Hubert Steiner
introduction | texte | traduction universitaire | mot-à-mot commenté | commentaire |
Caius Sallustius Crispus (Amiternum,
86 av. J.-C. - v. 35 av. J.
- C.)
Issu
d’une riche famille plébéienne, il fut partisan de Clodius contre Milon,
donc acquis aux populares contre les optimates. Ou est-ce lui faire trop
d’honneur puisqu’il avait été surpris en relation avec la femme de Milon
et chassé pour cette raison en 50 du Sénat ? Bref, ce chaud partisan de César,
qui le lui rendit bien en l’aidant à redevenir sénateur, ne se gênait ni DOMI
ni MILITIAE : gouverneur en Numidie, son
efficacité dans la mise en coupe réglée de ce nouveau territoire fut telle
qu’il en revint richissime, ce qui lui permit de créer sur le Quirinal les
Horti Sallustiani. A la mort de César, il se consacra à l’Histoire :
Conjuration de Catilina : DE CONJURATIONE CATILINAE, Guerre de Jugurtha, DE BELLO
JUGURTHINO, des Histoires en fragments (68-67), où il se montre plus
philosophe et plus pessimiste que ne laisseraient croire ses activités
politiques… Féru de chiasmes, adepte des parallélismes, polisseur
d’(a)syndètes, il affectionne particulièrement les accumulations binaires ou
ternaires, les oppositions vivement marquées, la concision virulente du style
(la pointe en grec !), comme ici. Faut-il d’ailleurs voir une palinodie
dans son opposition entre deux époques : celle, sacrée, conforme au Mos
majorum, et celle où les valeurs traditionnelles se perdent ?
XI, 4 – 5
Igitur domi militiaeque boni mores colebantur; concordia maxuma, minima avaritia erat. Jus bonumque apud eos non legibus magis quam natura valebat. Jurgia, discordias, simultates cum hostibus exercebant, cives cum civibus de virtute certabant. In suppliciis deorum magnifici, domi parci, in amicos fideles erant. Duabus his artibus, audacia in bello, ubi pax evenerat aequitate, seque remque publicam curabant. Quarum rerum ego maxuma documenta haec habeo, quod in bello saepius vindicatum est in eos qui contra imperium in hostem pugnaverant quique tardius revocati proelio excesserant, quam qui signa relinquere aut pulsi loco cedere ausi erant; in pace vero quod beneficiis magis quam metu imperium agitabant, et accepta injuria ignoscere quam persequi malebant.
Sed ubi labore et justitia res publica crevit, reges magni bello domiti, nationes ferae et populi ingentes vi subacti, Carthago, aemula imperi romani, ab stirpe interiit, cuncta maria terraeque patebant, saevire fortuna ac miscere omnia coepit. Qui labores, pericula, dubias et asperas res facile toleraverant, eis otium divitiaeque, optanda alias, oneri miseraeque fuere. Igitur primo pecuniae, deinde imperi cupido crevit; ea quasi materies omnium malorum fuere. Namque avaritia fidem, probitatem ceterasque artes bonas subvortit; pro his superbiam, crudelitatem, deos neglegere, omnia venalia habere edocuit. Ambitio multos mortales falsos fieri subegit, aliud clausum in pectore, aliud in lingua promptum habere, amicitias inimicitiasque non ex re, sed ex commodo aestumare, magisque voltum quam ingenium bonum habere. Haec primo paulatim crescere, interdum vindicari; post, ubi contagio, quasi pestilentia invasit, civitas inmutata, imperium ex justissimo atque optumo crudele intolerandumque factum.
Sed primo magis ambitio quam avaritia animos hominum exercebat, quod tamen vitium propius virtutem erat. Nam, gloriam, honorem, imperium, bonus et ignavus aeque sibi exoptant; sed ille vera via nititur, huic, quia bonae artes desunt, dolis atque fallaciis contendit. Avaritia pecuniae studium habet, quam nemo sapiens concupivit; ea, quasi venenis malis imbuta, corpus animumque virilem effeminat. Semper infinita, insatiabilis est, neque copia neque inopia minuitur.
Aussi,
dans la paix et dans la guerre, les vertus étaient-elles en honneur ; la
concorde était grande ; nulle, la cupidité. La justice et la morale
s’appuyaient moins sur les lois que sur l’instinct naturel. Querelles,
discordes, inimitiés s’exerçaient contre les ennemis du dehors ; entre
citoyens, c’est par la valeur qu’on rivalisait. Ils étaient magnifiques
dans les honneurs ; rendus aux dieux, économes dans leurs foyers, fidèles
envers leurs amis. C’est d’après ces deux principes, audace à la guerre,
équité la paix revenue, qu’il se dirigeaient eux-mêmes et dirigeaient
l’Etat. De ceci je puis apporter des preuves irréfutables : c’est
qu’en temps de guerre, on eut à punir plus souvent des homes qui avaient
attaqué l’ennemi malgré les ordres, ou qui, malgré le signal de la
retraite, avaient tardé à quitter le champ de bataille, que contre ceux qui
n’avaient pas craint de déserter ou de lâcher pied ; en temps de paix,
ils gouvernaient plus par les bienfaits que par la terreur, et ils aimaient
mieux pardonner aux offenses que d’en poursuivre le châtiment.
Mais quand par son travail et sa justice
la république se fut agrandie, quand les plus puissants rois furent domptés,
les peuplades barbares et les grandes nations soumises par la force, Carthage,
la rivale de l’Empire romain, détruite jusqu’à la racine, lorsque mers et
terre s’ouvraient toutes aux vainqueurs, la fortune se mit à sévir et à
tout bouleverser. Ces homes qui avaient aisément enduré fatigues, dangers,
situations difficiles ou même critiques, ne trouvèrent dans le repos et la
richesse, biens par ailleurs désirables, que fardeaux et misères. D’abord,
la soif de l’argent s’accrut, puis celle du pouvoir ; ce fut là pour
ainsi dire l’aliment de tous les maux. L’avarice détruisit la loyauté, la
probité, et toutes les autres vertus ; à leur place, ce fut l’orgueil,
la cruauté, le mépris des dieux, la vénalité qu’elle enseigna.
