C. SUETONI TRANQUILLI
DE VITA CAESARUM
NERO, XXXIV
texte | traduction | traduction par groupe de mots |
Néron,
XXXIV
(1) Matrem facta dictaque sua exquirentem acerbius et
corrigentem hactenus primo gravabatur, ut invidia identidem oneraret quasi
cessurus imperio Rhodumque abiturus, mox et honore omni et potestate privavit
abductaque militum et Germanorum statione contubernio quoque ac Palatio expulit;
neque in divexanda quicquam pensi habuit, summissis qui et Romae morantem
litibus et in secessu quiescentem per convicia et jocos terra marique
praetervehentes inquietarent. (2) Verum minis ejus ac violentia territus perdere
statuit; et cum ter veneno temptasset sentiretque antidotis praemunitam,
lacunaria, quae noctu super dormientem laxata machina deciderent, paravit. (3)
Hoc consilio per conscios parum celato solutilem navem, cujus vel naufragio vel
camarae ruina periret, commentus est atque ita reconciliatione simulata
jucundissimis litteris Baias evocavit ad sollemnia Quinquatruum simul celebranda;
datoque negotio trierarchis, qui liburnicam qua advecta erat velut fortuito
concursu confringerent, protraxit convivium repetentique Baulos in locum
corrupti navigii machinosum illud optulit, hilare prosecutus atque in digressu
papillas quoque exosculatus. 4) Reliquum temporis cum magna trepidatione
vigilavit opperiens coeptorum exitum. (5) Sed ut
diversa omnia nandoque evasisse eam comperit, inops consilii, L. Agermum
libertum ejus salvam et incolumem cum gaudio nuntiantem, abjecto clam juxta
pugione ut percussorem sibi subornatum arripi constringique jussit, matrem
occidi, quasi deprehensum crimen voluntaria morte vitasset. 6)
Adduntur his atrociora nec incertis auctoribus: ad uisendum interfectae cadauer
accurrisse, contrectasse membra, alia uituperasse, sitique interim oborta
bibisse. (7) Neque tamen conscientiam
sceleris, quamquam et militum et senatus populique gratulationibus
confirmaretur, aut statim aut umquam postea ferre potuit, saepe confessus
exagitari se materna specie uerberibusque Furiarum ac taedis ardentibus. (8)
Quin et facto per Magos sacro euocare Manes et exorare temptauit. Peregrinatione
quidem Graeciae et Eleusinis sacris, quorum initiatione impii et scelerati uoce
praeconis summouentur, interesse non ausus est.
SUETONE -Vie
des douze Césars- |
- Néron, XXXIV - |
Matrem exquirentem |
Sa mère épiant |
et corrigentem
acerbius |
et critiquant avec
trop d’aigreur |
facta dictaque sua |
ses actes et ses
paroles, |
primo
gravabatur, |
il la supportait d’abord
avec difficulté (trouvait
importune) |
hactenus ut invidia
oneraret |
seulement jusqu’à
ce point que il la couvrait de haine |
identidem |
à plusieurs reprises |
quasi cessurus imperio
|
(en faisant) comme si
il allait se retirer du pouvoir |
Rhodumque
abiturus, |
et partir à Rhodes, |
mox
privavit |
bientôt
il la priva |
et honore omni et
potestate |
de tout honneur et de
tout pouvoir |
abductaque militum et
Germanorum statione |
et sa garde de soldats
et de Germains ayant été enlevée |
contubernio quoque ac
Palatio expulit; |
il la bannit aussi de
sa présence et du Palais ; |
neque quicquam pensi
habuit, |
et il n’eut aucun
scrupule |
in divexanda
(ea) |
à la tourmenter |
(quibusdam) summissis |
(des gens) ayant été
envoyés |
qui inquietarent |
pour la troubler |
et Romae morantem |
elle s’attardant
(quand elle s’attardait) à Rome |
litibus |
par des procès |
et in secessu
quiescentem |
et se reposant (quand
elle se reposait) à la
campagne |
per convicia et jocos |
par des railleries et
des plaisanteries |
terra marique
praetervehentes. |
en passant devant elle
par terre et par mer |
(2) |
(2) |
Verum minis ejus ac
violentia territus |
Mais effrayé par ses
menaces et sa violence |
perdere
statuit; |
