Micromégas, chapitre cinquième
C’est
après moult péripéties que nous retrouvons notre héros au chapitre 5ème ;
en effet, au chapitre 1er, nous a été présenté, par un conteur
anonyme, un jeune homme quasi incommensurable à nos yeux, mais dont l’esprit
dépasse en fait la taille. Malheureusement, suite à une étude entomologique
condamnée pour d’obscures raisons théologiques, il a été banni de la cour
d’une des planètes de Sirius dont il est originaire pour 800 ans. Il profite
de cet exil pour découvrir l’univers, avec des moyens de locomotion qui ne déplairaient
pas à Cyrano de Bergerac. Il arrive sur le globe de Saturne, 900 fois plus gros
que la terre et se lie d’amitié avec un nain de mille toises, secrétaire de
l’Académie de Saturne, alias Fontenelle. Après force échanges
philosophiques (chapitre second), ils partent de concert dans le système
solaire (3ème), pour échouer, faute de mieux, sur la terre, notre
tas de boue. Par préjugé, le Saturnien pense qu’elle est inhabitée, mais la
confrontation au réel, via des microscopes improvisés, doit trancher la
question ; après une baleine, ils tombent sur le navire de l’expédition
de Maupertuis chargée de mesurer le méridien, afin de valider par l’expérience
les théories de Newton…
Le conteur
Il
s’agit d’un récit vivace et varié. D’emblée, le titre est trompeur :
en effet, là où il évoque des expériences et des raisonnements au pluriel,
nous n’avons en fait que des observations, ou plutôt une observation très délicate,
vu la petitesse de ce qui est étudié, avec une interprétation obscène, mais
fautive, à la fin… Cette décontraction, cet irrespect de ses propres
annonces font partie des charmes du conte. Avec ses effets de suspens (et
d’angoisse : «crainte, de peur de», on joue avec ) : «étendit la
main vers, avançant/retirant, puis les ouvrant/serrant» (oppositions), avec le
succès au bout du compte : «il saisit fort» (le héros est toujours
efficace), avec les syndèses qui soulignent la cohérence des actions tout en
induisant une tension (notons en passant leur succession précise, ceci relevant
du deuxième aspect du texte !). Le présentatif au style direct donne
toute sa présence à l’objet, promu au rang d’animal. Le conteur complice
de son lecteur assène le principe de réalité : «prétendu», le tout en
deux petites phrases, après et avant une longue période. Le vocabulaire reste
simple et ne répugne pas à la répétition : «mettre» a déjà été
rencontré, toujours au passé simple du récit. Aussi le retrouvons-nous
ensuite, mais au présent, vivant, de narration, avec l’évocation très
rapide (s’étaient cru/se croyaient – croire car c’est aussi un conte
sur les illusions, auxquelles nous sommes censés ne pas participer !)
d’un naufrage : ouragan, rocher : l’agitation des rats quittant le
navire est bien illustrée par l’accumulation des courtes propositions indépendantes,
en structure ternaire, puis binaire, avec les COD en structure ternaire, tout
ceci donnant une impression de désordre maîtrisé, puisque les passagers, présentés
en premier, sont dépassés, dans la description ultérieure, par les gens d’équipage.
L’ensemble est bien vu, et les matelots sauvent ce qui leur est le plus précieux,
le vin – et assez conforme aux récits de l’époque où l’on ne pensait
pas en premier à la réserve d’eau, tout ceci dans la panique : se précipitent
après. Les géomètres sont plus pondérés, ils sauvent «leurs» (comme
n’existant qu’à travers eux, et c’est en l’occurrence assez comique,
ridicule, car inadapté) instruments de connaissance, puis… leurs
connaissances ? Tout ceci bien sûr échappe à la vue de nos observateurs,
mais pas à celle de notre conteur, ici omniscient… Leur agitation provoque «enfin»
une sensation, dont l’origine est expliquée au lecteur – notons la
disproportion du bâton ferré enfoncé d’un pied dans la peau, le lecteur en
frémit, mais Micromégas n’en a cure, lui : chatouillait, picotement -
avec la constatation du Sirien : quelque chose. L’explication vient immédiatement.