L’ambition amena bien des gens à se parer de faux dehors, à penser secrètement
d’une façon, à s’exprimer ouvertement d’une autre, à régler leurs
amitiés et leurs inimitiés non sur le mérite mais sur leur intérêt, à se
faire un visage plutôt qu’une âme honnête. Le progrès de ces vices fut
d’abord insensible, parfois même ils étaient punis ; puis lorsque la
contagion se fut répandue comme une épidémie, la cité changea d’aspect ;
le plus juste et le meilleur des gouvernements se transforma en un empire cruel
et intolérable.
Mais
tout d’abord c’était l’ambition plus que la cupidité qui tourmentait les
âmes, et ce défaut-là, malgré tout, était assez voisin de la vertu. Gloire,
honneurs, pouvoir, l’homme de valeur et l’incapable y aspirent également ;
mais l’un s’efforce d’y parvenir par la vraie voie, l’autre, faute de
qualités, y tend par la ruse et le mensonge. La cupidité a la passion de
l’argent, que jamais sage n’a convoité ; comme s’il était imprégné
de poisons maléfiques, ce vice effémine les âmes et les corps les plus virils ;
toujours illimité, insatiable, rien ne peut l’atténuer, ni l’abondance, ni
la disette.
Traduction
par groupe de mots :
IGITUR
DOMI MILITIAEQUE Donc en temps de paix comme en
guerre (à la maison et à l’armée) BONI
MORES COLEBANTUR on estimait les vertus (les
bonnes mœurs étaient cultivées) ; CONCORDIA ERAT
MAXUMA, la concorde était grande MINIMA
AVARITIA nulle la cupidité (traduire
directement la + grande/la plus petite ou : au maxi-mum/au mini-mum est
trop automatique en français, alors que le latin est friand de ce type
d’opposition, soulignée ici par le chiasme ). JUS
BONUMQUE VALEBAT APUD EOS Le droit et un
comportement positif/l’engagement civique l’emportaient chez eux
(Ernout traduit JUS par justice, comme
plus loin JUSTITIA, alors que la proximité de LEGIBUS renvoie bien à la notion
de droit : ce qui doit être conforme aux textes, vulgarisés ou non, cf.
en –450, la loi des douze tables, JUS chère au *JUS-DIK-S, le JUDEX, le juge,
qui dit quelle loi on doit appliquer au cas qui lui est proposé; BONUM=morale ?
chez Ernout, alors que le terme nous semble plus concret) NON
MAGIS LEGIBUS QUAM NATURA moins par les lois
qu’en suivant leur instinct (NON MAGIS=«pas
plus» en mot à mot, litote pour : moins ; Rousseau reprendra à son
compte cette affirmation ! NATURA : ce qu’ils sont à la naissance,
l’inné ; les lois relèvent de l’acquis, voire de l’éducation :
étymologiquement, sortir de l’état de sauvagerie. Notons qu’actuellement,
certains systèmes éducatifs, répétitifs et contraignants, y font rentrer !
) CUM HOSTIBUS EXERCEBANT JURGIA, DISCORDIAS,
SIMULTATES C’était contre les ennemis que
s’exerçaient leurs disputes, discordes et dissensions (ils
pratiquaient avec… ), CERTABANT CIVES DE VIRTUTE
CUM CIVIBUS ils rivalisaient de valeur en
citoyens avec leurs concitoyens (l’effet
des initiales identiques est frappant ici ). ERANT
MAGNIFICI IN SUPPLICIIS DEORUM Ils étaient généreux
dans les sacrifices aux dieux (munificents
renvoyait trop à MUNUS, la fonction/charge certes, mais qui coûte, comme celle
d’édile, chargé d’organiser les jeux, MUNERA ; des supplications sans
sacrifice n’ont pas grand sens pour un romain : on engage le dieu à agir
sous forme d’un contre-don (guerredon à l’époque médiévale entre
chevaliers), grâce à son propre don, d’où d’ailleurs la nécessité de ne
pas se montrer ladre…), DOMI PARCI, IN
AMICOS FIDELES ERANT économes chez eux, fidèles envers leurs amis (avant
les guerres puniques, la vaisselle était de terre, même chez les romains les
plus puissants, selon la vulgate, bien sûr… FIDELES : pour un romain,
les liens de fidélité, donc de tenir sa parole, ne peuvent s’instaurer
qu’entre amis. Pour le reste, les promesses n’engagent que ceux qui y
croient… Regulus n’est pas dans ce cas ? Mais il l’a chèrement payé !).
CURABANT SEQUE REMQUE PUBLICAM
Ils dirigeaient eux-mêmes et l’Etat, DUABUS HIS
ARTIBUS AUDACIA IN BELLO, en se fondant sur ces
deux qualités : l’audace à la guerre AEQUITATE
UBI PAX EVENERAT l’équité
quand la paix était revenue (on perçoit
l’efficacité romaine : le droit des gens ne se retrouve qu’en période
de paix, ce qui justifie a posteriori beaucoup de crimes de guerre commis par
les romains, pour nous, défenseurs des droits de l’homme ),EGO
HABEO MAXUMA DOCUMENTA QUARUM RERUM moi-même
j’ai les plus grandes preuves de ce que j’avance (=de
ces choses, avec relatif de liaison ) , QUOD IN
BELLO VINDICATUM EST SAEPIUS puisqu’en période
de guerre on sévit plus souvent IN
EOS QUI PUGNAVERANT IN HOSTEM contre ceux qui
avaient combattu contre l’ennemi CONTRA IMPERIUM
sans respecter les ordres donnés (l’imperator,
qui a le JUS AUGURII, est celui qui donne les ordres) QUIQUE
REVOCATI et ceux qui, rappelés +pour la
retraite+, EXCESSERANT
PROELIO TARDIUS, s’étaient retirés du
combat trop lentement QUAM QUI AUSI ERANT
RELINQUERE SIGNA (AUDEO, semi-déponent ) que
contre ceux qui avaient osé abandonner les enseignes AUT
PULSI LOCO CEDERE ou, chassés de leur poste, lâcher
pied (CEDO=se déplacer, cf. PRO-CEDO, cf.
