Le
texte que nous allons lire se trouve dans le n chapitre de Sylvie, (ou
tout au début de Sylvie, ou tout à la fin de Sylvie), nouvelle de Gérard de
Nerval dont le ton, singulièrement autobiographique, est en contradiction avec
le fait que l’on n’a pu affecter une identité réelle à cette Fille du
feu.
De
fait, cette longue nouvelle - puisque divisée en 14 chapitres, chacun affecté
d’un titre qui évoque son contenu - fait
partie du recueil du même nom, paru en 1854, alors que Gérard, de son vrai nom
Labrunie, a 46 ans (Il se pendra en janvier 1955). Mais elle a son autonomie
puisqu’elle fut publiée de façon autonome dans la Revue des Deux Mondes
du 15 août 1953.
(Cette évocation de la datation
n’est pas gratuite, puisque l’auteur lui-même, en fin de nouvelle, rappelle
le temps de sa rédaction, de son énonciation: «Telles sont les chimères qui
charment et égarent au matin de la vie», alors qu’au chapitre 1, il évoque
une sortie d’un théâtre, soit la période entre 1834 et 1836, au cours de
laquelle jenny Colon, alias Aurélie jouait à Paris, d’abord aux Variétés,
puis à l’Opéra-comique. De même, Mme la Baronne Adrien de Feuchères
(Sophie Dawes), alias Adrienne (?), achète la maison de l’oncle Boucher à
Mortefontaine, en 1835.)
Nous
sommes (donc) face à une oeuvre complexe, malgré sa concision, où Gérard se
montre, comme le père Dodu du chapitre XII, maître du temps (puisqu’il évoque
plusieurs périodes de sa vie, voire de l’humanité)...
résumé
jusqu’au passage à expliquer:
Lors
du chapitre I (nuit Perdue), il évoque un de ses retours du théâtre où il
apprend qu’il n’est plus ruiné. L’évocation de Senlis et Loisy dans un
journal le renvoie, en une demi-somnolence, à sa première rencontre avec
Adrienne. Il se décide alors (III) à rejoindre - tiraillé qu’il est entre
celle dont nous ne connaissons pas encore l’identité (Aurélie, au chap. XI)
et la religieuse, Adrienne - la douce réalité: Sylvie; il évoque ses amours
enfantines avec elle au cours de son voyage en voiture de poste (IV à VII
inclus). Au bal de Loisy, Sylvie lui donne rendez-vous pour l’après-midi. Gérard
erre seul (IX), retrouve son frère de lait, le fiancé de Sylvie (X),
perd la Sylvie de ses rêves (XI), comme semble le lui signaler le père
Dodu. Aurélie lui échappe aussi au chapitre XIII. Ne restent alors que ces
feuillets pour garder trace de ce qu’il appelle Chimères. Ces livres si
courts qu’on ne fait plus guère. Comme Sylvie.
I,
§ 1, 2, 3
[A)
Ces notes doivent être étudiées, ligne par ligne, avec le texte sous les
yeux: une lecture cursive de ce qui suit, sans arrêts ni retour à Sylvie,
est inutile et contre-productive.
B)
rappel (mais ceci reste indicatif):
ne
pas demander au correcteur comment procéder. Donner au correcteur le(s)
double(s) des documents étudiés, ici Sylvie, à la page adéquate et
dans la même édition que la vôtre, si jamais vous avez besoin de fournir des
références par ligne!
introduction:
45’’
lecture:
ad libitum, avec possibilité d’arrêt de la part du correcteur/trice!
Indiquer
la méthode, le plan suivi pour répondre à la question posée par le
correcteur (première partie de l’oral)
Le
cas échéant, annoncer les deux/trois thèmes: 15 ‘’ ; actuellement,
on semble s’orienter vers un seul aspect du texte, vu la question écrite de
l’examinateur sur le bordereau…
Traiter
le point annoncé en restant cohérent : des allers et retours sont
possibles, à condition de ne pas perdre le fil et de ne pas égarer le
correcteur en cours de route.
conclure
sur les acquis: le temps qui reste!]
