quam juvat nuda manu
captasse
fontem : certior somnus premit
520
secura
duro membra versantem toro.
Non
in recessu furta et obscuro improbus
quaerit
cubili seque multiplici timens
domo
recondit : aethera ac lucem petit
et
teste caelo vivit. Hoc equidem reor
525
vixisse
ritu prima quos mixtos diis
profudit aetas. Nullus his auri
fuit
caecus
cupido, nullus in campo sacer
divisit agros arbiter populis
lapis ;
nondum
secabant credulae pontum rates :
530
sua
quisque norat maria ; non vasto aggere
crebraque turre cinxerant urbes
latus ;
non arma saeva miles aptabat
manu
nec torta clausas fregerat saxo
gravi
ballista portas, jussa nec
dominum
pati
535
juncto
ferebat terra servitium bove :
sed
arva per se feta poscentes nihil
pavere
gentes, silva nativas opes
et
opaca dederant antra nativas domos.
Rupere
foedus impius lucri furor
540
et ira praeceps quaeque
succensas agit
libido
mentes ; venit imperii sitis
cruenta,
factus praeda majori minor :
pro
jure vires esse. Tum primum manu
bellare
nuda saxaque et ramos rudes
545
vertere
in arma : non erat gracili levis
armata
ferro cornus aut longo latus
mucrone
cingens ensis aut crista procul
galeae
comantes : tela faciebat dolor.
Traductions
Traduction du XIXème , tirée d’Itinera electronica, opérant à
partir de
la Collection
des
Auteurs latins publiés sous la direction de M. NISARD, Le Théâtre
des
latins comprenant Plaute, Térence et Sénèque le Tragique, Paris,
Didot,
1855.
Les
fruits
sauvages, tombés des arbres qu'il ébranle, apaisent
sa faim;
les fraises, cueillies parmi les buissons, lui offrent une nourriture
facile.
Ah! Que je hais le luxe des rois! Ils ne boivent qu'en tremblant dans
leurs
coupes d'or, ces mortels superbes. Ne vaut-il pas mieux puiser une eau
pure
avec sa main dans le cristal des fontaines?
[520] On goûte avec plus de
sécurité les
douceurs du sommeil sur un lit grossier. Bien différent du pervers
qui, caché
dans sa retraite, médite, comme au fond d'un antre, ses sinistres
projets; qui
s'enferme, se craignant lui-même dans une impénétrable demeure;
l'homme
innocent recherche la clarté du jour, et vit à la face du ciel. Telle
était sans
doute la vie de ces héros des premiers âges, formés du sang des dieux.
Alors
l'aveugle cupidité était inconnue; nulle pierre sacrée ne divisait les
champs
et ne servait de limite entre les peuples.
[530]
Les vaisseaux
hardis n'avaient pas encore affronté les mers lointaines; on ne
côtoyait que
les rivages voisins. L'enceinte des villes n'était pas défendue par de
vastes
remparts et des tours nombreuses. Le soldat n'armait pas sa main d'un
fer
meurtrier, et des rochers énormes lancés par la baliste ne brisaient
pas encore
les portes des cités. Des bœufs attelés au joug ne forçaient pas une
terre
esclave à répondre aux vœux d'un maître exigeant; féconde par
elle-même, elle
nourrissait les hommes, qui ne lui demandaient rien. Les bois leur
offraient
des aliments tout préparés, et des antres obscurs, des demeures toutes
faites.
[540] Mais cette douce paix
s'enfuit
devant l'intérêt barbare, la colère impétueuse, et l'ambition qui
trouble et
embrase les cœurs. Bientôt naquit la soif cruelle du pouvoir. Le
faible devint
la proie du plus fort: la violence fit le droit. D'abord les mortels
n'eurent
d'autres armes que leurs mains; puis ils se servirent de pierres et de
branches
non façonnées. Ils n'armaient pas d'une pointe de fer une flèche de
cornouiller; ils ne suspendaient point une longue épée à leurs flancs,
ne
couvraient point leurs têtes d'un casque ombragé d'aigrettes
flottantes. Le
bras irrité se faisait arme de tout.
Traduction du XXème
(Léon
Hermann,
collection Budé, 1961)
Les fruits qu’il fait tomber des branches apaisent sa
faim, et les fraises
qu’il cueille à leurs tiges rampantes lui fournissent une nourriture
frugale.
Son penchant le pousse à fuir le luxe des rois : que d’inquiétude
réserve
aux superbes la coupe d’or où ils boivent ; combien il est doux
de se
servir du creux de la main pour puiser l’eau des sources ! Plus
sûr est le
sommeil qui accable celui qui repose ses membres sur une couche dure.
Il ne
médite pas, dans l’ombre de la retraite où est son lit, de
clandestines
débauches (en bon cynique !) et ne se cache pas, dans sa crainte,
au fond
d’un palais dont les détours sont multiples : c’est l’air et la
lumière
qu’il cherche et le ciel est le témoin de sa vie. Or, c’est bien là,
je crois,
la façon dont vécurent les êtres semi-divins que vit naître le premier
âge.
L’aveugle passion de l’or leur était étrangère et nulle pierre sacrée
délimitant les peuples ne
divisait leurs
champs en s’élevant dans la plaine ; les vaisseaux téméraires ne
fendaient
pas encore les flots, chacun ne connaissait que sa propre mer ;
un vaste
rempart et de nombreuses tours ne ceignaient pas encore les flancs des
villes ; le soldat n’armait pas encore sa main du glaive cruel et
la
baliste n’avait pas encore brisé les portes <des cités> avec les
roches
lancés (sic !) par la détente <de son treuil>, la terre
n’avait,
encore aucun maître et ne subissait pas l’esclavage que lui infligent
les bœufs
accouplés : mais les champs, dans leur fertilité spontanée,
nourrissaient
les nations sans qu’elles exigent rien d’eux ; la forêt leur
offrait ses
richesses natives et les antres obscurs des demeures naturelles.
Mais
ce pacte fut rompu par la fureur impie du gain, la haine aveugle, et
les
mauvaises passions qui mènent les âmes qu’elles embrasent ; alors
vint la
soif sanguinaire du pouvoir et le faible devint une proie pour le
fort :
pour droit, on eut la force. C’est alors qu’on commença à combattre
avec les
mains seulement et puis on transforma en armes les pierres et les
branches
brutes : point encore de cornouiller léger armé d’un fer effilé
ou de glaive
à la longue lame pendu au côté des guerriers ; point encore de
casques
chevelus d’un vaste panache ; c’est la fureur qui faisait <des
choses> des armes <fortuites>.
Critique de la
traduction
du Budé
D’emblée, Hippolyte est
trahi : son
ascétisme, dû à son culte de Diane/Artémis, cherche seulement à
« réduire
la faim », et non à « l’apaiser » (COMPESCUNT),
ce qui serait une marque de
satisfaction, voire de satiété, propre à un civilisé. Les deux
relatives en parallèle
(« qu’il fait tomber, qu’il cueille » soulignent certes la
cohérence
de la construction des deux coordonnées, bien structurée et renforcée
paradoxalement par le
chiasme (EXCUSSA SILVIS POMA #
FRAGA PARVIS MULSA), mais
c’est
en imposant la présence réitérée (« il » deux fois,
« sa »
avec son écho « lui ») de l’INNOCUUS
initial du vers 502 (le Bon Sauvage ?) sans
qu’il y soit explicitement fait référence
dans ce passage…même si FAMEM
induit bien un
estomac - donc au moins un être vivant - et de quoi le remplir avec CIBOS (ce dernier point, pour
superfétatoire qu’il
puisse te paraître, a le mérite de montrer à ton auditeur/correcteur –
au
masculin transgenre ! - que
tu
maîtrises si parfaitement ton texte que tu te permets ce clin d’œil –
sans flagornerie,
bien sûr). En outre, nous
ne croyons pas
qu’il soit nécessaire de faire preuve de plus de précision naturaliste
que
l’auteur : certes, les stolons des fraisiers sont rampants, mais
nous ne
sachons pas que ce soit le sens de PARVIS,
pas plus que FACILES ne semble
renvoyer en
quoi que ce soit à « frugal », nonobstant la subtilité du
jeu de
mot car nous restons dans le cadre du fruit ! Oserions-nous,
quant à
nous, proposer : servent (=MINISTER !)
sans
difficulté (trop facile !) de nourriture (en supprimant
« la » pour privilégier le
collectif, donc le pluriel !). En
fait,
Hippolyte évoque le fait de se nourrir sans formalité et il ne cueille
pas les
fraises : il les prend, je le soupçonne même d’en recracher le
chapeau,
voire la tige. « Penchant »
pour IMPETUS manque
d’impact, reste empreint de
délicatesse surannée (cf. plus loin, « superbes ». Une
traduction fleurant
le XVIIème versaillais et ses artifices de cour ?), au rebours de
la
tonalité, la tension violentes, voire implicitement militaire, du
passage (cf. FUGISSE, SUPERBI, MANU
CAPTASSE, CERTIOR, SECURA, DURO,
voire le TIMENS en fin de vers
523) ;
« fuir » lui-même est trop ramassé,
étriqué, pour « FUGISSE PROCUL » puisque
la
reprise quasi pléonastique de la même idée est perdue; ensuite,
l’exclamative
rend bien l’inversion du sujet, peu commune en latin, confortée par la
disjonction opérée par le verbe à l’intérieur du groupe nominal
« SOLLICITO AURO ». Même si nous en regrettons le
développement trop
verbeux dû à l’éclaircissement de la synecdoque AURO: 13 mots en
français
pour les 4 termes concis du latin. Et la deuxième exclamative en
français, vu
l’invention de la première, rend le texte trop rigide. Nous déplorons
derechef
les effets logorrhéiques de l’explétion : cette fois-ci, 17 mots
contre 6.
Le passage sur la couche dure est trop ascétique, voire
stoïcien : le
terme DURO fait seulement perdre à TORO tout son artifice et son
moelleux
néfaste au vrai repos, et traduire PREMIT par « accable »
force par
trop le trait… Le traducteur abuse aussi du verbe
« être » : 8
sur 6 vers (519 – 525) en français pour… aucun
en latin ! Le parallélisme
IMPROBUS/TIMENS est complètement perdu, et « clandestines
débauches »
pour FURTA est d’une
pudibonderie
affectée et fort abscons, sauf pour les pervers. Un
tic fleurant
la traduction qui se veut élégante : la conversion d’un
adjectif (OBSCURO)
en nom abstrait : « obscurité », avec un
développement
parasite proche du commentaire explicatif :
CUBILI= « où est son
lit ». La suite est l’illustration caricaturale de ce dernier
point :
« au fond (sic !) d’un palais (DOMO ?) dont les détours
(-PLICI)
sont multiples (MULTI-) ; passons sur le présentatif : on
peut
toujours arguer qu’il exprime l’asyndète ; nonobstant, nous
sommes
contraint de constater que nous sommes face à une belle
infidèle : CAELO
devient sujet, le verbe VIVIT change de catégorie du discours et se
transforme
en nom. EQUIDEM= « c’est bien là », s’avère assez
lourd, et REOR
devient une banale incise, « je crois », comme de précaution
oratoire,
qui vient paradoxalement remettre en cause ce qu’avait de conclusif la
locution
conjonctive. On comprend bien qu’il s’agissait de mettre en valeur
HOC… RITU et
sa disjonction. Il n’en reste pas moins que le résultat n’est guère
heureux. La
perte du doublon fortement martelé NULLUS est définitive et rendue
évidente par
le « nulle » de la deuxième juxtaposée. On pourrait
disserter pendant
des heures sur la pertinence de la traduction de GENTES par
« nations » ; faut-il y voir une obsession, moins de 20
ans
après la seconde guerre mondiale, en pleine guerre froide ?
