Scansion
dramatique
Avant-propos anecdotique : l’auteur de ces lignes
se sent nettement plus à l’aise dans la scansion de l’hexamètre dactylique, ne
serait-ce que pour avoir fabriqué, en 1982, un programme de 10 Ko pour TRS-80
(Tandy), sauvegardé sur K7, qui scandait automatiquement tout vers de ce type.
Vu la cohérence de l’hexamètre dactylique (dactyle 5ème, longue
pénultième, dernière syllabe indifférenciée donc soit spondée, soit trochée,
structure finale elle-même précédée indifféremment de 4 mesures, dactyle(s) ou
spondée(s)), il suffisait de faire compter les pieds à l’ordinateur (pas
encore PC !): à 13 syllabes, les 4 premières mesures sont des spondées, à
17, tout est en dactyles, à 14 syllabes, 3 spondées, 1 dactyle, à 15, égalité,
à 16, l’élève qui ne trouve pas la réponse n’a pas le QI minimum pour
scander ; en appliquant les règles simples de la longueur des syllabes, il
n’était pas besoin d’être grand clerc pour y arriver (tout syllabe entravée est
longue par définition sauf dans le cadre de la correptio attica – type pat/ris
pat longue ou pa/tris pa brève, tout voyelle en hiatus est brève – sauf les
génitifs en –Ius, tout diphtongue est longue : pour plus de détails
exhaustifs, etc.). Le
seul hic, qui explique que, nunc, ce programme soit resté en jachère : il
fallait que l’utilisateur tapât sans erreur aucune le vers pour que l’ordi
parvînt à le scander… Cette déficience humaine marqua le glas de ce projet.
Nonobstant, ce dernier démontre à chacun qu’il se doit de réussir là où une
bête machine antédiluvienne, avec quelques règles de logique très simples, très
basics, y arrivait sans broncher… Le distique élégiaque relève de la même
démarche.
Premier exemple. La
versification ïambo-trochaïque, même en suivant le Traité de Métrique latine
classique, de L. Nougaret, chez Klincksieck, en 1963, dont cet article
s’inspire sans vergogne, s’avère complexe et n’a pas les automatismes logiques
de l’hexamètre dactylique.
De
fait, les règles métriques « s’assouplissent à l’extrême pour les ïambiques et les
trochaïques… Ils étaient faits pour la foule ». Ainsi,
le [septénaire] trochaïque chanté par les
soldats de César :
‘ / / / / /
/ / /
– – |–
– | – – |
– – || –
– | –
– | – È| È
urba|ni ser|vat(e) u|xores || moechum |
calv(um) ad|duci|mus
1 2 3 4 5 6 7 ½
« Citadins, gar(d)ez vos épouses, nous faisons
pénétrer le dragueur chauve » (César était aussi réputé à l’époque que DSK
actuellement – mais je m’expose à ce que cette parenthèse soit, dans quelques
lustres, incomprise)
devrait,
pour le béotien, contenir des trochées, comme son nom l’indique ; en fait,
la règle est que le dernier pied complet – donc le septième car ce vers est
catalectique, vu le demi-pied final formé d’une syllabe indifférente, ici brève
– est obligatoirement pur, donc – È (= « trochée »), mais aussi È È È (= « tribraque »), puisque
2 brèves valent une longue ! On considère donc que le tribraque est aussi
pur que le trochée…
Le résultat de ces substitutions,
car les 6 premiers demi-pieds faibles (non frappés du temps marqué, noté /) de
ce vers sont « condensés » (quand la brève unique s’échange contre
deux brèves ou une longue), est un vers aussi pesant que les brodequins à clous
des légionnaires en marche, avec leur piétinement sourd cher à José-Maria de
Heredia (les Trophées). Avec l’ictus frappant chaque
première longue des 7 pieds, comme attendu ici (=rythme descendant). C’est le seul trochaïque
employé dans le dialogue…
Cette
mise en bouche pour que tu ne sentes pas dévalorisé(e) si tu n’arrives pas à
scander un vers dramatique.
