C. SUETONI TRANQUILLI

DE VITA CAESARUM

NERO, XXXIV


texte traduction traduction par groupe de mots

commentaire

Le texte :  

Néron, XXXIV

(1) Matrem facta dictaque sua exquirentem acerbius et corrigentem hactenus primo gravabatur, ut invidia identidem oneraret quasi cessurus imperio Rhodumque abiturus, mox et honore omni et potestate privavit abductaque militum et Germanorum statione contubernio quoque ac Palatio expulit; neque in divexanda quicquam pensi habuit, summissis qui et Romae morantem litibus et in secessu quiescentem per convicia et jocos terra marique praetervehentes inquietarent. (2) Verum minis ejus ac violentia territus perdere statuit; et cum ter veneno temptasset sentiretque antidotis praemunitam, lacunaria, quae noctu super dormientem laxata machina deciderent, paravit. (3) Hoc consilio per conscios parum celato solutilem navem, cujus vel naufragio vel camarae ruina periret, commentus est atque ita reconciliatione simulata jucundissimis litteris Baias evocavit ad sollemnia Quinquatruum simul celebranda; datoque negotio trierarchis, qui liburnicam qua advecta erat velut fortuito concursu confringerent, protraxit convivium repetentique Baulos in locum corrupti navigii machinosum illud optulit, hilare prosecutus atque in digressu papillas quoque exosculatus. 4) Reliquum temporis cum magna trepidatione vigilavit opperiens coeptorum exitum. (5) Sed ut diversa omnia nandoque evasisse eam comperit, inops consilii, L. Agermum libertum ejus salvam et incolumem cum gaudio nuntiantem, abjecto clam juxta pugione ut percussorem sibi subornatum arripi constringique jussit, matrem occidi, quasi deprehensum crimen voluntaria morte vitasset. 6) Adduntur his atrociora nec incertis auctoribus: ad uisendum interfectae cadauer accurrisse, contrectasse membra, alia uituperasse, sitique interim oborta bibisse. (7) Neque tamen conscientiam sceleris, quamquam et militum et senatus populique gratulationibus confirmaretur, aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe confessus exagitari se materna specie uerberibusque Furiarum ac taedis ardentibus. (8) Quin et facto per Magos sacro euocare Manes et exorare temptauit. Peregrinatione quidem Graeciae et Eleusinis sacris, quorum initiatione impii et scelerati uoce praeconis summouentur, interesse non ausus est.

Traduction :

  (1) Excédé de voir sa mère exercer rigoureusement son contrôle et sa critique sur ses paroles et sur ses actes, Néron se borna d’abord à lui faire craindre, plusieurs fois, de l’accabler sous la haine publique, en feignant de vouloir abdiquer l’empire et de s’en aller à Rhodes ; ensuite il la priva de tout honneur et de tout pouvoir, lui enleva sa garde de soldats et de Germains, la bannit enfin de sa présence et du Palatium ; désormais, ne négligeant rien pour la tourmenter, il soudoya des gens qui lui suscitaient des procès quand elle séjournait à Rome, et, si elle cherchait le repos dans la retraite, l’y poursuivaient encore de leurs railleries et de leurs injures, en passant devant sa maison par terre ou par mer. (2) Mais terrifié par ses menaces et par ses emportements, il résolut de la faire périr ; par trois fois il essaya de l’empoisonner, mais voyant qu’elle s’était munie d’antidotes, il fit agencer les lambris de son plafond de telle manière que le jeu d’un mécanisme devait les faire tomber sur elle pendant son sommeil. (3) Ses complices ayant mal gardé le secret, il imagina un bateau pouvant se disloquer, pour l’y faire périr soit par naufrage, soit écrasée sous la chute du pont ; ensuite feignant une réconciliation, il l’invita par une lettre des plus affectueuses à venir célébrer avec lui à Baies les fêtes de Minerve. Là, ayant donné aux commandants des navires mission de briser comme par un abordage fortuit la galère liburnienne qui l’avait amenée, il prolongea le festin, puis pour son retour à Baules, il lui offrit le navire truqué à la place du sien mis hors d’usage, la reconduisit gaîment et même lui baisa la poitrine au moment de la quitter. (4) il passa le reste de la nuit à veiller dans une grande agitation, en attendant l’issue de l’entreprise ; (5) mais lorsqu’il sut que tout avait tourné autrement et qu’Agrippine s’était sauvée à la nage, ne sachant que résoudre, comme L.Agermus, un affranchi de sa mère, venait plein de joie lui annoncer qu’elle était saine et sauve, il jeta en cachette un poignard près de lui et sous prétexte qu’il avait été envoyé par Agrippine pour l’assassiner, donna l’ordre de le saisir, de l’enchaîner et de mettre à mort sa mère, qui passerait pour s’être suicidée parce que son crime était découvert. (6) On ajoute et non sans garanties, certains détails plus atroces : il serait accouru pour examiner le cadavre de sa mère, aurait palpé ses membres, critiqué ceci, vanté cela et, entre temps, pris de soif, se serait mis à boire. (7) Toutefois, bien que réconforté par les félicitations des soldats, du sénat et du peuple, il ne put jamais, ni sur le moment ni plus tard, étouffer ses remords, et souvent il avoua qu’il était poursuivi par le fantôme de sa mère, par les fouets et les torches ardentes des Furies. (8) Il essaya même, en recourant aux incantations des mages, d’évoquer et de fléchir les mânes d’Agrippine. Pendant son voyage en Grèce, il n’osa pas assister aux mystères d’Eleusis, parce que la voix du héraut interdit aux impies et aux criminels de s’y faire initier.

