les
éléments comiques.
Cette
étude n’est pas paradoxale car Gérard a su doser très subtilement dans son
texte entre tragédie d’un amour poursuivi qui échappe sans cesse et
distanciation ironique, toujours sensible; il n’est que de parcourir le texte.
A)
où abondent les remarques amusées, qui
impliquent un regard critique, loin de toute ambiance onirique.
un
trait caricatural: «en grande tenue de soupirant» (description de Gérard par
lui-même au théâtre à Paris: le trait est donc incisif, sans nul besoin de
croquer plus en détail, c’est un croquis allusif, pris sur le vif.
avec
une petite pique contre les esclaves (par amour!) du théâtre: amateurs forcés,
loges garnies de bonnets - les êtres humains disparaissent et ne servent plus
que de décoration, ils se caractérisent uniquement par leur apparence extérieure
- ou de toilettes surannées.
une
remarque misogyne: les médaillons (=petits portraits ronds) charmants des
actrices qu’un oncle du narrateur utilise pour parer ses tabatières: le
rapprochement est trivial
Nul
n’échappe à sa moquerie: même le cénacle romantique du Café de Valois est
ridiculisé gentiment: les plus timides d’entre nous allaient voir aux fenêtres
si les Huns, les Turcomans ou les Cosaques (tous barbares jusqu'au bout des
ongles!) n’arrivaient pas enfin pour couper court à ces arguments de rhéteurs
et de sophistes; ici est donc dénoncé l’artifice de ce milieu
d’intellectuels... Son appartement aussi subit l’assaut de ses piques
rapides: splendeurs de bric-à-brac qu'il était d’usage de réunir à cette
époque pour restaurer dans sa couleur locale un appartement d’autrefois... le
mouvement, excellent sans doute (=pétition de principe), n’a pas été remonté
depuis deux siècles, ce qui est paradoxal. Et le narrateur n’a pas acheté
cette pendule pour savoir l’heure (allusion touchante à Diane chasseresse -
la baronne de Feuchères, mais allusion distanciée par la froideur de la réflexion
extérieure!). Comble du ridicule: c’est son concierge qui a l’heure, sur un
plat coucou!
Même
le portrait amoureux de Sylvie n’échappe pas aux remarques déconcertantes:
«éclairant tout à coup des traits réguliers et placides»... «au
milieu des minois chiffonnés de ses compagnes (curieuse attention pour
les autres filles)»
Nous
ne serons donc pas surpris de la petite pointe contre l’inculte Sylvie,
ridicule avec sa pseudo-référence culturelle: comparer Rousseau avec Auguste
Lafontaine (?), un best-seller de l’époque! Elle progresse en XI, en citant
Walter Scott, mais avec un succès très mitigé, car le narrateur lui en
veut... le «elle phrasait» s’avère très dur... La promenade devient même
grotesque: accompagnement d’un âne et d’un petit garçon très éveillé...
Narquoise
aussi envers soi-même que cette réflexion en a-parte de la fin du chapitre Le
père Dodu: C’est (remarquons le présent, en fait d’énonciation: la malédiction
perdure par delà le texte énoncé et frappe encore l’écrivain - ou le
narrateur?) une fatalité qui m’était réservée d’avoir un frère de lait
dans un pays illustré par Rousseau - qui voulait supprimer les nourrices.
Mais
cette auto-critique dure peu: on retrouve la voix de la médisance perfide avec
l’antiphrase au début de XII (Aurélie): un talent de l’époque: admirons
la gifle en si peu de mots! Quelle économie dans l’avanie! Il repousse les prétendants
sous le terme global d’amoureux vulgaires: l’insulte déborde de la
bouche... Il s’y intègre: que dire qui ne soit l’histoire de tant
d’autres, ainsi fait-il partie de ce ramassis méprisable. On ne sait comment
prendre l’engagement du beau jeune homme du cercle dans les spahis: l’humour
devient très noir! Aurélie finira dans le lit du jeune premier ridé, le régisseur.
Quel réalisme! Sordide: Cet homme... lui avait rendu des services.
On
voit donc qu’au fil du texte, l’humour souriant sombre dans le tangible le
plus répugnant, car manquant de hauteur. Même si l’esprit reste aux aguets,
sensible au manque d’élégance de l’outrance, comme l’atteste, au début
de XIV, la réflexion en a-parte, qui montre que l’écrivain se regarde écrire:
«qu’on me pardonne ce style vieilli», comme, plus loin: «dans ce lieu
philosophique, on a bien négligé l’église». Le rapprochement avec le
romantique Werther souligne que la distanciation du souvenir et de la nostalgie
ont guéri les blessures, avec: «moins les pistolets qui ne sont plus de mode».
Comme si ces armes avaient été portées par Werther, afin de suivre la mode...
Le tout se termine sur une pirouette, et un grand éclat de rire, malgré le
triste destin d’Adrienne, qui nous touche, comme Sylvie.
(VII,
Châalis) Remarquons, pour conclure qu’Adrienne échappe à toutes ces
attaques, malgré son nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique, et
qui se transfigure, sublimé, en cercle de lumière.
B)
ces piques, amusantes mais rapides, n’empêchent pas de plus longs passages de
franche comédie, soulignant, voire dénonçant, pour reprendre Le rire
de Bergson, des traits de caractère:
la
réaction de Gérard découvrant l’amant de celle qu’il aime, en I, nuit
perdue
en
IV, le voyage à Cythère où se poursuit d’abord la brouille évoquée en II
(Adrienne), puis la réconciliation attendue, avec une analyse et une présentation
fines du comportement des deux partenaires.
Plus
franchement comique, la scène d’ivresse du frère de Sylvie et du galant du
bal, au Bal de Loisy (VIII), qui relâche la tension après les retrouvailles
entre Sylvie et le narrateur, entachées, elles aussi, de scènes de genre:
l’arrivée du parisien dans la fête qui s’étiole, la crainte de Sylvie en
tombant sur une citation de La Nouvelle Héloïse, sa jalousie subreptice
qui s’allume en évoquant les jolies femmes de Paris...
Sylvie,
jalouse d’Adrienne
Globalement,
Adrienne et ses amants renvoient aux poncifs du théâtre de Boulevard, surtout
avec le dernier élu. Elle a tout d’une cocotte ou d’une demi-mondaine.
2
fois se rejoue une mise en scène (Châalis),
avec une mise en abîme plus sympathique: Othys, où le passé et le présent se
mêlent
Mise
en abîme assez amusante, pour le lecteur extérieur, que ce drame écrit pour
Aurélie (XIII)
Le
père Dodu joue le Père la Pudeur, pour ensuite se montrer très gaillard,
voire obscène.
Mais
la comédie peut être sérieuse et évoquer l’incompréhension entre les êtres;
ainsi, en XI, où le narrateur, malgré ses efforts réitérés, par maladresse
insigne, perd Sylvie... qui lui tend pourtant pour finir la perche, à mots
couverts. Même si tout ceci se termine sur... rien: pour des raisons bien prosaïques,
le narrateur ne fait pas la déclaration attendue, au début de XII.
En
fait, globalement, l’humour n’est pas gratuit: il intensifie,
paradoxalement, les sentiments ressentis et rend le narrateur présent, avec ses
réticences, ses hésitations dont il a pleinement conscience, comme nous; en
fait, le narrateur essaie de cacher ses sentiments en soulignant ses ridicules
par la caricature et la satire. Le plus fort est que, si nous ne sommes pas
dupe, lui non plus!