Cette Bucolique a eu un grand succès en 2004: une première traduction-commentaire d'Eleutheria, corroborée par un deuxième commentaire de Chantal Osorio; v. 1 - 30 suivie du complément v. 27- 39, de Hubert Steiner, en 2006, avec la poursuite de 40 à 58 par Chantal Osorio en traduction-commentaire dès 2004. Qui parachèvera ce MONSTRUM, avec les vers 59 à 83? (envoyez-nous votre production, en respectant si possible la présentation des vers 27 à 39, sinon à votre choix! format *.doc)
Eleutheria: Steinerus cor. sequens Goelzer, in collection Budé, complevitque fratribus equitibus:Osorio commentavit infra
scansion, traduction universitaire, critique de la traduction universitaire, traduction par Clément Marot (in l'Adolescence clémentine, 1532), une traduction du XVIIe, une du XVIIIe, traduction par groupe de mots, introduction à l'oeuvre, commentaire d'Eleuthéria, de Chantal Osorio (les deux sur v. 1 - 27), de Hubert Steiner (v. 27 à 39), commentaire de Chantal Osorio (v. 40 -58)
Bucoliques, I
Le texte latin (1 - 83)
Meliboeus
Tityre, tu
patulae recubans sub tegmine fagi,
silvestrem tenui
musam meditaris avena.
Nos patriae finis
et dulcia linquimus arva ;
nos patriam
fugimus. Tu, Tityre, lentus in umbra
forosam resonare
doces Amaryllida silvas.
5
Tityrus
O Meliboee, deus nobis haec otia fecit.
Namque erit ille
mihi semper deus. Illius aram
saepe tener
nostris ab ovilibus imbuet agnus.
Ille meas errare
boves, ut cernis, et ipsum
ludere quae
vellem calamo permisit agresti.
10
Meliboeus
Non equidem
invideo, miror magis : undique totis
usque adeo
turbatur agris ! En ipse capellas
protinus aeger
ago, hanc etiam vix, Tityre, duco.
Hic inter densas
corylos, modo namque gemellos,
spem gregis, a !
silice in nuda conixa reliquit.
15
Saepe malum hoc
nobis, si mens non laeva fuisset,
de caelo tactas
memini praedicere quercus.
Sed tamen iste
deus qui sit da, Tityre, nobis.
Tityrus
Urbem quam dicunt
Romam, Meliboee, putavi
stultus ego huic
nostrae similem, quo saepe solemus
20
pastores ovium
teneros depellere fetus.
Sic canibus
catulos similes, sic matribus haedos
noram, sic parvis
componere magna solebam.
Verum haec tantum
alias inter caput extulit urbes,
quantum lenta
solent inter viburna cupressi.
25
Meliboeus
Et quae tanta
fuit Romam tibi causa videndi?
Tityrus
Libertas, quae
sera tamen respexit inertem,
candidior
postquam tondenti barba cadebat ;
respexit tamen, et longo post tempore venit,
postquam nos Amaryllis habet, Galatea reliquit . 30
Namque, fatebor enim, dum me Galatea tenebat,
nec spes libertatis erat, nec cura peculi.
Quamvis multa meis exiret victima saeptis,
pinguis et ingratae premeretur caseus urbi,
non unquam gravis aere domum mihi dextra redibat .
35
Meliboeus
Mirabar quid maesta deos, Amarylli, vocares,
cui pendere sua patereris in arbore poma :
Tityrus hinc aberat. Ipsae te, Tityre, pinus,
ipsi te fontes, ipsa haec arbusta vocabant.
Tityrus
Quid facerem? Neque servitio me exire
licebat
40
nec tam praesentes alibi cognoscere divos.
Hic illum vidi juvenem, Meliboee, quotannnis
bis senos cui nostra dies altaria fumant.
Hic mihi responsum primus dedit ille petenti:
«pascite ut ante
boves, pueri, submittite tauros.» 45
Meliboeus
Fortunate senex, ergo tua rura manebunt
et tibi magna satis, quamvis lapis omnia nudus
limosoque palus obducat pascua junco.
Non insueta graves temptabunt pabula fetas
nec mala vicini pecoris contagia laedent.
50
Fortunate senex, hic inter flumina nota
et fontes sacros frigus captabis opacum;
hinc tibi, quae semper, vicino ab limite
saepes
Hyblaeis apibus florem depasta salicti
saepe levi somnum suadebit inire susurro;
55
hinc alta sub rupe canet frondator ad auras,
nec tamen interea raucae, tua cura, palumbes
nec gemere aeria cessabit turtur ab ulmo.
Tityrus
Ante leves ergo pascentur in aethere cervi,
et freta destituent nudos in litore piscis,
60
ante pererratis amborum finibus exsul
aut Ararim Parthus bibet aut Germania Tigrim,
quam nosto illius labatur pectore voltus.
Meliboeus
At nos hinc alii sitientis ibimus Afros,
pars Scythiam et rapidum cretae veniemus Oaxen 65
et penitus toto divisos orbe Britannos.
En unquam patrios longe post tempore finis,
pauperis et tuguri congestum caespite culmen,
post aliquot, mea regna videns, mirabor aristas ?
Impius haec tam culta novalia miles habebit ?
70
Barbarus has segetes? En
quo discordia civis
produxit miseros ! His nos consevimus agros !
Insera nunc, Meliboee, piros, pone ordine vitis !
Ite meae, felix quondam pecus, ite, capellae :
non ego vos posthac, viridi projectus in antro,
75
dumosa pendere procul de rupe videbo;
carmina nulla canam ; non, me pascente, capellae,
florentem cytisum et salices carpetis amaras.
Tityrus
Hic tamen hanc mecum poteras requiescere noctem
fronde super viridi. Sunt nobis mitia poma,
80
castaneae molles et pressi copia lactis;
et jam summa procul villarum culmina fumant,
majoresque cadunt altis de montibus umbrae.
D=dactyle, s=spondee, t=trochee;
t=césure trihémimère, p=penthémimère, h=hephthémimère
Rythme césure
d d d s d s t p h dentales initiales, opposition des voyelles
s d s d d s
t p h
d s s d d t
t p
d d s d d s
t p (la penthémimère est bien marquée : pause phono-sémantique)
s d d d d s
t h
5
d d s s d t p h –BOE=1
longue (diphtongue!)
d d s d d t
p h –QU(E) ERIT apostrophé, jeu [e] et [i]
d s d d d t
t p
d s s s d t
t h bien marquée
d
s d s d s t
p h sautillant ? 1
liquide dans chaque lexème
10
d
s d d d s
p trochaïque (cf. pause) h
EQUID(EM) INVIDEO
d
s d s d s t
h marquee
d
d d s d t
p h AG(O); HANC
s
s d d d s t
p h
s
s d d d s t
(pause)
15
d
s s s d s t
p h MALU(UM
HOC
s
s d s d s t
p h
d
d s s d s
p h (pause)
s
s s d d s t
p h (pause, avec ROMAM), cf. v. 26
d s d s d s t p h (pause)
séquence remarquable : EG(O) HUIC=1 syllabe longue 20
s d d s d s t (plus marquée, vu la
fonction apposition) p h
d
d d s d s t
p h (pause)
s
s s d d s t
p
s d s d d s p h (forte, vu la
disjonction) VER(UM) HAEC TANT(UM) ALIAS
s d s s d s p h (moins forte,
vu la préposition)
25
s
d s d d s
p h (forte : ROMAM !)
s
s d s d s t
(pause) h
d
s s s d s t
p
s
d s s d s t
p (peu marquée: ET) h
s
d d d d s t
h (pause)
30
d
d s d d s
p (pause) h
s
s d s d s
h (pause)
s
d s s d s
p
d
s d s d s
p
s
d d d d s t
h
35
s
s d d d s t
h (pause)
s d d d d t p (souligné
par la disjonction avec ARBORE)
d
d s s d s t p (pause) h ? (éliminée par la pause après TE)
s s s s d s t p (pause) h IPS(A) HAEC
40 d d d s d t tp
s s d s d s ph
s s d d d s tph
s d d s d s th
d s s d d s ph
45
d d d s d s ph
s d s d d s
ph
d ds d d t ph
s d s s d s p
s d s s d s p
50
d s d s d s ph
s d s s d t
p
s s s s d t ph
d s s s d s tp
s d s s d s ph
55
d s s d d s tp
s s d s d s h
d d s d d s ph
d d s s d s p
Par H. Goelzer, chez Budé, 1ère édition :
1925
Mélibée :
couché sous l’abri d’un hêtre touffu, tu étudies un
air champêtre sur tes minces pipeaux ;
nous, nous quittons le pays et
nos douces campagnes ; nous, on nous bannit de notre patrie ; toi,
Tityre, nonchalant sous l’ombrage, tu apprends aux forêts à faire écho à
ces mots :«Amaryllis est belle.»
Tityre :
O Mélibée, c’est un dieu qui nous a fait ces loisirs ;
oui, ce sera toujours un dieu pour moi ; son autel, souvent un tendre
agneau sorti de nos bergeries le teindra de son sang. C’est grâce à lui que
mes génisses ont le droit d’errer, comme tu vois, et que moi-même je suis
libre de m’amuser à jouer sur ma flûte champêtre des airs qui me plaisent.
Mélibée :
Certes, je n’envie pas, j’admire plutôt : tant il y
a de troubles dans tout l’étendue des campagnes ! vois : ce sont
mes chèvres ; malade de chagrin , je les pousse droit devant moi, et en
voici une, Tityre, que je mène et avec bien du mal. Ici, au milieu des
coudriers épais, elle a, hélas ! laissé sur la pierre nue, après de
durs efforts, deux jumeaux, l’espoir du troupeau. Ce malheur bien souvent _
mais j’étais aveugle ! – nous a été prédit, je me le rappelle
maintenant, par les chênes atteints du feu céleste. Mais voyons : celui
qui est pour toi un dieu, donne-nous en une idée, Tityre.
Tityre :
La ville qu’on appelle Rome, ô Mélibée, je croyais dans
ma sottise qu’elle ressemblait à celle-ci, à la nôtre, où nous avons pris
l’habitude, nous autres bergers, de mener souvent les tendres rejetons enlevés
à nos brebis. C’est ainsi que je voyais les petits chiens ressembler aux
chiennes et les chevreaux à leurs mères ; c’est ainsi que je m’étais
habitué à comparer les grandes choses aux petites. Mais, en vérité, cette
ville a élevé sa tête au milieu des autres, autant que d’ordinaire les cyprès
au milieu des souples viornes.
Mélibée :
Et quel motif si important t’a poussé à voir Rome ?
Tityre :
La Liberté ! Tardivement sans doute, mais enfin elle a
laissé tomber un de ses regards sur celui qui ne faisait rien pour elle, alors
que déjà, pour la main qui me rasait, ma barbe tombait de plus en plus blanche ;
oui, elle a jeté sur moi un regard favorable, et, après un temps bien long,
elle est venue à moi, depuis que nous sommes au pouvoir d’Amaryllis et Que
Galatée m’a quitté. En effet, je l’avouerai, tant que j’étais aux mains
de Galatée, je n’avais ni l’espoir d’être libre ni le souci de mon pécule.
J’avais beau faire sortir de mes enclos mainte grosse victime, et presser de
gras fromages pour la ville qui ne paie pas cher, jamais je ne rapportais à la
maison une bonne poignée de monnaie.
Mélibée :
Voilà donc pourquoi tu étais triste, Amaryllis, pourquoi tu
invoquais les dieux ; aussi je me demandais avec surprise en l’honneur de
qui tu laissais les fruits pendre à l’arbre qui les porte : c’est que
Tityre n’était pas ici. Oui, Tityre, les pins eux-mêmes et les sources de
ces plantations t’appelaient.
Tityre :
Que pouvais-je faire ? D’une part, il ne m’était
pas permis de sortir autrement d’esclavage, et, d’autre part, il m’était
impossible de connaître ailleurs des dieux aussi prêts à m’assister. J’y
ai vu, Mélibée, ce jeune héros en l’honneur de qui nos autels fument douze
jours par an. C’est là que dès l’abord il a répondu ceci à ma demande :«Menez
vos bœufs à la pâture, comme avant, garçons ; élevez des taureaux.»
Mélibée :
Heureux vieillard ! Ainsi ta campagne demeurera en ta
possession ! Et certes l’étendue t’en paraît suffisante, bien que
tous tes pacages soient recouverts de pierres nues et qu’un marécage y mette
une bande de jonc limoneux : un fourrage dont elles n’ont pas
l’habitude ne mettra pas à l’épreuve tes brebis pleines et délicates, et
elles n’auront pas à souffrir du contact malsain avec un troupeau voisin.
