La Cravate et la montre

Le texte :

(ici pour la compréhension: notre présentation, peu cohérente, nous le reconnaissons volontiers, n'a pas d'autres visées)

La Cravate et la montre

La cravate douloureuse que tu portes et qui t’orne, ô civilisé, ôte-la si tu veux bien respirer.

COMME L’ON S’AMUSE BIEN!

la beauté de la vie passe la douleur de mourir.

Mon cœur (avec majuscule),

les yeux,

l’enfant,

Agla,

la main,

Tircis,

semaine,

l’infini redressé par un fou de philosophe,

les Muses aux portes de ton corps,

le bel inconnu

et le vers dantesque luisant et cadavérique,

les heures.

Il est moins 5  enfin.

Et tout sera fini. (avec majuscule)

l'ensemble  la Cravate  le temps épicurien une MEDITATIO MORTIS

Cet ensemble  repose sur deux objets d’ostentation propre au mâle à cette époque, vus comme tels, avec un jeu de mots : La Cravate et la montre (Le Robert :  terme vieux : démonstration, exhibition ; «pour la montre» : apparence extérieure, parade ; la pertinence de notre interprétation est corroborée par le : «t’orne» du premier texte): Ces deux objets (étroitement unis par la coordination du titre) s’imposent graphiquement et par le texte même. Notons que, conformément à la théorie saussurienne du signe, le rapport entre le signifiant (son) et le signifié (sens) est arbitraire (=sans rapport aucun, mais que le calligramme permet, par le truchement de la forme visible, quasi palpable, de l’écrit, aux signifiés de renvoyer aux référents dans le réel, ici une cravate et une montre à gousset. La cravate elle-même renvoie bien, de par sa forme échancrée, au foulard arboré fièrement par les hussards Croates caracolant sur les Champs-Élysées, suite à la défaire napoléonienne, en 1815, d’où la… cravate pour cet appendice vestimentaire…

Commençons par l’objet annoncé en premier, et évoqué au haut droit du texte, comme nous l’imposait, dans son unicité, la majuscule dont ce nom commun est affecté dans le titre de ce calligramme. Présence confirmée par l’utilisation des majuscules tout au long du texte, les présents insistants qui nous renvoient au nôtre,  les sonorités en résonance [u,u], le rythme aux consonnes en écho : «portes, orne, ôte»...,  le tutoiement, d’autant plus brutal que les dentales sourdes le martèlent, l’apostrophe juste avant l’impératif. Avouons donc que ce bout de tissu (à l’origine porté au XIXème par les Croates) s’affiche largement, ce que corrobore la prolepse dont il est affecté, en toute magnificence et ostentation . Qui plus est, en observant l’image générée par le texte, nous percevons bien son losange irrégulier central, avec, au bout, ses deux pointes asymétriques. Il est d’autant plus présent que les [a] ouverts éclatent au début, avec le «LA», définitif et spécifique – repris comme en écho par le «la» du pronom de rappel dans la principale. «Douloureuse» nous renvoie à l’expérience commune qui fait que, pour se mettre à l’aise, on puisse desserrer, voire défaire sa cravate, l’adjectif transférant sur l’objet la sensation – ici algique – qu’il génère.. Cet objet est une marque d’éducation, et son port semble établir symboliquement une frontière infranchissable entre la culture, ici en fait bourgeoise, et la barbarie - ou l'état de nature, car tout ceci est bien ambigu. Et on n’est pas cultivé sans souffrance : l’enlever permettrait de bien (cf. COMME L'ON = le civilisé? S'AMUSE BI-EN) respirer. Il s’agit donc de laisser libre cours à ses pulsions ? «Bien respirer» n’évoque-t-il pas à mots couverts l’anarchie, une vie sans frein moral? Mais à qui s'adresse cet appel, car l'apostrophe est nette: d'abord par le truchement d'un sujet que corrobore un COD, puis l'interjection d'appel, en une dénomination contournée. Qui est cet interpellé, celui qui arbore fièrement cette large cravate à l'empan généreux ? Le terme civilisé renvoie bien sûr implicitement à sauvage/barbare. Mais Apollinaire réussit à inverser la valeur que l'on attribue traditionnellement à la civilisation: loin de nous libérer, elle nous enferme, nous étrangle, voire nous fait perdre la tête, car de loin, on a bien une sorte de pantin acéphale... étranglé, comme suspendu à cette CRAVATE d'une taille de caractère supérieure, comme pour mieux étouffer toute vélléité de bonheur... comme ses voyelles claironnantes (cf. OR-nes, POR-tes) recouvrent les voyelles fermées du CiViLiSÉ, engoncé (cf. O-TE). Ceci est conforté par la frappe des accents: la cravat()e), douloureus(e) que tu port(es) et qui t'orn(es) en un tétramètre dans cet alexandrin à l'oreille, si l'on ne tient pas compte des e muets... Apollinaire enlève, lui aussi, la rigueur, celle des règles classiques de la versification!