 par groupe de mots

SUETONE    -Vie des douze Césars-

-  Néron, XXXIV -

Matrem exquirentem

Sa mère épiant

et corrigentem acerbius

et critiquant avec trop d’aigreur

facta dictaque sua

ses actes et ses paroles, 

primo gravabatur,

il la supportait d’abord avec difficulté  (trouvait importune)

hactenus ut invidia oneraret

seulement jusqu’à ce point que il la couvrait de haine

identidem

à plusieurs reprises

quasi cessurus imperio

(en faisant) comme si il allait se retirer du pouvoir

Rhodumque abiturus,

et partir à Rhodes,

mox privavit

bientôt il la priva

et honore omni et potestate

de tout honneur et de tout pouvoir

abductaque militum et Germanorum statione

et sa garde de soldats et de Germains ayant été enlevée

contubernio quoque ac Palatio expulit;

il la bannit aussi de sa présence et du Palais ;

neque quicquam pensi habuit,

et il n’eut aucun scrupule

in divexanda (ea)

à la tourmenter

(quibusdam) summissis

(des gens) ayant été envoyés

qui inquietarent

pour la troubler

et Romae morantem

elle s’attardant (quand elle s’attardait) à Rome

litibus

par des procès

et in secessu quiescentem

et se reposant (quand elle se reposait)  à la campagne

per convicia et jocos

par des railleries et des plaisanteries

terra marique praetervehentes.

en passant devant elle par terre et par mer

(2)

(2)

Verum minis ejus ac violentia territus

Mais effrayé par ses menaces et sa violence

perdere statuit;

il décida de la faire périr.

et cum ter veneno temptasset

Et après avoir essayé trois fois par le poison

sentiretque

et compris

(eam esse) antidotis praemunitam,

qu’elle s’était protégée par des antidotes

lacunaria paravit

il fit préparer les lambris (du plafond )

quae noctu

qui (de telle sorte que) la nuit,

laxata machina

un mécanisme ayant été relâché,

super dormientem deciderent,

devaient tomber (ils tombent) sur elle dormant (endormie)

(3)

(3)

Hoc consilio / per conscios /  parum celato

Ce projet ayant été trop peu tenu caché par ses complices

solutilem navem commentus est

il imagina un bateau capable de se disloquer

cujus vel naufragio vel camarae ruina periret,

par le naufrage ou la chute de pont duquel elle périrait, (qui la ferait périr soit par naufrage soit par la chute du pont)

atque ita reconciliatione simulata

et ainsi la réconciliation ayant été feinte           (feignant de vouloir se réconcilier avec elle)

jucundissimis litteris Baias evocavit

il l’invita à Baies par une lettre très agréable

ad simul celebranda

pour célébrer avec lui

sollemnia Quinquatruum;

les fêtes des Quinquatries                                                fêtes en l’honneur de Minerve, qui avaient lieu 5 jours après les Ides de Mars.