Et notre conteur de laisser le temps à l’observateur d’affiner sa vision
pendant toute la fin de ce premier paragraphe et du court § suivant… avec
l’équilibre du «d’abord» en balance avec le «donc», en V, 3 : le récit
est très cohérent… Le terme «ici», à deux reprises, nous renvoie bien au
cadre de l’interlocution propre au conte : il peut y avoir rupture dans
le récit pour prendre le temps de la réflexion, avec la politesse affectée
qui revient à insulter les vaniteux : choquer la vanité – car chacun
d’entre nous souffre de ce défaut ? Un jeu de mots sur la disproportion :
importants (importuns ?)/petite, avec la complicité affirmée : avec
moi, donc un aveu général… Le rythme est haletant : après les «je»,
et l’objectivité apparente du présentatif, «c’est que», nous passons au
collectif : «nous», mêlant la roture à la noblesse, avec le plus
distancié : «vous», et, avant un retour à un nous moins général,
puisqu’il s’agit de la France, il repasse au «je», par le truchement de
l’incise : «je vous prie». Le rapprochement entre l’homme et
l’animal se poursuit, en soulignant la relativité de notre… importance.
Remarquons l’erreur de calcul, que l’on ne peut que constater. S’agit-il
encore ici de tester notre esprit critique, et son éveil ? Peut-être avec
la polyptote : figure/figurez-vous ? Avec un jeu d’opposition hors
de proportion, qui préfigure l’opposition implicite des infinis, mais
l’aspect anecdotique (grands grenadiers) permettra de dépasser ici
l’angoisse pascalienne… Le flou du terme «substance» laisse libre cours à
l’imaginaire du lecteur, ce qu’encouragent les conditionnels : «pourrait,
aurait», puis la modalité : «il se peut», présentée avec une froideur
objective, et en surenchérissement avec la syndèse : «et», ce qui ne
peut qu’emporter notre conviction. Voltaire ré intervient avec le : «or»,
en soulignant le rapport entre le conte et la réalité : «ces batailles»,
au démonstratif méprisant avec un renvoi à l’expérience : le succès
est attesté par le passé composé «nous ont valu», succès limité, déprécié
par la médiocrité du gain territorial opéré, immédiatement dénié en fait
par le réalisme des traités «qu’il a fallu rendre», tout ceci
renvoyant implicitement à l’adage selon lequel il est doux et honorable de
mourir pour la patrie : dulce et decorum pro patria mori.
Voltaire
poursuit sur un paragraphe ce qui
pourrait passer pour un bavardage, nonobstant son contenu, mais qui est nécessaire
pour permettre la mise au point du microscope, comme le soulignera le «donc»
de liaison au paragraphe suivant, où les instruments repasseront à deux,
puisque notre attention était focalisée en ce début de chapitre sur Micromégas,
le nain n’ayant eu droit qu’à une ligne : le conteur concentre notre
attention sur le personnage éponyme, comme attendu ! Il envisage ensuite
comme une hypothèse fort improbable : «jamais», la lecture de son «ouvrage»
(terme ici bien pédant : il ne s’agit que d’un conte, présenté comme
des mémoires), heureusement pour nous, lecteur bénévole,
par un capitaine de
grenadiers, corps peu réputé pour sa curiosité intellectuelle.
Le texte lui-même est comme concrétisé, matérialisé par le démonstratif :
«cet». On fait alors assaut de grandeur : «grands, hausse de deux grands
pieds», mais c’est pire que la grenouille qui veut se faire aussi grosse que
le bœuf. Notons que l’expression : «avoir beau faire» a encore au
XVIIIème toute son autonomie, et ne fonctionne pas comme une concessive de
la langue parlée. La solennité de l’avertissement se clôt sur une
constatation brutale : «infiniment petits», soulignée par le restrictif :
«ne que», avec un effet de contraste saisissant.
Voltaire
varie ses effets : après l’accumulation de phrases déclaratives où les
seuls changements étaient ceux des longueurs de phrases différentes et des
sujets, une interrogative, puis une déclarative, ensuite une rafale
d’exclamatives, à 3 gérondifs en accumulation (la structure ternaire sera
reprise par les trois relatives présentant les actions en un effet de mouvement
saisissant), toutes ces phrases commençant par une attaque gutturale sourde
[k], ce qui suscite l’attention du lecteur. Nous passons au style direct, en
un duo commun, où chacun interpelle l’autre, tout à la joie de sa découverte.
Ensuite, une hypothèse obscène et saugrenue, vu le contexte : on ne pense
pas à la bagatelle quand on se croit naufragé, sur les mouvements observés.
Et notre conteur de pontifier, comme s’il voulait nous donner ici la leçon,
la morale de ce chapitre.
