Au détour/tournant de la cinquantaine, je décide de quitter un navire qui commençait à prendre sérieusement l’eau, puisque nous fermions chaque année une classe de primaire, en remontant successivement vers le CME2 final, avec mentions dans la presse locale et force cérémonies commémoratives du passé en voie d’extinction. Ma femme découvre au B.O. un poste à profil, qui est le mien : le CNED recherche un(e) certifié(e) de lettres classiques spécialisé(e) en informatique. Comme j’ai obtenu le CAPES en 1983, bien qu’ayant opté pour le Privé la même année puisqu’allait être instauré pour l’enseignement un service public laïque et rénové, je me présente et mes réalisations prouvent à la proviseure chargée de ce recrutement que je suis LE candidat idéal. Je reçois une lettre officielle du recteur du CNED qui me nomme, je ramène chez moi tous mes documents personnels dispersés dans divers locaux de l’établissement, mes collègues fêtent comme il se doit cette promotion malgré l’angoisse de voir le « rézo pédago » en déshérence, congratulations et félicitations font florès.

A 3 jours de la rentrée, les services du rectorat de Rouen m’enjoignent, sans discussion envisageable ni atermoiement possible, de réintégrer illico presto, mon poste dans mon établissement, en arguant que j’avais perdu le bénéfice de mon CAPES puisque j'avais opté pour le privé. Je dois retourner à ma gamelle pour ne pas en prendre une… J’ai fulminé, protesté, remué ma députée, je ne sais plus quel conciliateur, mon syndicat m’a soutenu, comme la proviseure du CNED qui m’a gardé le poste un an, bien au froid, dans l'attente d'une étincelle intelligente. Rien n’y a fait. Face à un tel déni de justice, j’ai saisi, avec l’aide d’un ami avocat, le Tribunal Administratif ; Ce dernier, après avoir égaré mon dossier, condamnera 5 ans plus tard, le Ministre de l’Education Nationale, ès qualités, à me rembourser mes frais d’avocat car la décision était controuvée. Je peux alors, théoriquement, réintégrer le poste tant convoité. Mais, entretemps, il a été pourvu, puis a disparu avec un certain nombre d’autres puisqu’un autre Ministre de l’EN a voulu, à son tour, dégraisser. Par ailleurs, pour les dommages et intérêts bien mérités vu les tribulations imposées, il faut relancer une procédure. Résultats à attendre 5 ans plus tard. J’avoue ne pas avoir persévéré. J’ai eu plus tard la satisfaction, mitigée certes, médiocre aussi bien sûr, de voir, bien en chair et en os, la DRH chargée de l’élagage drastique du CNED : ouverte, franche, enthousiaste, une personne sympathique, c’est sans état d’âme, avec un sens aigu de l’efficacité et du rendement « humain », qu’elle a remis devant les classes, en présentiel comme l'on dit dans un certain milieu pédagogique, tous les enseignants qui lui semblaient susceptibles d’y être. Sur ordre. Evidemment, comme d'habitude, nul n'a tenu compte du besoin scolaire auquel le CNED satisfaisait. Il est vrai que j’avais été surpris de constater, malgré le développement quasi exponentiel de l’informatique, l'absence aveuglante du CNED dans ce processus. Oserais-je ajouter, non sans outrecuidance : et pour cause, si mes « alter ego » (le pluriel est délicat !) se sont retrouvé(e)s dans le même impasse que moi, les voies de l’EN étant impénétrables…

 

CINQUIEME ET DERNIERE INSPECTION, avril 1999

Ce rapport, avec sa facture impeccable, quasi ciselée, prouve que la formation des inspecteurs sur les logiciels de bureautique a été très pointue. Ou c’est l’efficacité de leur secrétariat ?

 

 

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE

ACADÉMIE DE ROUEN

INSPECTION PÉDAGOGIQUE RÉGIONALE

 

Monsieur Hubert Steiner

Grade : professeur certifié de Lettres classiques

Echelon : Hors classe 6e

Institution privée Jean-Paul II, Rouen, 76

Nom de l’Inspecteur : censuré

Ses deux titres

Date de l’inspection :  / /2010

 

Rapport d’inspection

Classe : 1ere 5 STG (27 élèves présents)

Thème abordé : Les Fêtes galantes, de P. Verlaine, « Pantomime »

Le professeur commence la séance en situant le poème par rapport aux autres pièces déjà étudiées et en rappelant l’esthétique du contraste afin de guider la lecture de « Pantomime » immédiatement mis en relation avec la commedia dell’arte. Après l’excellente lecture donnée par le professeur, on explique, en recourant à leur étymologie et à leur composition, les mots « en a-parte » et « pantomime », puis on se lance dans la présentation des personnages1 de la commedia dell’arte, selon leur ordre d’apparition dans le poème. L’explication est principalement menée par le professeur cependant les élèves sont souvent invités à établir des liens avec les œuvres lues précédemment et ils sont sollicités pour rappeler le nom de telle figure de style ou la commenter, toujours en rapport avec la recherche du sens. Peu à peu, en les amenant à observer la subtilité du travail d’écriture de P. Verlaine, notamment sur les jeux de rimes et de sonorités, le professeur les rend sensibles à la musicalité de ce poème qui, pour s’inscrire dans un « a-parte », semble avoir de nombreux échos dans l’œuvre. Les élèves, censés avoir lu l’ensemble de l’œuvre, parcourent la table des matières et retrouvent « Fantoches » et « Colombine », qui est lu. La séance s’achève par la relecture du poème par une élève.

