Nouvelle
(entretien: 10 ' )
1)
Étymologie et définition:
Ce
terme vient du latin, Novus, «nouveau» (avec un sens pas forcément positif
dans cette langue, car les romains sont de tempérament conservateur: RES NOVAE
signifie les choses nouvelles, et, en fait, la révolution). A partir du
diminutif et en passant par le neutre pluriel, la littérature italienne a appelé
Novella un court récit satirique (donc à visée critique, en utilisant le
comique et la dépréciation amusée, par exemple les turpitudes des couples légitimes
ou non) en prose, comme Boccace, dans son Décaméron (10 Nouvelles par
jour pendant 10 jours)- dont Marguerite de Navarre s'inspirera pour son Heptaméron
(10 nouvelles racontées pendant 7 jours). Pourquoi Nouvelles? Il s'agit de créations
littéraires, de textes nouveaux.
En
même temps, à les parcourir, on ne peut qu'être sensible à leur trait
commun: la taille du texte (de 10 à 20 pages); s'y allie le souci du réalisme,
dû en France à l'influence des fabliaux médiévaux (anticléricaux, misogynes
mais pas toujours, antibourgeois et/ou antipaysan, porteur d’une franche
gauloiserie), voire le goût pour les réalités qui nous semblent les plus
triviales, pour ne pas dire scatologiques: que penser d'une nouvelle de
Marguerite de Navarre où une dame va au retrait dans un monastère, glisse sur
ce que nous ne nommerons pas et se prend le pied dans le trou? Au sortir de
toutes ces aventures dans le noir, la voilà toute embrenée… Et le texte de
s'achever là. Un tel exemple nous montre que la nouvelle serait un récit
autonome qui raconterait un événement surprenant certes, mais qui pourrait
nous concerner, qui a lieu en un laps de temps restreint, en un lieu limité. Au
reste, le côté critique est à mettre en parallèle avec la taille :
n’oublions pas que les saturae (qui a donné la satire, un
autre genre littéraire !) sont au départ un mélange, un
pot-pourri, de textes courts. Or, c’est bien l’invective, le sarcasme, voire
l’insulte, qui sont en adéquation avec la longueur du message : les
textes dithyrambiques, les éloges et autres apologies sont toujours de bonne
taille…
La
nouvelle se présenterait comme une histoire vraie, un tableau, qui se veut
vrai, des mœurs habituellement du temps, sauf dans les nouvelles historiques.
Ceci n'empêche pas les nouvelles fantastiques, puisqu'elles sont dans la vérité
du temps!
Nous
sommes donc là loin du conte avec sa part d'imaginaire pour accéder au
merveilleux. Notons qu'il implique un déplacement souvent ailleurs, un voyage.
Mais en prenant au mot ce qui précède, la nouvelle s'apparenterait alors à la
tragédie en reprenant la définition de Boileau dans son Art Poétique, chant
IV?
«Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli,
Tienne
jusqu'à la fin le théâtre rempli.»
En
fait, l'anecdote révélée ici par la nouvelle ne fait intervenir ni les Dieux
ni le destin, le seul fait accompli, elle reste, habituellement, au niveau de
l'homme… Aussi, certains prennent comme critères de la nouvelle sa taille médiocre
(selon Gide, elle est faite pour être lue d'un coup, en une seule fois) et la
simplicité du sujet (ce qui la différencierait du roman de longueur appréciable
et caractérisé non seulement par la complexité de sa composition mais aussi
par les rouages/complexes/comportements spécifiques/remarquables/anodins des
différents personnages, dans un foisonnement généreux. Sans oublier que le
roman a donné romancier, poésie, poète, mais que la nouvelle n'a pas donné
nouvelliste - simplement curieux des nouvelles du monde et qui les répand. Nous
aurions alors un genre littéraire sans responsable, sans auteur précis?
Charles Sorel: les nouvelles qui sont un peu longues et qui rapportent des
aventures de plusieurs personnes ensemble sont prises pour de petits romans) Au
reste, les auteurs eux-mêmes ne nous aident pas: Voltaire écrit indifféremment
des contes et nouvelles, même si Candide est un conte philosophique.