Il s’agit de jouir, en bon épicurien: c’est ce qu’indique le contenu de la molette de cette montre à gousset, propre à l'ornement du ventre du bourgeois, avec sa chaîne en argent : «COMME L’ON S’AMUSE BIEN», où nous retrouvons le même adverbe «bien» évoquant le bonheur comme dans le premier texte : ainsi, le deuxième calligramme impose-t-il sa rondeur, comme pour montrer (sic) qu’il est urgent de cueillir l’instant présent, car les aiguilles se rapprochent de Minuit, heure fatidique. Le couperet menace, impression d’imminence renforcée

* par les réticences induites par les silences des pauses phono-sémantiques, non notées elles-mêmes par la ponctuation absente

* par la syndèse confortée par sa majuscule «Et» : «Et tout sera fini».

Heureusement, cette fin du texte - et de «tout» pour l’individu hautement affirmé comme tel : «Mon» - concerne le futur : c’est bien encore, HIC ET NUNC, un vivant, d’autant plus vif qu’il est conscient de «la douleur (cf. douloureuse) de mourir» (seul, le passage est pénible –il ne s’agit pas de la douleur de la mort !), c’est bien un vivant (cf. "beauté, vie, Mon coeur, yeux, enfant, la main"), disions-nous, qui s’exprime vu l'exclamative «comme l'on s'amuse» dont le «on» génère un groupe; de fait, la solitude pousse, elle, à la réflexion : le verbe «passe» est au présent, avec la beauté évoquée sur le bord de cette montre : ce type d’objet – de luxe à l’époque – se prêtait à toutes sortes de fioritures et de décorations. Donc cette montre se montre, justement!

S’égrenent alors les heures :

* Mon cœur est… unique = I, avec le possessif.

* les yeux, de par le pluriel, impliquent le nombre de… deux, II.

* l’enfant est le troisième élément d’un couple, donc 2 + 1 = III.

* Agla=IV puisque à cet endroit, sans que l’on puisse déterminer pourquoi (un effet préfigurant l’écriture automatique des surréalistes ?) ; une justification spécieuse serait son nombre de lettres, 4, ce que corroboreraient «Tircis» (=6 caractères) et «semaine», 7 lettres…. Mais il y a plus simple: elle est le pendant en symétrie du bel inconnu de X heures, c'est donc notre belle inconnue, avec ses sonorités ouvertes. Avouez que je me suis mis en... quatre (sic!) pour proposer cette solution.

* la main présente habituellement cinq doigts=V.

* Tircis, avec un mauvais jeu de mots, tire 6= VI; la sonorité finale évoque de tout façon le chiffre. Et ce nom est celui d'un berger bucolique chez Virgile! Mais c'est dans la VIIème églogue, pas de chance; il échange des chants amébées avec... Corydon.

* la semaine est composée de 7 jours= VII. Ceci explique la suppression de l'article, car ainsi, ce mot est composé de 7 lettres!