Avant
de passer à la lecture méthodique thématique, évoquons la complexité de ces
trois paragraphes: commençant de façon anecdotique, le premier se poursuit par
la présentation d’une salle de théâtre pour arriver à une actrice privilégiée,
dont la présentation en effusion amoureuse occupe le 2ème §. Nous attendrions
de plus amples informations que cet aveu d’amour. Gérard explique alors
pourquoi, dans le 3ème §, il ne s'intéresse qu’à l’actrice et non à la
femme, en avançant les propos de son oncle.[Attention: ce qui précède=démarche
du texte, est présenté sous un angle différent au début du thème I].
Tout
ceci en fait permet au nouvelliste de nous faire en ce début de Sylvie
une présentation enlevée de son amour, mais non sans une certaine ambiguïté.
I) une présentation vivante,
inspirée, générée par la pulsion amoureuse
Passons
rapidement sur les éléments précis qui nous sont fournis en ce début de
texte: il s’agit d’un amoureux - dont l’«enthousiasme» implique la
jeunesse - transi, car il n’ose s’immiscer dans les faveurs de celle qu’il
aime, et idéaliste car il aime une image, processus favorisé par la misogynie
de son oncle.
Mais
cette approche, pour conventionnelle, voire mièvre, qu’elle apparaisse ainsi
réduite, est bien enlevée; ceci apparaît dès l’abord par le jeu des temps
(1er balayage sur l’ensemble du texte, à l’intérieur du thème I): un
imparfait anecdotique de narration «je sortais» qui nous fait attendre un évènement
alors que nous passons aux imparfaits d’habitude qui s’étendent sur deux §
, et ne laissent la place qu’à un présent an-historique: «se découpent».
S’intercale un brutal retour en arrière, qui donne toute son épaisseur
temporel à ce passage: «Depuis un an», avec le plus que parfait. Puis retour
au comportement habituel du narrateur: «je m’informais». La fin du 3ème §
laisse la place à l’oncle de Mortefontaine - via une généralité: «comme
il fallait y vivre», avec un mélange entre le passé révolu: «avait raconté,
montré» et l’effet sur 182..: «il parlait, il utilisait». Le résultat est
là, au sens parfait du latin, résultat présent d'une action passée: «je
m’étais habitué». Ce jeu sur les temps donne ici la vision d’une seule scène,
mais qui résume les autres, avec à l’arrière plan, des témoignages
indubitables du passé, qui permettent de mieux comprendre la passivité du
narrateur par rapport à sa passion.
Ce
narrateur se multiplie en début de texte: la réitération de «tous les soirs»,
le pluriel «aux avants-scènes», la duplication de: «quelquefois», sa
singularité: «grande tenue», et son unicité par rapport au: «tout/rien».
Nous sommes face à un amoureux transi, un amour de loin qui renvoie à la littérature
courtoise, puis romantique, le héros maudit: «soupirant». Avec son indifférence
par rapport à tout ce qui ne concerne pas l’être aimé. La femme prend ici
plusieurs figures, ce que nous indique un relevé des termes utilisés pour la désigner
dans ce passage (=2ème balayage dans le thème I):
-
céleste, comme le sous-entend: apparition, illuminait, jour, jour, (alliance
des contraires, chère aux alchimistes) lune, rayons, brillant, étoile (cf. El
Desdichado)
-
divine/créatrice: espace, vie, souffle, vivre, vivait, béatitude infinie,
perfections, enthousiasmes (étymologiquement: le dieu en soi, feux (cf. Filles
du Feu), Heures divines
-
royale: rendant la vie (cf. les capacités miraculeuses traditionnelles des Rois
de France), tout ce qui implique en connotations qu’Aurélie est la reine de
son cœur, princesse d’Élide, reine de Trébizonde, ces trois titres (étoile,
déesse et reine, pensons à la fin d’El Desdichado!) se dépréciant,
avec le refus de l’idéalisme propre au XVIII, en petite maîtresse sans cœur,
dans le troisième §, qui ne laisse plus des femmes que portraits devenus décoratifs
et billets défraîchis. Comment ne pas mieux montrer la fuite du temps et
l’illusion que représente tout amour passionné (du moins chez Gérard, trop
amoureux et trop intellectuel en même temps, sans doute?).