il décida de la faire
périr. |
et cum ter veneno
temptasset |
Et après avoir essayé
trois fois par le poison |
sentiretque |
et compris |
(eam esse) antidotis
praemunitam, |
qu’elle s’était
protégée par des antidotes |
lacunaria paravit |
il fit préparer les
lambris (du plafond ) |
quae noctu |
qui (de telle sorte
que) la nuit, |
laxata machina |
un mécanisme ayant été
relâché, |
super dormientem
deciderent, |
devaient tomber (ils
tombent) sur elle dormant (endormie) |
(3) |
(3) |
Hoc consilio / per
conscios / parum celato |
Ce projet ayant été
trop peu tenu caché par ses complices |
solutilem navem
commentus est |
il imagina un bateau
capable de se disloquer |
cujus vel naufragio
vel camarae ruina periret, |
par le naufrage ou la
chute de pont duquel elle périrait, (qui la ferait périr soit par
naufrage soit par la chute du pont) |
atque ita
reconciliatione simulata |
et ainsi la réconciliation
ayant été feinte
(feignant de vouloir se réconcilier avec
elle) |
jucundissimis litteris
Baias evocavit |
il l’invita à Baies
par une lettre très agréable |
ad simul celebranda |
pour célébrer avec
lui |
sollemnia Quinquatruum; |
les fêtes des
Quinquatries
fêtes
en l’honneur de Minerve, qui avaient lieu 5 jours après les Ides de
Mars. |
datoque negotio
trierarchis, |
Et la tâche ayant été
donnée aux triérarques
(après avoir demandé aux triérarques) |
qui
confringerent, |
qu’ils brisent ( de
briser) |
liburnicam qua advecta
erat |
le bateau liburnien
par lequel elle avait été amenée |
velut fortuito
concursu |
comme par un choc
fortuit, |
protraxit convivium |
il prolongea le
banquet |
repetentique Baulos
|
et à elle regagnant
Baules (quand elle voulut regagner Baules) |
in locum corrupti
navigii |
au lieu de son navire
hors d’usage |
machinosum illud
optulit, |
il proposa celui qui
était trafiqué |
hilare prosecutus |
l’accompagna avec
gaieté |
atque papillas quoque
exosculatus |
et lui baisa même la
poitrine |
in digressu |
au moment de son départ |
(4) |
(4) |
Reliquum temporis |
Le reste du temps (de
la nuit) |
cum magna trepidatione
vigilavit |
il veilla avec (habité
d’) une grande inquiétude |
opperiens coeptorum
exitum. |
attendant l’issue de
ses entreprises. |
Sed ut comperit |
Mais quand il comprit |
diversa (esse) omnia |
que tout avait tourné
dans un autre sens |
- que evasisse eam |
et qu’elle avait échappé
(à la mort) |
nando, |
en nageant |
inops consilii |
incapable de (trouver)
une solution |
L. Agermum libertum ejus |
L.Agermus
l’affranchi de sa mère (comme
L.A … |
nuntiantem cum gaudio |
annonçant
avec joie (venait annoncer …. |
salvam et incolumem, |
qu’elle
était saine et sauve (
qu’elle…
) |
abjecto clam juxta
pugione |
un poignard ayant été
jeté en cachette près de lui
(il fit jeter en cachette un poignard près de lui et) |
jussit |
il ordonna |
(L.A …. incolumem) arripi |
qu’il soit saisi |
ut percussorem sibi subornatum |
en tant qu’assassin
soudoyé contre lui
(comme s’il avait été soudoyé pour l’assassiner) |
constringique, |
et qu’il soit enchaîné, |
matrem
occidi, |
que sa mère soit mise
à mort, |
quasi
vitasset. |
comme si elle avait évité (de manière à faire croire qu’elle avait voulu éviter |
deprehensum crimen |
que le crime soit pris
en flagrant délit
(d’être prise en flagrant délit de crime |
voluntaria morte |
par une mort
volontaire. (en se suicidant) |
Le
commentaire s’arrête là ! |
|
[ Pour
m’autoriser à critiquer Suétone, je me suis inspirée des analyses que
l’on peut trouver sur les sites suivants :
- http://bcs.fltr.ucl.ac.be/SUET/SuetNot.html#Zehnacker
- http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/Enseignement/Glor2330/Suetone_caligula/intro.htm#suetone
Merci aux auteurs pour avoir mis leur travail à la disposition de
tous.