procession, DE-CEDO, décéder, RE-CEDO, cf.
récession); IN PACE VERO QUOD AGITABANT IMPERIUM
De même, en temps de paix puisqu’ils géraient
l’empire (la disjonction entre les deux périodes
est bien marquée, tout au long du texte d’ailleurs, puisque, quand il n’y
a, semble-t-il, plus de péril aux frontières – n’oublions jamais que, pour
les romains, toutes leurs guerres ont été pieuses et défensives, cf. les prêtres
fétiaux -, la guerre extérieure devient paix et la paix intérieure se
transforme en guerre civile, par une ironie de l’histoire que semble
sous-entendre Salluste, sans l’énoncer clairement… mais le rapprochement
est trop patent !) MAGIS BENEFICIIS QUAM METU
plus par
les bienfaits que par la crainte ( ), ET
MALEBANT IGNOSCERE INJURIA ACCEPTA
QUAM PERSEQUI et qu’ils préféraient
pardonner les offenses reçues plutôt que les poursuivre. (ce
dernier point nous semble loin d’être acquis historiquement ! ou alors
par faiblesse, faute de mieux !)
SED
UBI RES PUBLICA CREVIT LABORE ET JUSTITIA
Mais quand l’Etat se fut agrandi par
les efforts de ses citoyens et par son juste traitement des affaires (Ernout
traduit par République, mais cela semble ici un anachronisme ),
REGES MAGNI DOMITI BELLO que les rois puissants
furent domptés par la guerre, NATIONES
FERAE ET POPULI INGENTES
SUBACTI VI, que les nations barbares et les
peuplades immenses furent soumises par la violence (
) CARTHAGO,
AEMULA IMPERI ROMANI que Carthage, la rivale de
l’Empire romain AB STIRPE INTERIIT AB
STIRPE eut été détruite depuis la racine (cf.
extirper/dessoucher, comme éradiquer/déraciner ), CUNCTA
MARIA TERRAEQUE PATEBANT que toutes les mers et
terres s’ouvraient +à nous+ (patent=évident
) FORTUNA COEPIT SAEVIRE AC OMNIA MISCERE la
fortune commença à sévir et à tout bouleverser .
EIS QUI TOLAVERANT FACILE LABORES, PERICULA, RES DUBIAS ATQUE ASPERAS
à ceux qui avaient supporté facilement efforts, dangers, situations douteuses
et critiques/pénibles, OTIUM DIVITIAEQUE,
le loisir et les richesses, OPTANDA
ALIAS +hautement+ souhaitables en d’autres
circonstances (neutre pl. pour cet adjectif
verbal apposé aux deux noms ; ALIAS est un adverbe)
FUERE
ONERI MISERIAEQUE leur furent (à) un fardeau et
(à) une souffrance (double datif : celui
de la personne et de la chose, avec un verbe être ; FUERE : archaïque ;
effet d’humour, car c’est indiquer qu’à l’époque de Salluste, ce
sentiment même paraît bien étrange. A celle de Star’ac, c’est incompréhensible,
d’où la nécessité de faire du latin, d’ailleurs)
.
IGITUR CREVIT PRIMO CUPIDO PECUNIAE, DEINDE IMPERI(I) Donc
augmenta d’abord le désir de l’argent, ensuite celui du pouvoir;
EA FUERE MATERIES QUASI OMNIUM
MALORUM Ceci fut l’aliment pour ainsi dire de
tous les maux (EA=PECUNIA + IMPERIUM )
NAMQUE
AVARITIA SUBVORTIT (SUBVERTIT plus classiquement) FIDEM, PROBITATEM CETERASQUE
ARTES BONAS De
fait, la cupidité engloutit la loyauté, l’honnêteté et toutes les autres
qualités (FIDES=la parole que l’on tient,
cf. l’importance donnée à la parole, au rhéteur, à l’orateur, et le sort
des premiers sophistes débarqués à Rome ; ARS BONA : capacité
technique positive); PRO HIS EDOCUIT
SUPERBIAM, CRUDELITATEM En leur lieu et place,
elle enseigna l’orgueil, la cruauté (le
E-DOCUIT par son préfixe souligne bien que cela ne va pas de soi : ce
n’est pas «naturel» ; PRO HIS : à leur place),
DEOS NEGLEGERE, HABERE OMNIA VENALIA à négliger/mépriser
les dieux, à considérer tout suivant la valeur vénale.
AMBITIO SUBEGIT MULTOS MORTALES FIERI FALSOS L’ambition/la
brigue contraignit beaucoup de mortels à afficher de faux dehors (AMBITIO :
sentiment qui pousse à se présenter aux hautes fonctions de l’Etat ;
FIERI FALSOS : se montrer trompeurs),
HABERE ALIUD CLAUSUM IN PECTORE à avoir un
sentiment enfermé/caché dans la poitrine (le
PECTUS est le lieu du courage et du sentiment),
ALIUD PROMPTUM IN LINGUA un autre affiché sur la langue,
AESTUMARE (AESTIMARE classiquement) AMICITIAS INIMICITIASQUE NON EX RE, SED EX
COMMODO à estimer/apprécier amitiés et
inimitiés non sur la réalité/mérite réel mais sur le rendement/l’intérêt
(Le DE AMICITIA de Cicéron souligne que ce
sentiment, pour nous au départ d’affection, doit reposer en fait sur un choix
réfléchi d’estime, et Sénèque abondera dans ce sens : EX RE ),
QUE HABERE MAGIS VOLTUM BONUM QUAM INGENIUM et
à avoir/se faire plus un visage honnête qu’un esprit qui le soit.