Heureux vieillard ! Ici, au milieu des cours d’eau qui te sont connus et
de sources sacrées, tu goûteras l’ombre et le frais : d’un côté,
comme toujours, à la lisière du champ voisin, la haie, où les abeilles de
l’Hybla butinent la fleur de la saulaie, t’invitera souvent au sommeil par
un léger bourdonnement ; de l’autre, à l’abri d’un haut rocher,
l’émondeur enverra dans l’air sa chanson, sans que pour cela les ramiers à
la voix rauque, objet de tes soins, et la tourterelle cessent de gémir du haut
de l’ormeau.
TRADUCTION COMMENTEE,
v. 1 à 58 :
pour la préparation de la critique de la traduction
universitaire : nous sommes face ici à une traduction-fleuve, où tout est
développé : aucune obscurité ne subsiste, au point de tomber parfois
dans le commentaire ou, pire, sombrer dans de trop longues explicitations, ce au
détriment de la concision poétique et du raccourci saisissant des images
propres à Virgile. Traduttore, traditore, dit l’adage. Au reste, tout ceci
est… daté !
Mélibée :
couché (passif pour actif)
sous l’abri (perte de la métaphore : teg=couvrir,
donc toit ici, avec le –men d’outil) d’un hêtre touffu, tu étudies
(trop
scolaire, en perdant le sens artistique) un air (perte
de la métaphore) champêtre (pour silvestre=approximation
moderne !) sur tes minces pipeaux
(pourquoi ce pluriel=flûte de Pan?) ; nous, nous quittons le pays (pour
une fois, concision pour deux mots latins) et nos douces campagnes ;
nous, on nous bannit de notre patrie (perte
du parallélisme :linquimus, fugimus, malgré la reprise formelle du
nous, trompeur ici) ; toi, Tityre, nonchalant sous l’ombrage,
(curieusement, le français est ici plus concret que le latin) tu
apprends aux forêts à faire écho à ces mots
(en explétion, tout ceci pour :resonare) :«Amaryllis est belle.»
Tityre :
O Mélibée, c’est un dieu qui nous a fait ces loisirs
(lourdeur du présentatif : tout ceci sent la version latine, sans poésie
ni originalité, le sens personnel de HAEC étant perdu, et OTIUM/loisirs a évacué
actuellement tout sens spirituel) ; oui, ce (le
présentatif «ce» exprime mal le sens emphatique d’ILLE) sera
toujours un dieu pour moi ; son autel, souvent un tendre agneau sorti (ce
serait très précisément : EX) de nos bergeries le teindra de son
sang. (le traducteur a conservé l’ordre des mots,
subtilement) C’est grâce
à lui (une
construction prépositionnelle pour un verbe) que mes génisses ont le
droit (insistance
lourde que Virgile a su éviter : la traduction fait «propagande») d’errer
(ou : le droit de vaine pâture ? ),
comme tu vois, et que moi-même je suis libre (ce
n’est plus de l’insistance, c’est de l’obsession, avec double traduction
pour : PERMISIT) de m’amuser à jouer (pléonasme
très mal venu : «jouer» tout seul suffisait ) sur ma flûte champêtre
(il est mesquin de notre part de rappeler que cet
adjectif a déjà servi plus haut, mais pour traduire : SILVESTREM, ce que
tu ne pourras évoquer au bac : les deux occurrences du mot sont trop éloignées…)
des airs qui me plaisent. (encore une explétion, avec,
chez Tityre, un côté falot induit, donc incongru : le LUDERE QUAE VELLEM
le mettait au rang des créateurs – jouer ce que je veux, voire ce qui me plaît
pour insister sur le subjonctif, même s’il est dû à la présence de la
relative à l’intérieur de l’infinitive - non du banal amateur, osons
l’anachronisme, de variétés)
Mélibée :
Certes, je n’envie pas, j’admire plutôt
(assez lourd en français ; et le sens semble, vu le contexte, renvoyer
plutôt à l’étonnement) : tant il y a de troubles dans tout l’étendue
des campagnes (trop forte insistance) !
vois : ce sont mes chèvres ; malade de chagrin (adjonction
explicative), je les pousse droit devant moi
(traduction développée) , et en voici une, Tityre, que je mène et avec
bien du mal ( mots en latin… 1 » en français,
abusif, même compte tenu du pronom sujet ; la syndèse et… et provoque
un effet de radotage !). Ici, au milieu des coudriers épais, elle
a, hélas ! laissé sur (tentative par écho
d’expression de l’harmonie imitative des voyelles fermées et des allitérations
successives ; au reste, le doublement des compléments de lieu est fautif :
elle les a abandonnés dans les coudriers, après avoir mis bas, non sur la
paille d’une bergerie mais sur la dureté : SILICE, sans la protection de
la paille : NUDA, du sol en pierre) la pierre nue, après de durs
efforts (trop long, mais difficile de faire autrement
dans cette mise bas avec douleur), deux jumeaux (on
attend : des jumeaux ; le souci de précision provoque un pléonasme),
l’espoir du troupeau. Ce malheur bien souvent (
encore ces surenchérissements, avec : bien ; bizarrement, le CE
devient impersonnel, au rebours du HOC de première personne) - mais j’étais
aveugle ! (rupture brutale de la phrase, ce que ne
fait pas la conditionnelle) – nous a été prédit, je me le rappelle
maintenant, (deuxième incise en fait, là où le texte
est bien structuré, sans cassure ; au reste, 5 mots pour MEMINI)
par les chênes atteints du feu céleste (
=traduction/explication). Mais voyons (
bien familier…): celui qui est pour toi un dieu (
ou plutôt : ton dieu ; la traduction induit un scepticisme à
l’encontre de celui qui est évoqué à mots couverts, ce qui serait maladroit
chez Virgile), donne-nous en une idée, (bel
exemple de traduction expliquée, et, derechef, encore des longueurs )
Tityre.
Tityre .
La ville qu’on appelle Rome, ô (
pourquoi l’ajout gratuit de cette marque grandiloquente d’apostrophe ?
Goelzer pense en grec ?) Mélibée, je croyais dans ma sottise (ou :
sot que je suis ou – comme je suis sot - ) qu’elle ressemblait à
celle-ci, à la nôtre (en structure binaire ;
plus naturellement : à celle qui est la nôtre - en perdant le –ci,
proche de la première personne ? ), où nous avons pris
l’habitude (trop long), nous autres bergers (3
mots pour un, mais incontorunable ici), de mener souvent les tendres
rejetons enlevés à nos brebis (perte du génitif,
DEPELLERE étant coupé en deux : mener et enlevés ). C’est ainsi
(présentatif, une approximation pour la mise en valeur
par SIC… NORAM en début de vers, le parallélisme de la structure binaire,
l’allitération en s : il n’est pas interdit de se servir de ses
connaissances en figure de style pour appuyer ses remarques pertinentes…)
que je voyais (pour la syncope : NORAM, plutôt
connaître – mais le regard permet l’observation, donc, empiriquement, la
connaissance) les petits chiens (chiots ?) ressembler
(verbe pour un adjectif
) aux chiennes et les chevreaux à leurs mères (parallélisme
conservé, et ceci permet une sorte d’écho de l’anaphore de SIC);
c’est ainsi que (3ème SIC, donc cet effet de martèlement
est bien venu ) je m’étais habitué (pourquoi
ce réfléchi : un simple j’avais l’habitude suffit, et la traduction
implique une réflexion, un retour sur soi qui semble étranger au personnage
– je te rassure : un tel commentaire serait inattendu du correcteur, car
vous n’aurez pas le contexte des 3 ou 4 vers au baccalauréat ) à
comparer (peut-être préférer : rapprocher, pour
garder le sens de PONO, cf. la com-position, un des aspects essentiels de la création
littéraire, pour les Anciens : nihil novi sub sole )
les grandes choses (choses est ici acceptable,
malgré les consignes habituelles en version)
aux petites. Mais, en vérité (traduction en
double de VERUM ; automatisme «évangélique ?» ), cette
ville a élevé sa tête au milieu des autres, autant que d’ordinaire (plus
élégant que : ont l’habitude de la faire. Ou préférer : le font ?)
les cyprès au milieu (conservation du parallélisme ;
mais l’impression d’ensemble reste équilibrée alors que le chiasme :
HAEC EXTULIT… SOLENT CUPRESSI, l’inversion inattendue des verbes, la forte
disjonction entre la préposition INTER et URBES
frappent ces deux vers) des souples viornes.
Mélibée
Et quel motif si important t’a poussé (motif+si+poussé=TANTA
CAUSA ; pourquoi/pour quelle raison as-tu tellement voulu voir R. ?
qui renvoie à la longue intervention de Tityre, qui n’a pas en fait répondu
à Mélibée… ) à voir Rome ?
Tityre
La Liberté ! Tardivement sans doute, mais enfin (=TAMEN !!!)
elle a laissé tomber un de ses regards sur celui qui ne faisait rien pour elle (difficile
d’être plus prolixe ; plus de concision ici ne messiérait point !
qui a regardé, certes tardivement, quelqu’un d’inactif/un dilettante ?
Il y a sans doute moyen de trouver mieux. Il n’est pas interdit d’ouvrir des
pistes, dans ce type d’exercice . Au reste, vous ne risquez rien ! ),
alors que déjà, ( ?) pour la main qui me
rasait (laquelle ? historiquement, celle d’un
barbier de rue), ma barbe tombait de plus en plus blanche (dont
la barbe tombait plus blanche sous la main du barbier/ après que le barbier fit
tomber sa barbe plus blanche ; notons que la répétition de POSTQUAM est
perdu aussi) ; oui, elle a jeté sur moi un regard favorable (longueur…
la traduction de TAMEN par oui est floue, même s’il met en valeur RESPEXIT en
début de vers), et, après un temps bien long, elle est venue à moi,
depuis que nous sommes au pouvoir d’Amaryllis et Que Galatée m’a quitté (
le jeu sur les verbes est complètement perdu, alors qu’il y a encadrement du
v. 28, césure h en 30 et verbe à la fin ; évanouie aussi l’opposition
entre Amaryllis et Galatea toutes les deux sujet ; de plus, moi est présent
deux fois, alors qu’il n’y a que NOS). En effet, je l’avouerai (incise
élégante et bien vue ), tant que j’étais aux mains de Galatée (sens
induit…curieux ! Préférons : tant que G. était ma maîtresse ;
ainsi, Tityre reste l’objet, cf. ME ), je n’avais ni l’espoir d’être
libre (en fait, plus simplement : il n’y avait
ni espoir de liberté, voire la tournure purement nominale, possible en français
aussi : ni espoir de liberté) ni le souci de mon pécule (ni
pécule assuré ? Trop forte prégnance de la première personne, comme
plus loin ). J’avais (je mis en valeur car
MEIS en césure p ?) beau faire sortir de mes enclos mainte grosse
victime (mainte est très adéquat ; ce n’est
pas le cas de :grosse, sous-entendu), et presser de gras fromages (maint
aurait pu être conservé, car MULTA concerne aussi le fromage) pour la
ville qui ne paie pas cher (ou : insatiable),
jamais je ne rapportais à la maison une bonne poignée de monnaie (traduction
très éloignée, malgré la tentative de garder l’image avec poignée).
Mélibée.
Voilà donc pourquoi (plutôt :
je m’étonnais de ce que tu invoquasses tristement les dieux)
tu étais triste, Amaryllis, pourquoi tu invoquais les dieux (insertion
d’un parallélisme gratuit ); aussi je me demandais avec surprise (explétion
évidente) en l’honneur de qui tu laissais les fruits pendre à
l’arbre qui les porte (lourd, mais mise en évidence
pertinente de l’ablatif SUA ARBORE, cf. scansion !): c’est que (les
deux point explicatifs suffisent) Tityre n’était pas ici. Oui, (pour
l’asyndète ou les deux IPSE ?) Tityre, les pins eux-mêmes et les
sources de ces plantations t’appelaient (le
traducteur fausse complètement ici la fonction d’ARBUSTA ; la structure
ternaire est détruite ; un simple t’ pour les deux TE, frappé aussi par
l’alliteration, tout ceci est fâcheux).
Tityre.
Que pouvais-je faire (plus
classiquement traduit par un infinitif ) ? D’une part, il ne m’était
pas permis de sortir autrement (nécessaire ici pour éclaircir
le propos ; nous proposons, jusqu’au bûcher exclusivement – on n’est
jamais trop prudent, en notre société régurgitant ses intégristes, cette
dernière remarque n’étant pas PC ni licite au bac ! – Sans cela, il
ne m’était pas permis de quitte l’) d’esclavage, et, d’autre
part ( un NI aurait pu suffire, malgré la force du
NEQUE…NEC, donc : ni de connaître ailleurs des dieux aussi – osons, en
fidèle disciple des propos pascaliens : efficaces), il m’était
impossible (curieuse variation sur LICEBAT ; la
première traduction de Goelzr est plus convaincante) de connaître ailleurs des dieux aussi prêts à m’assister
(trop long : aussi proches/directs ?).
J’y ai vu, Mélibée, ce jeune héros (Bien !)
en l’honneur de qui (datif développé, à juste
titre ) nos autels fument douze jours par an. C’est là que dès
l’abord (dans ce cas : de prime abord, non ?