Il va de soi qu’on peut ne pas partager mon analyse et mon agacement devant
l’écriture de l’histoire vue par Suétone ! il faudra alors gommer
les critiques négatives de cette étude ! J’en suis pour ma part
incapable ! ]
Oeuvre :
Vie des douze Césars (de César à Domitien) ; en fait, donc, suite
de biographies.
-
Passage :
dans ‘Néron’ partie XXXIV (numérotation
Nisard).
Partie centrée sur les « meurtres » de Néron (après
celui de Britannicus, et avant ceux de ses épouses etc…)
-
Un texte
surprenant
pour qui a lu le même épisode chez Tacite: l’objectif principal de Suétone
n’est manifestement pas de construire un récit animé, mais plus simplement
d’accabler Néron. Ce passage donne ainsi assez clairement une idée de ce
qu’est l’écriture de l’histoire pour Suétone.
Développement
I°) -
Ecrire
l’histoire, ou les limites de Suétone
Le
lecteur amateur de Tacite ne peut qu’être surpris par le texte de Suétone.
En effet, l’impression générale peut s’exposer ainsi :
1-1 :
Peu
de souci narratif
-d’abord
les premières persécutions de Néron contre Agrippine pour tenter de la faire
taire ;
-puis les
3 tentatives d’empoisonnement / le
recours au plafond truqué ;
-puis la
préparation du bateau truqué, étape un peu plus longues que les précédentes
dans la mesure où, semble-t-il, Néron y prend une part personnelle plus
grande.
-enfin,
après l’annonce d’un nouvel échec, l’arrestation d’Agermus et
l’ordre donné d’assassiner Agrippine.
La relation est assez sèche ;
car Suétone ignore –ou refuse- l'art de peindre une scène, de brosser un
tableau ou de composer un tableau ; il n’a pas le souci d'assurer une
progression dramatique,(soit qu’il ne le sache ou qu’il ne veuille pas le
faire ). Suétone, collectionneur de fiches, ne cherche pas au-delà de ses
sources ; il s’arrête aux
faits.
1-2 :
Peu
d’analyse psychologique
Suétone se montre
peu intéressé par l’analyse des causes des comportements.
Le récit
est fait depuis Néron ; mais on reste au niveau de ses décisions plus que de ses motivations profondes.
On passe
simplement de « matrem…
exquirentem acerbius et corrigentem …gravabatur » à « minis ejus ac violentia territus ». Seule l’aggravation de
l’exaspération de Néron (« gravabatur…
territus ») apporte une explication, sommaire, à la décision « perdere
statuit ».
Après
les trois empoisonnements, on sait juste que « cum
… sentiret… lacunaria…paravit ». C’est tout juste si on
apprend que cette tentative échoue, « hoc
consilio… parum celato », et déjà on sait de quoi sera faite la
tentative suivante : « solutilem
navem…commentus est ». Seule allusion à un ‘ressenti’ :
« cum magna trepidatione vigilavit »,
sans pittoresque particulier.
Quand
c’est à nouveau l’échec, Suétone dans la même phrase annonce à
la fois l’ordre d’arrêter Agermus et de tuer sa mère,
comme si les deux décisions allaient de pair et étaient de la même
importance.
