VI,
4 - 5
Les
deux derniers paragraphes: Othys (survol en 1 car approche compréhensible de
prime abord pour élève de STT standard à JL!)
1) une idylle innocente aux éléments
sensuels et pudiques.
Le cadre de l’idylle mythique est préparé par ce qui précède (la mariée
était attrayante, élancée dans son corsage ouvert; l’appel de Sylvie: et
moi donc?) et marqué d’emblée par ce que s’exclame le narrateur en son for
intérieur: «la fée des légendes»... Tout se passe en toute innocence: «avait
dégrafé sa robe» (indienne=tissu simple, de basse qualité car fabriqué pour
les Indes anglaises en Angleterre - ceci expliquera pourquoi Gandhi tissera ses
propres vêtements, pour échapper à l’exploitation coloniale) car dessous,
elle porte un jupon... Le corps de
Sylvie semble plus palpable: «taille mince, bras nus, gorge», le tout
renvoyant à une femme faite, «les charmes». Notre jeune homme est peu doué
pour jouer à la camériste, il a la maladresse du débutant, d’où
l’impatience (mais, donc, interrogative suivie d’une exclamative) de Sylvie:
«Vous ne savez donc pas...» Voilà la question existentielle pour un jeune
homme: savoir ou ne pas savoir dégrafer correctement une robe...
jeune homme qui se laisse aller à ses fantasmes: «il faudrait de la
poudre» (les dames ont la peau blanche, et non bronzée, marque de pauvreté,
car indique le travail sous le soleil...) Les atours féminins s’étalent: «que
de richesses», avec les plaisirs sensuels précisés: odeur «sentait bon»,
vision «brillait», puis «chatoyait de vives couleurs» (vêtements, tissus?
toujours la sensibilité de Gérard aux reflets, cf. la thématique du miroir!),
une sensualité à fleur de peau; les «éventails» atteints par les marques du
temps, les cosmétiques «boîtes à pâte», le «collier d’ambre», tout ce
qui transforme la femme en apparition fascinante. autre notation visuelle: «éclataient
deux petits souliers». Le droguet est un tissu de laine à dessin, de bas prix:
en fait, tout ici est bon marché et vise seulement à faire bonne impression,
le jour du mariage... Le désir enfantin, sans retenue ni perversité de Sylvie
se marque alors: «si je trouve des bas brodés». Mais elle n'est pas dupe et
refuse l’aide de son amoureux. Le tout se mélangeant à l’appel culinaire
«voix de la tante, frémissement de la poêle». Détour par la cuisine de
notre amoureux? Sylvie le rappelle vite à l’ordre: elle-même est en tenue «entièrement
vêtue» et elle a préparé en femme avisée de l’époque le déguisement de
Gérard «réunis sur la commode». En une phrase rapide, Gérard change de «siècle»,
tandis que Sylvie, toujours aussi discrète, l’«attend sur l’escalier»
(avec la retenue attendue d’une jeune fille de ce temps). Une image touchante
d’affection: «nous tenant par la main» (évocation classique et implicite de
la sortie du couple de l’église, qui en descend les marches?) Mais un tel
instant d'éternité ne peut durer: «fêtes, noce». On retrouve le bon sens
paysan, avec le repas simple: «une tranche de lard frite avec des oeufs»,
l’habit de noces conservé en l’état dans le grenier, les termes: «bonne
vieille», avec les amusements du temps: «fêtes de sa noce», sans oublier les
bons moments de chute convivialité: «retrouva dans sa mémoire, chants alternés,
naïf, si simplement rythmées, avec les hiatus et les assonances du temps»: il
ne s’agit pas de poésies textuellement recherchées. «un beau matin d’été».
Donc,
impression d’honnêteté (alors qu’il s'agit de se déguiser), de fraîcheur,
d’une franche simplicité paysanne où la perversité n’est pas de mise et où
l’on sait se respecter et respecter l’autre sans le suspecter de manœuvres
indiscrètes, malgré le désir sous-jacent qui affleure parfois...
2)
C’est que l’on perçoit souvent la distanciation du narrateur.
Celle-ci
se décèle par la transformation et l’idéalisation de Sylvie par le
narrateur, présent par le «dis-je en moi-même», où la phrase dans le texte
est paradoxalement entre guillemets, comme si la pensée de Gérard avait besoin
de s’extérioriser, alors que cela n’est physiquement pas le cas.
La syndèse:
«Et déjà» souligne la surprise du jouisseur parisien éberlué, après-coup,
de tant de naturel... Il se repaît
du spectacle, avec la robe aux pieds de celle qui l’a enlevée. Apprécions la
bouffée sensuelle impliquée par: «la robe étoffée» et le passage au passé
simple: «s’ajusta». Les minauderies et l’attention à la mode de Sylvie
n’échappent pas à notre observateur, d’accord en cela avec sa bien-aimée:
«que c’est ridicule»... Mais Sylvie transcende ce ridicule: «et cependant»...