) il a répondu ceci (trop simplifié : il
a donné comme réponse… quand la tradcution littérale est claire, inutile
d’aller plus loin ni dans le sens du développemant ni dans celui de la
concision) à ma demande :«Menez vos bœufs à la pâture (plutôt :
faites paître vos boeufs), comme avant, garçons ; élevez (pour :
accouplez les taureaux ) des taureaux.»
Mélibée.
Heureux vieillard ! Ainsi ta campagne demeurera en ta
possession (=restera tienne et suffisamment grande
pour toi, cf. la suite, trop décalée)! Et certes l’étendue t’en
paraît suffisante, bien que tous tes pacages soient recouverts de pierres nues (habituellement,
c’est plutôt le latin qui apprécie le passif, ici gratuit ! de toute façon,
dans ce cas, la suite devrait être : et d’un marécage aux jonc
limoneux) et qu’un marécage y mette une bande (?)
de jonc limoneux (chez nous : aux joncs
limoneux ? en perdant le sg collectif ? Faut-il alors essayer :
marécage au jonc limoneux avec un effet très visuel de gros plan sur cette
plante emblématique des marais ?): un fourrage dont elles n’ont
pas l’habitude (inhabituel) ne mettra pas à
l’épreuve tes brebis pleines et délicates (=GRAVIS ?
FETAS GRAVIS – pour GRAVES, acc. archaïque – renvoie plutôt à
l’enrichissement par la descendance, sans faire entrer en ligne de compte
la… délicatesse ? superfétatoire ici) , et elles n’auront pas
à souffrir du contact malsain avec un troupeau voisin (donc :
les contacts malsains – très bien vu, avec le sens de TANGO – avec un
troupeau voisin ne les infecteront
pas). Heureux vieillard ! Ici, au milieu des cours d’eau qui te
sont connus (milieu de cours d’eau connus/familiers) et
de sources sacrées, tu goûteras l’ombre et le frais (=la
fraîcheur de l’ombre): d’un côté, comme toujours, à la lisière
du champ voisin, la haie, où (pour garder une
relative) les abeilles de
l’Hybla butinent (tournure active, vu aussi
l’accusatif de relation…) la fleur de la saulaie (saussaie,
saulaie, voire saulsaie !), t’invitera souvent au sommeil (1
mot pour deux en latin : INIRE SOMNUM) par un léger bourdonnement (perte
de la disjonction); de l’autre, à l’abri d’un haut rocher, l’émondeur
enverra dans l’air sa chanson (chantera ver les
cieux…), sans que (mise en subordination
indue) pour cela les ramiers à la voix rauque, objet de tes soins (B.),
et la tourterelle cessent (donc perte du futur, logique
suite logique du subjonctif induit) de gémir du haut de l’ormeau (bonne
harmonie pour nl’oppisition voyelles ouvetres/fermées de cette fin d’hexamètre…).
Que retenir de tout cela ? Apparemment,
pour notre traducteur: pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Un long discours en explétion et
éclaircissement des sous-entendu vaut mieux qu’un texte plus poétique, plus
léger, mais plus obscur. Fi du respect des figures de style, surtout quand il
s’agit de disjonctions, parallélisme, chiasme, harmonie imitative, allitération,
anaphore, hyperbate, extraposition emphatique, place des mots à la césure avec
le jeu des pauses sémantiques ou en début de vers ou en fin de vers. Mais la
traduction est un art fort subtil : terminons en méditant la fin du
Sylphe, de Valéry, dans son recueil Charmes (de CARMINA, vers en
latin, d’où le charme lancé par la sorcière): «Hasard ou Génie ? Aux
meilleurs esprits que d’erreurs promises».
en 1607 et en alexandrins, par les frères Robert et Antoine Le Chevalier d’Agneaux, de Vire en Normandie, édité par David le Clerc, rue Frémentel, au petit Corbeil (exemplaire personnel de H. Steiner - notre recopie modernise la graphie des accents, quand elle est indiquée ; sinon, l’orthographe est strictement respectée, compte non tenu de l’enclenchement d’automatismes professionnels…)
En avant-propos :
Argument de la I. églogue
Mélibé
délaissant ses doux champs par contrainte
Sous
l’ombrage, ocieux trouve Tityr’ chantant
Et
luy fait, étonné, de son mal-heur la plainte :
Tityr’
de son repos l’autheur luy va comptant.
La
traduction :
En
reposant, TITYRE, à l’umbrage couvert
De
cet hêtre au fueillage épanchément ouvert,
Tu
mets sur le pipeau d’une avene legere
L’air
de mainte chanson doucement bocagere.
Et
nous pauvres chetifs nous liassons loin de nous :
Les
fins de notre terre et nos villages dous :
Nous
fuyons notre terre, en saison si mauvaise :
Toi
ce pendant Tityre, en l’umbrage àton aise,
Tu
aprends aux forêts à rebruire en chansons :
La
belle Amarillide au rebat de tes sons.
TIT. C’est
un Dieu, Mélibé, qui nous a fait la grâce
De
vivre en ce repos ; aussi toujours sera-ce,
Mon
Dieu que cestuy-la, et de mes parcs souvent
Maint
agnelet ira ses autels abbreuvant.
Il
permet à mes boeus, comme tu vois, de paître,
Et
à moy de joüer d’un chalumeau champêtre
Tout
ce que je voudray. ME. Certes
je ne suis point ;
Sur
toy pour ce bon-heur d’aucune ennuie époint :
Plutôt
m’en étonné-je, étant si fort troublées
Les
affaires des champs ; voicy des-assemblées
Ces
chevrettes, cassé, je mène loin d’icy :
Et
à peine, Tityre, entre autres ceste-cy.
Car
elle a deux bessons, l’espérance plus chere
De
tout ce mien troupeau, dans l’épéceur n’aguere
De
ces courdes laissez, nus sur la dureté. (laissés naguère dans l’épaisseur
de ces coudriers)
Las !
d’une froide roche, où elle a chevroté.
Aussi
me souvient-il, sinon qu’abandonnée
J’ay
eu l’âme au rebours à malheure tournée
Que
les chênes frappez du Ciel auparavant
M’ont
de cette disgrace admonesté souvent :
Et
que souvent aussi gauche me l’a pareille
D ‘un
yeuse mangé préditte la Corneille.
Mais
cependant, Tityr ‘, au moins enseigne-nous,
Qui
peut être ce Dieu, qui t’a été si dous.
TiT. La
ville Mélibée, que l’on appelle Rome,
Peu
sage que j’estoy, je pensois être comme
La
ville, où nous soulons entre nous pastoureaux
Souvent
ôter le lait à nos tendres agneaux,
Ainsi
je mesuroy’ les leurons à leurs peres,
Ainsi
je mesuroy’ les cabris à leurs meres,
Aux
grandes choses, fol, les petites ainsi
Je
soulois comparer : mais enfin cette-cy
Eleve
autant dessus toutes autres ses cornes
Que
font les hauts Cyprez sur les humbles viornes,
ME.
Et qu’elle chose peut t’avoir tant incité
D’aller
visiter
Sur moy lache et pesant, de l’heure que chenuë
Sous le rasoir ma barbe à tomber commença
Tant y a que sur moy la veuë elle dressa,
Et finalement vint après un long espace :
Receu que je me vi d’Amaryllide en grace,
Je fu de Galatee aussi tôt dégagé :
Car (à dire le vray) cependant qu’assiegé
Me tenait Galatée, oncques je n’eu courage
D’esperer liberté, ny soucy de menage :
Et bien que maint agneau sortit gras de mes parcs,
Pour en estre le sang en sacrifice épars :
Et bien que maint fourmage je misse aussi en presse
Pour à la ville ingrate en faire part, si est-ce
Que d’un tout seul denier en aucune saison,
Ma main ne retournait chargée à la maison :
Me. Aussi m’ébahissois-je a quoy de pleurs humide
On te voyait recourre aux Dieux, Amaryllide ;
Pour qui dans leur pommier tu souffrois languissan
Pendre à bas tant de fruit : Tityre estoit absent :
Les pins même, Tityre, et même les eaux vives,
Même leurs arbrisseaux t’appelloient sur leurs rives.
TIT :Qu’eusse-je fait, douteux ? ne pouvant ny sortir
Du servage où j’étois, ny autre part sentir
Les Dieux à mon secours si à propose encore,
Là, Mélibé, je vi ce Jouvenceau, qui ore
Fait fumer nos autels tous les ans douze fois.
Là tout premier response il rendit à ma voix :
Enfans, paissez vos bœufs, comme vous souliés faire,
Et
couplés vos toreaux souz le joug ordinaire.
ME : Doncques, heureux vieillard, tu demeureras coy
Possesseur de tes champs, voire assez grands pour toy :
Bien qu’un rocher desert par tout les circüisse
Et qu’autour des pâtis un maresc se herisse
De limoneux jonchers : là pour d’herbes changer
Chevres ny Brebis prains ne seront en danger :
Là les troupeaux gâtez du prochain voisinage
Par leur contagion ne porteront dommage.
Heureux vieillard, icy tu cueilleras auprès
Et des fleuves hanté et des sources le fres :
D’un costé tu auras pour devise la haye,
Ou suççotant les fleurs de la belle saussaye
Les esseims Hybléens d’un bourdonnement dous
Flateront le sommeil, d’autre costé dessous
La pente d’un rocher, l’émondeur du branchage,
Aux airs dégoisera les airs de son ramage
Cependant enroüés les ramiers, ton soucy,
Et sur un haut ormeau la tourterelle aussi
Sans cesse gemiront. TI : Doncques les cerfs, ès nuës
Iront paistre legers, et sur les rives nuës
La mer à descouvert les poissons laissera :
Le Parthe de la Saone, et l’Alleman boira
Du Tygris, vagabond eschangeans de contrée :
Premier que son image au plus profond en-entrée, (sic !)
De tous mes pensements en puisse oncques sortir.
ME : Mais nous, irons d’icy les uns voir au partir
L’Africain altéré, les autres pour retraitte
La Scythie, ou l’Oaxe, impétueux de Crette,
Et du monde univers le Breton séparé.
He ! n’adviendra jamais, qu’ayant long temps erré
Je m’esbahisse après quelques moissons passées
De revoir et les fins du païs délaissées,
Et du mien pauvre toit le fète gazonné
Mon Royaume champestre helas abandonné
Aura donc outrageux le soldat pour conqueste
Ces beaux champs ? l’estranger ces moissons toutes prestes ?
Helas ! ou à (sic !) la guerre amené les paisans ?
Et pour qui avons-nous ensemencé les champs ?
Or ente Melibé tes poiriers, et va, plante :
Tes veignes au compas sous ceste chaude attente.
Allez, chevres, allez, troupe heureuse autrefois,
Je ne vous verray plus loin comme je soulois
Es verds antres couché, d’un roc buissonneux pendre :
Je ne chanteray plus : et plus vous n’irez prendre
Chevrettes, dessous moy le cytise fleuri
Ny le faux tendre-amer, duquel je vous nourri.
TIT : Si pourras-tu chez moy dessous ce verd feuillage
Reposer ceste nuict : nous avons du pommage
Doux et bon à manger, des chastaignes aussi
Et force lait caillé : et puis ja loing d’icy
Vont fumant tout autour les coupeaux des villages
Et tombent allongés des hauts monts les ombrages.
Pourquoi un tel pensum ? Je ne prétends pas que cette traduction soit immortelle mais, en l’état, des réussites heureuses rendent sa lecture – alliée à l’archaïsme de sa graphie – sinon agréable, du moins prenante. Avec suffisamment d’obscurités pour entrer en résonance avec la résistance du texte virgilien. Pour ne pas dire écho : en effet, ce texte date d’une époque où l’utilisation des répétitions est encore sentie comme musicale, et non comme maladroite. Preuve d’un manque de vocabulaire ? Adieu, Péguy.
Meliboeus
Tu, Tityre, recubans Toi,
Tityre, (étant) étendu sub tegmine patulae fagi sous
le couvert d'un large hêtre (touffu chez Goelzer)
meditaris silvestrem musam tu
étudies la muse des forêts=un air champêtre
tenui auena sur
ta flûte=sur ton mince pipeau [ petit tuyau = flûte ].
Nos, linquimus Nous, nous laissons/quittons
finis patriae [ fines] les
frontières de notre patrie et dulcia arua et
nos douces campagnes ; nos fugimus patriam, nous,
nous fuyons notre patrie=on nous bannit de. Tu,
Tityre, Toi,
Tityre lentus in umbra nonchalant à/sous l'ombre
doces silvas tu apprends aux
forêts resonare Amaryllida (esse) formosam à faire résonner
(faire écho à ces mots): «Amaryllis est belle»
(ESSE sous-entendu).
Tityrus
O Meliboee, Ô
Mélibée, deus nobis fecit un dieu nous a donné
(fait) haec otia ces loisirs (intellectuels;
cf. NEG-OTIUM, et ce passe-temps est le mien: HAEC). Namque ille erit
CEn effet/oui/defait celui-ci
sera semper deus mihi toujours un dieu pour moi.