datoque negotio trierarchis,

Et la tâche ayant été donnée aux triérarques     (après avoir demandé aux triérarques)

qui confringerent,

qu’ils brisent ( de briser)

liburnicam qua advecta erat

le bateau liburnien par lequel elle avait été amenée

velut fortuito concursu

comme par un choc fortuit,

protraxit convivium

il prolongea le banquet

repetentique Baulos 

et à elle regagnant Baules (quand elle voulut regagner Baules)

in locum corrupti navigii

au lieu de son navire hors d’usage

machinosum illud optulit,

il proposa celui qui était trafiqué

hilare prosecutus

l’accompagna avec gaieté

atque papillas quoque exosculatus

et lui baisa même la poitrine

in digressu

au moment de son départ

(4)

(4)

Reliquum temporis

Le reste du temps (de la nuit)

cum magna trepidatione vigilavit

il veilla avec (habité d’) une grande inquiétude

opperiens coeptorum exitum.

attendant l’issue de ses entreprises.

Sed ut comperit

Mais quand il comprit

diversa (esse) omnia

que tout avait tourné dans un autre sens

- que evasisse eam

et qu’elle avait échappé (à la mort)

nando,

en nageant

inops consilii

incapable de (trouver) une solution

L. Agermum libertum ejus

L.Agermus l’affranchi de sa mère  (comme L.A …

nuntiantem cum gaudio

annonçant avec joie       (venait annoncer …. )

salvam et incolumem,

qu’elle était saine et sauve  ( qu’elle…          )

abjecto clam juxta pugione

un poignard ayant été jeté en cachette près de lui          (il fit jeter en cachette un poignard près de lui et)

jussit

il ordonna

(L.A …. incolumem) arripi

qu’il soit saisi

ut percussorem sibi subornatum

en tant qu’assassin  soudoyé contre lui            (comme s’il avait été soudoyé pour l’assassiner)

constringique,

et qu’il soit enchaîné,

matrem occidi,

que sa mère soit mise à mort,

quasi vitasset.

comme si elle avait évité (de manière à faire croire qu’elle avait voulu éviter

deprehensum crimen

que le crime soit pris en flagrant délit            (d’être prise en flagrant délit de crime

voluntaria morte

par une mort volontaire.  (en se suicidant)

Le commentaire s’arrête là !

 

[ Pour m’autoriser à critiquer Suétone, je me suis inspirée des analyses que l’on peut trouver sur les sites suivants :

- http://bcs.fltr.ucl.ac.be/SUET/SuetNot.html#Zehnacker

- http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/Enseignement/Glor2330/Suetone_caligula/intro.htm#suetone

Merci aux auteurs pour avoir mis leur travail à la disposition de tous.
Il va de soi qu’on peut ne pas partager mon analyse et mon agacement devant l’écriture de l’histoire vue par Suétone ! il faudra alors gommer les critiques négatives de cette étude ! J’en suis pour ma part incapable !
]

Introduction

 Oeuvre : Vie des douze Césars (de César à Domitien) ; en fait, donc, suite de biographies.

- Passage : dans ‘Néron’ partie XXXIV (numérotation Nisard). Partie centrée sur les « meurtres » de Néron (après celui de Britannicus, et avant ceux de ses épouses etc…)

- Un texte surprenant pour qui a lu le même épisode chez Tacite: l’objectif principal de Suétone n’est manifestement pas de construire un récit animé, mais plus simplement d’accabler Néron. Ce passage donne ainsi assez clairement une idée de ce qu’est l’écriture de l’histoire pour Suétone.

Développement

I°) - Ecrire l’histoire, ou les limites de Suétone

Le lecteur amateur de Tacite ne peut qu’être surpris par le texte de Suétone. En effet, l’impression générale peut s’exposer ainsi :

1-1 : Peu de souci narratif  

-d’abord les premières persécutions de Néron contre Agrippine pour tenter de la faire taire ;

-puis les 3 tentatives d’empoisonnement /  le recours au plafond truqué ;

-puis la préparation du bateau truqué, étape un peu plus longues que les précédentes dans la mesure où, semble-t-il, Néron y prend une part personnelle plus grande.