Pensons aussi à Maupassant qui a appelé certaines de ses nouvelles des contes,
ex. Contes de la bécasse, alors qu'il n'y a pas de conteur… Faut-il
alors se rabattre sur la définition de Prosper Mérimée: la nouvelle serait
caractérisée par l'impassibilité et l'objectivité du narrateur ainsi que par
la condensation du récit? C'est ce que nous allons voir en passant en revue les
différentes nouvelles que nous avons pu lire
2) les différences nouvelles du corpus personnel
Villiers de L'isle-Adam:
*Le critère de taille est respecté: 3 pages ici… Le sujet peut en être résumé simplement: . . . . . . . . . Mais c'est oublier l'abondance des accidents-incidents: la vision de l'arrache-muscle, la rencontre des deux inquisiteurs, l'illusion d'optique La part de vérité?
*
Le texte se veut historique, mais Pédro Arbuez d'Espila a été assassiné par
des conversos, l'année même où les juifs ont été contraints à
l'abjuration. Il ne peut donc plus être vivant historiquement pour torturer le
rabbin ! Etc. …. Mais le texte reste profondément crédible : Notons la présence
d'éléments réalistes, même s'ils nous sont peu habituels : réchaud, litière
de fumier…….
*
Les
propositions de P. M., elles,
ne sont pas plus adaptées : le récit est condensé: 1 nuit en 3 pages,
certes, mais le style est artiste à souhait, avec sa profusion d'adjectifs…..
ses variations de type de phrase……… ses changements d'optique avec son jeu
entre l'énoncé et l'énonciation……, ses archaïsmes…….. Où se situe
dans de telles conditions l'impassibilité du narrateur car on sent l'adepte de
l'abbaye de Solesme dans ce texte, dans la lignée des catholiques frénétiques
du XIXème (avec leur ancêtre, Barbey d'Aurevilly): Huysmans et Léon Bloy…
Le
Horla: la taille de cette nouvelle est appréciable:….. . La simplicité
du récit? Comment dégager simplement la complexité subtile de cette nouvelle
où un processus psychologique se trouve inextricablement mêlé avec une
intrusion du surnaturel dans notre quotidien? …………………
l'impassibilité
du narrateur est ici nettement battue en brèche, puisqu'il s'agit d'un journal
dont Maupassant réussit à nous faire partager le délire, en nous plongeant
dans la subjectivité du diariste ………. Et en se servant de son expérience
personnelle. L'inscription dans le réel, à petites touches, est évidente et
est même essentielle à l'anecdote racontée…..
La
condensation du récit est tout de même singulièrement remise en cause par les
digressions sur la possibilité de l'existence de ce qui échappe à nos sens,
et les différentes excursions de notre narrateur sont des échos ou des
confirmations de ce qu'il subit………..; c'est un enrichissement, mais qui
n'est pas absolument vital pour l'appréciation du récit. Voici une nouvelle
que l'on pourrait élaguer, en perdant certes une partie tout de même du
plaisir de la lecture……. Mais ces pauses entre deux tensions ne sont-elles
pas propres à un roman bien conduit, du moins au XIXème, voire du XXème?
….. cf. le Nœud de Vipères?
Pour
Sylvie, ne faut-il pas plus faire confiance à Nerval pour définir ce
texte qu'aux critiques? Ne parle-t-il pas de «ces livres si courts qu'on ne
fait plus guère», dans Dernier Feuillet (XIV?). Seul, le critère de longueur
et le souci de la vérité0 semblent ici recevables….. malgré le nombre des
chapitres. Les souvenirs semblent crédibles grâce à la subjectivité du
narrateur avec leur précision:….. Mais si nous avons trouvé les deux femmes
correspondant à Adrienne et à Aurélie, Sylvie elle-même reste un mystère,
sans doute une invention.
La
simplicité du récit ne peut être retenue: il n'est que de regarder le nombre
des déplacements……., la durée de vie concernée en fait par ce
texte……, le nombre des personnages….. et des citations littéraires en
cause….. Ce foisonnement semble plutôt du ressort d'un court roman… Quant
à l'impassibilité ici du narrateur, elle est totalement hors de propos, comme
pour la condensation du récit qui se permet retours en arrière sur
descriptions pour le plaisir, comme dans Les
Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
3)
Que
conclure de notre court survol?
La
taille de la nouvelle n'est qu'un simple critère formel, même si le fait
qu'elle soit lue d'un seul jet puisse apparaître comme souhaitable. La crédibilité
du récit, sa prétention au moins à ce jugement, semble plus pertinente alors
qu'une telle tentative - même si elle peut-être hautement affichée, cf. le Nœud
de Vipères - semble étrangère au roman. Mais la condensation de l'anecdote
ainsi que l'impassibilité du narrateur - ce dernier critère n'est-il pas même
intrinsèquement étranger à la littérature - s'avèrent sujettes à caution,
du moins en ce qui concerne les textes étudiés…