Saepe agnus tener souvent un tendre agneau ab
nostris ovilibus (sorti) de nos bergeries imbuet aram illius ensanglantera son autel. Ille
permisit IL a permis meas boves errare à
mes vaches/génisses d'errer, ut cerneis comme
tu le vois, et (permisit) ipsum ludere et il m(=IPSUM)'a permis de jouer [ prop. infinitives : on aurait
aussi pu utiliser des prop. sub = que mes vaches errent... que je joue... ]
quae uellem calamo agresti ce (les choses) que je veux [
ss ent. res ] sur ma flûte champêtre.
Non equidem inuideo, Je
n'envie pas (ton sort), miror magis : je m'étonne
plutôt : totis agris undique sur toutes les terres,
de tous côtés=sur toute l'étendue des terres usque adeo turbatur ! tout est tellement troublé
[ 3 adverbes : redondance maladroite en
français ] ! En ipse aeger Voilà
[ Forme poétique ] moi
même, malade (de chagrin), ago capellas protinus je mène
mes
chèvres tout droit/devant moi etiam vix mais
c'est avec
peine/difficulté, Tityre, duco hanc, que, Tityre, je conduis
celle-ci. Namque hic En effet ici
inter densas corylos entre d'épais noisetiers
modo reliquit tout à l'heure elle vient d'abandonner (parfait;
résultat présent d'une action passée) gemellos, spem
gregis, a !
des jumeaux, l'espoir du troupeau, hélas
! [ une interjection ne sépare pas la phrase
! ] conixa in silice nuda après avoir mis bas
sur une roche nue. Memini quercus tactas de caelo
je me souviens de chênes frappés par la foudre (touchés du
ciel) praedicere saepe nobis hoc malum qui nous prédisaient
souvent ce malheur
[ prop. infinitive : je me souviens de chênes prédire... ], si mens non
fuisset laeva si
mon esprit n'avait pas été
aveuglé. Sed tamen Mais cependant/voyons da,
Tityre, nobis donne-nous (dis-nous), Tityre, qui
sit iste deus qui est ce dieu (iste
démonstratif de deuxième personne: ce dieu à toi, pas le mien).
Urbem quam dicunt Romam,
Meliboee, La
ville qu'on appelle (qu'ils) Rome, Mélibée, putaui stultus ego je
la pensais, stupide, nostrae similem nostrae huic semblable
à celle-ci, la nôtre (huic=pronom démonstratif de première
personne), quo solemus pastores où
nous avons l'habitude, bergers, depellere saepe ovium teneros fetus de
conduire souvent nos tendres agneaux
[ les tendres petits des brebis = les agneaux ].
Sic noram [=noueram ] Ainsi
j'avais imaginé canibus catulos similes les
chiots semblables aux chiennes, [ féminin car
parallélisme avec matribus ] sic matribus haedos (similes) (ainsi)
les chevreaux semblables à leurs mères, sic solebam ainsi
j'avais coutume componere magna paruis de
comparer les grandes choses aux petites [
ss ent. res ]. Verum, haec
extulit En vérité, celle-ci élève tantum caput
autant sa tête inter alias inter urbes parmi
les autres villes, quantum [ Corrél. tantum... quantum = autant... que ] cupressi
solent (efferre) que les cyprès ont l'habitude (de s'élever)
inter lenta uiburna entre (au milieu des) les souples viornes [
petit arbuste ].
Meliboeus
Et quae tanta causa Et
quelle cause si grande (motif si important) fuit tibi t'a poussé (a
été pour toi) Romam uidendi à (de)
voir Rome ?
Tityrus
Libertas... La
Liberté...
v.
27 – 39
LIBERTAS, QUAE TAMEN SERA La Liberté, qui, cependant/quoique tardive(+ment!) RESPEXIT INERTEM a tourné la tête vers un inactif (l’expression est plaisante et polysémique 1): l’esclave ne peut obtenir sa liberté qu’en passant par le grossissement de son pécule ; ce qui est arrivé, mais bien tard ; en ce sens, il est in-ars 2° ) lui-même, comme certains de ses maintenant concitoyens, n’a rien fait pour la liberté du peuple romain 3) ne représente-t-il pas aussi Virgile, débutant en art dans cette bucolique ? Certes c’est la huitième en date du recueil, mais c’est ici la pièce liminaire, en forme de dédicace implicite à Octavien, le futur Auguste en –27 ; il est donc bien in-ars, et ceci est aussi un clin d’œil à la simplicité naturelle de cette bucolique) POSTQUAM BARBA CADEBAT après que sa barbe fut tombée CANDIDIOR TONDENTI ; plus blanche pour le rasant/barbier (pour celui qui le rasait !) ; TAMEN RESPEXIT Cependant elle tourna la tête, ET VENIT LONGO TEMPORE POST et vint un long moment après (POST=adverbe ; syndèse : TAMEN ET – la virgule est une invention alexandrine) 30 POSTQUAM AMARYLLIS NOS HABET après qu’Amaryllis fut notre maîtresse, (curieuse inversion du rapport attendu) GALATEA RELIQUIT (et ?) que Galatée nous eut quitté (avec asyndète, NOS en facteur commun aux deux verbes ; la première bergère semble avoir chassé la deuxième, cette dernière partant de son propre chef…) NAMQUE, FATEBOR ENIM De fait, je l’avouerai (cf. racine FA, dire, avec fa-ble, eu-phémisme, blaspème, le FA-num est le temple où le dieu parle, d’où d’ailleurs le fanatisme, et les fans de Star’Ac – il faut bien faire djeueunn !!! infâme, mal fâmé, fameux, fabuleux, un remède de bonne fame, devenu de bonne femme ; les virgules d’encadrement de l’incise traduisent la conjonction de coordination. La syndèse marque-t-elle un effort pour arriver à l’aveu, fort peu viril ici ?) DUM GALATEA ME TENEBAT tant que Galatée me tenait NEC ERAT SPES LIBERTATIS il n’y avait ni espoir de liberté NEC CURA PECULI ni souci/gestion de mon pécule (donc, Tityre était doublement esclave, mais la structure binaire privilégie plutôt dasn le premier cas la relation amoureuse passive) QUAMVIS MULTA VICTIMA EXIRET quoique mainte victime sortît (MULTI peut se rencontrer au sg !) MEIS SAEPTIS de mes enclos ET PINGUIS CASEUS PREMERETUR et qu’un gras fromage fût pressé URBI INGRATAE pour une ville ingrate/insatiable ? (Goelzer propose : qui ne paie pas cher) 35 NON UNQUAM DEXTRA REDIBAT jamais ma (=mihi ?) main droite ne revenait MIHI DOMUM GRAVIS AERE (pour moi) chez moi/à la maison alourdie de bronze/pièces de bronze. MIRABAR QUID Je m’étonnais de ce que VOCARES, AMARYLLI, MAESTA DEOS tu appelasses, Amaryllis, affligée/dans ton affliction les dieux CUI PATERERIS POMA (en me demandant) pour qui tu souffrais/supportais que les fruits PENDERE IN SUA ARBORE pendissent sur leur arbre : TITYRUS ABERAT HINC. Tityre était loin d’ici. TITYRE, TE, PINUS IPSAE, Tityre, toi, les pins eux-mêmes, (les noms d’arbres sont du féminin) TE FONTES IPSI, toi, les sources elles-mêmes HAEC ARBUSTA IPSA VOCABANT, ces plantations elles-mêmes t’appelaient.
Quid facerem? Que pouvais-je faire (subjonctif de délibération, traduit communément par un infinitif en français: que faire, l'émetteur étant implicitement le sujet) neque licebat me exire servitio il n'était pas permis ni que je sorte de la servitude/esclavage (cf. SERVUS. NEQUE... NEC: anaphore négative en structure binaire, cf. les deux HIC ultérieurs en attaque de vers; LICET peut être construit soit avec un datif soit avec proposition infinitive comme ici ) nec cognoscere alibi divos tam praesentes ni de connaître ailleurs des dieux si propices (pour «efficace», théologiquement connoté depuis Pascal; ALIBI est en facteur commun aux deux infinitifs et s'oppose aux HIC suivants; DIVOS: adjectif substantivé). Hic vidi, Meliboe, illum juvenem, ici j'ai vu, Mélibée, cet illustre jeune homme (le sens emphatique, laudatif, d'ILLE est incontournable ici et doit transparaître dans la traduction) cui senos bis dies quotannis pour lequel pendant deux fois (par!) six jours chaque année (BIS est multiplicatif avec les distributifs, QUOT renforce la distribution) nostra altaria fumant. nos autels fument (divinisation prémonitoire d' Octave, futur Auguste en -27, cf. son apothéose par le Sénat, ce après sa mort en +14), Hic primus ille mihi dedit ici, le premier, celui-ci m'a donné responsum petenti +cette réponse à ma demande (à moi demandant, participe en accord avec MIHI) « pueri, pascite ut ante boves, enfants, faites paître comme avant vos boeufs (PUERI, vu l'âge bien mûr de Tityre, est surprenant: terme affectueux, protecteur d'Octave à l'égard des demandeurs, qui seraient ses fils spirituels? Tityre au milieu d'une groupe plus jeune dont il aurait été le porte-parole? PUERI peut certes signifier aussi esclaves, mais on ne voit vraiment pas comment et pourquoi Octave les recevrait! Ou il recevrait des affranchis comme CLIENTES? Au-delà de la pertinence de l'apostrophe, le message est clair: Octave prône le retour à la terre, programme qui ne deviendra vraiment opérant qu'après sa victoire sur Antoine et Cléopâtre à Actium en -31! D'aucuns s'en souviendront, pour le plus grand malheur de la France) submittite tauros. élevez des taureaux (pour une meilleure reproduction; SUBMITTO signifiant ici envoyer de dessous, donc faire croître/pousser) Meliboeus: Fortunate senex, Mélibée: Heureux vieillard (maladroit après le PUERI!) ergo tua rura manebunt donc tes champs resteront +tiens (TUA épithète et attribut du sujet!) et satis magna tibi et suffisamment grands pour toi (idéal d'autarcie, d'élevage extensif sans productivisme) quamvis lapis nudus que palus junco limoso quoique la pierre nue et le marécage au jonc boueux (nous optons pour un ablatif de qualité et non de moyen, qui ne pourrait jouer qu'avec PALUS) obducat omnia pascua recouvrent tous tes pâturages (recouvrent: accord avec le plus rapproché... Notons que le travail permet d'échapper à la misère - au rebours d'un barrage contre le Pacifique, malgré la piètre qualité du terrain; donc un idéal de frugalité, nous ne sommes pas dans un pays de Cocagne. pabula insueta non temptabunt fetas graves des fourrages/nourritures inhabituels (dont elles n'ont pas l'habitude, d'où diarrhées) ne tenteront pas +tes brebis gravides nec contagia mala pecoris vicini laedent ni les maladies pernicieuses d'un troupeau voisin (dû au voisinage, d'où contacts, avec un autre troupeau) ne +les lèseront/atteindront. Fortunate senex, Heureux vieillard hic inter flumina nota ici parmi des fleuves connus/que tu connais (donc sans le piège d'un trou d'eau inconnu) et fontes sacros et les fontaines sacrées (donc consacrées chacune à une nymphe) captabis frigus opacum tu rechercheras un froid/fraîcheur opaque/ombragée; hinc saepes salicti depasta florem là, la haie de saule butinée (amusant, ce participe passé passif de DEPASCO avec un accusatif de relation!) quant à sa fleur apibus Hyblaeis par les abeilles de l'Hybla quae semper ab limite vicino qui existe toujours depuis la limite du champ voisin (Virgile tient à souligner la permanence, par delà les tribulations du temps, de ce type de clôture; de plus, la propriété se marque par la séparation, de tout temps!) tibi suadebit saepe te persuadera souvent inire somnum levi susurro d'entrer dans le sommeil par son léger bourdonnement (de fait, c'est bien la haie qui donne l'impression de bourdonner); hinc sub alta rupe là sous la haute roche frondator canet ad auras l'émondeur chantera vers les cieux; tamen interea nec palumbes raucae, tua cura, cependant, pendant ce temps, ni les palombes à la voix rauque, ton souci=l'objet de tes soins! (NEC en anaphore) nec turtur cessabit gemere ab ulmo aeria ni la tourterelle ne cessera de gémir depuis l'orme aérien (les noms d'arbres sont féminins en latin).
|
Tityrus Quid facerem?
neque
servitio
me
exire
licebat 'pascite
ut
ante
boves,
pueri,
submittite
tauros.'