Peut-être
effectivement le sont-elles, dans la mesure où cette fois, il n’y a plus de
subterfuge, Néron avance presque à visage découvert
et se débarrasse à la fois de sa mère et de l’affranchi de celle-ci,
marquant ainsi le début d’une « nouvelle ère », celle de
l’autonomie acquise par le crime qu’il avait commencée avec la mort de
Britannicus –du point de vue de Suétone-. Mais
si telle est l’intention de Suétone, c’est
à nous de la décrypter car rien n’est vraiment exprimé en ce sens ;
seule la juxtaposition de « constrigique
jussit » avec « matrem
occidi » peut le laisser penser.
Il
résulte de cette absence d’analyse psychologique, une absence de vie,
beaucoup de difficultés à s’intéresser aux motivations des personnages, qui
sont réduits à des sortes d’ombres sans grande réalité.
Dans la même phrase, Néron est présenté
comme « inops consilii »,
mais quelques ‘mots’ plus tard, le voilà capable d’une stratégie
diabolique : il sait tout à coup monter
à grande vitesse un semblant de mise en scène :
- de façon à faire accuser Agermus
de tentative d’assassinat
- de façon à avoir un motif pour
faire tuer Agrippine
Et il a en outre assez de présence
d’esprit pour préciser que ce meurtre doit avoir des airs de suicide :
« quasi … crimen voluntaria morte
vitasset ». Etonnant, pour un « inops
consilii » !
1-3 :
Peu de travail d’écriture à proprement
parler
Suétone
n’apporte pas de soin particulier au travail du style. Si la langue est, évidemment,
correcte, le style ne présente pas de caractéristiques très exceptionnelles.
A peine un « verum »
entre les deux étapes de l’exaspération de Néron contre sa mère. Seul
« atque ita » indique que
la simulation de réconciliation est un des éléments importants du stratagème
de Néron pour rendre le bateau truqué opérationnel.
Sinon, la plupart des « transitions » entre deux tentatives
d’assassinat sont des ablatifs absolus,
dans lesquels en fait le récit se poursuit puisqu’on y trouve à la fois le résultat
de la tentative précédente et la raison de la suivante, comme dans « hoc
consilio… parum celato », ou « abjecto
clam… pugione ».
Une vraie
conjonction de coordination, mais une seule,
est employée à la fin, quand on bascule des tentatives ratées à la décision
d’avoir recours à une brutalité plus efficace ; ce passage est
clairement marqué par « Sed » qui indique à la
fois, et très clairement, que le coup du bateau n’a pas marché, que Néron
en a assez, qu’il va procéder autrement, mais aussi que cette fois il va réussir.
Certes, la coordination est bien choisie et riche de sens, mais elle prive aussi
le lecteur d’une tension dramatique, d’une attente, qui aurait pu être «plaisante» !
On ne peut nier les qualités de précision, de clarté, de brièveté,
mais en contrepartie le récit manque de vie.
Aucun
recours au discours rapporté,
- direct, indirect, indirect libre - dans ce passage, à part « Agermum…salvam…nuntiatem » ;
on peut juste relever ici et là des mots témoignant de propos tenus ou
échangés. – cf. corrigentem / convicia
et jocos / minis ;
quelques traces de discours narrativisé dans « consilio parum celato »,
ou dans « dato negotio »
+ optulit
/ et mieux (ou pire ?!) « jussit (…) quasi…vitasset
» : même à l’instant crucial où Néron prend l’ultime décision, et
ordonne à la fois un assassinat et une mise en scène, Suétone ne lui donne
pas la parole en direct.
Peu de variété non plus dans la construction des phrases.
* Beaucoup de constructions binaires
(facta dictaque / exquirentem et
corrigentem
/ cessurus imperio Rhodumque
abiturus
(avec tout de même l’usage d’un chiasme), et
honore omni et
potestate
/ militum et Germanorum
/ et Romae morantem litibus
et
in secessu quiescentem per convicia et
jocos,
tout ceci pour le seule paragraphe 1. On pourrait relever beaucoup d’autres
exemples dans la suite (temptasset
sentiretque …
vel naufragio, vel ruina… etc…).
La seule surprise vient peut-être
avec l’absence
de coordination,
à la fin de l’extrait, entre les deux verbes correspondants aux ordres
concernant Agermus (arripi constringique) et celui concernant
Agrippine « matrem occidi »,
montrant la simultanéité des ordres et l’énergie tout à coup retrouvée de
Néron.