« Famille »
reste préférable. Comment ne pas sourire à la surrection, stricto
sensu, des
pierres ? Car IN CAMPO= « en s’élevant dans la
plaine »,
nous nous contentons de relever… « les flots » pour PONTUM
est
estimable, utiliser un registre poétique est ici bienvenu vu PONTUM
grec et RATES,
en sujet inversé. Il en est de même pour la suite, et l’on pourrait en
thème
retraduire en latin le texte d’Hermann ; sans solécisme, on
retrouverait
exactement tous les termes, dans un ordre différent bien sûr, vu le
sénaire.
URBES perd malheureusement son statut de sujet, et le mouvement qui va
avec le
verbe CINGERE se fige ; ensuite ARMA SAEVA passe au singulier,
alors que le
soldat a plusieurs moyens de tuer ses ennemis ; au reste,
pourquoi se
focaliser sur le seul « glaive » ? L’abus des 2
adjonctions,
assumées comme telles, souligne à l’envi que le traducteur s’est
fourvoyé, cf.
la fin du v. 549 ! Dans l’attaque disparaît d’ailleurs la cause
essentielle de la prise de la ville (des villes ? Généralisation
abusive !), car SAXO, certes, mais GRAVI ; qui plus est,
« la
détente » apparemment pour TORSA prend le résultat pour la cause.
La
phrase à un seul verbe personnel se trouve ensuite monnayée en deux
coordonnées :
« avait et subissait » ; n’ayons pas le mauvais esprit
de
dénoncer la maladresse de « bœufs accouplés » là où tout
brave paysan
faisait (car maintenant c’est le tracteur à n chevaux !) son
affaire de
leur « paire » ! Autre abus : PER
SE= « en leur
fertilité spontanée ». Il était certes difficile de conserver la
répétition de NATIVAS et nous regrettons de ne pas être plus
écologique
qu’Hermann. v. 540 : on conseille habituellement de passer le
passif
(sic !), fréquent en latin, à l’actif ; Hermann fait tout le
contraire, l’ensemble ternaire reste satisfaisant, à l’exception
notable de
LIBIDO qui est dénoncée par « mauvaises passions » – encore
de la
pudibonderie ? L’inversion du sujet « soif » en latin
comme en
français est digne d’approbation, ce qui rend encore plus
impardonnable la
perte des comparatifs immédiatement après, même si nous sommes
sensible à la
frappe quasi proverbiale de l’ensemble. Perte aussi de l’infinitif de
narration, alors qu’il n’est pas plus fréquent en français. Lourdeur
du
« commença » pour PRIMUM, dont le seul mérite est d’induire
l’infinitif de BELLARE. Platitude du pluriel commun : « à
mains nues
seulement » (adverbe en supplément gratuit !) au détriment
du
singulier, fort pertinent, au rebours du pl. automatique en cette
occurrence.
La paronomase « branches brutes » fait écorcé vif, et
notre jeu
de mot est au même niveau que ce résultat… « branches
grossières »
serait de meilleur aloi. Nous apprécions la concision de la
tournure :
« point encore » pour NON ERAT. Tout le reste eût été de la
même eau,
nous nous serions abreuvé à cette source pure ! Mais cela ne dure
jamais : nous ne pouvons que sourire au « glaive pendu au
côté des
guerriers » – en supplément lui aussi, pour ceux qui n’auraient
pas
compris – ENSIS CINGENS LATUS, c’est confondre horizontale et
verticale.
L’accumulation soulignée par les deux AUT amène derechef un
« point
encore » ! Cette bévue devrait mettre un point final à notre
mise en
coupe réglée : hélas, qui peut le plus avec un très bien
vu :
« casques chevelus d’un vaste panache » pour CRISTA PROCUL
GALEAE
COMANTES, peut de toute évidence aussi le moins et la traduction de
s’embourber dans deux
adjonctions
inutiles : « des choses,
fortuites », ce d’autant plus que les règles de traduction
sont
strictes : « chose » n’est pas plus recevable
que ;
« c’est », « il y
a », « faire », etc. ; il convient de
tendre à la
plus grande précision; donc, DOLOR ou fureur ? Notre choix est
fait.
Quelques mots de mise en bouche
sur la scansion
dramatique…
Dans
ce passage, un DIVERBIUM, il s’agit de sénaires ïambiques, donc 6
pieds, de
quantité brève-longue, l’ictus frappant la longue, ce compte non tenu
que la
longue sous ictus (=demi-pied fort) est en fait égale à deux brèves et
que le
demi-pied faible peut-être condensé, donc s’échanger contre deux
brèves ou… une
longue. Seul le dernier pied est obligatoirement pur ; mais comme
la
dernière syllabe est indifférenciée, on peut aussi avoir un dibraque,
soit deux
brèves… Donc, si tu as bien suivi, tu n’es sûr(e) au départ que d’une
seule
chose : dans ce rythme, la syllabe pénultième est… brève !
Nos abréviations :
P=coupe Penthémimère, H=coupe
Hephtémimère,
p=pause phono-sémantique à la coupe
a=anapeste
(2 brèves, 1 longue), d=dactyle (1 longue, 2 brèves), D=Dibraque (2
brèves), i=ïambe
(1 brève, 1 longue), s=spondée (2 longues), t=tribraque (3 brèves)
[donc, résultat infra, sauf
erreur(s) de
notre part, tant dans la détermination des pieds que dans la
correspondance
entre le rythme présenté et la réalité… (en bon entonneur rabelaisien,
nous
soutiendrons tout cela jusqu’au bûcher, exclusivement); au reste,
aucun
examinateur n’aura la cruauté mentale d’exiger de ta part ce type de
scansion,
nonobstant, il sera très sensible à une tentative pour réaliser cet
exploit,
surtout si elle est réussie.
ULTIMA VERBA : Pour ce
faire, un
Gaffiot non abrégé te sera précieux, comme à nous, même en nous
servant de
l’étymologie ; l’anapeste (voire le tribraque !) peut te
déconcerter…]
sisisi, P
aisisD, Pp
sisiai, Hp
sisisi,
Pp
v.
520 sisisD, Pp
sisisi,
H
peut-être, cf. 531, sisisD, P
si O long
s’élide sur IMPROBUS
sisidi,
P
iiiisD,Pp
v.
525 sisiaD, Hp
sisssi,
P
sisisD, Pp
siiisD,
Pp
sisiaD
v.
530 sisisi, P
aidisD,
Hp (si O long s’élide sur AGGERE)
siissD,
P
siiisi,
P
sisisi,P
v.
535 sisias, Pp
sisiaD,
P
sisisD,
P
sisisi,
Pp
atsisi,
P
v.
540 siiisD, P
iisisD,
P
iisiaD,
Pp
iisiiD,
P
v.
545 sisisi, P
siisiaD,
Pp avec VERTERE s’élidant sur IN
sisisi,
Hp
sisisD,
P
sisisD,
P
aistsD,
Pp
Poma excussa
silvis Les
fruits
secoués dans les forêts compescunt famem réduisent
la
faim et fraga vulsa parvis dumetis et les
fraises, arrachées à leurs pieds, ministrant
faciles
cibos servent sans difficulté de nourriture.
impetus est fugisse L’élan :
fuir
procul luxus regios bien loin les excès des rois:
superbi bibunt auro sollicito Les
Grands boivent dans de l’or inquiétant ; quam juvat
captasse fontem manu nuda Comme
on est heureux d’étancher sa soif à la source
de sa main nue ;
somnus certior premit un sommeil
plus profond terrasse versantem
membra
secura toro duro celui qui
tourne ses
membres en toute quiétude sur une couche dure.
Non quaerit improbus furta il ne
cherche pas
en pervers des adultères in
recessu et
cubili obscuro dans le retrait
de son lit
obscur, que se recondit timens
domo multiplici et il ne se cache
pas +plus+ en angoissé dans une demeure
labyrinthique : petit aethera ac
lucem il vise l’éther et la
lumière et vivit caelo teste et
il vit avec le ciel pour témoin.
Equidem
reor hoc ritu Sans aucun doute
je pense que
+c’est+ de cette manière +qu’+
vixisse quos prima aetas ont
vécu ceux que le premier âge profudit
mixtos
diis a prodigués, mêlés aux
Dieux. his fuit nullus caecus
cupido auri En eux il n’y eut
aucun désir aveugle d’or ;
nullus lapis sacer in campo aucune pierre sacrée dans la plaine divisit agros populis arbiter
ne répartit les champs entre les peuples en tout
arbitraire ; rates credulae Les vaisseaux fanfarons nondum
secabant
pontum ne coupaient pas encore
les
flots quisque norat sua maria chacun +ne+ connaissait +que+ sa propre
mer ; urbes
non cinxerant
latus les villes n’avaient pas
entouré leur
pourtour vasto aggere crebraque
turre d’un vaste retranchement
et de tours multipliées ; miles
non aptabat manu arma saeva le
soldat ne préparait pas de sa main ses armes cruelles nec ballista torta fregerat ni
la baliste tendue n’avait brisé
portas clausas gravi saxo les portes fermées de sa lourde pierre,
terra jussa pati dominum et la
terre
contrainte +actuellement+ de souffrir un maître nec
ferebat
servitium juncto bove ne
subissait
pas l’esclavage que lui impose une paire de boeufs sed
arva per se feta pavere mais les
champs d’eux-mêmes féconds nourrissaient gentes
poscentes nihil les
familles qui n’en attendaient aucune contrepartie,
silva (dederat) nativas opes la
forêt offrait ses propres richesses et
opaca antra dederant nativas domos et
les sombres grottes
fournissaient des demeures naturelles.
Rupere foedus Mais rompirent le
pacte furor impius lucri la
folie impie du lucre et ira
praeceps, la colère avec ses
oeillères que libido quae agit
mentes succensas et le désir qui
conduit les esprits +ainsi+ enflammés
; venit sitis cruenta imperii,
Vint la
soif sanguinaire du pouvoir,
minor factus
praeda majori Un plus petit devint une proie pour un plus
grand : vires esse pro jure. Et
les forces de tenir lieu de droit. Tum
primum
bellare manu nuda Alors, en
premier,
combattre de sa main nue -que
vertere in
arma saxa et ramos rudes puis de
transformer
en armes rochers et branches grossières:
non erat cornus levis Il n’y avait pas de cornouiller lisse armata ferro gracili armé
d’un
fer effilé aut ensis longo
mucrone ou d’épée à la longue
lame cingens latus ceignant le côté aut galeae comantes procul cristal ou de casques chevelus d’un vaste panache : dolor faciebat tela. La
douleur
faisait les traits.
Avant-propos : nos
commentaires
peuvent paraître superfétatoires, ils visent l’exhaustivité, rien de
moins ; au reste, ils sont truffés de remarques qui concernent la
critique
de la traduction (=les 3 points de bonus à l’oral du bac !), et
ouvrent
donc des horizons dans cette perspective…
Poma excussa
silvis Les
fruits
secoués dans les forêts (POMUM I n. cf. Pomone, déesse de la
fructification ;
EXCUTIO CUSSI CUSSUM, « faire sortir ou tomber en
secouant » ;
nous avons gardé « forêts » car SILVAE, « arbres »
serait
pléonastique, et supposerait un semblant de verger) compescunt
famem
réduisent la faim (cf.