|
Que
pouvais-je faire ? |
|
Il
ne m’était permis ni de sortir de l’esclavage |
|
ni
de connaître des dieux si favorables |
|
alibi . |
ailleurs. |
C’est
là que j’ai vu ce jeune homme, Mélibée, |
|
pour
lequel chaque année, un jour par mois, |
|
nos
autels fument (vont fumer). |
|
C’est
là que celui-ci le premier a donné une réponse |
|
à
moi qui présentait ma requête : |
|
Faites
paître comme avant vos bœufs, enfants, |
|
élevez
des taureaux. |
|
|
Meliboeus nec mala
vicini
pecoris
contagia
laedent. saepe levi
somnum
suadebit
inire
susurro; |
Heureux
vieillard, |
|
ainsi
donc tes champs te resteront |
|
et
pour toi ils seront assez grands, |
|
bien
que la pierre nue et les marécages |
|
couvrent
tous tes pâturages de joncs limoneux. |
|
Des
pâturages inconnus ne mettront pas à l’épreuve |
|
les
femelles pleines |
|
et
les maladies contagieuses du troupeau voisin |
|
ne
toucheront pas (ton troupeau/le tien). |
|
Heureux
vieillard |
|
Iii,
entre les fleuves que tu connais |
|
et
les fontaines sacrées |
|
tu
profiteras de la fraîcheur ombragée. (de
la fraîcheur de l’ombre / de l‘ombre fraîche) |
|
Là,
pour toi, (la haie) qui (le fait) toujours Là
pour toi, comme toujours, |
|
depuis
les limites du champ voisin |
|
la
haie de saule |
|
butinée
quant à sa fleur dont
la fleur est butinée |
|
par
les abeilles du mont Hybla* montagne
de Sicile ! c’est l’Hymette qui est en Grèce ! |
|
te
convaincra souvent de te laisser aller au sommeil |
|
de
son léger bourdonnement ; |
|
là
aux pieds de la haute roche |
|
l’émondeur
lancera son chant dans les airs, |
|
et
cependant, pendant ce temps |
|
ni
les palombes au son rauque, |
|
objets
de tes soins, |
|
ni
la tourterelle |
|
ne
cesseront de gémir |
|
depuis
l’orme aérien. (du haut de l’orme) |
|
|
|
« Je suis né libre au
fond du golfe aux belles lignes
Où l’Hybla plein de miel mire ses bleus sommets »
Deux vers tirés d’un sonnet (l’esclave) de J.M de Heredia (Les
Trophées)
Les
Bucoliques sont un genre littéraire hérité de la littérature grecque,
rattaché à la poésie lyrique, le genre affectif. Il y a donc de la poésie,
des sentiments, mais aussi des éléments dramatiques : une mise en scène, un décor
rustique, des personnages, des conventions... Ces poèmes pourraient être joués.
Le
maître de cette poésie lyrique est Théocrite, et son œuvre des Idylles.
Ces poèmes sont des petites scènes en hexamètres qui mettent en scène des
personnages de classe populaire, des paysans, comme une sorte de tableau de
genre. Il s'agit d'un mime, c'est à dire ce qui relève de la mimesis (MIMHSIS):
réalisme et imitation. Il s'agit de donner une parole poétique aux paysans par
l'imitation de leur vie. Il y a un certain souci du réalisme, dans le but de
faire pénétrer le lecteur dans l'univers des bergers : ceux-ci parlent de
leurs préoccupations, de leurs bêtes, dans un langage populaire. Théocrite
fait accéder ce milieu rustique à la dignité littéraire.
Virgile
est le continuateur de ces Idylles à Rome. Les Bucoliques sont des poèmes sur
la vie des bouviers. L'auteur s'inspire directement, mais il est aussi novateur.
Sa poésie s'inspire de la vie des bergers, mais il n'y a pas le même réalisme
: on s'écarte d'un monde défini, situé, pour créer un monde universel, celui
de l'Arcadie.
L'Arcadie
est une province grecque, sauvage, montagneuse, naturelle. Elle est peuplée par
des paysans musiciens, vivant de leurs troupeaux mais surtout de musique, considérée
comme l'art de tous les arts. C'est ce peuple que Virgile va idéaliser : il y a
donc une volonté de se détacher de la réalité, pour créer un paradis
terrestre, un lieu de paix et de tranquillité, auquel le monde romain aspire
sans doute après des années de conquêtes et deux guerres civiles. Il s'agit
de célébrer les vraies valeurs : l'amour, la nature, la sérénité,
l'harmonie, la beauté...
Datation:
Le décret sur la confiscation des terres, ordonnée par les triumvirs (Antoine, Octave et Lépide) date de - 39 et a été exécuté par Alfénus Varus, gouverneur de la Cisalpine à la même époque. Tityre est allé plaider sa cause à Rome au moment où les fruits sont mûrs en Haute-Italie, cf. le texte plus loin, v. 37, la femme de Tityre, Amarillis, laisse les fruits pendre aux arbres, sans les bras de son mari, donc début août; la composition date donc de septembre de la même année... (dixit Goelzer en 1933, collection Budé)
COMMENTAIRE
Ce texte est l'églogue
liminaire de l'œuvre. Il ne s'agit pas chronologiquement du premier poème,
mais il est volontairement situé à la première place, sans doute pour répondre
symétriquement au neuvième poème. Parmi les Bucoliques, ces deux sont en
effet à part. Lorsque le poète les écrit, Octave a distribué des terres à
ses généraux pour les remercier, mais celles-ci sont déjà habitées par des
paysans, qui se retrouvent ainsi chassés, exilés : ces bucoliques abordent ce
problème que le poète voit tout autour de lui.
Le sujet principal de ce poème
est donc l'expulsion des bergers de leurs propres terres, un thème extérieur
à ce qui fait l'unité de l'œuvre : l'amour, la musique, la poésie. Mais il
s'agit cependant d'un texte qui donne le ton à l'ensemble...
Le poème se présente sous
la forme d'un dialogue : chaque personnage, l'un après l'autre, exprime son état
d'âme.
1.
Le monde rural
1_1.
Une mise en scène
Dès les premiers mots de l'œuvre,
c'est tout le monde rural qui s'ouvre devant nous.
Il y a une véritable mise
en scène dans un décor naturel : on note tout un réseau lexical de la nature,
fagi, siluas, siluestrem, corylos,
cupressi, quercus, et de la terre arua, agris, mais aussi de l'activité de berger, agnus,
ouilibus, boues, capellas, gemellos, gregis, fetus ouium... développés
quasiment à chaque vers.
Les bergers eux mêmes se
situent au centre de ce paysage : Tityre,
sub tegmine fagi, in umbra, Mélibée, en
ipse ago ; ainsi que leurs bêtes,
tener agnus ab nostris ouilibus imbuet..., meas boues... ut cernis, hic modo
reliquit gemellos....
Chaque mot du texte nous
plonge ainsi directement dans l'univers pastoral des deux bergers, que nous
pouvons ainsi imaginer presque naturellement...
1_2.
Un univers idéal
La nature est animée,
quasiment personnifiée, doces siluas
resonare... Ici, elle est montrée comme douce, presque docile, amie et
complice du musicien. Elle vit pour cette harmonie...
Cet univers n'est pas présenté
comme rude : c'est la douceur de vivre qui règne, ce que nous montrent l'attitude
de Tityre, recubans, lentus, et la
tristesse nostalgique de Mélibée dulcia arua, a!
Elle est également éternelle
: son visage ne change pas, car le berger la voit toujours se renouveler, catulos,
mais être la même, similes canibus...
De même, cupressi solent...
C'est donc une nature
musicale, douce, en harmonie avec son peuple, éternelle. Le visage de
l'Arcadie...
2.
Les personnages
2_1.
Un peu d'onomastique
Mélibée : C'est un nom qui
évoque le monde grec, melebeos = douceur d'un chant de cygne. C'est un nom un
peu exotique, qui nous évoque encore une fois l'harmonie arcadienne.
Tityre : C'est un nom qui
appartient aux Idylles de Théocrite.
Virgile marque ainsi son œuvre dans la lignée du poète sicilien.
2_2.
Des personnages en action
Les personnages se donnent
eux-mêmes à voir dans leur dialogue.
Ainsi, Tityre est un berger
qui se soucie davantage de faire de la musique que de s'occuper de ses
troupeaux (on retrouve peut-être ici l'une des caractéristiques de ce qui
serait un paradis terrestre : l'absence de travail, notion positive pour un
romain, donc l'OTIUM...) : ceux-ci errent meas
errare boues, tandis que lui joue et se détend, recubans,
meditaris... tenui auena, lentus, otia, ludere... calamo agresti,...
Mélibée, quant à lui, se
prépare à l'exil. La vision qu'il donne de lui-même est celle d'un berger
quittant péniblement ses terres avec son troupeau : nos patriae finis et dulcia linquimus arua, nos patriam fugimus, ago
capellas protinus etiam uix...
2_3.
Deux destins opposés
Tityre est heureux de vivre
dans la campagne que Mélibée doit quitter. L'opposition entre ces deux destins
est marquée par le chiasme Tityre, tu...
nos... nos... tu, Tityre, de la première strophe, comme si le premier
enfermait, entourait le second, marquant l'injustice. Elle est également marquée
par la seconde et la troisième strophe : Tityre raconte son bonheur, et Mélibée
répond par son malheur, comme en écho.
Mélibée et Tityre sont
deux paysans dans deux positions différentes, qui sont chacun à leur façon un
symbole : c'est le destin individuel qui représente l'histoire. Fugimus,
linquimus, nos, Mélibée rappelle qu'il n'est pas le seul dans ce cas.
Tityre le souligne aussi, deus fecit nobis...
Ainsi, ils sont à eux deux le visage bifrons de tous les bergers.
3.
Les thèmes
3_1.
La politique et le monde contemporain
Virgile aborde un thème extérieur
aux Bucoliques, un thème politique. Sous les traits de Mélibée, il y a les
propriétaires privés de leurs terres. Ce problème semble même affecter ce
monde arcadien si paisible : undique totis
usque adeo turbatur agris.
On peut noter une autre
allusion au monde contemporain : l'évocation de la figure d'Octave, futur
Auguste en - 27, dont la figure n'est pas encore divinisée, mais Virgile y contribue...
Deus nobis fecit, ille erit semper deus,
iste deus qui sit. Mais on ne s'attarde pas dessus, Tityre ne répondant
pas.
Enfin, dernier lien entre le
monde bucolique et contemporain : la description par Tityre, un berger, de Rome
: celle-ci est donc vue à travers des yeux paysans, la comparaison haec
(Rome) tantum extulit caput... quantum cupressi solent marquant cet angle de
vue.
3_2.
Les caractères des Bucoliques
Malgré la particularité du
thème, le poème conserve la tonalité des Bucoliques : même si ce n'est pas
le thème principal affiché, tout est déjà là...
On évoque la musique, qui
vient ponctuer le texte, auena (qui
deviendra l'emblème de la poésie bucolique), calamo, ludere, resonare... la poésie, musam,...
Mais aussi l'amour, avec la
figure d'Amaryllis, Amaryllida formosam
; ainsi que les paroles des deux personnages : ils aiment leur terre... Leurs
paroles vont dans le même sens : le bonheur de ce type de vie.
Ce poème d'ouverture, malgré
une certaine particularité thématique, embrasse tous les thèmes principaux de
l'œuvre... Ce texte est finalement la mise en scène de deux personnages aux
destins différents, qui célèbrent en même temps la beauté de l'Arcadie, la
douceur de la vie, le drame d'en être séparé, l'amour... Il y a une véritable
entente entre les deux personnages pour décliner tout le vocabulaire illustrant
la vie, le bonheur, l'harmonie, l'amour arcadiens...
C'est donc une églogue
qui définit le cadre bucolique et qui donne d'emblée le ton de l'œuvre, dans
cette célébration à deux voix du monde arcadien, d'une philosophie de vie...
Introduction
Les
Bucoliques
La
première bucolique, / l’ incipit
Les
axes
Développement
1°)
La forme dialoguée :
deux personnages dialoguent : Tityre et Mélibée
1-1 :
les circonstances du dialogue
- Deux berges sont
dans un cadre champêtre (abondance du champ lexical de la nature, des animaux
de la ferme, de la végétation, de la vie agricole, avec de nombreux mots de
cette évocation utilisés en mots-pieds, la plupart du temps en fin de vers)
- la conversation
porte, comme on peut s’y attendre, sur leur vie -mais leur sort est
opposé : l’un reste et l’autre part- ,
et les raisons de cette différence.
1-2 :
le dialogue lui-même :
- L’un interroge
l’autre : c’est Mélibée qui mène le dialogue ; c’est lui
qui commence l’échange, qui interpelle Tityre « Tityre tu…. » …
. Sa première
intervention se limite à évoquer la différence de sort entre Tityre
« lentus in umbra » et lui « nos patriae fines…linquimus /
nos patriam fugimus ».
. La deuxième,
plus longue, décrit plus précisément sa situation difficile. Mais le
passage se clôt par une question directe, clairement adressée à Tityre
« sed tamen iste deus qui sit da, Tityre, nobis ».
- A la première
intervention de Mélibée, qui ne contient aucune question explicite, Tityre répond
comme en se défendant : son bonheur lui a été donné par quelqu’un
qu’il nomme « deus ».