-enfin, après l’annonce d’un nouvel échec, l’arrestation d’Agermus et l’ordre donné d’assassiner Agrippine.

La relation est assez sèche ; car Suétone ignore –ou refuse- l'art de peindre une scène, de brosser un tableau ou de composer un tableau ; il n’a pas le souci d'assurer une progression dramatique,(soit qu’il ne le sache ou qu’il ne veuille pas le faire ). Suétone, collectionneur de fiches, ne cherche pas au-delà de ses sources ;  il s’arrête aux faits.

1-2 : Peu d’analyse psychologique

Suétone se montre peu intéressé par l’analyse des causes des comportements.

Le récit est fait depuis Néron ; mais on reste au niveau de ses décisions plus que de ses motivations profondes.

On passe simplement de « matrem… exquirentem acerbius et corrigentem …gravabatur » à « minis ejus ac violentia territus ». Seule l’aggravation de l’exaspération de Néron (« gravabatur… territus ») apporte une explication, sommaire, à la décision « perdere statuit ».

Après les trois empoisonnements, on sait juste que « cum … sentiret… lacunaria…paravit ». C’est tout juste si on apprend que cette tentative échoue, « hoc consilio… parum celato », et déjà on sait de quoi sera faite la tentative suivante : « solutilem navem…commentus est ». Seule allusion à un ‘ressenti’ : « cum magna trepidatione vigilavit », sans pittoresque particulier.

Quand c’est à nouveau l’échec, Suétone dans la même phrase annonce à la fois l’ordre d’arrêter Agermus et de tuer sa mère, comme si les deux décisions allaient de pair et étaient de la même importance.

Peut-être effectivement le sont-elles, dans la mesure où cette fois, il n’y a plus de subterfuge, Néron avance presque à visage découvert  et se débarrasse à la fois de sa mère et de l’affranchi de celle-ci, marquant ainsi le début d’une « nouvelle ère », celle de l’autonomie acquise par le crime qu’il avait commencée avec la mort de Britannicus –du point de vue de Suétone-. Mais si telle est l’intention de Suétone, c’est à nous de la décrypter car rien n’est vraiment exprimé en ce sens ; seule la juxtaposition de « constrigique  jussit » avec  « matrem  occidi » peut le laisser penser.

             Il  résulte de cette absence d’analyse psychologique, une absence de vie, beaucoup de difficultés à s’intéresser aux motivations des personnages, qui sont réduits à des sortes d’ombres sans grande réalité. 

Dans la même phrase, Néron est présenté comme « inops consilii », mais quelques ‘mots’ plus tard, le voilà capable d’une stratégie diabolique : il sait tout à coup  monter à grande vitesse un semblant de mise en scène :

- de façon à faire accuser Agermus de tentative d’assassinat

- de façon à avoir un motif pour faire tuer Agrippine

Et il a en outre assez de présence d’esprit pour préciser que ce meurtre doit avoir des airs de suicide : « quasi … crimen  voluntaria  morte vitasset ». Etonnant, pour un « inops consilii » !

1-3 : Peu de travail d’écriture à proprement parler

Suétone n’apporte pas de soin particulier au travail du style. Si la langue est, évidemment, correcte, le style ne présente pas de caractéristiques très exceptionnelles.

              A peine un « verum » entre les deux étapes de l’exaspération de Néron contre sa mère. Seul « atque ita » indique que la simulation de réconciliation est un des éléments importants du stratagème de Néron pour rendre le bateau truqué opérationnel.

               Sinon, la plupart des « transitions » entre deux tentatives d’assassinat sont des ablatifs absolus, dans lesquels en fait le récit se poursuit puisqu’on y trouve à la fois le résultat de la tentative précédente et la raison de la suivante, comme dans « hoc consilio… parum celato », ou « abjecto clam… pugione ».

              Une vraie conjonction de coordination, mais une seule, est employée à la fin, quand on bascule des tentatives ratées à la décision d’avoir recours à une brutalité plus efficace ; ce passage est clairement marqué par « Sed » qui indique à la fois, et très clairement, que le coup du bateau n’a pas marché, que Néron en a assez, qu’il va procéder autrement, mais aussi que cette fois il va réussir. Certes, la coordination est bien choisie et riche de sens, mais elle prive aussi le lecteur d’une tension dramatique, d’une attente, qui aurait pu être «plaisante» !