PARCO,
« épargner », avec le suffixe itératif-inchoatif, donc
retenir,
réprimer, aux antipodes du douceâtre « apaiser » d’Herman,
peut-être
amené par PASCERE, paître, avec la paronomase de « paix ») et fraga vulsa parvis dumetis et les fraises,
arrachées à leurs pieds, (FRAGA ORUM – d’aucuns préfèrent le
terme plus
général de « baies » ; VELLO VULSI VULSUM
« détacher en
tirant » ; DUMETUM I n, « arbrisseau », d’où, avec
PARVIS,
la touffe que forme un fraisier, ici celui des bois, bien loin des
fraises
artificielles d’Espagne) ministrant
faciles cibos servent sans
difficulté de nourriture (le MINISTER
est un serviteur ! Cette nourriture - CIBUS,
« aliment » -
fournie d’elle-même par la nature, sans intervention ni travail
humains, est
donc FACILIS ; le pluriel souligne son abondance et qu’Hippolyte
se
satisfait de peu –passe-nous cette anacoluthe !). impetus
est
fugisse L’élan : fuir (le
perfectum est le résultat
présent de
l’action passée ; on peut difficilement rendre l’efficacité
immédiate de
l’IMPETUS (« tendance » manque de force) : à peine
évoqué, le
résultat est là et le LUXUS, loin, PROCUL ce que souligne son
antéposition dans
le cadre de cette hyperbate) procul luxus
regios bien loin les excès des
rois (PROCUL est un
adverbe ; LUXUS est péjoratif, cf. débauche, gabegie, et le
pluriel le
souligne ; bien que fils de roi, Hippolyte a les préjugés romains
contre
leur engeance): superbi bibunt auro
sollicito Les Grands boivent
dans de l’or inquiétant (SUPERBUS,
terme insultant en fait, cf.
Tarquin le
Superbe ; les Grands, n’en déplaise à leur éminence, n’ont pas
bonne
presse ni chez La Bruyère ni pour Voltaire, cf. « Micromégas, nom
qui
convient fort à tous les grands ». La synecdoque AURO (la matière
pour le
contenant – je n’ose taper « verre ») est affectée
directement de son
expansion pour garder, tant que faire se peut, l’hypallage puisque le
sens de
SOLLICITUS – SOLLUS CIEO « entièrement bougé, mu » - porte
bien sûr
sur le sujet) ; quam juvat
captasse fontem manu nuda Comme
on est heureux d’étancher sa soif à la source
de sa main nue (JUVAT
a comme sujet « impersonnel » CAPTA(VI)SSE; le fréquentatif
de CAPIO
souligne l’effort pour
prendre l’eau… à
sa source – FONS, « source » car la fontaine implique une
intervention
humaine ; on boit plus, et plus vite, dans le creux d’une seule
main à un
filet d’eau, même si c’est plus difficile !
« étancher » a
le mérite du résultat, « soif », celui de l’intensité
) ; somnus certior premit Un sommeil
plus profond terrasse (PREMIT : « terrasse »
plutôt
qu’ « accable » d’Hermann, trop négatif) versantem membra secura toro duro celui
qui
tourne ses membres en toute quiétude sur une couche dure (SECURA
indique
le résultat : c’est le sommeil de plomb de l’innocent, assuré
(CERTUS !)
sans insomnie, avec les mouvements, VERSANTEM,
du corps propres au sommeil… profond, qui se tourne et
retourne, d’où le
fréquentatif ! Les Belles Lettres optent pour la LECTIO
DIFFICILIOR, avec
VERSOR ARI, déponent, et l’accusatif de devenir de relation ;
nous avons
choisi une tournure (sic !) plus… naturelle…).
Non quaerit improbus furta il ne
cherche pas
en pervers des adultères (FURTA en ce sens chez Ovide dans l’Art
d’aimer, sens que corrobore IMPROBUS, cf. « clandestines
débauches » chez Hermann ! Phèdre, elle – quelle ironie
tragique de
la part de son beau-fils - recherche l’adultère sans pudeur
aucune,
pervertie par sa passion) in recessu et cubili obscuro dans
le retrait de son lit obscur (par
hendiadys ; je n’ai pu résister au jeu de mots :
« retrait » signifie
aussi les
toilettes, par ex. chez Marguerite de Navarre, car l’endroit où repose
l’IMPROBUS est forcément répugnant, OBSCURO : un voile pudique
devrait
recouvrir ces turpitudes, étrangères à la lumière du jour),
que se recondit timens domo multiplici
et il ne se cache pas +plus+ en angoissé dans une
demeure labyrinthique (ne serait-ce point la DOMUS AUREA,
ou, du moins,
le PALATIUM ? C’est bien le mal-être des puissants qui est en
ligne de
mire ; adjonction de +plus+ pour exprimer le parallélisme des
deux
coordonnées : c. de lieu, adjectif en fin de vers, verbe en début
de
vers//c. de lieu en disjonction cf. FURTA inséré, adjectif en fin de
vers,
verbe à la coupe p) : petit aethera ac
lucem il vise l’air et la
lumière (PETIT : « cherche »
a été pris avant, et ce terme reprend en polyptote IMPETUS ;
c’est bien ce
qui nous pousse, notre élan vital. L’AETHER – à l’accusatif grec - est
cher aux
stoïciens, comme la lumière, car il permet au feu de brûler) et
vivit caelo teste et
il vit avec le ciel pour témoin ( traduction esclave d’un
automatisme
médiatique, vu le bestseller de Sara Jarrod ?).
Equidem reor hoc ritu Sans aucun
doute, je
pense que +c’est+ de cette manière +qu’+
(EQUIDEM rend REOR indubitable ; au Hoc en
disjonction répond
la mise en valeur, chez nous, par le présentatif) vixisse
quos
prima aetas ont vécu ceux que le
premier âge (VIVO déjà rencontré au vers précédent ;
est-ce à dire
que les citadins sont des morts-vivants ? QUOS=relative
déterminative,
malgré l’absence de déterminant exprimé ! PRIMA AETAS=l’âge d’or,
corroboré, non sans humour, par AURI au v. suivant ; selon
Hésiode, c’est
l’âge de Cronos) profudit mixtos diis a prodigués, mêlés aux Dieux. (PROFUNDO= « verser
devant/en
abondance » ; les hommes ne se reproduisaient pas, mais
étaient semés. N.B. pour les partisans de l’euthanasie : ils
mouraient de vieillesse, en s’endormant ; MISCEO MISCUI MIXTUM,
« mélanger » : « Alors, les repas étaient communs,
les
assemblées étaient communes entre les dieux immortels et les
humains »,
citation d’Hésiode par Origène, Contre Celse, 4) ; de
toute façon,
le déluge déclenché par Zeus pour se venger du « plat de
tripes »
concocté par Deucalion et sa femme Pyrrha a fait de tout ceci table
rase !). his fuit nullus caecus
cupido auri En eux il n’y eut
aucun désir aveugle d’or (ESSE +
datif de possession ; d’aucuns auraient communément traduit
par :
« ils n’avaient aucun désir », « ils ne
ressentaient… »,
l’or rend aveugle à tout autre objet que lui), nullus
lapis
sacer in campo aucune pierre
sacrée
dans la plaine (« aucune », lourd certes, pour la
reprise de
NULLUS ; LAPIS LAPIDIS, m., cf. LAPIS NIGER, sur le forum –
vu cette
référence, « ce passage est scandaleux, blasphématoire »,
éructerait
un fanatique !) divisit agros
populis arbiter ne répartit les
champs entre les peuples en tout
arbitraire (DIVIDO VISI VISUM, « distribuer qqe à
qqn » ;
on peut préférer : ARBITER POPULIS, « délimitant les
peuples »,
mais j’ai un faible pour mon « arbitraire » !
N’oublions pas que
le partage de l’AGER PUBLICUS était une revendication des POPULARES,
qui s’est
heurtée à un autre arbitrage avec l’élimination des Gracques qui
annonçait la
fin de la République romaine…) ; rates
credulae
Les vaisseaux fanfarons (CREDULUS,
« aventureux » ?
Le mépris des Romains pour la mer est avéré,
mais leur avidité aussi (cf. le traitement infligé par les Parthes à
Crassus),
l’expression familière « qui s’y croit » s’y prête bien.) nondum secabant pontum ne
coupaient
pas encore les flots (PONTOS en grec est le passage – car il
est plus facile en Grèce de naviguer que de traverser des terres
escarpées, cf.
en latin le PONTIFEX MAXIMUS , celui qui permet d’accéder aux
Dieux ;
le mot est latinisé en poésie, d’où notre traduction, cf.
« l’onde »
pour « l’eau », « nef » pour bateau – ce que nous
n’avons
pas osé ici, même si le ridicule ne tue pas) quisque
norat
sua maria chacun +ne+ connaissait
+que+ sa propre mer (adoption pour une fois de la traduction
du Budé,
dont le restrictif est apprécié, alors qu’il était, chez nos
universitaires,
prohibé dans les traductions des étudiants, au même titre que les
présentatifs ;
NO(VE)RAT en crase, avec son sens perfectum ; le distributif en
français
est singulier, au rebours du latin – un des pièges éculés de l’ancien
thème !); urbes non cinxerant latus Les villes n’avaient pas entouré leur pourtour
(CINGO
IS CINXI, cf. ceinture, ZWNH en
grec ! LATUS
ERIS, cf. latéral) vasto aggere crebraque
turre d’un vaste retranchement
et de tours multipliées (l’AGGER
protège de son excavation, de son tumulus et de ses pieux le camp
journalier
des légionnaires ; pourquoi pas « large
rempart » ? CREBER,
« fréquent » permet de multiplier la tour de défense)
; miles non aptabat manu arma saeva le
soldat ne préparait pas de sa main ses armes
cruelles (APTARE,
« disposer » ;
ARMA ici d’attaque – car sinon pourquoi
l’adjectif SAEVA ? De deux types : le pilum – un telum car
de loin,
et le glaive, car au corps-à-corps) nec
ballista torta
fregerat ni la baliste tendue
n’avait brisé (cf.
la balistique, chère à Napoléon en ses débuts ; TORQUEO TORSI
TORTUM : on tend le fléau de la baliste en tournant un
treuil ;
FRANGO FRAXI FRACTUM, cf. fracture, « par effraction ») portas clausas gravi saxo les portes fermées de sa lourde pierre (PORTAS au
pluriel : il y a les deux battants, au rebours de la JANUA ;
SAXUM : « rocher » ; le terme générique est :
« projectile »), terra jussa
pati dominum et (cf. le NEC plus loin) la terre
contrainte +actuellement+ de souffrir un maître (JUBEO JUSSI
JUSSUM
+infinitif, « ordonner »; PATIOR PASSUS SUM, déponent, d’où
COD,
« supporter ». RAPPEL : le déponent, comme son nom
l’indique,
dépose son sens passif pour prendre le sens actif ; DOMINUS, cf.
l’œil du
maître dans le DE RE RUSTICA de Caton le Censeur) nec
ferebat servitium juncto bove ne
subissait pas l’esclavage que lui impose une paire de bœufs
(FERRO FERRE, « porter », d’où
« supporter »,
SERVITIUM, très fort, renforce DOMINUS ; JUNGO JUNXI JUNCTUM,
« joindre », on passe au pluriel en français pour
éviter : un
« bœuf joint »… sous-entendu : « à un
autre » ;
pour finir, « imposé par une paire » eût été plus concis,
mais trop
laconique. Ne relevons pas le ridicule de « bœufs
accouplés » chez
Budé – désolé de ce coup de pied… de l’âne ?) sed
arva
per se feta pavere mais les
champs
d’eux-mêmes féconds nourrissaient (ARVUM I peut désigner
aussi la
moisson ; FETUS A UM « plein » au sens vétérinaire du
terme ; nous avons conservé la construction latine, très élégante
en
français ; PASCO PAVI PASTUM, « mener paître », cf.