. C’est sans
doute cette façon de se « défendre » qui explique la réplique
de Mélibée « non invideo, miror magis ».
. Et c’est aussi
cette absence de jalousie qui peut expliquer l’envie qu’à Mélibée de
connaître un peu ce « deus » si généreux pour Tityre. « iste
deus qui sit da Tityre nobis ».
A cette question
pourtant, Tityre ne répond pas directement ; il commence par évoquer
Rome, ville si immense et si lointaine, que Mélibée est conduit à poser la
question essentielle « et quae tanta fuit Romam tibi causa videndi ? »,
qui entraîne la réponse essentielle : « Libertas ».
1-3
Un dialogue d’une grande vérité psychologique
Malgré son tour évidemment
poétique, et donc loin de la spontanéité, le début de ce dialogue respecte
une assez grande vérité psychologique :
- Il est naturel
que celui qui interroge soit celui qui s’en va, qui partage le sort
douloureux de beaucoup (nos … linquimus / nos ….fugimus), et ne comprend
pas comment l’un d’entre eux peut continuer de vivre chez lui, dans une si
grande tranquillité – car pour se permettre d’être « recubans »,
« lentus in umbra » et s’adonner au chant comme le fait Tityre :
(un vers entier pour l’évoquer + allitérations en m + meditaris implique
qu’on ait le temps devant soi + vers 5 centré sur le sujet de son chant :
Amaryllis, sa bien-aimée), il faut vraiment être dénué de tout souci et de
toute inquiétude.
- Il est normal
alors que Tityre, soucieux de ne pas blesser Mélibée, veuille montrer que
rien ne vient de lui, qu’il est l’objet d’une protection, et qu’il en
reconnaît le caractère exceptionnel « deus nobis haec otia fecit »
(avec otia et fecit en fin de vers et mots pieds + trois coupes mettant en
valeur « deus/nobis/) ; le « O Meliboee » par lequel
commence sa réplique semble dit sur un ton assez doux, comme pour s’excuser
d’être si heureux au milieu de tant de malheur.
- Cette attitude permet à Mélibée d’évoquer à la fois son absence de
jalousie (« non equidem invideo, placé avant la coupe), son incompréhension
(« miror magis »), et son malheur personnel. Pourtant, de ce
malheur il n’accuse personne : les dieux lui ont annoncé (saepe malum
hoc … praedicere), mais il a été trop frivole pour le voir « si mens
non laeva fuisset », -hypothétique irréelle placée après la coupe
pent, « mens » étant mis en valeur par la coupe seconde hepht +
noter l’abondance des longues au centre du vers, et l’élision de malum,
comme pour minimiser le malheur par rapport à l’inconscience de Mélibée-
. Puisqu’il ne peut s’en prendre qu’à lui, il ne s’appesantit pas sur
sa plainte et préfère essayer de comprendre comment Tityre a été aidé.
D’où sa question sur le dieu protecteur de son ami « iste deus / qui
sit / da.. » (+ rôle des coupes)
- On peut s’étonner
de la réponse de Tityre qui au lieu de parler de « deus », parle
de Rome « urbem quam dicunt Romam » (avec Romam entre deux
coupes). Mais il est plus facile de parler de ce que l’on connaît ; et
on comprend que pour faire saisir à Mélibée la nature de son « deus »
(pour répondre au mieux au « qui sit » / quel est-il), il faut
qu’il passe par ce que Mélibée peut appréhender : une ville, et la
différence entre leur ville et la ville du dieu, Rome, mise en valeur par une
comparaison champêtre tirée de leur vie à tous deux (évocation des animaux
« canibus catulos similes/matribus haedos –deux mots pieds-), et
dont la différence est également mise en évidence par une autre comparaison
tirée de la nature familière à tous deux : « haec tantum …
quantum lenta solent inter viburna cupressi ». Ainsi replacé dans son
contexte, le dieu est à sa juste place, dans sa haute sphère, du côté des
cimes des « cupressi ».
Cette comparaison permet à Mélibée de prendre conscience de l’importance
de la Ville de Rome et de ce qui en vient ; mais il lui manque une
information, d’où la question immédiate qui suit « quae tanta fuit
Romam tibi causa videndi » ; « tanta causa » montre que
Mélibée a bien saisi que l’enjeu était fondamental pour Tityre, et Romam,
placé entre deux coupes, devient le lieu par excellence, le seul où Tityre
pouvait trouver ce qu’il voulait, et ce qu’il nomme solennellement « Libertas ».
2°)
« Nos fugimus » / « Libertas » : deux sorts en
opposition.
2-1
– Mélibée, celui qui doit partir
- Il représente
tous ceux qui sont contraints au départ et qui sont nombreux : « totis
(…) turbatur agris » ; noter la progression entre « linquimus »
et « fugimus » ; il ne s’agit pas seulement d’abandon,
mais d’abandon involontaire, forcé, précipité. La contrainte et la
douleur apparaissent dans l’emploi d’un adjectif comme « dulcia »
associé à « arva » ; Mélibée et les autres ont un réel
attachement pour leur terre, les « patriae fines » (coupe juste
après), leur « patriam », leur petite patrie, la terre de leurs pères,
leur territoire et leurs racines. L’insistance des deux « nos »
en début de vers, l’opposition marquée avec le sort bienheureux de Tityre
dont l’évocation encadre (avec effet de chiasme « Tityre tu X tu
Tityre ») celle du sort de Mélibée, montre un état d’urgence subi
et douloureusement vécu.
- A la douleur
morale du départ s’ajoute les difficultés matérielles du berger obligé
de partir précipitamment avec son troupeau : difficultés évoquées en
un vers et demi par Mélibée : « En ipse capellas / protinus aeger
ago, hanc etiam vix Tityre duco » ; noter l’interjection « En »
qui en appelle à la compréhension de Tityre ; l’opposition « protinus
ago / vix duco » ( et donc les deux mouvements « ago » et
« duco », pousser et tirer, à faire en même temps, seul, et
contre son gré) ; la gradation entre « capellas » et
« hanc » mise en évidence par « etiam » entre deux
coupes ; « ipse » repris par « aeger » au vers
suivant…. Tout est dit, même si Mélibée donne ensuite des précisions
« pittoresques » sur les raisons pour lesquelles « hanc…vix…duco »,
et de nature à attendrir, avec l’évocation de la femelle qui met bas (connixa),
les deux chevreaux (gemellos –terme aussi bien utilisé pour les humains que
pour les animaux), l’opposition entre les « densas corylos »
hostiles et les petits à peine nés, la rudesse du lieu « silice in
nuda », leur abandon (reliquit) et tout ce dont les chevreaux étaient
porteurs « spem gregis, a ! » sonnant comme un glas, un adieu
à l’espoir d’un avenir souriant, à la fertilité prometteuse de
richesse, à la vie tranquille et sereine.
- Pour clore le
tout, un sentiment de culpabilité ôte à Mélibée toute raison de se
plaindre davantage. Sentiment surprenant (qui pourrait prévoir un sort pareil ?)
mais nécessaire pour le propos de Virgile : ce n’est pas Mélibée qui
doit nous intéresser mais Tityre, celui qui reste, celui qui est protégé
par ce « deus » mystérieux à qui il doit la liberté, et à qui
le poète adresse, par l’intermédiaire de Tityre, des remerciements
personnels.
2-2 :
Tityre, celui qui reste
Tout
est fait dans ce début de texte pour attirer l’attention sur Tityre, le
mystère de sa tranquillité, et l’auteur secret de son bonheur.
- C’est sur son
nom que s’ouvre le texte, nom d’autant mieux choisi, qu’au vocatif, il
offre un dactyle parfait pour un mot pied (en opposition à Mélibée dont le
nom commence par un dactyle inversé, mais possède 4 syllabes, donc voué à
toujours être scindé, comme le personnage lui-même, coupé en deux entre un
passé connu et révolu, et un avenir incertain).
- Sur les 5
premiers vers prononcés par Mélibée d’entrée, trois et demi sont consacrés
à Tityre et à son bonheur, en contraste parfait avec toutes les douleurs qui
l’entourent : il est tranquille (recubans, lentus in umbra), il profite
de l’ombre « patulae sub tegmine fagi » (avec tegmine fagi en
mots pieds et mis en valeur par les deux coupes qui encadrent « recubans »)
+ « lentus in umbra » ; il se livre à l’otium (cf le deuxième
vers qui nous le montre jouant sur son pipeau + « haec otia » du
vers 6, avec l’ensemble de l’expression après la coupe et « otia »
en mot pied ) ; et surtout, - ce dont Mélibée semble privé -, il
a l’amour d’Amaryllis, compagne prévoyante, on le verra, (et donc autre
sorte de divinité tutélaire pour Tityre) dont il ne se lasse pas de chanter
et de faire chanter les vertus « formosam resonare doces Amaryllida
silvas » : noter les trois longues sur « formosam »,
les coupes qui mettent en valeur « resonare » et « doces » (et donc l’harmonie qui existe entre
Tityre et les forêts qui se font l’écho de son chant ), la longueur
du nom d’Amaryllis qui occupe un pied et demi, l’harmonie de l’ensemble
du vers qui s’ouvre et se ferme sur un spondée, encadrant 4 dactyles légers
comme l’amour que chante Tityre, le groupe « formosam Amaryllida »
qui, quelle que soit la structure grammaticale adoptée –accusatif
exclamatif ou proposition infinitive- , chante ou affirme la même vérité :
la beauté d’Amaryllis (dont le nom signifie en grec « la
resplendissante »).
- C’est grâce à
la protection d’Amaryllis (ce que Tityre dira plus tard) que Tityre a pu
rencontrer son autre protecteur, celui sans qui il n’aurait pas possédé de
façon durable la jouissance de cette douceur de vivre et de cette tranquillité,
celui qu’il nomme « deus ». Tout est dit dans le vers 6 :
« deus nobis haec otia fecit » : les trois coupes isolent
dans le vers (tout en les séparant entre eux) les deux premiers mots du
groupe ( = à la fois alliance et extrême différence entre eux);
utilisation du pluriel « de majesté » ‘nobis ‘
pour parler de lui-même, comme pour montrer que la fréquentation de ce
« deus » l’a fait accéder ( Ille…..permisit) à
un autre statut, celui d’un homme sans inquiétude qui peut s’adonner à
l’otium, au plaisir intellectuel, ici musical
(musam meditaris), même s’il est simple (« tenui avena »,
« calamo agresti »), sans contrainte ( « ludere quae vellem »
), et s’il reste avant tout un berger (ovilibus – agnus - meas boves ) .
- La valorisation
de ce « deus » est remarquable ; d’abord, l’appellation
elle-même, reprise au vers 7 (« ille mihi semper deus », avec
coupe après mihi / et semper/ , insistant sur l’adverbe semper et séparant
mihi de deus) ; la
surabondance des « ille » valorisants ( trois fois en 5 vers), renforcée par la description de l’offrande qui l’installe
dans son statut de divinité officielle : « illius aram » en
fin de vers, dactyle obligatoire et mots pieds ; « saepe »,
marquant l’intensité de la reconnaissance ; l’offrande « tener…agnus »,
pure, à l’image du dieu ; offrande réelle, parce que prise sur les
modestes biens de Tityre « nostris ab ovilibus », avec
« nostris » entre deux coupes + « imbuet », mot pied.
Il faut dire que ce
qu’il a donné à Tityre n’est pas mince : Libertas ! L’idée
est clairement dite dans le vers 27 qui s’ouvre sur ce mot (trois longues),
mais elle est déjà incluse dans les vers 9 et 10 : « meas errare
boves » avant la coupe du vers 9, « ipsum » en mot pied à
la fin, et « ludere quae vellem » en début de vers 10 avant la
coupe, + trois longues sur « quae vellem »….
- On comprend que Mélibée
n’ait pas idée d’être jaloux, devant un bonheur si exceptionnel, qu’il
acquiesce à l’appellation « deus » utilisée par Tityre,
qu’il reconnaisse ce dieu comme le bien propre de Tityre « iste deus »,
et qu’il comprenne que jamais ce dieu si grandiose ne pourra être décrit ;
aussi borne-t-il son espoir à en avoir une idée « qui sit ».
Quel est-il ?
Celui qui donne la Libertas, et qui séjourne à Rome ! Nul n’aura de
peine à l’identifier, et à superposer Octave à cette image fictive.
Conclusion
… à étoffer comme vous le voulez
Ainsi donc si ce
texte offre toutes les particularités de la poésie bucolique –bergers,
campagne, animaux, végétation, vie à la campagne + dialogue- le tout dans
un mélange de réalisme et de fantaisie, il ne dissimule pas ce pourquoi il
est essentiellement écrit : un éloge d’Octave, des remerciements
adressés par « Tityre-Virgile » à « Deus-Octave », qui
lui a permis de conserver son modeste bien, dans ces temps troublés (« undique
turbatur ») de guerres civiles et de proscriptions !