HAEC PRIMO PAULATIM CRESCERE Ceci de croître
d’abord peu à peu (HAEC : ces
comportements immoraux ; infinitif de narration),
INTERDUM VINDICARI parfois d’être puni;
POST, UBI CONTAGIO, QUASI PESTILENTIA INVASIT Puis
lorsque la maladie, comme une épidémie se fut répandue,
CIVITAS INMUTATA la Cité fut transformée (IM,
préfixe de renforcement) IMPERIUM
EX JUSTISSIMO ATQUE OPTUMO le pouvoir, de très
juste et d’excellent qu’il était FACTUM
CRUDELE INTOLERANDUMQUE devint cruel et intolérable.
SED
PRIMO AMBITIO MAGIS QUAM AVARITIA
Mais au départ c’était la brigue plus que la cupidité
EXERCEBAT
ANIMOS HOMINUM
QUOD qui taraudait l’esprit des hommes (hélas !
un exercice est une torture, comme l’armée : EXERCITUS, et Cicéron
s’en souviendra dans ses Tusculanes… Torture, avez-vous dit ? Et le
Travail… ) VITIUM
QUOD TAMEN ERAT PROPIUS VIRTUTEM défaut qui
malgré tout, était assez proche de la vertu (VITIUM :
apposition à : AMBITIO, intégré dans la relative ; PROPE : préposition
précisant un accusatif, mais aussi adv., donc susceptible d’un comparatif,
comme ici ; bel exemple de la concision sallustéenne).
NAM, BONUS ET IGNAVUS EXOPTANT AEQUE SIBI en
effet, l’homme de valeur et le bâtard/inepte souhaitent également pour eux-mêmes
(suivez mon regard, il y a florès dans les
hautes sphères) GLORIAM,
HONOREM, IMPERIUM gloire, honneur, pouvoir (quelle
trilogie !); SED ILLE NITITUR VERA VIA
mais le premier fait des efforts par la vraie route,
HUIC, HUIC QUIA BONAE ARTES DESUNT l’autre,
parce que les qualités lui manquent (HUIC
avant QUIA alors qu’il dépend grammaticalement de DESUNT ),
CONTENDIT DOLIS ATQUE FALLACIIS s’acharne au
moyen de ruses et de tromperies (l’extra
position de HUIC permet de mettre comme de côté, avec mépris, un tel être, même
s’il est sujet non exprimé de : CONTENDIT)
.
AVARITIA HABET STUDIUM PECUNIAE La cupidité a
la passion de l’argent (STUDIUM=le zèle, un
élève studieux est passionné), QUAM NEMO
SAPIENS CONCUPIVIT que jamais le sage n’a désiré
(cf. la concupiscence, pervers(e))
;
EA, QUASI VENENIS MALIS IMBUTA Celle-ci, comme
imprégnée de poisons pervers ( )
EFFEMINAT
CORPUS ANIMUMQUE VIRILEM effémine le corps et
l’esprit de l’homme (toc pour les femmes :
les romains sont d’horribles machistes (même, peut-être surtout les érotiques) ;
raison de plus pour les étudier, pour mieux débusquer les actuels, et dénoncer
leur archaïsme ; on retrouve d’ailleurs ici les invectives propres aux
pamphlétaires romains contre leurs adversaires… Mais ce n’est pas à
proprement parler de l’homophobie : le sexe d’un citoyen peut
apparemment se satisfaire dans n’importe quoi sans déchoir – d’où le
succès des lupanars, l’acceptation par l’épouse des VERNA, fils de son
mari avec une esclave, ainsi que de celle des PUERI DELICATI; il n’en est pas
de même pour l’objet : si c’est un citoyen, le possédé est, non pas
dévirilisé – comment le pourrait-il ? - mais décitoyennisé, car
devenu par ce comportement femme (ou esclave, ce qui est encore pire – dans ce
cas, peu importe le sexe !) ; Il en est de même pour la bouche :
celle qui sert au citoyen à s’exprimer ne peut pas servir à autre chose
qu’à émettre des paroles, et non à donner des satisfactions sexuelles).
SEMPER INFINITA, INSATIABILIS EST NEQUE
COPIA NEQUE INOPIA MINUITUR.elle est toujours
illimitée, insatiable et n’est amenuisée ni par l’abondance ni par le
manque
I)
ce passage repose sur l’opposition entre deux époques, séparées par les
guerres puniques ; les différences constatées, la décadence morale dénoncée
s’expliquent dans le 3ème §…par la cupidité. Puisqu’il
s’agit de comparaison entre périodes, donc d’effets appuyés sur une cause,
il nous importe d’abord de voir en quoi Salluste se montre ici historien…
Car
si le tableau qu’il nous brosse d’un passé magnifié, idéalisé ne peut
que nous laisser sceptique et qu’il n’y a aucun point négatif, son
champ d’investigation ne laisse aucun coin dans l’ombre, nulle part : DOMI,
MILITIAEQUE
reprécisé, comme en chiasme par : CUM
HOSTIBUS/CUM CIVIBUS ; IN SUPPLICIIS/DOMI
(les lois somptuaires de Caton le Censeur sont, somme toute, tardives/IN
AMICOS, IN BELLO/PAX ;
il donne des preuves évidentes : HAEC
DOCUMENTA à l’appui de ses
dires, qui d’assertions, deviennent des constatations indubitables. Il
s’engage personnellement, ce qui est moins objectif : HABEO. Serions-nous
plus proche ici d’Hérodote, avec ses histoires, en fait étymologiquement, témoignages
(il s’agit de choses vues : le VID-TÔR, qui a donné : histor, est
le spectateur) ; non, en fait, il s’agit des preuves accumulées par
l’historien lors de ses recherches… documentaires ! La première
anecdote concerne l’épisode de Manlius, lors des guerres contre les peuples
du Latium alliés aux Samnites en –340. Il était interdit aux soldats de
quitter le rang sans l’autorisation du général, mais les ordres sont ici
d’autant plus stricts que les romains se battent contre les Latins, qui
parlent comme eux et ont les mêmes armes. Il s’agit donc d’éviter toute méprise.