pasteur ; la traduction perd le perfectum)
gentes poscentes nihil les familles qui n’en attendaient rien/aucune
contrepartie (Sénèque a suffisamment le sens de l’histoire
humaine pour
ne pas envisager des nations – autre sens de GENTES - en cette période
légendaire ; par ailleurs, les familles auraient été en droit
d’attendre
un retour sur investissement, si elles avaient travaillé la terre, ce
qui n’était
pas nécessaire, d’où, en mot-à-mot, « ne
réclamant
rien »), silva (dederat)
nativas
opes la forêt offrait ses
propres richesses (DEDERANT
est en facteur commun pour les deux coordonnées, DO DEDI DATUM avec
son sens
perfectum, donc « offrir ») et
opaca antra
dederant nativas domos et les
sombres
grottes fournissaient des demeures naturelles (OPACUS, ici
« sombre » plutôt qu’ « obscur » ;
NATIVUS A UM,
« de naissance », cf. naïf – des djeuns jargonnent « de
base » ! Dernier détail : « propres » avec
« demeures » aurait induit un effet… grotesque (sic !)). Rupere foedus Mais
rompirent
le pacte (« Mais » pour souligner l’asyndète,
confortée elle-même par l’inversion des 3 sujets en
accumulation ; RUMPO
RUPI RUPTUM ; FOEDUS ERIS n, contrat… social ? En fait avec
les
Dieux, cf. RELIGIO=contrat) furor impius
lucri la folie impie du lucre
(FUROR PIUS fait se jeter au milieu des ennemis et/ou
les
massacrer en toute inhumanité ! J’ai gardé le terme
« lucre »,
plutôt que « gain » car, no body is perfect,[mon fond est
catholique]
je vomis l’argent et adhère totalement à IMPIUS)
et ira praeceps,
la colère avec ses œillères (ET=virgule ; praeceps,
« la tête
en avant », sans pr-udence < PRO-VIDENS, « voyant devant
soi »!) que libido quae agit
succensas mentes et le désir qui
conduit les esprits +ainsi+ enflammés (LIBIDO
INIS f., SUCCENDO CENDI CENSUM, cf. CANDIDUS, « blanc »,
incendier) ; venit sitis cruenta imperii, Vint
la
soif sanguinaire du pouvoir (CRUOR=le sang ; IMPERIUM…
ROMANUM,
comme la PAX ROMANA, via force génocides, même si, grâce aux prêtres
fétiaux,
toutes leurs guerres étaient justes),
minor factus
praeda majori Un plus petit devint une proie pour un plus
grand (opposition
PARVUS, MIN-OR, MIN-IMUS # MAG-NUS, * MAG-IOR, *MAG-SIMUS au
comparatif ;
La traduction avec les indéfinis est incontournable puisqu’elle
sauvegarde le
comparatif ; de plus, elle exprime la lutte pour la vie, cf. la
chaîne
alimentaire, en emboîtements successifs, au rebours de la traduction
formulaire
du Budé [aux antipodes du scoutisme], en adage : « le faible
devint
une proie pour le fort » ; PRAEDA AE f, le butin, cf.
prédateur ; tout le lexique militaire est convoqué, un relevé
rapide le
confirme : FOEDUS, FUROR, IRA, IMPERII, CRUENTA, JURE, VIRES,
MANU
BELLARE, ARMA, ARMATA en polyptote, FERRO, etc. Le passage de la
nature à la
culture change en fait l’homme en super-prédateur):
vires esse pro jure. Et les
forces de tenir
lieu de droit (VIS VIRIS, ESSE= « être »
infinitif de
narration, d’où notre coordination dans le droit fil de La
Fontaine ; JUS
JURIS, « droit », ou « loi » ? cf.
« la
force de la loi » ; le JU-DEX est, étymologiquement
celui qui dit que telle loi s’applique au cas
qui lui est soumis. Ceci n’a rien à voir avec notre équité, cf. en
grec, la
différence en Dikê et Thémis, le texte de loi et la balance de la
Justice, la
lettre et l’esprit). Tum primum bellare
manu nuda Alors, en premier, de
combattre de sa main nue (TUM
PRIMUM – « on commença », in Budé… HINC v. 551… TUM début du
v.
553… SED début du v. 559,
pour la
péroraison, une diatribe
très vive
contre la femme ; « manu » au singulier car elle
préfigure celle
d’attaque qui tiendra l’épée alors que celle de défense arborera le
bouclier) -que vertere in arma saxa et
ramos rudes puis de transformer
en armes rochers et branches
grossières (avec un jeu de mots ? RUDIS signifie aussi
la baguette
d’entrainement pour les soldats et les gladiateurs ; est-ce pour
évoquer
l’allitération en liquides que, chez Budé, on a droit à
« branches
brutes » ?): non
erat cornus levis Il n’y avait
pas de cornouiller lisse (écorcé, ce
bois présente un aubier lisse, un sens de LEVIS – qui plus est,
« blanc », cf. aubier !) armata
ferro
gracili armé d’un fer effilé (les
noms
d’arbre sont féminins le latin ; FERRUM=synecdoque ; nous
avons
gardé l’« effilé » du Budé, plus rare que
« pointu »,
subtil comme la syntaxe raffinée : correspondance étroite des 2
groupes de
part et d’autre d’ARMATA en début de vers)
aut ensis
longo mucrone ou d’épée à la
longue lame (ablatif
de qualité ; ENSIS surtout en poésie ; la précision
technique de la
« longue lame » est attestée archéologiquement :
si les gaulois sont restés fidèles à leur
lourde épée, souvent tenue à deux mains, le GLADIUM du légionnaire
républicain
classique est à lame courte, beaucoup plus pratique pour le corps à
corps,
stricto sensu ! La lame ira ensuite en s’allongeant. MUCRO ONIS
signifie
certes la pointe, mais on frappait plus de taille que d’estoc, vu la
qualité
discutable du fer – sauf martelé avec du carbone, d’où le choix
judicieux de
« lame », en adéquation donc avec « longue »)) cingens latus ceignant
le
côté (le fourreau de l’épée – car comment marcher lame
nue ? - est fixé à
la taille par un baudrier, ceinture
qui entoure, comme ce nom le précise, le côté du soldat :
l’expression du
Budé « pendue au côté des guerriers », trop verbeuse en soi,
est mal
venue ici) aut galeae comantes crista
procul ou de casques chevelus
d’un vaste panache (COMO
ARE, cf. comète ; « coiffés » était trop commun ;
notre
traduction, pour déconcertante qu’elle soit, en cela d’accord avec
Hermann, comme
nous l’avons constaté après-coup, nous paraît répondre au désir de
Sénèque de
ridiculiser cet artifice militaire qui visait à impressionner
l’adversaire – ou
à reconnaître un ami en combat rapproché ; le « vaste »
traduit,
d’assez loin, l’adverbe « procul »):
dolor
faciebat tela. La douleur
faisait les traits
(Le ressentiment faisait flèche de tout bois ? Nous avons
opté pour
la traduction la plus proche du texte, car elle en conserve l’impact
inquiétant, en un raccourci qui touche son but !).
N.B.:
les commentaires
entre crochets n’engagent que leur auteur et lui permettent
seulement de reprendre
son souffle de sexagénaire pour poursuivre… A déparasiter pour le
bac !
Donc, copier-coller l’ensemble et le retravailler pour soi en
éliminant ce que
l’on n’a pas compris, il devrait rester suffisamment de pâture pour
brouter à
sa mesure…
A l’appel (VENI=impératif) de
la
nourrice de jouir du bonheur (SED TU BEATIS MITIOR REBUS VENI, v.
437), au lieu d’être
TRUCULENTUS ET SILVESTER (mal
dégrossi, une « bûche » (sic !), pour filer la
métaphore sylvestre,
v. 461), « rends-toi en ville, passe au réseau
réel » (URBEM FREQUENTA, CIVIUM COETUM
COLE, v.482 ; N.B. : pour
anachronique
qu’elle soit, notre traduction présente elle aussi une allitération
initiale), d’emblée Hippolyte prend le contrepied
(NON) : son choix
personnel est une LIBERA… VITA (483/4) ; Il aime les forêts (AMAT
SILVAS,
(v. 485, 13 occurrences de ce nom dans Phèdre),
libre
d’espérance et de crainte (SPEI METUSQUE LIBER, v. 492), nous verrons,
après notre passage, qu’il hait les femmes (v. 566 : DETESTOR
OMNIS,
HORREO, FUGIO, EXECROR).
Sa tirade
fonctionne en trois
temps :
I. Par une série de négations,
jusqu’au
v. 500, il esquisse le tableau atroce de la vie d’un « rat »
[pour
faire court, voire course du rat chère à Lauzier, en 1978] des villes.
II. Le contraste (SED, v. 501)
est
saisissant avec la vie à la campagne (RURE) : après une courte
évocation
poétique (jusqu’au v. 514) [imprégnée
–
vu la prégnance de l’eau - de la fraîcheur chère à un grec, ou plutôt
à un
méditerranéen], il montre comment les besoins naturels sont
satisfaits, avec
plaisir, MIXTOS DIIS, à l’égal des dieux : tout était opposé à
l’âge
actuel.
III. La rupture (RUPERE) avec
cet état
de commune union entre l’Homme, demi-dieu, et la Nature, due aux
passions humaines
[Misère de l’homme sans Dieu, dira Pascal dans ses Pensées] a un effet d’abord
limité (jusqu’au vers 549), puisqu’on n’avait pas encore la panoplie
du soldat
romain sous l’empire, ensuite
cataclysmique [voire
apocalyptique, avec une révolution industrielle avant la lettre ;
nous, nous
nous échauffons aux effets de la nôtre !], INVENIT (en début de
vers, en
anacoluthe) NOVAS ARTES au vers 550, MILLE FORMAS MORTIS, avec le même
jeu,
voire les mêmes mots que dans l’élégie I, 3 de Tibulle) ; la
conclusion
est inattendue et déconcertante : SED, au v. 559, la cause
initiale de
toute cela n’est pas en fait MAVORS (Mars), c’est la femme, en une
phrase
nominale laconique et assassine [noyau de la cerise sur le gâteau],
DUX
MALORUM, avec la solution : FEMINA.
Ce
passage
est intéressant par plusieurs de ses aspects :
la rigueur de
sa construction
suscite l’adhésion, son appui sur la philosophie
emporte la conviction,
la brutalité
dont il fait preuve
nous entraîne, la dénonciation satirique
de différents travers de
son temps est très polémique pour qui sait lire entre les lignes ou
suivre le
regard, et le topos évoqué, pour commun qu’il soit, trouve de
nombreux échos
chez nos auteurs !