* le symbole de l’infini, une boucle, , devient un 8 suite à une rotation à la verticale, attribuée ici à l’action d’un philosophe fou, en une tournure archaïque (cf. coquin de valet=adjectif+de+nom).

* le 9 (cf. le 69 cher à nos érotiques) renvoie au corps, et à ses deux portes (sans qu’il soit plus besoin par pudeur de développer la pertinence de la métaphore sexuelle), sachant qu’elles sont toutes les deux sources d’inspiration pour les poètes – n’oublions pas qu’Apollinaire a écrit des textes salés, voire salaces, nous n’osons parler de la troisième porte à forcer - et l’on muse aussi lors des préliminaire, avant de franchir le seuil (LIMEN, LIMINIS en latin)… Qui plus est, qui ne sait (belle prétérition) que les Muses sont au nombre de neuf…  un petit tour par Wikipedia (une fois n’est pas coutume ! Nonobstant, les renseignements fournis sont à prendre avec des pincettes, puisque sans aval convaincant).

Nom usuel

Racine

Attribut initial

Évolution

Calliope

Καλλιόπη / Kalliópê, « qui a une belle voix »

le « bien dire »

Eloquence, poésie épique

Clio

Κλειώ / Kleiố, « qui est célèbre »

épopée

histoire

Erato

Ἐρατώ / Eratố, « l’aimable »

Elégie et poésie amoureuse, érotique et anacréontique

Art lyrique et choral

Euterpe

Εὐτέρπη / Eutérpê, « la toute réjouissante »

Musique à danser

musique

Melpomène

Μελπομένη / Melpoménê, « la chanteuse »

chant

Tragédie (ou toute poésie grave et sérieuse)

Polymnie

Πολυμνία / Polymnía, « celle qui dit de nombreux hymnes »

chants nuptiaux, de deuil, pantomime

rhétorique

Terpsichore

Τερψιχόρα / Terpsichóra, « la danseuse de charme »

danse et poésie légère

danse

Thalie

Θάλεια / Tháleia, « la florissante, l’abondante »

Comédie

poésie pastorale

Uranie

Οὐρανία / Ouranía, « la céleste »

astrologie

astronomie

* Le bel inconnu est X, comme tout ce qui est inconnu ; en algèbre, le terme est féminin… ça se complique! Mais ne serait-ce point une alternative aux Muses?

* l’expression pénultième nous laisse perplexe : certes, le «vers cadavérique» est un alexandrin tronqué d’une syllabe, donc 11 mais ceci est bien tortueux… les deux «et» renverraient à la duplication du 1 pour faire 11 ? De toute façon, pourquoi cette allusion, via «dantesqueۚ», à la Divine Comédie ? Encore de l’écriture automatique avant la lettre ? Autre hypothèse : La onzième heure n’est pas de bon augure, d’où les termes «vers, dantesque, cadavérique» ? Nous accumulons les interprétations, dans le droit fil de Kostro volontairement obscur ici car la compréhension, au rebours de ce qui précède, est loin d’être immédiate : soit ceci était directement perceptible («cœur, yeux, enfant, main», etc.), soit parfaitement abscons (cf. «Agla», voire «Tircis», l’anacoluthe issue de la disparition de l’article avec «semaine») ; ici nous est donc proposée une énigme… Est-ce la récompense des ouvriers de la onzième heure, cf. les Evangiles ? C’est plutôt le chant XI (sic!) de Dante qui apporte la bonne nouvelle, la lumière (luisant) : les vers de cette épopée de l’âme sont en endécasyllabes (=11 syllabes), c’est convoquer le rythme du «vers dantesque», qui s’avère «luisant» au chant XI de par les propos tenus par Virgile, et «cadavérique» car, compte non tenu des damnés, en 3 cercles comme ceux du texte dans la montre, nous est présentée dans ce passage de Dante, la tombe (=mort) du pape Anastase, en oxymore, puisque Anastase évoque la résurrection (=vie), effet d’opposition, de conjonction des contraires perceptible dans le jeu sémantique : «vers… cadavérique» encadrant «dantesque luisant»… Et si vers il y a - car nous sommes dans une poésie? - celui-ci évoque la mort: le seul alexandrin est bien: il est moins cinq enfin et tout sera fini, en rythme 2/2/2//2/2/2

* les heures au pluriel ramènent au nombre XII.