Les
vers s’y décomposent en sous-unités, les mètres, qui renferment 2 pieds. Ces
derniers sont différents : obligatoirement, dans les vers trochaïques (à
base donc – È), les pieds impairs sont purs ; dans les
vers ïambiques (à base donc È –),
ce sont les pieds pairs qui le sont. Inversement, pieds pairs dans les
trochaïques et pieds impairs dans les ïambiques peuvent être condensés :
ainsi, le trochée passe à un spondée ou un dactyle, l’ïambe à un spondée ou un
anapeste (È È – ). Ce genre de jeu ne
présente aucune difficulté en grec, vu le retour régulier du même rythme ;
qui plus est, la quantité de la syllabe y est plus facilement décelable, ce qui
n’est pas le cas en latin, quand ce n’est pas la langue vernaculaire du
locuteur, bien sûr ! Aucun Romain n’avait nos difficultés…
Le
trimètre grec comportait donc 3 mètres, le tétramètre 4 ; les anciens
dramatiques latins ont, quant à eux, effacé la distinction entre pieds purs et pieds
condensés, le vers latin se compose donc de pieds ; dans ces conditions, un
vers de 6 pieds n’est plus un trimètre mais un sénaire, celui de 8 devient un
octonaire ; mais ce dernier peut subir une catalexe (=terminaison
brusquée), en fait un raccourcissement qui réduit le dernier pied à une seule
syllabe ; comme on ne compte que les pieds complets, il s’agit alors d’un
septénaire (arithmétique, non ?).
La
métrique de la tragédie étant la même que la comédie en latin, pour traiter de
la première, il suffit de suivre la deuxième ; une comédie latine renferme
des parties parlées (DIVERBIUM ou DEVERBIUM), des parties récitées avec
accompagnement de flûtes (CANTICUM), et des parties chantées (MUTATIS MODIS
CANTICUM) ; pour abréger, on donne le nom de dialogue aux parties parlées
et récitées, celui de CANTICA aux
parties chantées… Ce qui ne facilite pas la tâche !
Le
parlé proprement dit n’utilise que le sénaire ïambique :
È– È– È– È– È– È– È È (la
dernière syllabe, théoriquement longue, peut être brève, car elle est
indifférenciée)
Le récité
(ou récitatif) emploie le septénaire trochaïque
–È –È –È –È –È –È
–È È (rappel : catalexe)
Moins souvent, le septénaire ïambique :
È– È– È– È– È– È– È– È (rappel :
catalexe)
Et l’octonaire ïambique
È– È– È– È– È– È– È– È È (dernière syllabe longue ou brève!)
Tu
n’as pas été sans remarquer que le seul trochaïque
était le septénaire ; on lui réserve donc cette appellation pour le
désigner, les autres, naturellement, deviennent, dans l’ordre croissant, sénaire, septénaire, octonaire (tous donc ïambiques, par sous-entendu !)
I. Chaque
demi-pied est susceptible de variations plus ou moins évidentes !
Le
demi-pied long, frappé du temps marqué, peut être remplacé par deux
brèves : È È; la
quantité ne changeant pas, ce demi-pied reste pur !
Le
demi-pied bref, faible car non frappé, peut être condensé, auquel cas il passe
de È
à
È È ou à
– !
Le
tableau qui suit te prouvera que l’ensemble devient pour le moins
complexe :
pieds ïambiques |
pieds trochaïques |
||
purs |
|||
ïambe |
‘ / È – |
trochée |
‘ / – È |
tribraque |
‘ / È È È |
|
/ È È
È |
condensés |
|||
spondée |
‘ / – – |
|
‘ / – – |
anapeste |
‘ / È È – |
|
/ È È – |
dactyle |
‘ / – È È |
|
/ – È È |
procéleusmatique |
‘ / È È
È È |
|
/ È È
È È |
La
place de l’ictus (temps marqué) différencie les pieds ïambiques des pieds
trochaïques (quand ils ne sont pas directement ïambes ou trochées, of
course !)…
II.
vers ïambiques
- Sénaire :
c’est le vers du parlé (DIVERBIUM) ; seul son dernier pied est
obligatoirement pur, donc brève-longue, ou brève-brève (Dibraque avec une
majuscule chez nous) vu l’indifférenciation de la dernière syllabe ; la
coupe est habituellement penthémimère, mais peut être hephtémimère…
- Octonaire :
le dernier pied est obligatoirement pur, dans les mêmes conditions que le
sénaire ; le 4ème pied l’est souvent
- Septénaire :
comme son nom ne l’indique pas, le 7ème pied complet n’est pas
obligatoirement pur [diantre !], le dernier demi-pied final, lui-même en
sus, est indifférencié.
III.
vers trochaïque
Le (septénaire)
trochaïque est le seul rythme trochaïque dans le DIVERBIUM. Le 7ème pied
est obligatoirement pur (donc trochée ou tribraque), le ½ pied final en sus est
indifférencié.
Tout
ceci est condensé au max., au prix d’une perte réelle des informations ;
pour plus de détails, cf. au minimum, le traité de Nougaret, comme pour le
dernier chapitre ci-dessous, qui attend d’être traité par un(e) volontaire…
A vous
la place !