* Recours fréquent à l’ablatif
absolu (7 occurrences dans l’extrait) ou aux relatives explicatives (3
occurrences) ;
*
Complication sans nécessité absolue de certaines structures :
Voir par exemple la dernière phrase :
« ut
comperit » / puis début de la principale « inops
consilii » interrompue par le début d’une infinitive
/ « L.Agermum … nuntiantem » groupe sujet d’une
infinitive, lui-même interrompu
par une infinitive elliptique « salvam
et incolumem » / ablatif absolu / puis suite de
l’infinitive / et le verbe principal « jussit » / suivi à son tour d’une autre infinitive /
accompagnée d’une conjonctive – ; cette complication n’est
pas destinée à rendre la complexité de la situation –qui est limpide !-
elle vise sans doute à rendre l’accélération des événements. Mais en ce
cas, quelle lourdeur! Non ?
*
Absence de recherche dans l’emploi des temps verbaux : tous les
verbes principaux sont au parfait (sauf le premier –gravabatur-), et tous
ont Néron pour sujet.
En fait, Suétone est essentiellement
attaché à rapporter les faits dans un ordre scrupuleusement chronologique (même
à l’intérieur d’une même phrase) et à peindre un personnage pris dans
une activité précise le définissant bien : ici, Néron, acharné à
faire mourir sa mère.
Sa « méthode »
s’adapte aux sentiments que lui inspire son « sujet ».
Il est clair ici que Néron lui est
insupportable et que Suétone va donc tout mettre en œuvre pour le
disqualifier, lui, mais aussi sa mère !
2°)
Néron et Agrippine, vus par Suétone
2-1 :
Néron
Suétone choisit ici de nous
rapporter les faits vus, non du point de vue de Néron puisque nous ne voyons pas les choses par ses yeux (ce qui pourrait nous
conduire à le comprendre et risquerait de nous lui faire trouver des excuses),
et que nous entrons très rarement dans son personnage, mais au moins depuis
Néron.
-
Les quelques
incursions faites dans l’esprit de Néron
ont leur importance pour l’effet
qu’elles peuvent faire sur le lecteur.
·
Image dévalorisée:
Néron, un homme sans maîtrise
·
Néron n’est qu’un gamin ‘attardé’:
à 22 ans, ce grand garçon n’a pas encore pris ses distances vis-à-vis
de sa maman !
Au contraire,
il est troublé par ses critiques ;
Il est encore assez
gamin
pour se venger par le chantage (quasi
cessurus…abiturus), et jouer un jeu de harcèlement stupide (et…
litibus et …per concivia et jocos) ;
Il est tellement
lâche
qu’il ne fait rien lui-même (summissis
qui… inquietarent).
Il est tellement
peu
habitué à prendre des décisions graves et à les assumer
que d’abord l’échec de sa ruse le laisse « inops
consilii ».
Il est tellement
démuni
de ressources intérieures que devant les menaces et l’agressivité de sa mère,
il ne trouve pas de solution intermédiaire ; le meurtre
lui apparaît comme seule solution pour se libérer de l’emprise maternelle.
On a du mal à imaginer le Néron de
Suétone en véritable homme d'État. Comment un tel homme serait-il capable de
diriger l’empire romain ?
- Pour le reste, tout est centré sur les actions faites par Néron.
·
Suétone procède par accumulation
de faits,
précisés
à travers des verbes dont Néron est le sujet :
Néron est agacé par sa mère (gravabatur ) ;
Néron la harcèle
(invidia oneraret) ;
Néron tente trois fois de
l’empoisonner (ter veneno temptasset).
Néron
fait truquer le plafond de sa chambre (lacunaria paravit);
Néron recourt au stratagème du
bateau truqué (commentatus est) et
paye de sa personne pour que la chose aboutisse (evocavit
/ protraxit / optulit).