C’est
que la femme est le centre de ce qui est. Si nous reprenons le début, tout
apparaît factice, artificiel: peu importe les conditions ambiantes, comme le
souligne le parallélisme de la deuxième phrase quelquefois... quelquefois,
avec l’anaphore!), et comme le corrobore la longueur équivalente des deux
phrases suivantes; dans la première partie «arrêter...», les liquides
incarnent le mépris: les spectateurs, devenus objets de spectacle, se résument
à leurs costumes, désincarnés qu’ils sont, simples pantins féminisés (ou
vieillis?): de vieux beaux: «toilettes» (plutôt féminines) «surannées»;
les voyelles claironnantes de la deuxième partie «salle...» dénoncent le côté
clinquant de ceux qui veulent se montrer en oubliant la raison de leur présence:
ils confisquent la scène pour eux-mêmes; là a lieu la vie: «animée/ frémissante»
(binaire), l’étagement (donc la régularité) souligné par les dentales
sourdes [t] de «tous/étages/toilettes»; le jeu implicite, sinon des couleurs,
du moins des reflets: «fleuris, étincelants, radieux», avec les «visages»
qui se dégagent de cet hémisphère «salle, puis étages». Cette débauche
d’animation, après la poussière du premier volet, n’est en fait rien. On
attendrait: à côté de la pièce? Que non pas: la pièce elle-même est exécutée
par le non-dit: on ne peut être plus sanglant: «ne m'arrêtait guère». La
pause phono-sémantique, impliquée par la virgule et le tiret, permet enfin
d’arriver à l’exception, à ce qui justifie la présence de notre soupirant
qui nous a fait attendre jusqu’ici pour nous donner enfin la justification de
sa présence. Il n’en est pas plus précis. Mais pourquoi le serait-il,
puisqu’il semble écrire pour lui-même. Et l’amoureux courtois garde le
silence sur le nom de sa Dame... Le «bien connue» est une effusion interne
pour lui seul, et il décrit, non pas la chose, mais l’effet qu’elle
produit; nous sommes donc face à un texte non pas anecdotique, historique, mais
affectif: seul compte ce qui est ressenti. Avec intensité: l’espace vide ne
se remplit pas, il est «illuminé», en une sorte de synesthésie. Il s’agit
d’une véritable résurrection: l’apparition bien connue, la Dame désignée
par cette périphrase, insuffle la vie autour d’elle, avec une économie de
moyens (un souffle, un mot!) qui souligne sa toute-puissance... Les masques
(vaines figures) redeviennent humains.
«
une apparition»: elle n’a pas besoin d’être décrite et Gérard s’épanche
sur elle, ou plutôt ne s’intéresse qu’à son impact en lui dans le deuxième
§ en tant qu’actrice, car il va déprécier la femme dans le troisième. Gérard
devient même le Pygmalion de l’actrice: elle vivait pour moi seul, bel
exemple d'égocentrisme amoureux. Notons qu’il passe de sujet: Je me sentais
(mais déjà passif), à l’état d’objet d’une passion, qu’il ne peut
donc maîtriser: «Me remplissait», me faisait, pour moi, «mes enthousiasmes».
L’autre n’est qu’«elle, l’ ou la», en dehors d’un dialogue
quelconque. Voilà qui souligne bien l’incommunicabilité de la passion,
projection de soi sur l’autre. Gérard semble sensible à la bouche (ce qui
n’est pas surprenant: n’oublions pas que nous sommes au théâtre où les
moyens acoustiques de l’époque contraignaient à avoir un organe marquant) «sourire»
(avec les i en harmonie imitative pour souligner l'intensité de l’extase);
l’opposition entre les consonnes sifflantes ou sonores de: «sa vibration si
douce» et: «cependant fortement timbrée», avec ses nasales, incarne le choc
sensuel en Gérard de cette voix. Il est conscient de son fantasme, de son idéalisation:
elle avait pour moi toutes les perfections, mais c’est pour mieux nous faire
percevoir l’aveuglement du passionné qui procède par projection de son désir:
elle répondait à tous mes caprices - lesquels ici, sinon ceux dus au jeu de
l'imagination? Elle semble absorber alors toute la conscience du poète, et
devenir pure qualité: belle(cf.; beauté) /pâle /naturelle (?vu le milieu
ambiant, ainsi complètement occulté)/ brillant (en participiale). On a
l’impression d’une montée vers le ciel, d’une véritable épiphanie -
avec le halètement rauque dû aux occlusives qui martèlent le passage et les
oppositions voyelles ouvertes/fermées en alternance - qui part, comme attendu,
«d’en bas», grâce à la purification due aux «feux».. Elle transcende la
réalité et la transmute: rampe, éclairer d’en bas, rampe baissée, lustre
sont des artifices théâtraux que sa nature personnelle dépasse au point
qu’elle renvoie au jour ou à la nuit. Notons que ces compliments éculés
sont ici, par l’appel à l’artifice, ressourcés et retrouvent leur
nouvelleté (pour citer Montaigne). Tout disparaît, et l’actrice se suffit à
elle-même: avec les labiales et dentales: «brillant dans l’ombre de sa seule
beauté», suprême grâce aux e muets... Les deux comparatives naturelles
rebondissent sur une comparative culturelle: notre poète fusionne le passé,
l’antiquité et le présent: le jeu entre le clair et l’obscur le renvoie
aux fresques d’Herculanum (détruit par le Vésuve, cf. les Filles du Feu) car
Gérard ne peut jouir en soi, simplement, de l’Autre: c’est en lui toute la
personne qui s’engage, donc la jouissance esthétique aussi, comme le souligne
l’exclamative finale.
