l'épicurisme

Epicure, au IIIème av. J.-C., considère que l'on est heureux si l'on satisfait aux plaisirs naturels et nécessaires: le & est essentiel, car il s'agit en fait de boire de l'eau (le vin est long et pénible à produire ou à acheter), manger des baies (le pain, idem), dormir sur une pierre sous les étoiles (une maison, ibidem!), donc sans avoir à s'inquiéter du lendemain, puisque tout ceci sera toujours - surtout en climat méditerranéen - à notre disposition, sans souffrances (cf. le mot travail< «un instrument de torture», le tripalium). L'idéal est en fait l'ataraxie, l'absence de troubles. Les problèmes matériels étant réglés resterait les problèmes spirituels: l'angoisse de la mort, la crainte des Dieux. Epicure, pour éviter cette première pierre d'achoppement métaphysique qui troublerait notre tranquillité, la mort, fait son miel de la théorie atomiste de Démocrite: ce physicien grec, sans autre support que le raisonnement, était arrivé à la notion d'atome, l'élément premier à la base de tout ce qui existe, en fait ce que l'on ne peut plus couper une fois que l'on commence à découper en deux une chose, d'où son nom d'a-tome (cf. la même racine dans TEMPLUM: espace découpé dans le ciel et projeté au sol!); ces atomes tombaient (=déclinaison des atomes) dans le vide de toute éternité, séparés les uns des autres, quand, suite à un hasard qu'il serait anachronique d'appeler infinitésimal, l'un a dévié de sa chute en ligne droite (=le clinamen, mouvement) et a frappé l'atome le plus proche; par un jeu d'entrechocs successifs de plus en plus nombreux, le monde que nous connaissons s'est agrégé, concrétisé... L'homme n'a donc pas à craindre la mort: avant de naître, il ne sentait rien, car ses atomes ne s'étaient pas agrégés; après la mort, ses atome se disperseront de nouveau pour servir à d'autres êtres ou choses. Pas de Champs Elysées bien sûr - de toute façon, réservés à une élite triée sur le volet! - mais pas plus de Tartare aux peines éternelles, ni de Charon squalide, ni de Styx puant à traverser ni de jugement à subir chez Pluton ou Hadès...  Grâce à ce matérialisme absolu - et amer! - Epicure pense nous faire échapper à l'angoisse de la mort précitée: nous sommes un agrégat d'atomes, sensible certes, mais qui perdra toute conscience de soi une fois désagrégé: pourquoi s'inquiéter de ce que nous ne ressentirons pas? CQFD. De même, les Dieux existent, certes, puisque nous en avons la sensation au moins dans nos rêves: ils émettent de leur monde des atomes qui viennent frapper notre organe visuel (ne l'oublions pas: pour les épicuriens, les sensations tactiles, visuelles, auditives, olfactives, gustatives sont dues à des atomes qui frappent nos récepteurs sensoriels). Les Dieux sont donc en dehors de notre monde, sans agir sur lui: l'Epicurien doit avoir pour idéal de vivre comme eux. Son Bonheur: discuter avec des amis choisis sous un arbre ombragé, à l'abri des feux du soleil méditerranéen, dans la fraîcheur dégagée par une source proche, des baies à portée de la bouche. J'entends votre ultime objection: et le sens algique, la douleur? D'abord, ne travaillant pas (pourquoi le ferait-il, puisqu'il n'a pas à s'inquiéter ni de son avenir ni de sa retraite?), l'épicurien n'est pas usé, pas de Troubles Musculo-Squelettiques. Ensuite, sa vie naturelle, par son absence d'abus, le met à l'abri des effets pervers de la civilisation, par ex. surcharge pondérale. Pour finir, le souvenir - donc une sensation puisque le souvenir existe!!! - du bonheur passé suffit pour juguler le malheur présent, physique comme psychique. Soyons clair, c'est sur ce dernier point que l'épicurisme est le plus faible, même si, par sa mort, Epicure semble donner une certaine crédibilité à cette démarche... On parle aussi de l'Ecole du Jardin, car Epicure vivait, en communauté avec ses amis, son enseignement dans un jardin qu'il avait acheté à Athènes. Il ne faut donc pas confondre l'épicurisme, un ascétisme, avec l'hédonisme qui intègre les acquis - ou les perversités? - de la civilisation: Boire, d'accord, mais du bon, manger, certes, mais du caviard, dormir, bien sûr dans la soie et en compagnie choisie, voire sensuelle, c'est meilleur. Voilà le comportement qu'adopteront  les romains parvenus, dans leurs orgies (au départ: fête religieuse, cf. le culte de Dionysos, et ses bacchantes dépoitraillées); par manque de formation philosophique, les fameux pourceaux d'Epicure. Leur méditation sur la mort se limitera à faire gigoter un squelette d'argent sur la tablette centrale du banquet, cf. la CENA TRIMALCIONIS, dans le Satiricon de Pétrone. Un  autre avatar de l'épicurisme est le cynisme de Diogène que ses contemporains traitaient de chien - d'où le nom de cette philosophie, cf. cynodrome, cynégétique - car il se donnait satisfaction sexuelle en public, non par exhibitionnisme, mais pour montrer, d'abord qu'il se montrait indifférent au jugement social de ses médiocres concitoyens athéniens, ensuite qu'il n'avait pas besoin de se fatiguer à trouver une femme puisque sa pulsion physiologique était satisfaite à moindres frais. Il afficha clairement son mépris pour le pouvoir et les forces d'apparence quand il répondit de son tonneau de terre cuite au grand Alexandre venu à cheval lui demander ce qu'il désirait pour son bonheur: «ôte-toi de mon soleil». Belle marque d'autonomie, une affirmation superbe de sa propre liberté. Il poussait très loin le désengagement social: au moment où Athènes luttait pour sa survie et que tous les Athéniens s'agitaient à réhausser avec n'importe quoi leurs remparts, lui-même entreprit, par dérision, de rouler de par les rues son fameux tonneau. Cette habitation est d'ailleurs un bel exemple de recyclage. Une figure qui devrait être chère aux écologistes, une pratique de la décroissance avant la lettre! En fait, Diogène reprochait aux autres leur lâcheté, leur petitesse. Tout ce qui est étriqué. Une autre anecdote: il se promenait en plein jour une lanterne allumée à la main; à ceux qui s'enquerraient de la raison d'un tel comportement, il rétorquait, impavide: «je cherche un homme». Rabelais reprendra cette avanie dans son prologue au Gargantua: «Où êtes-vous, gens de bien, je ne peux vous voir»... Et la question de rester posée, cher internaute!

Vale...