              On ne peut nier les qualités de précision, de clarté, de brièveté, mais en contrepartie le récit manque de vie.

             Aucun recours au discours rapporté,  - direct, indirect, indirect libre - dans ce passage, à part « Agermum…salvam…nuntiatem » ; on peut juste relever ici et là des mots témoignant de propos tenus ou échangés. – cf. corrigentem / convicia et jocos / minis ; quelques traces de discours narrativisé dans « consilio parum celato », ou dans «  dato negotio » +  optulit / et mieux (ou pire ?!) « jussit (…) quasi…vitasset » : même à l’instant crucial où Néron prend l’ultime décision, et ordonne à la fois un assassinat et une mise en scène, Suétone ne lui donne pas la parole en direct.

              Peu de variété non plus dans la construction des phrases.

* Beaucoup de constructions binaires (facta dictaque / exquirentem et corrigentem / cessurus imperio Rhodumque abiturus (avec tout de même l’usage d’un chiasme), et honore omni et potestate / militum et Germanorum / et Romae morantem litibus et in secessu quiescentem per convicia et jocos, tout ceci pour le seule paragraphe 1. On pourrait relever beaucoup d’autres exemples dans la suite (temptasset sentiretquevel naufragio, vel ruina… etc…).

La seule surprise vient peut-être avec l’absence de coordination, à la fin de l’extrait, entre les deux verbes correspondants aux ordres concernant Agermus (arripi constringique) et celui concernant Agrippine « matrem occidi », montrant la simultanéité des ordres et l’énergie tout à coup retrouvée de Néron.

* Recours fréquent à l’ablatif absolu (7 occurrences dans l’extrait) ou aux relatives explicatives (3 occurrences) ; 

*  Complication sans nécessité absolue de certaines structures : 

Voir par exemple la dernière phrase : « ut  comperit » / puis début de la principale « inops consilii » interrompue par le début d’une infinitive / « L.Agermum … nuntiantem » groupe sujet d’une infinitive,  lui-même interrompu par une infinitive elliptique « salvam et incolumem » / ablatif absolu / puis suite de l’infinitive / et le verbe principal « jussit » / suivi à son tour d’une autre infinitive / accompagnée d’une conjonctive – ; cette complication n’est pas destinée à rendre la complexité de la situation –qui est limpide !- elle vise sans doute à rendre l’accélération des événements. Mais en ce cas, quelle lourdeur! Non ?

*  Absence de recherche dans l’emploi des temps verbaux : tous les verbes principaux sont au parfait (sauf le premier –gravabatur-),  et tous ont Néron pour sujet.

En fait, Suétone est essentiellement attaché à rapporter les faits dans un ordre scrupuleusement chronologique (même à l’intérieur d’une même phrase) et à peindre un personnage pris dans une activité précise le définissant bien : ici, Néron, acharné à faire mourir sa mère.

Sa « méthode » s’adapte aux sentiments que lui inspire son « sujet ».

Il est clair ici que Néron lui est insupportable et que Suétone va donc tout mettre en œuvre pour le disqualifier, lui, mais aussi sa mère !

2°) Néron et Agrippine, vus par Suétone

2-1 : Néron

Suétone choisit ici de nous rapporter les faits vus, non du point de vue de Néron puisque nous  ne voyons pas les choses par ses yeux (ce qui pourrait nous conduire à le comprendre et risquerait de nous lui faire trouver des excuses), et que nous entrons très rarement dans son personnage, mais au moins depuis Néron.

- Les quelques incursions faites dans l’esprit de Néron ont leur importance pour l’effet qu’elles peuvent faire sur le lecteur.