Notre
extrait
lui-même (v. 515 – 549) suit une démarche très cohérente :
A) Sénèque
évoque pour
commencer la satisfaction, présentement,
des besoins premiers:
·
Manger
(d’abord par une
double négation : COMPESCUNT < PARCO FAMEM – puis une
expression
dont les deux termes sont positifs : CIBOS MINISTRANT, les deux
noms étant
en parallélisme de place et de fonction, avec la VARIATIO du
singulier/pluriel), sur 2 vers ½, se terminant à la penthémimère. En
un passage
subtil de la verticale (EXCUSSA) à l’horizontale (VULSA)
·
Le
passage au boire
(sur 4 vers) se fait par l’opposition entre FACILES et REGIOS ;
le
contenant, par synecdoque, est d’or (AURO) ; nous retrouvons une
opposition extrême entre ce qui est l’objet d’une dépense somptuaire
ainsi que d’une
critique acerbe (LUXUS, FUGISSE, SOLLICITO, SUPERBI : il est
difficile
d’être plus péjoratif !) et la simplicité (sans artifice
technique :
NUDA MANU) d’une FONTEM, derechef à la coupe penthémimère, soulignée,
comme la
première évoquée, par une pause phono-sémantique ; au reste, les
voyelles
fermées du premier volet critique laissent place ici à une ouverture
sonore
marquée par la concision d’une exclamative
·
Nous
terminons sur le
sommeil (en 5 vers), en une démarche inversée : d’abord le
positif
(CERTIOR, SECURA, même au prix d’un certain ascétisme : DURO…
TORO – qui
n’est pas loin d’un pléonasme : les lits romains étaient loin
d’être
douillets) à terre (VERSANTEM), puis, quasi au fin fond du sol avec
RECESSU, le
négatif (NON en début de vers, une kyrielle de termes dépréciatifs
(FURTA,
OBSCURO – qui annonce, par le contraire, LUCEM – IMPROBUS en insulte
virulente,
en fin de vers comme TIMENS – fortement opposé ainsi au CERTIOR supra)
pour
finir par une envolée vers le ciel: AETHERA, LUCEM, CAELO. Boire
et dormir
- aussi incontournables l’un que l’autre pour ne pas mourir rapidement
[remarque anachronique ? Je pense que les Romains ont
suffisamment
maltraité d’esclaves pour le savoir] – convoquent dans ce passage les
4
éléments, l’eau (FONTEM), la terre (DURO TORO), l’air (AETHERA) et le
feu
(LUCEM) ; on arrive ainsi à la vraie vie : TESTE CAELO VIVIT
à l’hephtémimère
(au rebours des propos désespérants de la nourrice : RAPACES FATI
MANUS,
v. 467, EXHAUSTUM, SQUALIDO, TURPIS, STYGA, ad libitum).
B)
Puis
il
évoque l’âge d’or, celui d’un passé
révolu,
car celui qui vit comme présenté supra est aussi l’épigone des
ancêtres :
on passe donc, avec la forte articulation logique EQUIDEM, de VIVIT à
VIXISSE,
en polyptote, en début de vers, donc à PRIMA AETAS, à la
penthémimère ; c’est
une période où la vie surabonde (PROFUDIT en début de sénaire), où la
brisure
entre les hommes et les Dieux ne s’est pas encore opérée : MIXTOS
DIIS,
donc avant que Pandora n’ouvre la boîte que lui a confiée Jupiter (=
en
prémices de la fin profondément misogyne de la tirade ?) !
Avec un
trait d’humour : l’or qui, habituellement, qualifie cette période
initiale
est l’obsession des contemporains d’Hippolyte, ou plutôt de Sénèque,
AURI, V.
527, ultérieurement déprécié en LUCRI au v. 540. C’est d’ailleurs
aussi, mais
cette contradiction ne le gêne pas, cet intérêt que l’on peut
reprocher au
riche Sénèque, même si les Romains ont apprécié ses jardins… La mort
développée
ensuite sur 9 vers est ainsi encadrée, jugulée par la vie, de façon
équilibrée : 2 vers en avant (v. 525-527), pour ceux qui restent
proches de
nous avec les deux démonstratifs de proximité immédiate, en fait qui
nous
concernent au premier chef : HOC, HIS, 3 vers pour finir (v.
537-539) ;
c’est en creux, par l’absence, qu’apparaît le malheur : NULLUS
deux fois,
en parallèle. Il est corroboré par l’accumulation pléthorique des
négations :
NONDUM en début de vers, deux NON, dont le deuxième repris en début de
vers,
comme le premier NEC ensuite… Les exemples évoqués se complètent et se
renforcent réciproquement, deux par deux :
·
En
avers, la cupidité
(CUPIDO AURI), celle des chevaliers-banquiers ? En revers, ne
peut-on y
voir une allusion nette, nonobstant le SACER puisque toutes les
activités se
font sous l’obédience de la loi divine et en stricte BONA FIDES, à
l’arpentage
cher aux Romains qui prenaient ainsi la juste mesure de leur conquête
pour
mieux se l’approprier (cf. l’ager publicus,
en un processus dont les patriciens
étaient coutumiers) ?
·
La
terre répartie,
reste le vaste espace de la mer, donc en avers, les vaisseaux (RATES,
fréquent
en poésie) des marins (dépendant en fait des chevaliers et de leurs
expéditions
maritimes), en revers, les remparts des urbains (dépendant en fait des
patriciens ?), mais ce retour sur la terre ferme
s’explique : tout
marin, qu’il soit phénicien, grec, voire étrusque [et non latin :
la mer
n’est pas la tasse – de thé ! - de Rome, au départ] est commerçant
quand il accoste dans une ville
portuaire fortement fortifiée (en parallélisme : VASTO AGGERE,
CREBRA
TURRA, en allitération des liquides), pirate
quand
la défense est mal assurée.
·
Est-ce
pourquoi on
passe au soldat, agresseur avec l’harmonie des [a]. Nous avons même
droit à un
cours de poliorcétique, le soldat romain, polyvalent, se montre aussi
efficace
(APTABAT/ TORTA, cf. le parallélisme des deux verbes à l’imparfait,
avec les
armes de près/ARMA et de loin/BALLISTA ), dans la bataille au
corps-à-corps que
lors d’un siège (PORTAS CLAUSAS)… Donc, en avers, le soldat et ses
techniques
(baliste) qui ont permis l’IMPERIUM ROMANUM, en revers, le paysan et
sa
technique (charrue tirée par deux bœufs) qui permet d’exploiter le sol
conquis,
curieusement et moins développé et présenté de façon péjorative :
DOMINUM
est le terme exact, mais fleure la tyrannie, ce que confirme
SERVITIUM ;
en fait, le labour est un vrai labeur, apparemment à l’époque de
Sénèque moins
honorable que le métier des armes. Ou c’est pour mieux souligner
combien ce
travail de la terre, pénible, s’oppose (SED) à une nature en son état
natif
(NATIVAS deux fois, sans intervention humaine). C’est un vrai pays de
Cocagne : FETA PER SE, PAVERE, OPES, DOMOS.
·
A
tout cela s’opposent
(SED), de façon encore complémentaire, ARVA et SILVA ; à l’AURI
du v. 527,
on préfère les NATIVAS OPES… C’est sur ces deux visions, champêtre et
sylvestre,
que ferme ce paradis perdu.
C)
Il
y
a bien incompatibilité entre la vie idéale explicitement prônée par
Hippolyte
dans ce qui précède et la vie pleine de vices et de danger des autres
dans un passé plus récent…
en toute logique,
la SECUNDA AETAS, la TERTIA étant donc celle de Mars, à partir du v.
550, ou
plutôt [à suivre les invectives misogynes dont nos réactionnaire
feraient leurs
choux-gras s’ils comprenaient le latin], FEMINEA !
Avec,
comme fil
conducteur, la reprise de la même structure d’un groupe nominal au
nominatif
pour dénoncer ce qui est : nom avec deux expansions, adjectif et
complément
du nom, cf. AURI CAECUS CUPIDO, en prétérition avant au v. 528, IMPIUS
LUCRI
FUROR (v. 540), IMPERII SITIS CRUENTA (avec l’impact des 3
gutturales), avec
son résultat (hors-texte) en objet : MILLE FORMAS MORTIS (551).
L’accord
(FOEDUS) hommes/dieux n’existe plus, l’anacoluthe brutale, l’hyperbate
(verbe,
cod, sujet) le prouvent au vers 540. La cause : FUROR, IRA,
LIBIDO le
dernier en début de vers, l’ensemble en accumulation ternaire. Y
répondent 3
phrases verbales, en anacoluthe (au rebours des 3 noms qui forment
ainsi un
réquisitoire implacable et imparable), angoissantes, car de plus en
plus sèches
et tranchantes, proches du laconisme des proverbes ; ceci est
corroboré
par l’harmonie stridente des [I] dans la première avec la paronomase
polémique
IMPIUS (540) IMPERIUM (542), l’opposition MAJORI#MINOR dans la
seconde, la
phrase infinitive dans la dernière, presque formulaire, comme pour
concentrer
l’abus de la force, alors que, dans leur propagande, les Romains se
targuent de
respecter le JUS : toutes leurs guerres sont justes (cf. les
prêtres
fétiaux). On quitte ces généralités abstraites pour montrer comment,
TUM
PRIMUM, ceci s’incarne dans le réel : le conflit (BELLARE) est
présenté
sans fard, dans sa violence crue : MANU NUDA, ses projectiles
bruts :
SAXA, RAMOS RUDES, présentés en tant que tels, sans les
lanceurs ; paradoxalement,
l’impression de barbarie est renforcée par cette constatation
froide : lance (amenée par
RAMOS), d’une délicatesse
raffinée (GRACILI, LEVI) mais aussi mortifère que les RAMOS comme
l’exprime
l’allitération en liquide de RAMOS à… CORNUS, épée
dans sa précision technique – le seul endroit où le corps du
combattant est
évoqué avec LATUS, ou casques à
l’esthétique
avérée (CRISTA, COMANTES) sont un progrès par rapport au combat de
sauvage
impliqué par mains nues, et ces armes primitives que sont SAXA ET
RAMOS :
la conclusion est brève, inquiétante dans son inversion et son
laconisme
abscons : DOLOR, qui sera illustré ensuite…
Nous
avons donc un passage fortement charpenté en 3 parties, qui jouent sur
les
contrastes et sur nos émotions avec, en entame, un début empreint de
simplicité
pour finir sur les progrès techniques, voire esthétiques, dans
l’armement, du
temps d’Hippolyte, le tout rehaussé par une opposition finale où la
douleur
fait flèche de tout bois…
Ce
pour nous apporter quel message ? Sur quelle philosophie ce
passage se
fonde-t-il? Après une cabale d’érudits dans laquelle nous
n’interviendrons pas,
il appert que Sénèque le philosophe et Sénèque le tragique sont une
seule et
même personne. Si cette production, plus littéraire que proprement
théâtrale au
sens étymologique du terme, « voir », QEAOMAI, date de la retraite politique de
notre auteur
(il se retire dans la mesure où il sait qu’il ne peut plus rien
faire), on
s’attend à ce qu’il prône le stoïcisme. Mais force nous est de
constater qu’il
est difficile ici de faire la part entre l’apatheia stoïcienne et
l’ataraxia
épicurienne.
A)
Au
début,
il s’agit bien d’épicurisme (à l’instar de certains passages des Lettres
à
Lucilius où, non sans humour, l’auteur s’appuie, avec la plus
grand
habileté dialectique, sur cette philosophie) : C’est ce que, sans
dire son
nom, pratique Hippolyte, comme le fameux (sic !) ILLUM (486, cf..