Le fils d’un des consuls, Titus Manlius Torquatus, envoyé en reconnaissance
et provoqué par le fils du général ennemi, oublie les ordres, paternels en
l’occurrence, circonstance aggravante, qui plus est. Vainqueur, il est exécuté
sur le front des troupes. Ceci est présenté par Tite-Live, VIII, 7-8… En
fait, ceci est si connu qu’IMPERIA MANLIANA étaient le symbole d’une sévérité
inexorable ! Il y a sans doute aussi des exemples de soldats mis à mort
pour ne pas avoir fait retraite assez vite : le respect de la DISCIPLINA
ROMANA est à ce prix, et la hache entourée de verges portée par le licteur
n’est pas une vaine décoration ; mais elle menace, en étant moins
utilisée pour ce faire, à en croire Salluste, surtout les déserteurs et les
fuyards. le IN PACE renvoie à la politique extérieure du Sénat :
l’expansion de l’empire romain, face à de rudes montagnards s’explique
d’abord par la hargne romaine, qui ne lâche jamais prise (cf. le début du
texte), même après les Fourches Caudines, ensuite par une politique
d’apaisement : ainsi, à Pompéi, ville samnite, nous savons que les
anciennes structures locales ont été conservées pour être peu à peu remplacées,
absorbées, phagocytées par les usages romains ; il y a donc toute une série
de degrés, montés soit d’un seul coup soit étape par étape, pour que les
habitants de la cité vaincue deviennent citoyens romains de plein droit :
pendant les guerres italiennes qui ont précédé les guerres puniques, Rome a
pratiqué un curieux mélange de cruauté (alors que ce défaut est affecté par
Salluste à la Rome des II et Ier s. mais cette cruauté ne concerne, pour un
romain, que les exactions à l’encontre de ses propres concitoyens, lors de
guerres civiles, intestines ; il n’y a pas de crime contre l’humanité
en période de guerre externe, où l’on massacre sans état d’âme ; le
texte de Salluste est caractéristique d’un état de développement moral
limité, étriqué, réduit à notre biotope nationaliste, qu’à la réflexion,
nous pourrions trop rapidement retrouver, cf. la Yougoslavie !) de cruauté,
disions-nous, et de générosité
calculée. Ce machiavélisme – pardonne-nous cet anachronisme ! –
n’est pas évoqué par notre historien, qui manque ici d’esprit critique,
peut-être emporté par la logique de sa dialectique reposant sur l’opposition
terme à terme de deux époques, en noir et blanc. Ceci est renforcé par la rhétorique,
un travers commun, général dans la littérature romaine, et en particulier
dans le genre historique… Rome, donc, assure ses victoires par des massacres
quasi génocidaires (Aurunques en –314, Eques en –304), des annexions et
l’asservissement massif des prisonniers (cf. Jules César cassant pour
plusieurs années le marché de l’esclavage à Rome par un trop grand apport
d’INSTRUMENTUM VOCALE, d’esclaves)… Mais les communautés qui
n’obtiennent pas le doit de cité (CIVITAS OPTIMO JURE : droit de cité
complet, avec donc droit de vote ou CIVITAS SINE SUFFRAGIO, dans les deux cas :
impôts et service militaire) s’allient à Rome par des traités, en
s’engageant à aider Rome en cas de besoin. L’efficacité de ces mesures se
mesure au fait que, globalement, les Italiens n’ont pas rejoint Hannibal, ce
qui explique en définitive sa défaite… Remarquons que si Salluste a raison
sur le premier point, la générosité romaine à l’égard des INJURIA reste
en suspens… Ets-ce l’effet du balancement ? puisque nous retrouvons en
permanence des structures binaires…
Il
en est de même donc pour la suite : l’Etat a grandi, c’est
indubitable, à travers force tribulations (LABORE),
mais le JUSTITIA
relève plus du vœux pieux ou de la propagande, voire des préjugés romains
qui ont toujours entrepris des guerres justes (cf., les Fétiaux), avec
l’accord des dieux, puisqu’ils ont gagné ! Ceci est confirmé par l’élimination
des royautés, des barbares envahisseurs, Cimbres, teutons, Celtes, etc., puis,
la cerise sur le gâteau, Carthage, la mer devient MARE NOSTRUM, le milieu entre
les terres possédées par Rome. Devenus omnipotents, les romains se lassent :
il semble qu’il leur faille des occupations, car l’explication par la
FORTUNA est vraiment bien courte, et notre historien moraliste se souligner que
l’ennui naît de la satisfaction. Et Rome de retourner alors ses germes de
violence sur elle-même. Le CUPIDO
PECUNIAE
évoque-t-il les Gracques, malgré la nécessité évidente – comme le
prouveront les guerres civiles du Ier s. – de partager équitablement l’AGER
PUBLICUS, pour éviter une désertification des campagnes et le remplissage de
Rome par la plèbe désargentée, vivant des la Sportule : PANEM ET
CIRCENSES, comme le dénoncera plus tard Juvénal, dans son trait le plus connu?