Au reste, ces éclaircissements nous permettent de constater, quasi DE VISU, que cette montre affiche sans cohérence soit des chiffres arabes (c’est très net pour 8), soit des chiffres romains (c’est évident avec X !)

S’accumule aussi, de ce fait même (car omnes vulnerant, ultima necat, comme le dit l’adage des cadrans solaires : «toutes blessent, la dernière tue», d’où l’allusion au vers pour la onzième heure ?), ce qui compose (sic !) dans ce poème (<mot grec qui signifie «création» !) la vie:

* «Mon cœur» (le sentiment est central, cf. Tircis qui est l’un des deux bergers de la VIIème églogue de Virgile, rivalisant de génie poétique avec son adversaire littéraire, peut-être d’ailleurs à mettre sur le même plan qu’Agla, l’abréviation d’une des 3 Grâces ou Charites, Aglaé : elles vivent dans l’Olympe, en compagnie des Muses qu’évoquera la neuvième heure: ne s’agit-il pas d’évoquer ici la peinture à laquelle Apollinaire était si sensible, cf. sa maîtresse, Marie Laurencin)

* les yeux, une des obsessions d’Apollinaire : Ils sont ici comme le miroir du cœur.

* L’enfant évoque-t-il celui qu’Apollinaire n’a pas eu de ses maîtresses ?

* La main n’est-elle pas celle de l’écrivain ?

* Agla est labyrinthique ; ce mot invoque pourtant une image de nymphe attrayante, via le grec avec AGLAIA, beauté AGLAOS, brillant; la présence de douleur fait penser aussi à ALGOS, avec inversion des consonnes (cf. ant-algique, donc torture du mot ?), mais la cohérence interne de l’accumulation (positive) infirme cette hypothèse…

* Le temps passe brutalement certes, comme semble l’indiquer «semaine» en symétrie, sans l’article attendu, donc un temps en soi, sans début ni fin. Cette période est comme absolue, détachée…

* Il y a aussi la Connaissance : après la mort de Dieu proclamée par Marx et Nietzsche, ne faut-il pas voir dans «l’infini redressé par un fou de philosophe» une évocation de Bergson ?

* Puis la poésie : «les Muses», jamais très loin de l’amour (la très sensuelle allusion «portes de ton corps»: s’il y a un «on» dans la mollette, puis un «Mon», et pour finir, ici un «ton», la présence du couple est donc avérée, même si c’est à mots… couverts.)

* Le bel inconnu n’est-il pas une résurgence de Mallarmé : …le bel aujourd’hui, ce à quoi se consacre tout vrai poète : l’expression de l’ineffable, et le connaître en le nommant ?

* Eclate à la fin le Rival : Dante, et son génie immortel, avec sa Divine Comédie. Mais le vers en soi est dantesque justement, quand il a la lumière du génie : luisant, même s’il ne permet pas d’échapper à la mort, ou qu’il est l’image de la mort même : en poésie réussir à nommer la chose cherchée, n’est-ce pas en fait perdre le plaisir – le seul vrai et réel – de la recherche ? (cf. l’important n’est pas la prise, mais la chasse, chez Pascal) Le vers émis est donc cadavérique. Toutes ces activités personnelles, consommatrices de temps, amènent logiquement à l’accumulation des «heures», voire de «semaine», au singulier collectif, sans la précision de l’article. Nous percevons mieux alors le tragique du présent : Il est moins 5 «enfin» : cet adverbe résume tout le contenu de la montre et se trouve en son centre, comme «finiۚ» qui reprend en figure étymologique le «enfin», en redite. Arrêt des battements de la montre, image du cœur ? Ainsi, nous aurions ici une leçon de philosophie pratique, une sorte de CARPE DIEM, comme proclamé au-dessus de ce temps incarné qu’est la montre par l’exclamative en majuscules : COMME L’ON S’AMUSE BIEN (cf. les Muses).