490,
492), LIBER SPEI METUSQUE, un sage qui fait en 3 mots la synthèse
entre Zénon
et Epicure : « fais ce que dois » évite de se poser la
question
du futur (SPEI - on agit HIC et NUNC) ; adhérer à un matérialisme
absolu
libère de toute crainte du manque, des dieux et de la mort. Oui, NUNC
ILLE,
NUNC (505-6). Le texte prône donc les plaisirs naturels et
nécessaires, dans le
droit fil de la doxa épicurienne et c’est d’ailleurs ce que l’on
retient le
plus facilement de cette doctrine (RATIO, à lire Lucrèce) :
- manger
ce que propose
la généreuse nature (=POMA, FRAGA), en toute sobriété, uniquement pour
échapper
à la faim : COMPESCUNT FAMEM, sans rechercher des mets raffinés,
comme les
hédonistes, ni avoir à travailler la terre : FACILES. Cette
simplicité est
corroborée par la reprise du même rythme
sur les deux premiers
.vers
-
Boire l’eau d’une
source (qui n’a pas besoin d’être explicitement mentionnée en tant que telle : elle s’est
écoulée sur 10
vers (v. 504 – 514), immédiatement avant notre passage), par
opposition au vin,
car quel autre liquide pourrait s’accorder au réceptacle induit par
REGIOS LUXUS
et AURO en synecdoque ? Notre ascète préfère bien sûr NUDA MANU
(malgré
son côté peu pratique…). Cette simplicité, pour ne pas dire sobriété,
est
confirmée par FONTEM à la penthémimère, soulignée par la pause
phono-sémantique
(notons en passant une première entorse à l’épicurisme : IMPETUS,
malgré
le manque de maîtrise de soi qu’il implique, renvoie à l’impératif
moral que
doit suivre le stoïcien pour être conforme au LOGOS [si Lucrèce connaît un IMPETUS, c'est
celui de
l'élan vital])
- Dormir
sur le sol
nu : DURO TORO permet de jouir d’un sommeil réparateur, comme
l’indique la
double négation encadrant le vers 522. Si DOMO il y a, elle n’est donc
pas
multiplex (comme l’est, en dépassant toute mesure, la DOMUS AUREA
néronienne),
mais SIM-PLEX (ce qui annonce le v. 539).
Le
rythme pour cet
ensemble est régulier, avec souvent la séquence spondée-ïambe…
Le
résultat ? Il
respire (AETHERA) en pleine lumière (LUCEM, obsession lucrétienne s’il
en
fût !) ; sa vie (VIVIT) satisfait son désir (PETIT), ce
qu’indique la
structure binaire.
B)
Comme
chez
Lucrèce, où les Dieux existent, mais ailleurs, et incarnent (car
provoquant
des sensations par ex. dans les rêves des êtres humains, eux aussi
sont
composés d’atomes !) l’idéal du sage épicurien, les Dieux sont
mis à
contribution : MIXTOS DIIS ! La Nature encore vierge était
(vu le
parfait ! FUIT, DIVISIT, etc.) prolifique, riche en hommes :
PROFUDIT
en début de vers, et le désir (CUPIDO, terme profondément épicurien, à
la
penthémimère, à une pause) aveugle (CAECUS, non pas sur l’objet -
comme cru
communément dans l’adage usé sur l’amour, mais sur sa recherche
même : ce
n’est pas à cela que doit se consacrer un homme) n’était pas celui de
l’or ! Ni propriété privée (Rousseau retiendra la leçon !)
avec, en
fait, sa sacralisation, SACER en fin de vers [mais c’est trop forcer
le texte
dans un sens marxiste] ni navigation dans un but mercantile
(CREDULES) ! Vive
la sédentarité et l’entre-soi, le voyage est une activité
inutile (ici,
l’épicurisme, pour étranger qu’il était au départ au MOS MAJORUM,
rejoint les
vieilles préventions romaines contre la mer ; cf. aussi le SUAVE
MARI
MAGNO); c’est la liberté (et non DOMINUM, SERVITIUM, cf. 535-6),
l’ataraxie qui
sont prônées, au rebours des CINXERANT, APTABAT, FREGERAT et autre
FEREBAT .
Après cette dénonciation du comportement de ses contemporains
(grecs ?
Plutôt romains, sans souci de cohérence : AGGERE, BALLISTA ;
certes,
la poliorcétique est un mot grec, mais ce sont les Romains qui ont
amené cette
technique de prendre les villes à son optimum), Hippolyte reprend son
éloge de
la Nature, bonne mère : le ravitaillement des GENTES est garanti,
alors
que la disette à Rome – plutôt qu’à Athènes - est l’angoisse absolue
pour le
pouvoir, comme le logement de toute la plèbe. Là, ces deux gros
problèmes sont
réglés d’eux-mêmes. POSCENTES NIHIL avec son double sens (ne demandant
rien à
la terre, mais aussi sans réclamation car satis-faits) renvoie
derechef à l’idéal
épicurien, ce d’autant plus que tout vient de soi-même, PER SE, sans
travail,
(DEDERANT) : c’est un donné naturel : NATIVAS deux fois…
C)
Mais
dans
cette optique épicurienne, on s’explique mal la perte de cet état de
bonheur. Cette philosophie montre comment atteindre le bonheur, mais
que faire
quand le mal, la perversité humaine se donnent libre cours ?
C’est un peu
court que de dire que, dans les moments de déréliction, il faut et il
suffit de
se souvenir de ses instants de bonheur, sans résister à ce qui nous
arrive de
négatif. Sur ce point, le stoïcisme est plus convaincant,
puisqu’il faut agir
pour être conforme au logos, à la Raison qui gère le Monde, dans le
cadre de ce
qui dépend de nous… Et, en cas d’échec, aller jusqu’à se suicider
stoïquement s’il
s’agit d’échapper au pire, la satisfaction du devoir accompli étant
suffisante
pour assurer, contre vents et marées, notre bonheur présent :
même dans le
taureau de Phalaris, le stoïcien est heureux !
Nous
retrouvons donc
ici, non seulement le Sénèque auteur de Médée (cf. FUROR et DOLOR en
encadrement, tous deux en fin de vers 540 et 549), mais encore le
philosophe,
FUROR dénonçant le manque de maîtrise de soi par rapport à
l’extérieur, DOLOR
la même chose, mais par rapport au
ressenti
intérieur, d’où d’ailleurs l’adjectif stoïque ; ce passage , du
v. 440 au v. 549, fonctionne comme la palinodie stoïcienne de la
partie
précédente (à partir du v. 525), en dénonçant par de courtes phrases
le
comportement de ceux qui ne pratiquent pas cette sagesse. Au reste, le
terme
IMPIUS n’a pas plus de sens pour un épicurien que PIUS alors que
la PIETAS
(qualité romaine prisée, cf. PIUS AENEAS) est aussi l’adhésion
stoïcienne au
FATUM, le destin que, dans sa sagesse, a édicté le LOGOS,
l’inéluctable auquel
il faut adhérer dans la joie et la bonne humeur puisque, en dernière
ressort,
de toute façon, on n’y échappe pas (on ne parlera pas ici
d’enthousiasme
puisque ce terme relève, étymologiquement, du culte de Bacchus :
mettre le
dieu Dionysos en soi, c’est boire); cette PIETAS est intrinsèque à la
VIRTUS, elle
qui donne le bonheur au stoïcien (RAPPEL: Fondamentalement, c’est le
plaisir
qui donne le bonheur à l’épicurien); s’opposent à elle FUROR, IRA (cf.
le DE
IRA de… Sénèque !) où l’on ne reste plus dans son
quant-à-soi, où l’on
n’est plus « maître de soi comme de l’univers » pour citer
Auguste,
dans Cinna, de Corneille, et LIBIDO devenue maîtresse de MENS
(MENTES, à
la coupe penthémimère, à une pause). Avec un clin d’œil, encore une
fois, de
Sénèque : nous ne pouvons croire à la gratuité de SUCCENSAS quand
on
connaît l’importance, dans le stoïcisme, du feu qui est l’image de la
RATIO,
sans oublier l’embrasement final du Monde, l’EKPURWSIS, ekpyrôsis [Pascal s’en souviendra
dans ses Pensées
puisqu’il dénonce dans l’épicurisme la LIBIDO SENTIENDI (sensations),
dans le
stoïcisme, la LIBIDO DOMINANDI !] ; l’homme n’a plus
son
IMPERIUM sur lui-même, mais l’exerce sur le monde au grand
détriment des
autres; SITIS, PRAEDA (HOMO HOMINI LUPUS EST) montrent
que l’on a perdu son indépendance
pour sombrer dans le besoin ; nous avons donc droit à une
présentation du stoïcisme,
en creux [anti-stoïcisme ?] : au JUS, propre à la VIRTUS
font place
VIRES, scandale que souligne la coupe hephtémimère, à une pause très
marquée. Celles
du VIR, avec le jeu de mots que faisaient déjà les latins. L’homme,
violent par
définition (cf. notre 3ème partie) ? Ces déchaînements
profilent
en filigrane le héros stoïcien qui, ici, sert de transition pour
passer à l’âge
de fer (Ici, implicitement, la TERTIA AETAS=l’âge du massacre
généralisé, pour
ne pas dire industriel ou de masse, cf. plus loin, MILLE,
CUNCTAS) :
Hercule [héros stoïcien car, parti de la folie bestiale, il réussit, à
travers
les épreuves qui lui sont imposées comme à tout homme, à dépasser son
humanité,
et il rejoint la sagesse personnifiée par les Dieux de
l’Olympe] ; il
semblerait ici (mais Sénèque nous a habitué aux contrastes) l’exemple
d’un
pis-aller, celui du meurtre individualisé : n’a-t-il pas combattu
à mains
nues (NUDA MANU) Antée, on retrouve au moins deux fois un rocher
(SAXA) dans la
mythologie herculéenne (quand Athéna l’assomme lors d’une crise de
folie, quand
il enfouit, sous une pierre tombale, la dernière tête immortelle de
l’Hydre de
Lerne), quant aux RAMOS RUDES, comment ne pas y reconnaître sa célèbre
massue
(Sénèque joue aussi sur les sg#pl dans ce passage en utilisant l’un là
où l’on
attendrait l’autre). De ce fait, vu l’absence d’armes véritables,
dignes de ce
nom (pourtant ressassées
par la
polyptote : ARMA, ARMATA, détaillées par la description au plus
près de la
panoplie du légionnaire avec un luxe de détails qui fleure encore une
fois
l’humour de la prétérition), on se contentait de coups et blessures:
TELA
FACIEBAT DOLOR (après la coupe penthémimère, avec la pause ;
notons les
brèves dans ce vers au rythme particulièrement travaillé :
aistsD). On a
le pire ensuite, où le « labor » remplace DOLOR pour laisser
CRUOR…
Ce
que préfigure notre
texte, lui-même sous tension [le
jeu de
mots était trop facile, désolé]
En
fait, il est
empreint d’une vivacité évidente, la violence est rendue
palpable : la vie
d’Hippolyte n’est pas un farniente, un nonchaloir imbécile [un
long fleuve
tranquille !]: d’emblée, EXCUSSA, secoués violemment, VULSA
arrachés, à l’hephtémimère
possible [#notre scansion !], avec l’opposition verticalité
versus
horizontalité, le tout en chiasme, IMPETUS est le terme militaire pour
l’attaque avec le clin d’œil FUGISSE à l’hephtémimère [n’est-ce pas
plus clair
avec le titre du film d’Yves Robert, courage, fuyons ?].
Autre clin
d’œil d’ailleurs : LUXUS REGIOS, SUPERBI : Hippolyte en
prend à son
aise avec son milieu social et familial; tout ceci permet de passer à
la
mauvaise vie, pour ne pas dire voie, de ses contemporains : l’or
qui
devrait donner la sûreté est SOLLICITO (cf. Le Savetier et le
Financier,
cher à La Fontaine, VIII, 2) ; se désaltérer n’est pas si facile
(NUDA
MANU CAPTASSE, syncopé en début de vers, expression renforcée
ultérieurement par
NUDA BELLARE MANU) ; pour positifs qu’ils soient, CERTIOR et
SECURA
impliquent leur contraire. FURTA est d’une virulence insultante.