Le CUPIDO IMPERI
dénoncerait, non pas Marius, puisque Salluste est de sa descendance politique,
mais Sylla, auquel d’ailleurs, Salluste règle son compte, un peu plus loin,
en fait le désir de différents groupes de pression, s’écrasant au Sénat,
via souvent la pression populaire, pour garder la haute main sur
l’exploitation des Provinces de l’Empire. Tout ce qui concerne
l’hypocrisie est une attaque en règle contre ce dictateur, puisque c’est
lui qui a inventé les proscriptions et leurs effets pervers sur les relations
sociales. Le bilan à l’époque de Salluste, après l’assassinat de Jules César,
est consternant : après le premier triumvirat (César, Crassus, Pompée),
et ses suites épouvantables, certes, IMPERIUM
CRUDELE
(CRUOR, le sang coulant des blessures) INTOLERANDUMQUE
FACTUM…Mais si Salluste
semble vouloir se rapprocher de Cicéron – en cela manquant de sens politique
car si Cicéron est un Orateur, ce n’est pas un meneur d’hommes sensible au
jeu des forces en présence – il reste très prudent, car fort peu précis,
pour un historien, dans ses propos : on est obligé de subodorer ce qu’il
évoque, ce qu’il a en ligne de mire. Ce passage est donc révélateur de
l’atmosphère de l’époque de Salluste !
Comme
sentant qu’il est allé trop loin, Salluste revient à une explication des
problèmes de Rome moins insultante pour les protagonistes : non la cupidité,
mais l’ambition, plus noble ; comme il le souligne. Reste à savoir
qui il évoque à mots couverts avec d’un côté le BONUS
et de l’autre l’IGNAVUS.
Le premier serait-il Cicéron, cf. BONAE ARTES, en tant qu’avocat, philosophe :
Sapiens, mais cet HOMO NOVUS s’est enrichi comme les autres, peut-être en
abusant un peu moins ? cf. sa procuratèle en Cilicie, de l’autre
Antoine, derrière lequel se cache encore Octave ? Le texte reste trop
allusif ; peut-être d’ailleurs faut-il remonter à Marius/Sylla, comme
semble l’attester la suite du texte… quoi qu’il en soit, Salluste est
historien et a trop pratiqué le monde politique (cf. César) pour ne savoir où
gît le lièvre : l’argent…
Propos de moraliste et non d’historien ? car l’argent permet d’accéder
au pouvoir ! Salluste semble inverser ici les termes. A tort ? La crédibilité
à accorder à ce propos est confortée par les invectives dont Antoine sera
couvert, dans quelques années, par la propagande octavienne : tombé sous
la coupe de Cléopâtre, il réagit en femme, car possédé, et perd sa spécificité,
sa caractéristique de citoyen romain… Et le dévoiement de la dynastie
julio-claudienne vient à posteriori confirmer ce propos…
II)
Mais ce texte a aussi une charge polémique extrême, où affleure le pessimisme
de l’auteur, revenu apparemment de ses engagements politiques douteux au
service de sa propre ascension sociale, donc financière : on ne peut qu’être
sidéré par l’écart que l’on constate entre la vie publique de Salluste et
la teneur de ce passage, une charge féroce contre la société romaine telle
qu’elle fonctionne, d’après lui, depuis des lustres. Et nous ne pouvons
oublier qu’il fut l’un de ses épigones les plus illustres, via ses jardins,
et qu’il est le digne émule de ce qu’il dénonce…
Le
premier paragraphe joue bien son rôle de miroir positif, pour le renvoyer
ensuite dans un passé révolu… L’auteur s’occupe d’abord des qualités
avérées, pour mieux ensuite les faire disparaître, nous rendre tangible
l’effet de manque : il y a pléthore de vocabulaire mélioratif : BONI
(plusieurs fois attesté dans cet extrait) MORES,
MAXUMA à l’archaïsme de
bon aloi, ce qui ne nous surprend pas chez Salluste mais corrobore ici la
nostalgie ressentie (ERAT et les imparfaits) ;
BONUM , VIRTUTE, FIDELES (qualité
proprement romaine, par opposition à la bien connue FIDES PUNICA), AUDACIA ,
AEQUITATE; toutes ces qualités
sont innées, coulent de source : NATURA, avec une répartition toujours
positive, équilibrée par les structures binaires; ce que leur force pourrait
avoir de négatif (structure ternaire à taille croissante : JURGIA,
DISCORDIAS, SIMULTATES)
se transforme en force positive puisque dirigée contre les ennemis ;
il s’agit certes toujours de la force exercée : EXERCEBANT,
CERTABANT, CURABANT, mais
comme une pièce à son droit et son revers, intimement lié, CUM
HOSTIBUS, CUM CIVIBUS :
Salluste loin de nier la violence propre à l’homme (VI au 2ème §)
montre comment l’appliquer à bon escient (s.e. : ce n’est plus le cas
à son époque), DE VIRTUTE.
PUBLICO : la largesse
dans les sacrifices publics, au service en fait de la patrie (IN
SUPPLICIIS DEORUM), DOMI :
la parcimonie, avec PARCI ;
la moyenne ? une AUREA MEDIOCRITAS pour citer Horace ; ainsi, l’extrême
des deux côtés produit un juste équilibre et permet d’échapper à
l’hybris, la SUPERBIA, comme l’atteste la courte phrase : IN
AMICOS FIDELES :
le romain sait que le malheur fond sur l’homme seul…
Non sans réalisme (ou realpolitik ?),
l’AUDACIA est proclamée comme efficace, la première des deux ARTIUM,
comme une constatation : IN BELLO, ce qui permet en fait, même si le
rapport n’est pas dégagé, l’AEQUITAS, qui ne semble pas d’ailleurs dépendre
d’une action dépendant des romains : UBI
PAX EVENERAT ; en fait,
toute responsabilité dans la poursuite des guerres est ainsi habilement déniée…
mais tout ceci semblait ne pas déborder la sphère individuelle, même à la
guerre avec le côté anecdotique des JURGIA et consorts : on ne fait pas
de grandes victoires avec ce type d’escarmouches (malgré le sacrifice de la
gens FABIA) ; aussi le SE fonctionne-t-il comme une conclusion sur ce qui
précède pour laisser la place au plus important : le REM
PUBLICAM ;
une fois compris le ressort individuel de chacun, nous pouvons voir comment ceci
fonctionne au service du développement de l’Empire (IMPERIUM qui revient
plusieurs fois dans ce texte): IN BELLO sont évoqués les faits d’armes les
plus impressionnants des jeunes héros romains où le courage de ces derniers
(BONUM) n’a d’égal que le respect de la loi (JUS), souvent par leur propre
père, pour mieux déprécier les lâches, dont l’audace : AUSI
SUNT
est mentionnée par antiphrase ; les éléments fonctionnent
toujours deux par deux, toujours pour souligner l’équilibre de la situation.