Avec les détails vestimentaires du temps: «les sabots garnis de dentelle». On
aurait presque l’impression d’une scène décrite par un fétichiste des
tissus, cf. les remarques sur les «vives couleurs, le clinquant, les boucles
incrustées». N’y a-t-il pas, comme chez Restif de la Bretonne, que Nerval a
évoqué longuement dans ses illuminés, le fantasme du pied («petits
souliers»?) Il y a au moins jouissance à se remémorer la scène: «découvraient
admirablement, la gorge s’encadrait dans le pur» (oh, cet adjectif, comme
pour refouler le désir!) «corsage»: Sylvie transcende le temps et sublime les
«tulles jaunis, les rubans passés» (en parallélisme, pour mieux incarner
leur dépréciation). Nous n’échappons pas à la nostalgie de la taille: «serré»,
avec la moquerie du jeune par rapport aux anciens décatis: «que bien peu les
charmes - évanouis»! Qui se dénonce lui-même comme piètre camériste ou
femme de chambre: il y a là une scène de comédie, avec inversion des rôles où
la jeune fille se montre beaucoup plus décidée, plus apte que le jeune peu dégourdi
- qui ne saura même pas profiter de l’occasion, même s’il s’en excuse
par la pureté - supposée? - des intentions de Sylvie... Car Greuze peint des
tableaux moraux mais dont l’intensité, parfois dramatique, peut être sujette
à caution! Les deux jeunes s’activent en complices: il faudrait de la poudre.
Sylvie est le chef de bande: «elle fureta»: Gérard reste spectateur ébloui,
peu actif: phrases exclamatives (que 2 fois, comme 2 fois), avec, au départ,
une phrase nominale en impression générale: les richesses, alias les objets
(non décrits, ici en antiphrase? Au moins, l’ironie affectueuse est
perceptible), puis l’effet sur lui: sentait, brillait, avec l’imparfait de
durée? et le parallélisme (en variation pluriel/singulier) vives
couleurs/modeste clinquant. avec le démonstratif flou et affectif: cela (en
anaphore); suivent 3 phrases nominales d’une dizaine de syllabes chacune, qui
développent le modeste clinquant: «un peu cassés, sujets chinois» (cf.
chinoiseries de la fin du XVIII, à la mode), le tout se résumant en
fanfreluches, avec le surenchérissement des petits souliers... La précision de
la description est telle que notre narrateur ne peut que jouir encore de ce
tableau, de cette nature morte que l’on pourrait intituler: les trésors
d’une commode! La complicité est totale: «nous déroulions» (toujours cette
sensibilité extrême à la plus petite nuance de couleur: «soie rose tendre à
coins verts»). Le lecteur pervers attend la suite; mal lui en prend: Gérard
joue avec nous et rompt la scène en évoquant la «réalité» quotidienne du
repas. Notre béjaune peut déchanter: «quoi que je pusse dire», avec le
ridicule léger, non forcé, puisque les paroles ne sont pas exposées - or, on
peut supposer que le narrateur se souvient de cela aussi! - Le jeune est pris...
entre deux feux: «cependant... me rappela bientôt, vite, elle me montra, en un
instant»... Gérard devient un garde-chasse, Sylvie, la fée, l’a transformé
«je me transformai»!.La scène pourrait tourner au tragique: «pleurer, larmes».
Mais le bonheur, la vie simple transcendent la mort (ce que Gérard ne
comprendra pas, en se suicidant) L’adjectif «charmante» relève de notre
premier thème, le «cruelle» implique toujours la présence de cet esprit
observateur qui empêche Gérard d’accéder à... Sylvie! La scène hésite:
«attendris, presque graves, le premier moment passé»... Va-t-on passer à
l’effusion poétique, dans cette mise en scène d’une idylle présentée par
un observateur aux curiosités sensuelles? Non, Gérard refuse cette facilité
et renvoie le texte dans un réalisme campagnard d’un solide bon sens, pour
ceux qui le prendraient pour un poète larmoyant: «bonne vieille, pompeuses» -
avec l’orgueil des dépenses somptuaires passées: les «noces» sont le
meilleur moment, pour la paysannerie du temps, de montrer sa surface sociale!
Elle reprend même un coup de jeunesse: «elle retrouva même» (comme si c’était
assez inattendu de la part de cette femme décatie!). Notons toujours l’intérêt
du folkloriste: «d’usage alors». Il redonne voix à ces chants amébées du
passé. Avec le vocabulaire de l’intellectuel: «l’épithalame» est le
terme technique qui désigne le chant accompagnant les époux vers leur...
chambre, après la danse! Ceci forme un chœur simple: «Nous répétions»,
mais l’observateur est toujours là, juge des élégances musicales: «si
simplement rythmées, avec les hiatus et les assonances du temps» (encore,
oui!, cette obsession du folkloriste de ne rien perdre). L’Ecclésiaste
intervient bizarrement, avec les adjectifs «amoureuses et fleuries». Certes,
la deuxième partie, au chapitre II de ce livre de La Bible, évoque
l’amour: «Prends la vie avec la femme que tu aimes... Fais-le tant que tu le
peux»; mais la fin est désespérante: «il n’y a ni savoir ni sagesse dans
le shéol (=néant!) où tu vas»... Est-ce une confusion avec le Cantique
des Cantiques? Ou s’agit-il du cantique scandé de la première partie,
II, la mort: «Un temps pour enfanter, et un temps pour mourir»? Quoi qu’il
en soit, nous assistons à un mariage d’enfants, ce qui évacue ainsi les
pulsions des adultes (et donc permettrait une transposition acceptable pour le
conscient du complexe d’Oedipe): «Nous étions l’époux et l’épouse».
Faut-il voir une ultime réticence à ce charmant tableautin dans: «pour tout
un beau matin d’été», ce qui serait le maximum de bonheur permis à l’être
humain?
Donc,
malgré son sujet très simple: une scène de déguisement pendant l’enfance,
ce passage ne manque pas de nous intriguer: certes, nous sommes sensibles à la
poétique simple de cette idylle enfantine, mais la présence subreptice d’un
observateur sensuel ne laisse pas de donner à cette scène une ambiguïté qui
fait tout son charme, car nous hésitons entre la délicatesse d’un sentiment
enfantin et la complexité de cette remémoration chez un adulte...