Néron attend le résultat de son
« œuvre » (vigilavit)
mais il apprend son nouvel échec (comperit) ;
Néron prend la décision définitive
(jussit matrem
occidi).
Accumulation
qui dénonce violemment la brutalité et la monstruosité de cet homme, dont le
seul moteur semble être la haine, d’autant plus forte que son immaturité est
plus grande.
Lexique
centré sur l’expression de
l’hostilité, de la brutalité, de la perversité, de la duplicité, de la
haine et de la violence. (A
vous de jouer, si vous suivez ce chemin ! les termes ne manquent pas !!)
·
Suétone procède assez systématiquement par
jeu de causes – conséquences :
Néron se trouve de ce fait réduit
à l’état d’automate totalement
livré à ses instincts monstrueux, et pris dans un
engrenage
qui ne peut s’achever que par la mort.
-
Tout le texte est construit sur une démarche
constante :
Cause : fait d’origine / conséquence : décision
de Néron / résultat de la décision
Tant que Néron essuie un échec,
l’échec sert de cause
pour la décision suivante etc…
jusqu’à ce que l’engrenage cesse, faute d’ennemie. Le fait d’origine,
c’est « matrem … exquirentem acerbius» et l’engrenage
s’arrête lorsque « jussit
matrem occidi ».
- Toutes les actions de Néron sont
donc présentées
comme déterminées par sa dépendance à sa mère,
son incapacité à accéder à l’autonomie d’un véritable adulte, et son goût
pour le mal
qui le porte à trouver du plaisir à bâtir des « coups tordus ».
Et de qui lui vient cette attitude?
C’est bien entendu un héritage maternel. Lourde hérédité !
2-2 :
Agrippine
Certes, Agrippine est la victime.
-
A ce titre elle
est placée au second plan dans le récit.
·
Elle
n’est jamais sujet des verbes essentiels.
Deux fois, elle est sujet mais
d’une infinitive dont le sujet n’est même pas exprimé (« antidotis praemunitam » / « salvam et incolumem »)
Deux fois, elle est sujet, mais
d’un verbe passif, donc présentée comme subissant l’action : « advecta
erat » / « matrem occidi »
Une fois sujet d’un verbe actif,
« quasi vitasset », mais
dans une hypothétique irréelle, exprimant le moyen inventé par Néron, pour
masquer les vraies causes de la mort d’Agrippine.
Seule la proposition « eam
evasisse » la place en sujet d’un verbe actif, mais dans une
infinitive cod du verbe « comperit »
dont le sujet est Néron !
·
Elle
est donc bien en position de victime, déjà disparue avant d’être morte :
Elle n’est
jamais
appelée par son nom propre. La plupart du temps, elle est désignée par des
participes –c.o.d/s - qui mettent en évidence ses diverses actions : « exquirentem / corrigentem / morantem / quiescentem / dormientem
/ repetenti ».
Elle n’est
jamais
physiquement évoquée, sauf par « papillas »,
qui sent l’allusion salace aux relations ambiguës entre le fils et la mère,
dont Suétone parle ailleurs !
Les seules appellations auxquelles
elle a droit sont « ejus »
–deux fois- et « eam » ;
et deux fois « matrem » :
« Matrem », premier mot de
notre extrait, cod
de tous les verbes dont Néron est le sujet, donc objet
de tous ses sévices. « Matrem »
encore à la fin, sujet passif dans l’ordre de la tuer « matrem
occidi ».
Serait-ce pour insister sur
l’horreur du parricide ? ou pour nous rappeler que « telle mère,
tel fils » ?
- Car on ne peut pas
dire qu’Agrippine soit particulièrement valorisée ici !
·
Agrippine est une mère possessive et excessive
A
part les trois participes qui la présentent entrain de se reposer, nous
l’entendons surtout exercer son acariâtre caractère contre son fils « facta
dictaque exquirentem acerbius et corrigentem » , belle façon de
ne pas respecter son statut d’empereur de Rome, ni son âge.