·         Image dévalorisée: Néron, un homme sans maîtrise: Nous savons d’abord que Néron supporte mal les critiques de sa mère (gravabatur) , et qu’il n’hésite pas un instant à lui nuire « neque in divexanda quicquam pensi habuit » ; nous savons un peu plus tard qu’il a peur de sa mère (territus), puis qu’il est plongé dans l’angoisse quand il attend le résultat de son piège (cum magna trepidatione) et enfin qu’il peut être totalement perdu (inops consilii) quand il est en situation d’urgence, - même si la rapidité de sa décision ensuite rend ce « inops consilill » un peu caduque-. Ces quelques « aperçus – éclair »  de l’esprit de Néron contribuent  à nous donner de lui une image très dévalorisante ! En effet,

·         Néron n’est qu’un gamin ‘attardé’: à 22 ans, ce grand garçon n’a pas encore pris ses distances vis-à-vis de sa maman !

Au contraire,  il est troublé par ses critiques ;

Il est encore assez gamin pour se venger par le chantage (quasi cessurus…abiturus), et jouer un jeu de harcèlement stupide (et… litibus et …per concivia et jocos) ;

Il est tellement lâche qu’il ne fait rien lui-même (summissis qui… inquietarent).

Il est tellement peu habitué à prendre des décisions graves et à les assumer que d’abord l’échec de sa ruse le laisse « inops consilii ».

Il est tellement démuni de ressources intérieures que devant les menaces et l’agressivité de sa mère, il ne trouve pas de solution intermédiaire ; le meurtre lui apparaît comme seule solution pour se libérer de l’emprise maternelle.

On a du mal à imaginer le Néron de Suétone en véritable homme d'État. Comment un tel homme serait-il capable de diriger l’empire romain ?  

- Pour le reste, tout est centré sur les actions faites par Néron.

·         Suétone procède par  accumulation de faits,

précisés à travers des verbes dont Néron est le sujet :

Néron est agacé par sa mère (gravabatur ) ;

Néron la harcèle (invidia oneraret) ;

Néron tente trois fois de l’empoisonner (ter veneno temptasset).

Néron fait truquer le plafond de sa chambre (lacunaria paravit);

Néron recourt au stratagème du bateau truqué (commentatus est) et paye de sa personne pour que la chose aboutisse (evocavit / protraxit / optulit).

Néron attend le résultat de son « œuvre » (vigilavit) mais il apprend son nouvel échec (comperit) ;

Néron prend la décision définitive (jussit matrem occidi).

                Accumulation qui dénonce violemment la brutalité et la monstruosité de cet homme, dont le seul moteur semble être la haine, d’autant plus forte que son immaturité est plus grande.

                Lexique centré sur  l’expression de l’hostilité, de la brutalité, de la perversité, de la duplicité, de la haine et de la violence. (A vous de jouer, si vous suivez ce chemin ! les termes ne manquent pas !!)

·         Suétone procède assez systématiquement par jeu de causes – conséquences :

Néron se trouve de ce fait réduit à l’état d’automate totalement livré à ses instincts monstrueux, et pris dans un engrenage qui ne peut s’achever que par la mort.

- Tout le texte est construit sur une démarche constante :

Cause : fait d’origine / conséquence : décision de Néron / résultat de la décision

Tant que Néron essuie un échec,  l’échec sert de cause pour la décision  suivante etc… jusqu’à ce que l’engrenage cesse, faute d’ennemie. Le fait d’origine, c’est « matrem … exquirentem  acerbius» et l’engrenage s’arrête lorsque « jussit matrem occidi ».

- Toutes les actions de Néron sont donc présentées comme déterminées par sa dépendance à sa mère, son incapacité à accéder à l’autonomie d’un véritable adulte, et son goût pour le mal qui le porte à trouver du plaisir à bâtir des « coups tordus ».

Et de qui lui vient cette attitude? C’est bien entendu un héritage maternel. Lourde hérédité !

 2-2 : Agrippine

Certes, Agrippine est la victime.

- A ce titre elle est placée au second plan dans le récit.

·         Elle n’est jamais sujet des verbes essentiels.

Deux fois, elle est sujet mais d’une infinitive dont le sujet n’est même pas exprimé (« antidotis praemunitam » / « salvam et incolumem »)

Deux fois, elle est sujet, mais d’un verbe passif, donc présentée comme subissant l’action : « advecta erat » / « matrem occidi »

Une fois sujet d’un verbe actif, « quasi vitasset », mais dans une hypothétique irréelle, exprimant le moyen inventé par Néron, pour masquer les vraies causes de la mort d’Agrippine.