Si les élèves ont eu du mal à entrer dans le cours, beaucoup n’ayant pas leur livre, peu à peu, l’écoute est devenue plus attentive et certains ont participé activement. Ils ont été comme captivés par M. Steiner, qui a mis le texte en voix, l’a théâtralisé. La séance peut apparaître comme une superbe mise en abyme du texte lu : le professeur et ses élèves ont joué ensemble la pantomime du cours magistral, le spectacle étant assuré par le professeur qui, avec humour et énergie, mène une explication brillante et précise. Bien sûr, on pourrait faire remarquer à Monsieur Steiner que ses élèves restent un peu passifs mais ils apprécient visiblement de tenir ce rôle de spectateurs qui, pris au jeu, finissent par interpeller le premier rôle. Le résultat est que monsieur Steiner arrive à capter l’attention de ces élèves éloignés de l’univers de la littérature. Devant mon étonnement sur l’absence de prise de notes de la part des élèves, Monsieur Steiner m’explique les habitudes de travail mises en place : un site internet pour la classe a été créé, sur lequel les élèves retrouvent les explications détaillées et rédigées des textes étudiés en classe. Après avoir écouté le cours, les élèves doivent relire les explications, surligner ce qu’ils comprennent et veulent retenir et reformuler l’explication. Après vérification sur le site, j’ai retrouvé, outre le descriptif pour l’EAF, les trois axes de lecture du poème : la commedia dell’arte, un poème en contraste convoquant nos sens. Les séances d’oral blanc permettent ensuite à Monsieur Steiner de vérifier que le travail a été fait. Cette démarche permet de libérer l’attention des élèves pour une écoute active, l’objectif principal de Monsieur Steiner étant que ses élèves « ressentent quelque chose » à lire Verlaine ou tout autre auteur. Cette façon de procéder est très naturelle pour Monsieur Steiner, qui, de pionnier, est devenu le pilier de la promotion et de l’utilisation des TIC dans l’établissement. Conscient de la nécessité d’intégrer ces nouvelles technologies dans notre enseignement, Monsieur Steiner propose à ses élèves de nombreuses activités leur permettant d’utiliser l’outil informatique et mène une réflexion lucide sur la réalité de son utilisation dans l’enseignement, de l’analyse des difficultés observées lors de la mise en place de la validation B32i jusqu’aux nouvelles pratiques de lecture auxquelles nous devrons nous adapter.

Monsieur Steiner connaît les qualités et les défauts de ses pratiques d’enseignement et les assume avec tranquillité comme en témoigne le choix du mot « Cours ex-cathedra » sur son site, pour exposer sa méthode de travail. Bien qu’il mette en avant son individualisme,  Monsieur Steiner est engagé dans de nombreux projets à l’échelle de l’établissement en faveur des TIC et, en véritable professeur référent, il met ses compétences au service de ses collègues, que ce soit pour une veille internet dans toutes les disciplines ou pour soutenir l’utilisation du logiciel JADE lors des évaluations 6e.

Il rend également de nombreux services à l’académie et participe, au sein du groupe de production du pôle TICE lettres, à l’élaboration des travaux de grande qualité.

Je souhaite à Monsieur Steiner de poursuivre sa carrière, déjà fort riche, de la façon la plus satisfaisante pour lui. Ce professeur compétent, qui affirme avec énergie sa personnalité, a encore beaucoup à apporter. On ne lui tiendra pas rigueur de la respectueuse ironie avec laquelle il lit les Instructions Officielles car derrière cette liberté de paroles, on reconnaît une grande loyauté et un engagement sans faille au service de la réussite des élèves et de l’établissement.

Vu et pris connaissance le :     /  / 10                      les deux titres

Signature                                                                   (signature)

1 cette présentation était visuelle grâce à la projection, via un vidéo-projecteur, des personnages en s’appuyant bien sûr sur les ressources fournies en direct par l’Internet: après des interventions personnelles multipliées (câblage, sertissures, tests pour le hard, entrées et contrôles de données pour le soft), moult moutures de système D au grand dam de mon mentor informatique (Eric Siodmak, décédé en 2015), une fois essuyées quelques déconvenues, en 2010, le «rézo pédago» de JP2 était d'une stabilité... dont j'étais moi-même impressionné, me connaissant.