Face
à une telle idéalisation, on comprend mieux l’indifférence face à la femme
réelle, on oserait presque écrire: hors-places!
On
retrouve le décalage du début (cf. tous les soirs). En fait, «depuis un an»!
Avec l’égocentrisme: «je/m’», à l’égard de ce qu’«elle pouvait être»
- admirons le ton méprisant. Il n’aime qu’une image: «miroir magique»
(cf. thème du miroir), ce qui annonce la phrase cruelle, plus loin dans le
texte ((à apprendre par cœur!) : «la femme réelle révoltait notre ingénuité:
il fallait qu’elle apparût reine ou déesse et surtout n’en pas approcher.»
Mais
notre narrateur semble quelque peu gêné; serait-ce une indifférence affectée,
plus issue de l’intelligence que du cœur; l’accumulation des liens logiques
semble indiquer ici un certain malaise: «et/tout au plus/non plus/mais». Il
s’en débarrasse aussi vite, selon une habitude qui lui est coutumière: il
renvoie d’abord au passé historique, mais avec précision: Élide (cité
grecque ayant géré au départ Olympie, mais qui est devenue rapidement
secondaire) et Trébizonde (empire grec au XIII finalement absorbé par les
Turcs). Remarquons qu’il s’agit d’échecs - mais quelle civilisation,
depuis Paul Valéry, ne sait-elle pas qu’elle est mortelle? Donc, ces deux cités
ont eu leur heure d’apogée. Quoi qu’il en soit, ces deux allusions
historiques déconcertent fortement le lecteur. La rupture est accentuée, comme
si Gérard refusait toute confrontation avec la réalité, par le deuxième
tiret qui fait intervenir l’oncle. Un fin jouisseur; ce témoignage familial
se fond ici avec l’histoire culturelle: l’oncle était un rousseauiste
transformé par Gérard en épicurien petit-maître de la fin du XVIIIè.
C’est un homme d’expérience, sans oeillères, ni candeur: «comme il
fallait y vivre pour le bien connaître», avec sa sagesse d’homme à femmes
qui a tout vu: les actrices ne sont pas des femmes, avec l’explication «et
que la nature... » , belle manière d’ailleurs de les disculper!). Mais la
formule était par trop lapidaire. Le narrateur semble s’en défendre (deux
fois: «de ce temps-là sans doute», puis: «sans tenir compte de l’ordre des
temps»). Ceci ne suffit pas pour faire barrage à la volée de bois vert due à
des faits irrécusables: un témoignage personnel (histoires de ses «illusions»,
de ses «déceptions» -comme en écho, plus haut, à: «mes enthousiasmes, mes
caprices»!), puis des preuves matérielles, tangibles - avant que le temps ne
les détruise! -: portraits sur ivoire (matière noble, ce ne sont pas de
petites femmes!), transformés en décoration pour mieux montrer que l’idéalisme
n’est pas de mise ici; les deux dernières structures binaires en parallèle
permettent de déprécier le tout, avec l'oncle, juge comme Dieu, sans passion:
faisant l’histoire et le compte définitif. Le résultat: un jeune homme désenchanté,
une autre approche du mal du siècle chanté par Chateaubriand dans René!