Seule la proposition « eam evasisse » la place en sujet d’un verbe actif, mais dans une infinitive cod du verbe « comperit » dont le sujet est Néron !

·         Elle est donc bien en position de victime, déjà disparue avant d’être morte :

Elle n’est jamais appelée par son nom propre. La plupart du temps, elle est désignée par des participes –c.o.d/s - qui mettent en évidence ses diverses actions : « exquirentem / corrigentem / morantem / quiescentem / dormientem / repetenti ».

Elle n’est jamais physiquement évoquée, sauf par « papillas », qui sent l’allusion salace aux relations ambiguës entre le fils et la mère, dont Suétone parle ailleurs !

Les seules appellations auxquelles elle a droit sont « ejus » –deux fois- et « eam » ; et deux fois « matrem » : « Matrem », premier mot de notre extrait, cod de tous les verbes dont Néron est le sujet, donc objet de tous ses sévices. « Matrem » encore à la fin, sujet passif dans l’ordre de la tuer « matrem occidi ».

Serait-ce pour insister sur l’horreur du parricide ? ou pour nous rappeler que « telle mère, tel fils » ?

 - Car on ne peut pas dire qu’Agrippine soit particulièrement valorisée ici !

·         Agrippine est une mère possessive et excessive

A part les trois participes qui la présentent entrain de se reposer, nous l’entendons surtout exercer son acariâtre caractère contre son fils « facta dictaque exquirentem acerbius et corrigentem » , belle façon de ne pas respecter son statut d’empereur de Rome, ni son âge.

·         Agrippine ne sait pas rester à sa place de femme

Elle aurait dû se contenter de la garde donnée par son fils. Mais lorsqu’il l’en prive, Néron, dit Suétone, la prive aussi de « potestate », signe qu’Agrippine a voulu régner par fils interposé, qu’elle est en fait assoiffée de pouvoir et manipulatrice, qu’elle a voulu hisser son fils au rang d’empereur pour elle-même et non pour lui.

·         Agrippine est vaniteuse et de ce fait facile à berner

* Il suffit d’une « jucundissimis litteris » pour qu’elle soit aveuglée et perde tout sens critique et toute prudence concernant son fils. - Sans doute se croit-elle invulnérable ? -  L’attitude de ce dernier « hilare prosecutus atque (…) papillas osculatus » suffit à lui faire oublier toutes les agaceries dont elle a été l’objet peu de temps auparavant.

* Apparemment, elle n’a pas compris non plus que le bateau avait été truqué sur ordre de Néron, et elle n’a pas eu la prudence de faire la leçon à Agermus, dont la joie (« cum gaudio nuntiantem ») suffit à pousser Néron à bout !

 Tout cela nous donne d’elle une image désagréable et ne nous fait déplorer sa mort à aucun moment.

Conclusion (Vous trierez !)

                                                                           ---------------------------

(Ceci pourrait être intégré dans le commentaire, puisque dans la fin de l’extrait il est déjà fait allusion aux insomnies et aux tourments de Néron, attendant l’annonce de la mort de sa mère.)

 Suétone, comme tous les historiens latins, a une vision moralisante et édifiante de l’histoire. Il croit et veut faire croire à une justice immanente à laquelle on n'échappe pas: les mauvais princes sont condamnés au tourment intérieur, à l'insomnie, aux troubles de l'esprit ; et ils n'échappent jamais à une mort atroce et méritée, car le malheur et la souffrance sont la juste rançon du mal.

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(Ceci est toujours bon à savoir, même si c’est à utiliser à bon escient et avec prudence ; l’expérience montre en effet que certains profs de latin, comme d’ailleurs certains profs d’histoire en sont restés à une vision encore très noircie de Néron.)

 Tacite et Suétone, pour d’évidentes raisons de propagande, ont sans doute noirci le portrait d’un homme dont les historiens modernes ont, depuis, analysé le rôle avec plus de recul, et moins de passion.

Néron est perçu, désormais, comme celui qui donne au pouvoir impérial une coloration orientale, une teinte d’absolutisme, s’appuyant, par démagogie, sur le peuple afin de mieux détruire le pouvoir de l’antique aristocratie sénatoriale.