Mais n’est-ce pas se monter trop intellectuel et chercher à se rassurer, à rendre le texte tangible, intelligible alors que tout ceci s’avère évanescent : comme dans Le Pont Mirabeau, Apollinaire génère un doute existentiel,  porteur d’angoisse. C’est là «le bel inconnu».

Nous le sentons visuellement d’abord, de par le graphisme même du texte, vu la disproportion entre les deux objets concernés, ce qui ne correspond pas à la réalité physique : ainsi, le temps occupe une grande partie du champ du texte, ce qui est aussi en opposition avec le titre, qui place la cravate en premier, avec sa Majuscule qui la rend unique, alors que rares sont les hommes d’une seule cravate. Mais cette cravate elle-même semble trop large, et ramassée. La fin du texte confirmant l’impression d’étranglement généré par l’arc formé par le mot cravate au début, en caractères plus grands et gras que le reste. Est-ce pour confirmer l’impossibilité pour l’homme civilisé de rejoindre l’état de nature ? Un ordre est donné certes, mais l’incapacité à le réaliser (car la cravate est bien là) équivaut à une mort lente, la pire : «si tu veux bien respirer» avec sa double interprétation selon que bien porte sur veux (=accepter) ou sur respirer (=le bonheur du souffle large). C’est donc bien un paradoxe, on (qui ? Quel est l’émetteur ?) ordonne de l’enlever, avec une ironie cruelle certaine ! Nous avons découvert antérieurement que cet ornement cause de la douleur, en un hystéron-protéron évident. Une autre figure de style très contournée : une syllepse alliée à un hypallage : le sens est évident, «que tu portes douloureusement». Avouons que ceci ne simplifie pas la compréhension, même si cela renforce la sensation, le désir d’enlever cette pièce de vêtement. L’extraposition emphatique de «cravate», en prolepse, participe à cet effet d’arrachement, comme les 3 gutturales sourdes [k]. Mais l’étouffement est marqué aussi par l’harmonie imitative : La cravate éclatait avec ses 3 [a] successifs, les autres voyelles sont souvent très fermées. Notons aussi l’approximation de l’expression : «qui t’orne» : le tour plus régulier n’est-il pas : dont tu t’ornes. Mais le «qui» la transforme justement en élément artificiel esthétique, à la limite de l’insulte pour le civilisé qui devrait avoir d’autres titres ou ornements (par ex. culturels) à arborer… le fait qu’elle passe de statut d’objet : «que tu portes» à sujet : «qui t’orne» est révélateur. Le civilisé est incapable d’une action libératrice, comme ligoté par les convenances sociales et par cette fameuse cravate. La montre aussi nous enserre dans les rets de l’angoisse : ne serait-ce que la phrase antiphrastique dans son écriture : certes, il y a le «L» euphonique, mais elle dégage encore mieux la diérèse pénible : BI-EN. Notons combien cette phrase semble infantile et banale, comme dans un bal populaire et proche du borborygme mental. De plus, cette phrase est, elle aussi, en majuscules, comme la cravate douloureuse. Au reste, l’exclamation (absente : les deux textes sont déponctués, avec un effet de ralentissement, voire des difficultés, sinon de compréhension, du moins d’interprétation, certaines) n’est-elle pas contredite immédiatement par : «les heures», en minuscules ! Le regard est entraîné vers la droite. Et le texte se hache : en butant sur : «la beau», il se rabat sur «Mon cœur». La majuscule laisse espérer un début de phrase. Que non pas. Il s’agit d’une accumulation, déconcertante, d’abord, incohérente ensuite, avec des marques «d’agrammalité» : «Les yeux». Alors qu’on attendrait : mes yeux. Que vient faire «l’enfant», surtout dans l’absolu. Même pas mon enfant. Agla est incompréhensible en soi. «la main» (de qui ? Celle qui tient la montre ?) augmente notre perplexité, s’il en fut. Que penser de : «semaine». A part l’effet d’homographie partielle avec : «main» ? La suite est absconse : comment l’infini peut-il être redressé ? La suite semble plus stable : Une image érotique fugace: «aux portes de ton corps», avec le fantasme féminin du : «bel inconnu». Au moment où une idylle semble s’esquisser, Apollinaire nous saisit par un plat jeu de mots : le rapprochement entre «vers» et «luisant» est d’un goût très douteux, surtout avec l’humour noir, ici écœurant : cadavérique. L’affirmation de droite, mise en fait sur le côté serait alors à prendre pour une antiphrase : non, «la beauté de la vie» ne «passe» pas «la douleur de mourir»; la preuve écrite en est que, dans ce bout de calligramme, même les mots sont découpés, avec le même effet que dans la cravate. Le poète médite bien sur la mort : «il est minuit moins cinq enfin», comme un but, central, longtemps attendu vu le suspens provoqué par les propositions extérieures, le cœur de la cible… ou le point final, attendu, comme en empreinte creusée par son absence au centre de la montre, à la jonction des deux phrases et des deux lignes en étagement (il est – 5 enfin/Et tout sera fini). Oui, la mort nous libèrera de l’angoisse de vivre, de la souffrance impliquée par le signe -, nettement plus brutal, plus annihilant que sa graphie «moins», décompte morbide souligné par l’unique chiffre qui apparaît, paradoxalement, dans cette montre, 5, avec l’écart correspondant entre la grande et la petite aiguilles ; la grande trace d’ailleurs une ligne droite imaginaire entre 3 points : l’œuvre immortelle de Dante (11), l’imminence éminente de la mort et la main (5) créatrice qui trace les mots du calligramme ; la petite, quant à elle, non contente de relier le divertissement (s’amuse) et le temps (cf. les heures) avec un poète, Tircis, elle établit une fracture entre la réalité (affective – cœur, Agla - et physique/corporelle – yeux, main) et l’idéal (poétique - semaine, cf. le rythme heptasyllabique du Mont Mirabeau, les Muses, le vers dantesque – incluant la mathématique – infini, inconnu), les heures et Tircis permettant le passage de l’un à l’autre… Sans Espérance : la mort est au centre du propos: «Et tout sera fini», le futur est bien proche avec sa syndèse accentuée par la majuscule initiale. Ce calligramme est un écho du Pont Mirabeau, est issu de la même veine désespérée : c’est la chanson d’un mal-aimé… l’enthousiasme y est transpercé par les deux aiguilles du temps, et le futur sera réalisé lors de leur jonction… ultime ! (le temps de la «vision-lecture» écoulé ?)

[Artificiel ? La magie du calligramme permet ces jeux ! c’est son mystère : enfant enfin fini ! Agla n’est-il pas un bel inconnu, le neutre pluriel en grec d’un mot virtuel, vu la symétrie… curieuses correspondances ou con-cord-ances; l'expression: il était - 5 n'implique-t-elle pas par ailleurs la crainte de l'homme adultère d'être surpris en pleine action? La cravate (hautement symbolique à plus d'un titre! car caractéristique de l'homme, de la nécessité pour lui, contre vents et marée, de (s') assumer et d'être performant avec ou sans viagra, de s'en débarrasser pour le coït, quitte à en jouer pendant) serait alors un symbole phallique, aux côtés, aux portes de la rondeur et des ouvertures de la montre? De quelle mort s'agit-il alors, les allusions sexuelles faisant florès dans ce texte, nous ne vous ferons pas l'injure de les... redresser? ]