Reste
un espoir sous-jacent: la différence des époques. Mais on sent bien que le
narrateur préférerait s’abstenir que risquer de souffrir: il refuse
l’engagement amoureux, car il voudrait ne pas prendre de risque. Cette
attitude, pour humaine qu’elle soit et s’expliquant par l’histoire
personnelle de l’auteur, n’empêche pas ce dernier d’être conscient de
cette limite. En effet, il se montre capable d’autocritique, ce qui permet au
narrateur de prendre parfois le point de vue de Sirius.
II) tout ceci est marqué au
sceau de l’ironie
qui
n’est pas sans intriguer le lecteur oscillant entre la moquerie purement extérieure
et le partage avec l’auteur de la distanciation dont il fait parfois preuve
avec son narrateur. Ceci implique-t-il une complicité affective et affectueuse
avec le lecteur ambiguë?
Cette
ironie est perceptible d’emblée, ne serait-ce que par le comportement du
narrateur: paradoxalement, il sort d’un théâtre - alors qu’on
s’attendrait plutôt qu’il y entrât, au moins pour débuter un texte...
tout en notant que c’est le lieu et non la pièce qui l’intéresse, ce qui
semble impliquer une piètre culture. Dans un théâtre, la scène est faite étymologiquement
pour être vue. Lui vient pour y «paraître» alors qu’il est spectateur. Il
y joue même «aux avant-scènes» - donc l’endroit le plus en vue dans cet
endroit - un rôle: «en grande tenue de soupirant» (admirons l’emphase
caricaturale), avec l’évocation du costume. Il y a ici inversion des rôles:
c’est le spectateur qui devient acteur. Le parallélisme de la deuxième
phrase souligne l’indifférence du visiteur, ainsi dégagé de tout entourage.
Tout ceci va jusqu’au mépris le plus acerbe: «tout/peu m’importait/» le
singulier collectif: «parterre»: la notation approximative comme une évaluation
en vrac «trentaine», avec le piètre niveau de la pièce: «forcés»; le
regard remonte sur les loges qui, au lieu d’être peuplées, servent de
supports à vêtement démodés «bonnets/toilettes». Ces «fours» (=échec au
théâtre) étant mis en coupe réglée en peu de mots (=étant descendus,
tchernobylisés), l’autre alternative: la pièce à succès. le ton devient
plus allègre: une certaine communauté s’instaure: «faire partie». Tout
s’anime, avec clinquant: structure ternaire, avec parallélisme nom/adj., où
le regard se précise, des «toilettes» (re-!), les «bijoux» (sur la gorge?),
pour remonter au «visage» (on attendrait plutôt le contraire)... Appâté, le
lecteur retombe sur un brutal: «indifférent»; après avoir joué avec notre
intérêt (le spectacle (!) de la
salle), celui du théâtre - pourtant celui qui justifie la présence du
spectateur - n’est pas plus prenant. En fait, notre amoureux n’est pas dupe,
et l’on sent l’artifice pour mieux mettre en valeur l’«apparition qui
illumine»; elle transcende ce milieu sordide. Il y a l'opposition entre le
maussade chef-d'œuvre - avec le couperet «d’alors» qui date la pièce et
l’enterre définitivement - ce qui était déjà annoncé par l’indifférence
du «seconde ou troisième scène»: la pièce est ainsi correctement éreintée;
n’oublions pas que Gérard a été critique littéraire! Mais notre narrateur
vit dans son monde: «bien connue». L'apparition est une résurrection rendant
la vie), plutôt une épiphanie «illuminait», terme bien abusif. Ce début en
décalage rend la suite très ambiguë. En effet, nous avons vu que le deuxième
paragraphe permettait une effusion poétique. Mais l’attitude de notre
narrateur entache de détachement la suite. Le délire de la passion romantique
s’en trouve dénoncé: «vivre» en polyptote, le jeu du «je« et «elle».
Les sifflantes abondantes forcent le trait, avec l’amoureux trop pris pour être
cohérent: «si douce» - avec l’incohérence dénoncée par l’écho en
nasales de: «cependant fortement - et... timbrée» (donc très marquée!).