Sans fard ni désinformation : SIGNA RELINQUERE revient à abandonner la légion
à son destin car sans moyen de communication ni d’information, c’est la débâcle
assurée pour un système militaire efficace seulement s’il reste discipliné
et cohérent, et c’est la décimation pour l’unité qui a cédé… d’où
l’intérêt des haches au centre des faisceaux des licteurs. La paix présente
l’autre versant, ; plus sympathique, de l’Etat, et il est certain que
les romains s’attachaient à intégrer, à romaniser en douceur leurs anciens
adversaires, une fois ces derniers convaincus de leur défaite totale… le
deuxième volet de l’affirmation reste sujet à caution, et nous aurions aimé
que Salluste précise ce à quoi il fait allusion, à moins que ceci ne revienne
finalement à la sphère du privé…
Ainsi,
dans ce 1er §, après
cette série d’affirmations péremptoires, avons-nous des preuves, bien
allusives, aussi bien IN
BELLO
qu’IN PACE VERO…
c’est
pour mieux dénoncer, par contraste : SED, la dégradation, lente
(PAULATIM), non linéaire (INTERDUM), qui s’ensuivit… Salluste établit
d’abord un bilan extrêmement positif, en une énumération en kyrielle :
les deux ressorts de l’Etat romain ? LABORE
ET JUSTITIA,
qui claquent comme un slogan en début de 2ème §. Les REGES
renvoient à la haine viscérale de tout romain pour la royauté, étrusque et
donc pour eux, vu Tarquin le Superbe, synonyme de tyrannie (cf. la tentative de
Jules César de se présenter couronné), l’ennemie ancestrale éliminée sans
possibilité de repousse : AB
STIRPE, Carthage,
l’embellie finale : CUNCTA, TERRA MARIQUE puisque Salluste reprend en
fait cette expression militaire. La rupture n’en est que plus brutale, avec en
asyndète dans cette accumulation, la chute sur SAEVIRE, et son explication
elliptique : MISCERE OMNIA, comme en écho ironique au CUNCTA. Incompréhensible.
Pris qu’il est par son regret du passé, Salluste en oublie tout esprit
critique, toute démarche historique, qui ne peut être qu’explicative. Il ne
trouve comme obstacle déterminant, définitif, comme absolu, que la FORTUNA ;
en 6 mots, tout semble dit ! La transformation ne tarde pas : il y a
eu un avant : TOLERAVERANT,
le temps de l’effort constant, l’héroïsme, de l’ascétisme guerrier,
nous sommes dans l’après, avec le perfectum FUERE. Au prix d’une
contradiction, voire d’une absurdité, comme si ceci échappait même à toute
raison ? (ils sont fous, ces romains ?) ; passe encore que
l’OTIUM (loisir, donc activité de l’homme politique et réflexion
intellectuelle – son contraire, qui a le vent en poupe actuellement grâce au
néo-libéralisme, étant le neg-otium, en fait le commerce, le PECUNIA ! )
soit décrié (par désir de divertissement pascalien ?) ; mais
pourquoi, si les DIVITIAE se sont trouvées si ONERI MISERIAEQUE, diable la CUPIDO
PECUNIAE
justement a-t-elle tant augmenté au point d’occuper tout le champ de la
conscience, malgré les nuances, bien tardives dans le texte d’ailleurs, du
PAULATIM et INTERDUM. Mais c’est justement une ironie de l’histoire, que
souligne à l’envi Salluste. Ce qu’ils cherchaient, par delà tous leurs
travaux… de romains ! est
devenu leur perte ! La solution de l’énigme (OPTANDA ALIAS), vient,
cinglante, même s’il s’agit d’un lieu
commun, éculé : oui, l’argent appelle l’argent : PECUNIAE (nous
en savons, hélas ! quelque chose actuellement !) ; et tout ce
texte tourne autour de ce… pot ! MATERIES, OMNIUM MALORUM. Et les conséquences
sont immédiates : NAM,
en destruction progressive (cf. le nombre des syllabes : FIDEM, PROBITATEM,
CETERAS ARTES BONAS), expédiées en un verbe : SUBVORTIT, négatives
(SUB-VORTIT, E-DOCUIT, SUB-EGIT), donnant naissance à une palanquée de
monstres, à leur place (PRO HIS), une transformation catastrophique :
l’orgueil (moi-je), la cruauté (en fait, l’indifférence au destin
d’autrui, nous dirions-nous- l’absence de toute solidarité, puis avec une
forte anacoluthe, ce qui est encore pire pour un romain, l’impiété (crime
abominable : la religio fait partie intime du lien social), puis
l’argent-roi : OMNIA
VENALIA HABERE (ce
qui est bien au centre de notre texte) ; l’hypocrisie se généralise,
avec FALSOS, ALUID… ALIUD, avec la nostalgie évidente d’un âge d’or où
les relations sociales auraient été directes, sans voile aucun (sic !)