Dans ce passage, nous avons été particulièrement
sensible à… Nous avons été touché/frappé par…Plusieurs aspects du texte
ont attiré notre attention…Ce passage reste fascinant de par… Cet extrait
n’est pas sans nous toucher de par…
·
la recherche raffinée
Ø
du rythme : les 3 spondées du v. 28
qui illustrent la pesanteur de la vieillesse, et la chute de la barbe, comme
ensuite au vers suivant, la lenteur de la venue de la liberté… au v. 30, les
3 dactyles donnent leur souplesse aux deux images féminines fugitives. La réticence
de Tityre à évoquer un esclavage amoureux dont il a honte se marque par le
ENIM à la césure p ; son état de déréliction s’entend par le
truchement des spondées du v. 32, avec ERAT à la césure h. La régularité du
travail pour fabriquer les fromages est rappelée par l’alternance des
dactyles et spondées au v. 34, avec la seule césure en p sur INGRATAE, comme
pour mieux souligner que le retour sur investissement est très décevant.
Faut-il voir dans les dactyles abondants du v. 35 un effet de légèreté dû au
vide de sa main ? Les spondées du v. 36 participent à la tristesse passée
d’Amaryllis, suite à l’absence de son
chéri… son indifférence pour les productions fruitières passant par
les dactyles du v. 37. Tout ceci est corroboré par le nombre des spondées du
v. 39, qui suggèrent à leur tour l’appel
Ø
de la musicalité : les harmonies
imitatives sont marquées ; ainsi les voyelles fermées pour évoquer
l’inertie au vers 27, tandis que le mot LIBERTAS s’ouvre (sur la césure t) ;
les allitérations elles aussi abondent, comme les dentales tranchantes du v. 28
(cf. les initiales en labiales sourdes [p] en 37), la lenteur de l’arrivée de
la liberté étant marquée par les voyelles fermées du v. 29… etc. [continue
ici comme bon te semble : le chemin t’est tracé]
Ø
des échos : RESPEXIT après la césure
h en 27, repris à l’initiale du v. 29, avec un
TAMEN portant d’abord sur un adjectif, ensuite sur le verbe lui-même ;
POSTQUAM en césure p au v. 28, à l’initiale au v. 30…l’anaphore de NEC
en 32, le parallélisme MULTA MEIS… VICTIMA SAEPTIS en 33, avec le même jeu
d’antécédence des expansions adjectivales au vers suivant, et la même
inversion du sujet, les deux sujets singuliers étant collectifs. VOCARES en 36
et VOCABANT en 39 ; v. 38 : Tityre deux fois, d’abord absent,
ensuite présent; les structures binaires s’accumulent : 29, 30, 32,
33/34 ; 36/37 : QUID, CUI, pour terminer en structure ternaire, PINUS,
FONTES, ARBUSTA, avec le clin d’oeil de l’écho : VOCABANT ; oui,
les verbes sont fréquents en fin de vers, avec des variations temporelles marquées
(perfectum présent, imparfait, présent, futur, pour finir sur des imparfaits) ;
tout ceci diapre le texte et participe à son
Ø
mouvement, avec les variations sur
les types de phrase : nominale en fait, claquant comme un drapeau, avec
LIBERTAS qui éclate en slogan au début du v. 27 ; relative ensuite, puis
temporelle ; 1 indépendante, 1 principale, avec derechef une temporelle.
Une incise varie le tout (31) ; deux oppositives/adversatives permettent un
début de lancée oratoire. S’ensuivent deux interrogatives indirectes, puis
deux indépendantes en asyndète… Variation aussi dans les personnes :
d’abord une focalisation externe : INERTEM – notons que ce passage est
marqué par la passivité : Tityre n’est pas sujet mais objet ; la
seule fois où il est sujet, c’est pour évoquer son absence (38 !) –
ensuite, les femmes sont au premier plan, notre berger se cachant derrière un
NOS, certes à la césure t, mais le pouvoir d’Amaryllis sur lui est évoqué
par la césure h après HABET et la pause phono-sémantique. Entre les deux son
cœur a balancé, comme dans les idylles, et Tityre est l’objet (NOS HABET,
RELIQUIT en 30, ME TENEBAT en 31, MIHI en 35) d’une féroce compétition féminine,
avec une croqueuse de diamants à l’affût (35) : certes. Il ose prendre
la parole, mais c’est pour un aveu discret, en coulisse vu l’incise FATEBOR,
avec les précautions d’usage de la coordination : ENIM. Car Galatée est
négative (NEC, NEC ; QUAMVIS ; voire EXIRET, INGRATAE ; surtout :
NON UMQUAM en début de 35). Tityre semble conduit par les circonstances, MEIS
SAEPTIS, lui-même victime de son état : DEXTRA REDIBAT. Préoccupation,
avouons-le, fort peu poétique, en écho au prosaïque PECULI en fin de 32. Mais
c’est le souci du réalisme, romain. Mélibée reprend la parole à la première
personne, pour interpeller Amaryllis, qui ne semble pas présente – ou qui
brillerait paradoxalement par sa discrétion silencieuse. Il remet Tityre au
premier plan, mais toujours comme objet (38,39). Et c’est le jeu du dialogue
qui permet cette vivacité du texte, comme dans toutes les bucoliques impaires
de ce recueil de 10 pièces…
NOTONS QUE TOUS LES ELEMENTS EVOQUES CI-DESSUS
SONT VALABLES ET RECEVABLES DANS TOUT COMMENTAIRE SUR UNE POESIE (à adapter en
prose : les effets rhétoriques, avec structure binaire, ternaire,
l’enroulement des périodes, les VARIATIONES diverses, le jeu des pronoms, des
temps, les champs lexicaux, que sais-je encore ?) QUAND LE CANDIDAT A L’IMPRESSION
DE N’AVOIR RIEN A DIRE.
·
Les REALIA :
Historiquement : Tityre s’est rendu à
Rome pour obtenir, ce que ne semble pas avoir fait Virgile, la reprise de sa
terre, confisquée – c’est ce que subit Mélibée -
sur un ordre des triumvirs, Octave, Antoine et Lépide, au profit des vétérans.
Ce décret de –39 a été exécuté sous la responsabilité d’Alfénus
Varus, gouverneur de la Cisalpine. En effet, Octavien avait promis aux vétérans
de César de leur distribuer des terres ; il avait de ce fait décidé de
se servir dans le territoire des dix-huit plus riches villes de l’Italie. Crémone
en faisait partie, et elle avait suivi le parti républicain de Brutus et
Cassius. Mais notre Varus s’étant rendu compte que Crémone ne suffisait pas
(50 arpents par vétéran), s’est rabattu aussi sur Mantoue, là où lui-même
propriétaire avait eu maille à partir avec les magistrats… Donc Virgile,
menacé d’éviction, malgré les promesses de Varus, se rendit à Rome. Rassuré,
rentré à Andes, il se heurte au centurion établi sur son domaine, au point de
devoir se jeter, dit-on, dans le Mincio pour lui échapper. Il retourne à Rome
(9ème Bucolique), sans que l’on sache si cette nouvelle démarche
fut couronnée de succès. Ce que l’on constate, c’est que Virgile reste à
Rome, dans l’ancienne demeure de son maître, le philosophe épicurien Siron,
à deux pas des Jardins de Mécène. Le succès des Bucoliques, induit par la
comédienne Cythéris, la maîtresse de Cornélius Gallus, lui amena la
protection enfin efficace d’Octave et en compensation de la perte du domaine
paternel, Virgile obtint une villa à Nole, en Campanie, avec un climat plus sec
et plus doux que la brumeuse Mantoue, donc plus sain pour la poitrine fragile de
notre poète… Donc, Tityre n’est pas Virgile, même s’ils partagent leur
reconnaissance pour celui qu’ils pensent être le garant de la liberté. De
toute façon, Tityre est un curieux esclave : il avait un troupeau de bœufs.
De plus, il achète sa liberté à Rome grâce à son pécule (32), il devient
donc affranchi PER VINDICTAM mais son patronus n’est nulle part précisé .
De qui devient-il ainsi le CLIENS ? Au reste, on voit mal comment, étant
venu à Rome pour remplir les formalités de l’affranchissement, il aurait réussi
à obtenir d’Octave une audience ? Donc, Tityre est et un petit propriétaire
comme Virgile, ce qui permet à ce dernier de lui prêter ses sentiments, et le
porte-parole de Virgile qui croit que le DEUS évoqué ailleurs lui a permis de
conserver son bien. Et bien sûr, après-coup, un
changement eût été hautement maladroit…
Tondenti : notre futur affranchi arborait
donc déjà le visage glabre du citoyen (du moins entre le IIIème av. J.-C. et
l’empereur Hadrien, cf. le Mourre, à l’article : barbe,
passionnant…) ; au reste, les hommes se faisaient communément couper la
barbe et la moustache (chaque jour pour Scipion l’Africain) dans la rue, à
leurs risques et périls, d’où force cicatrices, par ex. suite à une
bousculade. Les barbiers étaient donc experts dans l’étanchement des plaies
(cf. Ambroise Paré, plus tard, chez nous !) : celles affichées
ostensiblement n’étaient donc pas toujours les plus glorieuses comme celles
du corps à corps au combat : une loi précisait même qu’en cas
d’accident, le physique d’un citoyen n’ayant pas de prix, au rebours de
l’intégrité de l’esclave, déprécié en cas de problème, le premier ne
pouvait obtenir un pretium doloris ni celui du dommage subi. Nous voyons aussi
ici une évocation inconsciente, de la part de notre affranchi, de la cérémonie
à laquelle, au sortir de l’enfance, il n’a pas eu droit, puisque, lors de
la prise de la toge prétexte, le jeune homme offrait aux Pénates sa première
barbe. Tout ceci dit, le personnage de Tityre ne gagne pas en crédibilité :
esclave de ses maîtresses, c’est un vieux barbon grisonnant qui s’emplit la
bouche du nom d’Amaryllis entre deux compositions musicales, les doigts de
pied en éventail, toute révérence gardée.
Et si tout le texte met en valeur l’efficacité
d’Octave, le poète indique qu’elle a été longtemps attendue. Certes, la
durée (SERA, LONGO (césure h) POST TEMPORE) implique que notre héros s’est
heurté à forte partie, mais ceci souligne indirectement, avec une maladresse
de débutant, qu’il eût mieux valu que cela eût lieu plus tôt. Même si la
responsabilité d’Octave est en partie exonérée par le INERTEM en fin de
vers 27, lui-même à double sens puisque, encore une fois, cette œuvre est la
première de notre poète national !
Qui ici se montre disciple de Théocrite :
nous avons droit à une rapide idylle, avec les problème de cœur afférant au
genre : les deux femmes au vers 30, Galatée, maîtresse-femme qui ne
plaisante pas , sur 4 vers: NEC SPES LIBERTATIS, et qui dépense beaucoup :
NEC CURA PECULI (ce dernier point venant obérer le premier, puisque les dépenses
ne permettent pas d’économiser la somme nécessaire au rachat… personnel ?
Quid d’Amaryllis ?) , malgré les efforts de production (MULTA) et de
productivité (PINGUIS) de notre éleveur…
Classiquement, Amaryllis est désespérée par
l’absence de son aimé (v 36), seuls lui restent les dieux, à la césure h,
elle ne s’occupe plus du bien commun, donc de ramasser les fruits, ce qui nous
situe le texte en Septembre, époque de cette activité agricole en Cisalpine,
les initiales en [p] évoquant ce laisser-aller. Le tout dans un paysage qui est
allusif : seuls les pins sont typiques, au rebours des fontaines et des
arbustes, malgré le souci de se référer à la réalité tangible
qu’indiquent le démonstratif HAEC à la césure h, voire la césure p, et sa
pause phono-sémantique après FONTES. En fait tout le monde clamait en écho le
nom de Tityre, comme le montrent les répétitions du texte, et la polyptote
VOCARES… VOCABANT en fin de vers à chaque occurrence : 1 - Amaryllis, en
fait, puisque après l’invocation aux dieux devait figurer l’objet de la
demande : le retour heureux de son aimé, 2 - la Nature en personne, vu les
3 IPSE, le jeu des voyelles incarnant auditivement ces demandes qu’elles
rendent instantes… Nous sommes dans le cadre d’une pastorale…
Donc, nous constatons des improbabilités/approximations, un manque d’originalité certain, surtout ici, du texte (cf. Théocrite), voire une scène de comédie impromptue car le pauvre Tityre revient bien piteusement chez lui, cf. 35, où les détails concrets (cf. PINGUIS CASEUS – on le sent d’ici avec les sifflantes – ce pour te rappeler qu’en cas d’oubli cruel des remarques formels, la conclusion peut te permettre un rattrapage in extremis,) sont en contradiction avec le monde de l’idylle pastorale. Mais nous somme aussi face à un passage enlevé et touchant…
« L’heureux
sort de Tityre »
Introduction
Comme
la précédente, en ajoutant la situation de l’extrait….