L’égoïsme du prurit amoureux est ici clairement exposé: «je, pour moi, mes»,
le parallélisme de : «tous mes enthousiasmes, tous mes caprices». Les images
en deviennent incohérentes (mais c’est le délire de la passion?): «belle
comme le jour» (comparaison inattendue/ «feux de la rampe» (donc par en bas
et lumière artificielle), simplicité, voire niaiserie des adjectifs: «belle/pâle»;
la lumière n’a plus d’endroit précis: «d'en bas, baissée, éclairée
d’en haut». c'est le royaume de l’artifice: «lune, mais rayons... du
lustre»! Ainsi, la technique d’éclairage la fait
paraître plus naturelle, ce qui est un comble (mais ceci est un trait
moderne: cf. la poésie de Paris pour Apollinaire, les peintures des
impressionnistes sur les gares, voire le nain en tôle découpée du chap. VII,
Châalis.). Ce clair-obscur amène à «l'ombre» dans laquelle elle... «brille».
En fait, c’est elle la source de la lumière, c’est sa beauté qui illumine?
Voilà une apparition mystique. Les membres de phrase amènent au souvenir de
voyage: la présence de l’aimée ne compte qu’en renvoyant à des
apparitions antérieures lors d’un voyage en Italie. Aurélie (dont nous connaîtrons
le nom au chap. XI) se fond dans les contemplations antérieures de Gérard. Les
2 premiers § résument... un an! L'égocentrisme, l’indifférence à la
personnalité de l’autre se marquent par: «pas encore songé à m’informer».
Notons le péjoratif: «ce qu’elle pouvait être». Et comment prendre le: «d’ailleurs»?
En fait, notre narrateur est sensible, non à l’objet lui-même, mais à son
reflet, son image en lui. Il traite comme annexe, très secondaire ce qui
pourrait concerner la personne aimée: la femme. Il se protège;, comme
d'habitude, de ce qu'un tel comportement pourrait avoir de méprisant et de réducteur
en se protégeant derrière deux allusions culturelles... Remarquons qu’au
moment où une prise de conscience pourrait s’opérer, de façon amusante, le
narrateur se cache derrière les propos misogynes d’un oncle jouisseur et épicurien
du XVIIIe. En bon rousseauiste, ces femmes (d’ailleurs Rousseau avait des
problèmes de ce côté-là, très évidents ) lire ses confessions), les
actrices, vivant dans la société, sont corrompues et ne peuvent avoir ce qui
caractérise le héros de Rousseau - et qui est son excuse: un cœur. Notre
brave narrateur tente de se défausser: «il parlait» etc. (fuite amusante,
mais peu convaincante: comment prendre le: «sans doute»?); les preuves de la
fausseté féminine s’accumulent: tant (4 fois), avec double structure
binaire; la poésie de l’amour, du don le plus charmant: un médaillon devenu
accessoire pour un... renifleur de tabac, un pétuneur! Il s’agit d’ailleurs
de témoignages accumulés (longue phrase - l’oncle doit être bavard), «raconté
tant d’histoires, montré tant de portraits» (donc tout n’a pas été
illusions ou déceptions!) «billets jaunis», «faveurs» - marques d’amour
données par une femme à un homme qui la courtise - «fanées», «m’en
faisant l’histoire et le compte définitif» - l'oncle Boucher serait-il un
Don Juan d’époque, un autre Casanova? et quel bavard: «histoire», encore!),
comme si le narrateur, dans son angoisse d’être trompé - donc comique comme
tout cocu, même potentiel, trouvait là les meilleurs arguments indubitables,
ce qui ne lasse pas de faire sourire le lecteur, devant tant d’ingénuité.
Notre jeune homme en a tiré une haute conclusion philosophique: le mépris,
penser mal de toutes. Avec tout de même l’échappatoire qui souligne son
innocence, sa candeur: «sans tenir compte de l’ordre des temps» (c’est-à-dire
de coutumes, du comportement sexuel propre à chaque époque...
Ainsi,
nous avons pu voir, dans ces trois premiers paragraphes combien Gérard procédait
subtilement: certes, il nous touche en nous présentant son amour passionné
pour une actrice qu’il idéalise au point de ne pouvoir/savoir/vouloir
l’atteindre en femme. Mais il ne se réduit pas à un simple témoignage
autobiographique et le plaisir que nous avons à lire cet extrait est issu aussi
de la subtilité avec laquelle l’auteur pratique un décalage d’ironie
sympathisante avec son héros...