OBSCURO pourrait évoquer
la sécurité d’un réduit,
c’est dénié par TIMENS, en fin de vers comme PETIT : le bonheur
nécessite
une quête. Ces gens-là sont aveugles (cf. IN RECESSU avant), et LAPIS
ARBITER
POPULIS s’avère n’être qu’un vœu pieux : il n’y avait pas de
bornage
certes avant, le fait qu’il en existe n’empêche pas les
conflits !
SECABANT est un verbe… tranchant. La défense des villes induit des
travaux
titanesques [un travail de Romain, on ne peut dire pharaonique !]
, VASTO,
CREBRA au sg (sic !), comme leur attaque, des efforts intenses,
TORTA,
SAXO GRAVI, au sg (resic !), l’adjectif SAEVA à la penthémimère
rend le soldat
barbare et le jeu du singulier#pluriel, réitéré (MILES au sg), en
focalisant le
regard sur la main, et l’attention sur l’imminence du combat,
inquiète. Le
vocabulaire employé ensuite est écrasant : DOMINUM PATI, FEREBAT…
SERVITIUM. Par un contraste saisissant, souligné par l’adversatif SED
en début
de vers, une pause pour retrouver un pays de Cocagne : tout ce
qui devrait
générer du rejet – celui du pénible labour pour les champs (ARVA),
celui de
l’inconnu pour la forêt (SILVA) et les grottes (ANTRA)
où n’entre pas la lumière (OPACA :
notons en passant que, sous la PRIMA AETAS, l’obscur, cf. OBSCURO,
v.522), est
vécu paradoxalement comme positif. Derechef, le texte incarne la
rupture
brutale : anacoluthe, ordre des mots (avec le verbe en début de
phrase et
l’hyperbate due au COD qui le suit immédiatement), virulence du
vocabulaire, absence
de voyelles ouvertes dans ce vers 540, succession des [i] en 542, de
nouveau,
verbe en début de phrase (VENIT), accumulation de ces dernières en
anacoluthe, réalisme
de CRUENTA en début de vers, confirmé par la transformation de l’être
humain en
carnivore par PRAEDA. Avec, pour un romain soucieux du droit pour
bénéficier
seul de la protection des Dieux, l’horreur absolue : la
disparition du JUS
sans lequel il ne peut y avoir de BONA FIDES [= la FIDES ROMANA (cf.
parjure !)]. S’ensuivent, avec une logique imparable,
contraignante (TUM
PRIMUM) les deux infinitifs de narration. Mais cette époque, déjà
cruelle, l’est
moins que celle des progrès techniques. Hippolyte s’étend dessus avec
une
alacrité juvénile qui laisse circonspect car, malgré son rejet de la
TERTIA
AETAS, il est sensible, comme tout jeune homme, à l’efficacité de
l’armement et
à son éclat ; en fait, son intérêt perceptible rend ceci encore
plus
atroce : GRACILI pour rentrer plus facilement dans le corps,
LEVIS pour atteindre
plus facilement une cible éloignée (le légionnaire avait deux armes de
jet, un
javelot pour le tir au loin, comme ici (30 m.), le PILUM entre 10 et
20 m. [plus
sophistiqué : une virole métallique entre la hampe de frêne et le
fer
lui-même (rapport 2/3#1/3) , permet à l’ensemble de se scinder en
deux ,
s’il n’entre pas dans le corps de l’adversaire ; soit il se
plante en
terre et gêne alors la course de l’attaquant, soit il se fiche dans
son
bouclier qui en devient encombrant, ce qui, pour une protection, est
un comble],
avec les matériaux utilisés, résistants : FERRO (donc âge de fer
– un
progrès face à l’or, à l’argent et au bronze, trop mous), CORNUS,
souple aussi pour
moins embarrasser le lanceur ; LONGO MUCRONE : c’est
l’armement du
légionnaire sous l’empire, ENSIS est plus poétique que
GLADIUM : au
reste, ce dernier est court – pour le corps-à-corps emmêlé ! On
termine
par les casques étincelants [mis à la mode par Hector] avec COMANTES à
la coupe
penthémimère et à la pause. DOLOR encadre avec FUROR ce passage qui
annonce la
suite…
Une
critique du temps présent.
En
fait, il ne s’agit pas ici de regretter un passé révolu ou légendaire
(au
rebours de ce que pourrait faire croire la période
mythique impliquée par le
titre de cette tragédie) ce que conforte l’indifférence de Sénèque à
l’égard
des REALIA (du moins quotidiens, car c’est avec force détails choisis
comme à
plaisir, souvent sanglants, atroces, voire immondes qu’il évoque les
traitements affreux des victimes de la FUROR, cf. la dispersion des
morceaux
d’Hippolyte : tout est décrit sans pudeur ni fard, comme Hercule
dans la
tunique de Nessus); peu lui chaut, en dehors de ces passages
paroxystiques, du
détail qui fait vrai, de la couleur locale, ou du lieu lui-même, il ne
répugne pas
à l’anachronisme ni à l’anachronisme spatial (ou
« dysgéographisme »,
un néologisme qui risque d’attendre longtemps l’aval de
l’Académie)?). Seul
compte le message : dénoncer plus ou moins ouvertement l’état de
déliquescence de la société du temps (Cicéron avait entamé cette
antienne
(sic !) : « O tempora, o mores »). Sénèque
poursuit
sur cette lancée… En l’occurrence, il n’enfourche pas le cheval de
bataille de
la dénonciation frontale ; il préfère la position, voire la pose,
du sage conseiller
(n’a-t-il pas été le précepteur de Néron, avec un succès sujet à
caution, il
est vrai) : discret, donc efficace… voire un moraliste auquel on
ne
pourrait que reprocher de ne pas s’appliquer les préceptes qu’il
promeut – même
s’il avoue ses manques, par ex. dans la première lettre à Lucilius (ce
recueil
de lettres étant lui-même fort « pédagogique » à l’égard du
destinataire).
A
le suivre dans cet extrait, il faut et il suffit, lors d’un repas,
d’apaiser sa
faim (COMPESCUNT FAMEM), au rebours des complications culinaires et de
la
surabondance alimentaire que dénonce par ex. Pétrone dans le Satiricon –
qui
attaquait peut-être Néron en la personne de
l’affranchi-parvenu-(in)suffisant, Trimalcion; La CENA (puisque c’est
le repas
principal) ne se veut pas une orgie et l’on approuve [mais sans
saliver d’envie],
la frugalité qu’impliquent POMA ET FRAGA. Quant à la boisson, foin des
coupes
en or (PROCUL - pas pour Sénèque, vu sa richesse astronomique de 300
millions
de sesterces alors qu’il suffisait d’un cens d’un million pour pouvoir
être
sénateur); AURO SOLLICITO : Faut-il y voir un rappel des boissons
empoisonnées concoctées à la demande de Néron pour se débarrasser par
ex. de
Britannicus ? De toute façon, la comissatio n’est pas de
mise :
FONTEM ; le lit des romains était, semble-t-il, particulièrement
dur ; ce n’est donc pas tant un lit confortable qui est recherché
qu’un sommeil
roboratif (CERTIOR SOMNUS, SECURA MEMBRA) sans avoir l’angoisse d’être
assassiné, ce dont se plaint, si l’on en croit les historiens, Néron,
qui, avec
sa DOMUS AUREA MULTIPLEX, ne s’est pas garanti des rêves sans
cauchemar. Le risque est
réel : à
la mort du préfet de la ville, Pedanius
Secondus, en 61, un débat s’engagea au Sénat pour savoir s’il fallait
appliquer
l’antique coutume de l’extermination de toute la gent servile de la
maisonnée
du maître assassiné. Il semble que la présomption de complicité ait
été
retenue, règle déjà admise par le senatus-consulte
silanien en l’an 10 de notre ère. Mais nous ne saurons
pas qui est
désigné par le terme IMPROBUS. Il ne serait pas surprenant que ce fût
Néron,
mais Sénèque reste très prudent dans sa dénonciation, qu’il reprendra
plus loin.
Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un fauteur de
turpitudes : FURTA,
à l’abri des regards, IN RECESSU. Tourmenté par sa conscience, au vu
du
TIMENS ?
Si,
à l’époque héroïque d’avant Pandore, les hommes étaient mêlés aux
dieux (MIXTOS
DIIS), maintenant, la pierre de touche de la NOBILITAS est, après la
seconde
guerre punique, pour les
chevaliers-banquiers,
l’or (AURI) – la première frappe d’une pièce en or par les TRES VIRI
MONETALES
date de -218, pour les patriciens,
la terre,
qu’ils s’accaparent; la propriété se marque par des pierres censées
éviter tout
litige (ARBITER POPULIS): elles représentaient le dieu Terme qui
présidait aux
limites des champs…. En fait, les vers 530 à 536 évoquent le
développement de
l’IMPERIUM ROMANUM, TERRA MARIQUE (RATES) ; la mer est devenue
MARE
NOSTRUM (#SUA QUISQUE NORAT MARIA !), avec le développement des
fortifications dans les colonies sur le modèle de celles d’un camp
romain
(VASTO AGGERE), la multiplication des légions (MILES), les sièges
comme lors de
la conquête de la Gaule avec, en conclusion, la mise en coupe réglée
des
territoires conquis par leur mise en culture (SERVITIUM JUNCTO BOVE).
La
débauche de moyens est patente à l’époque de Sénèque (cf. la statue
colossale
de Néron, disparue en laissant comme trace le nom de Colisée à
l’énorme
Amphithéâtre Flavien (à partir de +72) à côté duquel elle se dressait)
et bien
éloignée de la simplicité ancestrale dont se targuent les adeptes du
MOS MAJORUM :
les OPES sont de toutes natures ; nous n’en voulons pour preuve
que la
célèbre DOMUS AUREA qui formait un ensemble spectaculaire, à lire
Suétone, de
pavillons étincelants (#ANTRA OPACA, ce qu’est devenu, par ironie de
l’Histoire, le palais de Néron, enseveli qu’il a été par les thermes
de Trajan)
de dorures, d’ivoires, de pierres précieuses, de marbres polychromes –
OPES
HAUD NATIVAS ! – immergés dans une campagne (ARVA) boisée
(SILVA),
artificiellement reconstituées au beau milieu de la ville. Hippolyte
critique
donc en creux l’apparat ; reconnaissons que la DOMUS romaine
classique,
avec son péristyle est loin de l’ATRIUM primitif, lui-même sans
rapport avec
les cases du début de Rome, cf. le temple rond de Vesta, elles-mêmes
fort
éloignée des grottes, comme celle du Lupercal, au pied du palatin, la
grotte de
Romulus et Remus. Ainsi, Sénèque n’hésite pas à convoquer le mythe
fondateur de
Rome, à mots couverts, il est vrai, mais si l’on passe la phrase au
singulier
(et ce n’est pas artificiel : nous avons plusieurs fois déjà
rencontré ce
jeu d’échange entre le sg et le pl), l’allusion est directe. Au reste,
le
stoïcisme ne s’oppose pas à la religion traditionnelle romaine, d’où
son
succès… relatif !
Faut-il
voir
de nouveau une attaque subreptice du PRINCEPS Néron (ce qui ne serait
pas
improbable vu la date tardive, d’après les chercheurs, de l’ensemble
de l’œuvre
dramatique de Sénèque) : sa mauvaise réputation (usurpée ?)
s’explique
par les exactions que lui attribue sa légende noire, induites par les
3 défauts
énumérés : son besoin effréné d’argent l’a poussé (IMPENDIORUM
FOROR, chez
Suétone, De Vita Neronis, XXXI, in De
Vita duodecim
Caesarum) à maints forfaits, dont le sacrilège(cf.