Axes
Le passage est à l’évidence dominé
par l’expression du bonheur de Tityre, aussi bien dans la réplique de Tityre
que dans la réponse de Mélibée. Mais n’oublions pas que l’expression du
bonheur peut être aussi l’expression implicite de ce qu’est le malheur.
I)
Mélibée met en évidence l’aspect le plus concret du bonheur qui attend
Tityre
Un hymne au bonheur de Tityre prononcé
par Mélibée, scandé par les deux exclamations répétées « Fortunate
senex »
. SES
TERRES : mise en valeur des
conséquences de la parole du dieu : « ergo » juste
entre coupe pent et hepht; vers très équilibré, d’un côté « fortunate
senex » et après ergo, énoncé de ce qui justifie ‘fortunate’ :
« tua rura manebunt », dans une construction simple, et qui
justement, dans sa simplicité même, précise la nature et l’ampleur du
bonheur de Tityre : « tua », il reste propriétaire de
son bien ; « tua rura » au pluriel valorise ce bien, même
modeste .
Et certes,
ce bien est pauvre : plus de pierres, de joncs et de marais que de
terres fertiles (2 vers ½ pour les évoquer + quamvis , placé entre
deux coupes, et mot de deux syll. longues).
Mais l’essentiel est dans « Et
tibi magna satis » (juste avant la coupe pent), avec « et
tibi » en dactyle initial ;
+ abondance de dactyles comme pour rendre plus légers les inconvénients
des terres de Tityre.
.
SON TROUPEAU : les
« non / nec » qui commencent
les vers 49 t 50 = ce que ne
connaîtra pas Tityre pour son troupeau :
d’abord
le changement perpétuel de pâtures: « non insueta … temptabunt
pabula » ; la coupe met en valeur au début du vers les deux éléments
essentiels « non insueta » + « graves » :
la stabilité du troupeau assurera sa fertilité
-abondance de longues- .
ensuite,
cette fertilité ne sera pas mise en péril par les risques de maladie multipliés
par la promiscuité constante avec des troupeaux inconnus et toujours changeants
(mala + contagia + laedent : redondance qui trahit la peur constante
du berger : que ses bêtes soient mises en danger - par la négligence
d’autrui, ce qu’il ne peut contrôler, risque multiplié lors des déplacements-).
1-2 : Après la deuxième
exclamation, mise en valeur de la vie qui attend Tityre = tous les éléments
du bonheur immédiat :
-
un
monde défini, délimité (lieu et temps) : « hic, inter, hinc,
hinc / quae semper »
-
un monde connu « inter flumina nota » (trois mots
pieds)
-
un
bonheur simple : être chez soi ; pouvoir prendre le frais ;
n’entendre que des bruits familiers ; pouvoir s’adonner à la sieste,
en accord avec la nature qui s’y prête ; vivre dans un monde où chacun
est en harmonie avec les autres – (toutes choses qui ne sont possibles
que dans la ‘concordia’ ; cf la fin de cette bucolique )- : le
chant de l’émondeur ne gène pas (nec tamen interea) le
roucoulement des colombes, qui se mêle (reprise de nec) au chant des
tourterelles. Harmonie rendue par des allitérations (harmonie imitative de
l’allitération en S pour les abeilles, en R pour les chants de l’émondeur
et des oiseaux)
-
un
bonheur durable rendu sensible par l’évocation des vers 51-58, qui s’élèvent comme
s’élève l’espoir d’un bonheur sans fin: d’abord, en bas, les fleuves
connus, les fontaines, et Tityre à l’ombre (évocation qui reprend la posture
dans laquelle Tityre a été décrit dans les premiers vers) ; un peu plus
haut, les haies de saules, leurs fleurs et les abeilles ; encore plus haut,
alta sub rupe, le chant de l’émondeur qui s’élève, puis celui des
« palumbes » et enfin celui de « turtur »
qui s’élance de haut « aeria … ab ulmo » (l’hyperbate
met en valeur « aeria », juste avant la coupe).
II)
Le véritable bonheur de Tityre / le malheur de Mélibée
2-1 :
Le véritable bonheur de Tityre
Cette
montée en perspective des vers 51-58 n’a-t-elle pas un sens plus symbolique ?
- En effet, si la situation de Tityre est
si enviable, c’est qu’elle n’est pas limitée au matériel ; elle
ouvre une possibilité sur autre chose de plus fondamental, et que le texte réunit
dans cette vision de Tityre, invité par le bourdonnement des abeilles à sortir
de lui-même grâce à un léger somme, et en même temps baigné dans un monde
de musique grâce aux chants conjugués de l’émondeur, des colombes et des
tourterelles ; il ne faut pas oublier la première vision que nous
avons eue de Tityre, allongé à l’ombre et composant de la musique (de la poésie),
et qui nous est rappelée ici : tel
est en effet le bonheur suprême, se consacrer aux Muses, écrire de la poésie.
- Mais pour ce faire, il faut avoir du
temps ; or c’est le deuxième luxe de Tityre : son bonheur est
inscrit dans la durée : noter l’abondance des verbes au futur (7
verbes en 13 vers), à commencer par le premier de la tirade de Mélibée :
« (tua rura) manebunt » :
le sens de ce verbe et son temps
insistent sur l’aspect « durable » de ce bonheur, qui place Tityre
hors des affres de l’angoisse et le laisse ainsi libre de composer.
2-2 :
L’étendue du malheur de Mélibée
Ce
qui fait la perfection du bonheur
de Tityre nous permet donc de mieux comprendre, même si cela reste implicite,
ce qui fait le malheur extrême de Mélibée… Car il suffit d’inverser les
deux tirades pour avoir la mesure du malheur de Mélibée :
-
En premier lieu, tout ce qu’a Tityre est précisément tout ce que n’aura
plus son ami :
Il ne restera pas chez lui, sur la terre
de ses pères, dans un domaine qu’il connaît ; il traversera des terres
qui lui seront étrangères et donc hostiles ; son troupeau sera exposé à
une nourriture insuffisante, à des maladies imprévisibles, ce qui mettra en péril
son existence même (puisque les femelles seront exposées).
Pour Mélibée, les jours à venir ne
seront que marche sans fin, sans possibilité de prendre du repos et de refaire
ses forces ; il n’aura plus le temps de profiter des joies de la nature ;
les chants ne seront pas pour lui… rien ne viendra « tirer » Mélibée
vers le haut, vers le ciel, les airs… Et il n’a pas de dieu pour le protéger
du départ et lui promettre la fertilité de son bien
- Ainsi, et surtout, Mélibée est privé
de ce qui est l’essentiel aux yeux du poète, le temps, le temps libre, le
temps de l’otium, de la composition, de la création poétique. Or dans ses
propos, Mélibée montre une grande aptitude à la poésie, aussi bien quand il
se livre à l’évocation charmante des siestes de Tityre au sein de la nature
bienveillante, que lorsqu’il exprime l’angoisse du proscrit (cf fin du poème).
Mélibée a toutes les capacités de
Tityre ; mais il n’a pas l’essentiel : un dieu protecteur, assez
puissant pour lui donner le bien suprême, le temps, le futur rassurant qui
lui-même permet l’écriture poétique.
Cette confrontation de leurs deux sorts
justifie donc amplement que les propos de Tityre soient entièrement tournés
non vers l’évocation de son bonheur, mais vers l’expression de la
reconnaissance qu’il éprouve pour le dieu à qui il doit son état enviable,
et vers la manifestation de cette reconnaissance.
III)
Tityre, lui, est essentiellement centré sur celui à qui il doit son
bonheur
3-1 :
Un bonheur qui n’a pas été facile à conquérir pour Tityre
- Il lui a fallu abandonner passagèrement
Amaryllis, au prix de ses larmes - (voir vers 36-39) - ; difficulté évoquée
discrètement dans le « quid facerem ? » qui commence sa
réplique (équilibre du dactyle + la longue [-uu-], avant la coupe tri) – +
subjonctif imparfait exprimant l’impossibilité de choisir une autre solution.
- Mais il a su peser les risques et
choisir le bonheur durable au prix d’un malheur passager : la répétition
« neque exire / nec cognoscere » ( le
tout dépendant de licebat –idée de permission mais aussi de droit légal
- + noter l’imparfait évoquant un état durable mais passé
+ tour négatif, montrant à quel point Tityre n’a pas le choix)
montre l’impasse dans laquelle il se serait trouvé s’il n’avait
pas accepté de partir ; les coupes du vers 40 isolent « neque
servitio » comme définissant le sort auquel Tityre était voué
s’il n’avait pas fait les efforts nécessaires, puisque les « praesentes
divos » sont à Rome et à Rome seulement (noter le « alibi »
entre deux coupes au vers 41, / Au
« nec…alibi » s’oppose les deux « hic »
annonçant ce qui s’est passé à Rome ).
3-2 :
un bonheur dû à un bienfaiteur exemplaire
-
louange avérée de son bienfaiteur, à travers l’évocation de la rencontre :
la
distance entre les deux protagonistes est marquée d’ emblée par le
parallélisme « hic illum vidi juvenem »
// « hic mihi…dedit ille petenti » :
La première proposition présente Tityre
comme sujet de l’action –sans le nommer-, en outre l’ action est limitée
à voir « illum juvenem » ; action brève, limitée à
la première partie du vers jusqu’ à la coupe + pas de lien explicité entre
Tityre et « ille » ; Tityre reste à une place inférieure.
En contraste, le vers 44 précise le
sujet de l’action « ille » valorisant; ce « ille »
« responsum dedit »
(responsum : aussi bien réponse d’un oracle que d’un juriste ;
donc ille a une double compétence religieuse et juridique…) ;
mais ce groupe est complété par « mihi petenti » (don du
dieu à celui qui demande, établissement d’un lien) , et « ille »
est développé par « primus », qui montre sa singularité et
sa bonté ; l’action du
jeune dieu est beaucoup complète ; et le vers qui lui est consacré est
savamment élaboré, alternant ce qui vient de Tityre et ce qui vient du dieu,
et replaçant chacun dans sa juste dimension : Tityre n’est que celui qui
« petenti » -dans la posture du suppliant, « ille »,
celui qui « primus dedit » -dans la posture du dieu qui
exauce.
3-3 :
Une parole qui fait naître la reconnaissance
L’ordre suivi par Tityre pour livrer
les deux informations (la parole dite / la reconnaissance qui en naît) peut
surprendre puisque la chronologie est inversée : ce n’est qu’au
dernier vers de sa réplique qu’on entend la parole « divine »,
source de la reconnaissance. Mais la logique du cœur est respectée ; car
les deux parfaits : « vidi » et « dedit »
ont bien présenté l’action comme achevée et Tityre vit déjà les
fruits de cette bienveillance.
- c’est donc d’abord la
reconnaissance qui est exprimée, après « vidi » ;
et l’engagement est pris de vouer un culte « cui nostras …
altaria fumant », régulier « quotannis bis senos dies »
à celui à qui Tityre doit tout : coupe avant « cui »,
mettant le relatif (destinataire de l’offrande) en valeur/ expression de la fréquence
de l’offrande volontairement étirée (comme l’engagement le sera dans le
temps) avec l’expression complexe « quotannis bis senos…dies » ;
utilisation d’un présent « fumant » (spondée final et
mot-pied) pour une action qui est
à peine commencée (présent à valeur de futur proche, actualité de la décision
dans le cœur de Tityre, engagement présenté comme réalisé).
- Ensuite
seulement est révélée la réponse apportée, dont tous les termes sont
faits pour être rassurants : « Pascite, ut ante, boves, pueri ;
submittite tauros » : abondance de dactyles jusqu’à la coupe
qui met en valeur « pueri » terme surprenant pour un « senex »
mais dans lequel s’exprime toute la bienveillance du dieu (et la distance
qu’il y a entre lui qui est « juvenem » -dans toute sa
vigueur- et Tityre, situé dans sa dépendance, qu’il soit nommé « puer »
ou « senex ») ; double impératif « pascite /submittite »
qui projette Tityre dans un avenir fécond ; référence au passé « ut
ante » rassurante puisqu’elle protège contre l’inconnu; référence
implicite à l’avenir avec le 2° ordre « submittite tauros »
(de nouveau spondée final et mot-pied ), promesse de fécondité pour le
troupeau…
Et si ces paroles étaient aussi à
prendre au second degré ? c'est-à-dire, non pas seulement à appliquer au
troupeau, mais aussi à l’esprit de Tityre : nourris-toi de la
nature, et produits de beaux vers ?
Conclusion
(à trier)
-
Une poésie bucolique : on la
voit inspirée par tous les éléments de la nature ….
-
Une poésie inscrite dans une époque historiquement troublée : expression
d’une reconnaissance personnelle …
-
Une poésie universelle, qui rejoint à travers
Mélibée la figures intemporelle de tous les exilés…
-
Une poésie qui a pour but la Poésie même, présentée comme la source ultime
du bonheur, à travers le bonheur de Tityre…