– ce qui est un fantasme : toute société génère ses tabous, ses
interdits, voire ses parias et ses élus (on peut d’ailleurs considérer, au
rebours de Salluste, que les règles de politesse permettent, a contrario,
de limer le tranchant des relations sociales brutes, et donc de supporter
autrui !), l’amitié intéressée, la tartufferie, avec toujours les
balancements deux à deux. Notons que la transformation est présentée avant même
ses étapes, rapidement brossées à gros traits ; c’est réglé en 3
adverbes… Nous nous trouvons ensuite face à une conception médicale du corps
social, du sain au pathologique : l’explication ? Une maladie
brutale, CONTAGIO,
PESTILENTIA, et les
transformations qu’elle opère : IMMUTATA. L’inhumain est au pouvoir…
Mais
SED, la réflexion générale sur les causes de cette décadence morale vient
contredire quelque peu le propos tenu dans le 2ème §, qui dénonçait
clairement PRIMO
PECUNIAE CUPIDO
pour placer en second, DEINDE, celui de l’IMPERII ;
ce 3ème paragraphe semble opérer un retournement dans l’ordre
d’importance : AMBITIO
QUAM AVARITIA,
pour revenir, au final, à la seconde, comme pour mieux la mettre au pinacle :
SEMPER INFINITA, INSATIABILIS…
nous aurions ainsi trace d’une pensée en train de se formuler,
quitte à se contredire… Nous n’en croyons rien. En fait, si contradiction
il y a, elle est fréquente dans le pamphlet dont le 3ème § finit
par prendre le ton : la dénonciation de ses contemporains prend vraiment
toute sa virulence dans les dernières phrases de ce passage : au début,
Salluste privilégie l’AMBITIO
, TAMEN PROPIUS VIRTUTEM,
sans doute un plaidoyer pro domo en ce qui le concerne : la paronomase
VITIUM… VIRTUTEM ne manque pas de sel ici, même si cette excuse dilatoire est
présentée avec précaution, dans une relative, avec les atténuatifs :
TAMEN et PROPIUS. S’ensuit une gradation de qualités : la Gloire
permet à la mémoire de subsister, donc au mort de survivre, HONOREM renvoie au
CURSUS HONORUM suivi, comme de juste par notre auteur, devenu gouverneur en
Numidie, cette accumulation s’achevant sur le plus concret IMPERIUM ;
l’AMBITIO n’est donc pas complètement négative, tant s’en faut… Et
Salluste semble accepter de mettre à égalité, en comparaison un BONUS et un
IGNAVUS, lui-même se réservant le rôle positif, puisque dans ce texte où le
rédacteur, en tant qu’historien se devrait d’être extradiégétique (au
rebours du HABEO du 1er §), il est évident qu’il ne peut être
ignorant. D’où peut-être le ILLE emphatique ici, même si classiquement, il
renvoie au plus éloigné ; la paronomase : VERA VIA confirme notre
interprétation ainsi que la valeur des verbes : NITITUR est un déponent
de bon aloi et sent bon l’effort, le LABOR évoqué au début du 2ème
§, le CONTENDIT s’avère dépréciatif
(phénomène préfiguré par le DESUNT) : ainsi, on sollicite une charge,
sans forcément en être digne, d’où des manigances honteuses… En fait, le
passage par l’IGNAVUS
semble déclencher la fureur de l’invective : il semble déjà
innommable, hors-sujet, vu la construction acrobatique du HUIC et les sifflantes
dédaigneuses. Au reste, il est exécuté en une courte causale pleine
d’arrogance distanciée : QUIA BONAE ARTES DESUNT, car à peine évoquées,
les qualités s’évanouissent, pour ne jamais revenir ; elles laissent
place à deux reproches, quasi synonymes (où l’un expose l’action,
l’autre les propos) : DOLIS
ATQUE FALLACIIS en structure
binaire. L’insulté est foulé aux pieds, sous nos yeux, l’insulte en
devient publique, les phrases claquent, sèches, rapides, tranchées.
Impitoyable. En asyndète fulmine l’accusation : AVARITIA,
à laquelle l’opposition entre le présent HABET et le PERFECTUM CONCUPIVIT
donne tout son impact. Le rapprochement entre PECUNIAE et STUDIUM rend ce
sentiment grotesque ; avec STUDIUM vient naturellement le mot SAPIENS,
sagesse déniée d’emblée par l’antécédence de NEMO ; et ce n’est
pas un sage désincarné, desséché dans ses recherches absconses, vu le CONCUPIVIT.
Salluste affirme haut et fort que le sage vit, mais avec des passions autrement
estimables. Les voyelles sourdes suivantes, en harmonie imitative, suintent le dédain
et le mépris, que confirme le pléonasme : VENENIS MALIS, avec l’image
écœurante de : IMBUTA, comme le rapprochement antinomique : VIRILEM
EFFEMINAT…
Le sarcasme affleure : Nous avons exposé, en note dans la traduction que
penser de ce terme. Après cette transformation insultante de celui, devenu
celle, qui est malade de ce défaut, sans rien à sauver : CORPUS
ANIMUMQUE, vient la charge
finale, l’exécution est inéluctable : SEMPER, avec la cacophonie des
voyelles ouvertes et fermées, comme des aboiements enragés, les consonnes
sourdes qui claquent, avec le jappement excité des nasales. Et c’est le règne
du zéro absolu : deux préfixes négatifs, deux syndèses négatives :
oui, la cupidité EST,
énorme, pour citer Cyrano, vu la litote : NEQUE MINUITUR. Ainsi, de MINIMA
qu’elle était au début du premier §, elle a repris à son compte le sens de
l’adjectif en opposition qui précédait : MAXUMA… Elle déborde de
partout, que la richesse se débonde : COPIA
ou qu’elle se tarisse : INOPIA.
Et c’est sur cette vitupération cruelle, bien frappée que s’achève notre
extrait…