IMPIUS) de
dépouiller les temples des dons reçus (id., XXXII), l’irascibilité de
Néron est
bien connue, laissons un voile pudique sur la libido qui se montre
sans fard
même quand on ne l’attend pas, avec l’humour (pour le compte,
involontaire nous
semble-t-il) du terme SUCCENSAS, cf. l’incendie de Rome en 64. Les
coupes
sombres (CRUENTA) opérées dans les rangs de la nobilitas relèvent bien
d’une
SITIS IMPERII, nous sommes dans un système de prédation généralisé,
avec la loi
du plus fort. Au reste, l’amélioration (INVENIT NOVAS) par Mars des
techniques
(ARTES) pour tuer arrive immédiatement après (cf. 550), donc, si notre
interprétation est juste, ne concerne pas Néron. Et c’est bien le
cas : Suétone
(XVIII) apprécie que Néron n’ait pas cherché à repousser les
frontières de
l’Empire…
Ces
critiques sont
d’autant plus acerbes que nous avons, par contraste
une
image laudative de
la nature, et de son bon sauvage : FACILES, QUAM JUVAT (avec son
harmonie
en UA/A-U), SECURA, l’effusion se veut palpable, avec l’exclamative,
les termes
positifs abondent, plus loin, TESTE CAELO VIVIT précédé d’une tournure
lucrétienne: LUCEM PETIT; après un long passage négatif, deux fois
NULLUS, NON,
NEC), 3 vers positifs (537, avec la double négation: POSCENTES NIHIL
qui
souligne la pleine satisfaction, le bonheur total), avec des effets
sonores : allitération en dentales au v. 539, un parallélisme
marqué par
une répétition (NATIVAS OPES, NATIVAS DOMOS) ; mais ceci,
hélas !
n’est pas fait pour durer : l’attestent la
reprise de MANU DURA, cette fois-ci pour l’agression
physique, donc
puiser du sang et non plus de l’eau, l’utilisation
de ressources rhétoriques pour souligner le succès désastreux de la
violence (allitération
en liquides en 546/47, en
gutturales en
548-9, appréciation positive de l’armement, aux antipodes des propos
tenus
jusqu’à maintenant, jouissance esthétique qu’il suscite, cf. CRISTA,
COMANTES),
la tournure formulaire, quasi
gnomique de la
courte phrase finale, en ordre non canonique…
Tout
ce qui précède est la part d’originalité d’un texte qui est aussi dans
le droit
fil des propos pessimistes et polémiques tenus depuis des lustres par
d’autres
auteurs et qui seront repris par la suite : NIHIL NOVI SUB
SOLE ;Sénèque fait preuve, quant aux idées elles-mêmes, de peu
d’originalité en l’occurrence puisque tout ceci a déjà été rencontré
ailleurs ;
ces propos sont éculés, c’est
le
ressassement nostalgique –et fondamentalement faux même si c’est
psychologiquement souvent incontournable – d’un passé mythifié ;
nous ne
remonterons pas jusqu’aux Pyramides où un scribe déplore le manque de
respect
des jeunes envers leurs aînés [suivez mon regard] et nous ne
descendrons pas jusqu’aux
hussards noirs de la République ni au beau temps [pour nous,
franchouillards]
des colonies: nous ne voulons pour preuve que ces quelques textes…
-
Prenons
l’élégie
I, 3
à partir du v. 35 de
Tibulle : Sénèque semble s’acharner à en reprendre les idées
mêmes, comme
pour nous y renvoyer ; c’est ce que révèle un simple
survol : la
présentation se fait aussi par le contraire ; la mer restait
vierge alors
que les navires sont maintenant brutaux : CONTEMPSERAT (mépris),
PRESSERAT, termes que ne dénierait pas le SECABANT de Sénèque ;
RATEM,
JUGA, LAPIS FIXUS IN AGRIS d’un côté, RATES, JUNCTO, SACER LAPIS de
l’autre ; ne tenons pas compte d’ENSIS ni de SAEVUS, quasi
incontournables dans un tel contexte…
-
Ovide,
avec
ses Métamorphoses, I, semble, lui aussi, être mis à
contribution : NULLAQUE MORTALES PRAETER SUA LITORA NORANT (v.96)
«
les mortels ne connaissent nul autre littoral que le leur », cf.
v. 531; NONDUM
PRAECIPITES CINGEBANT OPPIDA FOSSAE (v. 97), « des fossés
profonds
n’entouraient pas encore les places-fortes », cf. 531-2, NON
GALEAE, NON
ENSIS ERAT : SINE MILITIS USU […] SECURAE PERAGEBANT […] GENTES
(V. 99-100,
avec toujours cette présentation par le contraire : c’est la
démarche
privilégiée par tous ceux qui tâtent de ce lieu commun) ; dans le
vocabulaire aussi : SAUCIA, (CONTENTI) CIBIS, FRAGA, (cf. TELLUS
INARATA
FRUGES FEREBAT); notre poète s’ébroue ensuite à cœur joie dans le rêve
idyllique : lait et miel coulent à flots, sous le règne de
Saturne…
-
Virgile,
dans
le livre I de ses Géorgiques,
I,
à partir du v. 125 jusqu’au vers… 129, esquisse un tableau
très bref
de la vie avant le règne de Jupiter (ANTE JOVEM) ; nous
retrouvons
l’essentiel : l’absence de bornage (NE SIGNARE AUT PARTIRI LIMITE
CAMPUM),
la fertilité exubérante de la terre (IPSA TELLUS OMNIA LIBERIUS NULLO
POSCENTE
FEREBAT), en toute liberté et farniente, au sens étymologique; notons
que nous
retrouvons des bribes de ce vocabulaire chez Sénèque ; néanmoins,
cet
extrait nous semble trop court pour être vraiment pertinent, même si
nous
remercions de cette référence Mmes Alizon et Tardiveau, les éditrices
du texte
dans la collection des Belles Lettres chez Hatier [sachons rendre à
César ce
qui lui appartient !])
- Cette
idée d’abondance
est reprise à l’envi et déclinée sous des aspects multiformes – ou
protéiformes ? - par Horace… Au voyage dans le temps par un
retour vers le
passé, il préfère, dans sa XVIème
épode, un
déplacement dans
l’espace, (PETAMUS BEATA ARVA), vers les Îles fortunées, les
Baléares ?
Pays encore plus de Cocagne que le Latium archaïque regretté par
Tibulle et
Ovide: cette terre n’a pas besoin du labour (travail ô combien
pénible, un
labeur certain, même avec une paire de bœufs) cf. v. 43, REDDIT
UBI CEREREM TELLUS INARATA
QUOTANNIS (« où la terre non labourée donne une
moisson
chaque année », MELLA
CAVA MANANT EX ILICE, « le miel (au
pl. de la pléthore) coule du creux de l’yeuse », avec
« l’eau »
(LYMPHA, d’autant plus évoquée par son bruit qu’elle est rare en pays
méditerranéen). Aux antipodes (sic !) de la vie paysanne
habituelle :
ni vipères ni ours, des chèvres obéissantes, donc que l’on attend à la
bergerie
sans avoir à les rassembler; les marins de Sidon pas plus que ceux d’Argo ou
Médée n’ont
souillé ce pays merveilleux de leurs pieds, et ce sont des gens pieux
qui en
bénéficient, tempérés comme le climat, au rebours des furieux impies
de Sénèque
(FUROR IMPIUS).
- Mais
aucun de ces
auteurs ne s’attaque explicitement au pouvoir de l’argent, au désir
forcené
d’accumulation monétaire (nonobstant une allusion chez Tibulle :
NAVITA
REPETENS COMPENDIA, « le marin cherchant des profits », et
les
sous-entendus d’Horace : les Phéniciens ne naviguaient pas pour
l’amour de
l’exploration, Jason cherchait la toison d’or – Mais Ulysse sa
Pénélope). Cela
semble pourtant bien la cause initiale chez Sénèque (cf. NULLUS AURI
CUPIDO,
RUPERE FOEDUS LUCRI FUROR) avec le souci évident de la dénoncer avec
la plus
grande énergie. Il reprend en fait le jugement de valeur formulé sans
ambages par
Salluste, XI, 4-5 in conjuration
de Catilina, au
premier siècle av.
J.-C. : PRIMO PECUNIAE DEINDE IMPERI CUPIDO CREVIT, écrit-il,
« D’abord, la soif de l’argent s’accrut, puis
celle du pouvoir » comme
Sénèque en 527,
qui y revient en 540, suivant encore en cela notre historien :
AVARITIA
PECUNIAE STUDIUM HABET, « la cupidité a la passion de
l’argent ».
Nous avons d’ailleurs évoqué la seconde guerre punique : Salluste
et
Sénèque, qui fait d’Hippolyte son porte-parole en cette occurrence,
sont bien
d’accord que la débâcle des mœurs ancestrales l’a suivie, les guerres,
sociale
puis intestines (v. 555) ont parachevé l’effondrement de la famille
romaine.
-
Mais
n’allons
pas croire que cette vision paradisiaque du passé était partagée de
tous : si Hippolyte prétend être fidèle à la vie sous PRIMA
AETAS, en
s’appuyant de fait sur des auteurs qui lui sont fortement postérieurs
( :=) ), un passage par l’épicurisme nous renvoie à la réalité
brute :
la vie de nos ancêtres, d’après Lucrèce, De Rerum Natura, v. 937
sq.,
n’était pas attrayante
(ce qui n’est qu’une constatation objective : ils n’avaient pas
le
choix !), même s’ils étaient physiquement plus résistants et
robustes,
mieux armés en tout cas que les contemporains de notre poète
épique : ils
affrontaient une vie errante, primitive, quasi ascétique, avec le
problème de la
survie ; on retrouve les mêmes arguments que ceux qui ont été
mentionnés
auparavant, mais revus à l’aune du réel : QUOD TERRA CREA(VE)RAT ce que la terre avait produit SPONTE SUA,
spontanément /d’elle-même, ID DONUM PLACABAT SATIS PECTORA; ce don
apaisait
suffisamment leurs cœurs CURABANT CORPORA ils soignaient leurs
corps
PLERUMQUE INTER QUERCUS GLANDIFERAS le plus souvent parmi les chênes
porteurs
de glands […] ARBITA, les arbouses TUM TELLUS FEREBAT alors la terre
les
offrait PLURIMA ETIAM MAJORA plus nombreuses et aussi plus
charnues ;
PRAETEREA NOVITAS TUM FLORIDA MUNDI outre cela, la nouveauté alors
florissante
du monde TULIT PABULA DURA MULTAQUE, a fourni une nourriture
grossière et
abondante, AMPLA MISERIS MORTALIBUS suffisante pour de malheureux
mortels […]
PARES SUBUS SAETIGERISQUE et pareils aux sangliers porteurs de
soie DABANT
SILVESTRIA MEMBRA ils donnaient leurs membres sylvestres NUDA TERRAE
nus à la
terre CAPTI TEMPORE NOCTURNO saisis par la période
nocturne
INVOLVENTES CIRCUM SE s’enveloppant autour d’eux FOLIIS AC FRONDIBUS
de
feuilles et de feuillages. Ces animaux ne sont pas de
super-prédateurs, car nous
terminerons notre étude sur une des images les plus atroces de
Lucrèce :
les premiers hommes dévorés vivants (mais nettement moins nombreux
que ceux qui
meurent à son époque à la guerre), PABULA VIVA FERIS
PRAEBEBAT //VIVA
VIDENS VIVO SEPELIRI VISCERA BUSTO « il fournissait une pâture
vivante aux
bêtes fauves, ses vivantes être ensevelies dans un tombeau
vivant » .