Une
telle chute est en contraste avec l’enthousiasme manifesté avant car les
termes y sont mélioratifs, aussi bien les substantifs : «adresse, découverte,
plaisir, joie», que les adjectifs : «merveilleuse, étonnante, nouveaux» ;
participe de cette montée l’opposition emphatisante : «ne firent pas,
à beaucoup près» corroboré par l’intensif «si» (repris dans «si
nouveaux»). Voltaire joue de toutes ses cordes pour mieux fasciner son lecteur,
ce dans un but didactique : on observe beaucoup, mais attention aux erreurs
d’interprétation, avec un retournement de l’expression commune : en
fait, les apparences ne sont pas trompeuses, c’est nous qui nous trompons
dessus. Valéry le dira mieux dans le Sylphe (Charmes) : «Aux meilleurs
esprits Que d’erreurs promises.» (je suis assez fier de ma transition, qui
est en plus à H.T.C.A – Haute Teneur Culturelle Ajoutée)
Car
ce texte se veut aussi un exercice d’esprit critique, une mise en pratique de
la démarche expérimentale chère aux sciences exactes, qui induit une forte
dose de scepticisme ce qui n’empêche pas0 pour finir, cf. la fin du chapitre,
la joie de la découverte. Ici, Voltaire entend nous donner une leçon de méthodologie
scientifique : Nous avons la même distanciation que l’observateur : «un
objet», avec les précautions d’usage, vu la fragilité : «tout
doucement, les retirant, fort adroitement, sans le trop presser», et la
difficulté de la mise en place : «vers l’endroit où l’objet
paraissait», avec les 4 participes présents en écho : «avançant»,
puis avec homéotéleute en –rant… La politesse induite par le terme «ces
messieurs» s’avère hypocrite, et amusée : ils ne font vraiment pas le
poids, surtout après avoir été évoqués comme : «volée de philosophes»
(IV, 2). Avec le risque que l’observation trop poussée provoque la
destruction de l’objet observé : «de peur de l’écraser», où le jeu
des allitérations en liquide illustre bien ce danger… Le nain est toujours
aussi tranchant et «décisionnaire», pour citer Montesquieu, ou plutôt Rica ;
le passage au style direct est vif, malgré le banal présentatif : «Voici»
car ce dernier retrouve ici son sens étymologique ; le premier animal
rencontré était une baleine. Cette erreur d’interprétation – dont le
Saturnien, alias Fontenelle, semble coutumier puisqu’une deuxième erreur de
sa part permet en fait un encadrement du chapitre ! est immédiatement dénoncée
par le texte : «prétendu». Comme pressentant la physique quantique où
l’observation modifie l’objet observé, Voltaire présente une réaction
panique en opposition avec le calme quasi olympien de son savant. Eux vont
d’erreur d’interprétations (ouragan, rocher indéterminé alors qu’il y a
des spécialistes et de géologie et de l’espace maritime : espèce de)
en comportements inadaptés : le mouvement semble brownien, cela court,
s’agite en tout sens – ce qui ne facilitera pas l’interprétation des
observateurs, cf. l’erreur finale) : chacun sauve ce qui lui tient à cœur,
le vin pour les matelots, une indication pertinente de Voltaire dont le sens de
l’observation et du réalisme est accrédité ici, car l’on constate qu’à
l’époque, c’était souvent embarqué en second dans les radeaux de survie,
après l’eau de… vie ! Les rats quittent le navire, le «chacun pour
soi» était constant à l’époque… Ensuite, la sensation est première :
il sentit, issue d’une longue patience : enfin ; ceci permet
d’attester la vivacité de l’animal. Le narrateur omniscient résout immédiatement
ce qui s’avère une énigme pour l’observateur : un bâton ferré ;
la sensation, «par ce picotement» où, encore une fois, le démonstratif rend
présente la scène, conduit à une conclusion, sans a-priori : «il jugea
qu’il était sorti quelque chose du petit animal». L’indéfinition des
termes permet d’éviter tout jugement trop hâtif et ceci laisse libre le
champ des hypothèses… L’observation, malgré le succès partiel obtenu :
«discerner une baleine et un vaisseau», est délicate : «point de prise,
imperceptible» et prendra tout le temps des considérations relativistes. La «petite»
(sic !) remarque qui suit appelle, pour la vérifier, à des calculs précis,
vu le nombre de décimales en cause, outre l’utilisation de deux mesures, pied