·
Agrippine ne sait pas rester à sa place de femme
Elle aurait dû se contenter de la
garde donnée par son fils. Mais lorsqu’il l’en prive, Néron, dit Suétone,
la prive aussi de « potestate »,
signe qu’Agrippine a voulu régner par fils interposé, qu’elle est en fait
assoiffée de pouvoir et manipulatrice, qu’elle a voulu hisser son fils au
rang d’empereur pour elle-même et non pour lui.
·
Agrippine est vaniteuse et de ce fait facile à berner
* Il suffit d’une « jucundissimis litteris » pour qu’elle soit aveuglée et
perde tout sens critique et toute prudence concernant son fils. - Sans doute se
croit-elle invulnérable ? - L’attitude
de ce dernier « hilare prosecutus
atque (…) papillas osculatus » suffit à lui faire oublier toutes
les agaceries dont elle a été l’objet peu de temps auparavant.
* Apparemment, elle n’a pas compris
non plus que le bateau avait été truqué sur ordre de Néron, et elle n’a
pas eu la prudence de faire la leçon à Agermus, dont la joie (« cum gaudio nuntiantem ») suffit à pousser Néron à bout !
Tout cela nous donne d’elle une
image désagréable et ne nous fait déplorer sa mort à aucun moment.
Conclusion
(Vous trierez !)
Suétone possède certainement des qualités de retenue excellentes en soi pour conserver une objectivité intéressante pour l’historien ; le culte qu'il voue au document et le soin qu'il apporte à accumuler le plus grand nombre de faits peuvent être comptés aussi au nombre de ses qualités, et certains ont pu voir dans l’absence des ornements oratoires de son style une modernité de bon aloi.
Cependant on ne peut se défendre
de regretter l’absence de relief de son écriture ; et son
objectivité n’est souvent qu’apparente : il juge
ses personnages bien plus souvent qu’il n’y parait : comment ne pas retirer
de l'accumulation des actions de Néron contre sa mère un sentiment
d’acharnement et de folie, l'impression que cet empereur est mauvais, même
si, dans la réalité, sa politique n’a pas toujours été néfaste ? Suétone,
certes, ne prononce pas de jugement formel : c'est au lecteur de juger.
C’est parfois une façon de condamner beaucoup plus efficace !
En outre, en lisant Suétone,
il faut prendre garde au fait que, sous l'apparence anecdotique, se cache
souvent une démonstration
implicite.
Quand il parle d'un prince, de ses vertus, de ses vices, de sa politique, Suétone
fait en même temps référence au prince idéal
et particulièrement à Hadrien : il est soucieux de faire valoir les mérites
de son maître, soit en montrant que les meilleurs des Césars se sont comportés
comme lui, soit en étalant les vices ou les fautes des mauvais princes, ce qui
donne d’Hadrien par comparaison une image exemplaire.
---------------------------
(Ceci pourrait être intégré dans le commentaire, puisque
dans la fin de l’extrait il est déjà fait allusion aux insomnies et aux
tourments de Néron, attendant l’annonce de la mort de sa mère.)
Suétone, comme tous les
historiens latins, a une vision moralisante et édifiante de l’histoire.
Il croit et veut faire croire à une justice immanente à laquelle on n'échappe pas: les
mauvais princes sont condamnés au tourment intérieur, à l'insomnie, aux
troubles de l'esprit ; et ils n'échappent jamais à une mort atroce et méritée,
car le malheur et la souffrance sont la juste rançon du mal.
----------------------------
(Ceci est toujours bon à savoir, même si c’est à
utiliser à bon escient et avec prudence ; l’expérience montre en effet
que certains profs de latin, comme d’ailleurs certains profs d’histoire en
sont restés à une vision encore très noircie de Néron.)
Tacite et Suétone, pour d’évidentes
raisons de propagande, ont sans doute noirci le portrait d’un homme
dont les historiens modernes ont, depuis, analysé le rôle avec plus de recul,
et moins de passion.
Néron est perçu, désormais, comme
celui qui donne au pouvoir impérial une coloration orientale, une teinte
d’absolutisme, s’appuyant, par démagogie, sur le peuple afin de mieux détruire
le pouvoir de l’antique aristocratie sénatoriale.