et pouce, ce qui montre en fait l’indifférence de Voltaire à l’égard de
l’infiniment petit – comme il l’a déjà montré envers
l’infiniment grand, cf. I, 2: il se veut fin observateur de notre monde, mais
à l’échelle humaine (cf. ultérieurement dans Candide : «il
faut cultiver notre jardin»). Ceci est corroboré par le «à peu près» et
par l’erreur – que l’on ne peut que considérer comme volontaire, et non
fantaisiste car l’ordre de grandeur est comparable – entre 1/600.000 annoncé
et 1/22.000 : ceci, à notre échelle, reste tout aussi invisible…
microscopique ! la suite confirme notre petitesse par une hypothèse :
«figurez-vous», qu’il multiplie pour mieux nous sidérer : «et il se
peut très bien faire qu’il y ait un grand nombre», mais là où Pascal, pour
raison apologétique, voulait éveiller notre angoisse et nous pousser, pour y
échapper, à contempler Dieu, Voltaire remet prosaïquement l’homme à sa
place, ce n’est donc pas le centre du monde, au rebours de ce qu’affirmera
le thomiste en fin de conte, et de compte ! Et ce n’est pas la fin du
monde que de perdre deux villages En fait, la science est, pour Voltaire, au
service de son argumentation. Notons
en passant l’imprécision du terme «substance», mais Voltaire ne veut pas préjuger
de ces substances hypothétiques, mais possibles. Nous sommes contraints de
conclure que notre orgueil est ridicule, tout autant que le capitaine des
grenadiers, dont la troupe se targue de la hauteur de son couvre-chef.
Voltaire est un bon vaccin contre les illusions, la conclusion tombe,
tranchante et indubitable : «infiniment petits».
Nous
retournons à l’observation : elle demande une technique sûre, une «adresse
merveilleuse» - on est dans l’emphase du conte ! pour enfin le résultat :
«apercevoir les atomes». Plus fort que Démocrite qui a dû se contenter du
raisonnement. Oui, «voir», répété deux fois,(plus loin : «en, voyant,
en examinant, en suivant, je les vois, ne les voyez-vous pas» – vu les répétitions,
il faudrait être… sourd ? «voir, apercevoir», et 2 fois : «microscopes»).
Subsiste une ambiguïté : «crurent». Que faut-il entendre ?
Est-ce qu’il faut toujours savoir passer une observation au crible de
la critique, se sont-ils crus les premiers ou est-ce une précaution oratoire
puisqu’une telle observation de Leuwenhoek et Hartsoeker n’était pas en
odeur de sainteté à l’époque ? Comme d’habitude, Voltaire éveille
notre esprit critique, quand il ne cherche pas à le prendre sur le fait en
pleine léthargie quand il nous propose sans broncher des résultats faux, alors
qu’il ne cesse de nous appeler à la plus grande vigilance… Nonobstant,
il nous fait partager la joie de la découverte scientifique: «plaisir» deux
fois, «joie», Et tout ce qu’elle pouvait avoir de rébarbatif a tout de même
sa récompense : le bonheur jubilatoire, et collectif même si l’on
n’est que deux, de la réussite, après une quête patiente : la
connaissance se partage, sans vouloir se targuer de la primeur. Avec l’oubli,
bien humain ! de la réserve objective : «comme il s’écria», «disaient-ils
tous deux à la fois». Les observation précises s’enchaînent en structure
ternaire : «portent des fardeaux, se baissent, se relèvent». Et une réaction
enfantine : «voir des objets si nouveaux», contrebalancée par le
pessimisme adulte, issu de l’expérience : «crainte de les perdre».
Pour finir, la périphrase : «travailler à la propagation» présente
scientifiquement ce que le terme «baissent» cachait pudiquement avec sa géminée…
mais, malgré ce ridicule – qui renvoie à une situation du même type éprouvée
par Fontenelle et Mme du Tencin - même si Fontenelle se targue d’un jugement
fallacieux, croyant être le premier à assister au coït, nous savons qu’il
est de la première importance, pour tout biologiste digne de ce nom, de savoir
comment la vie qu’il observe se reproduit, quelle est la démarche qu’elle
utilise pour perpétuer ses gènes, ce qui semble bien le but de toute forme de
vie…
Cette
péripétie nous rappelle à la fin de ce chapitre que, comme les autres, il
reste marqué par le rire voltairien :
Il
se moque d’abord comme en passant, de notre petitesse : on a là un
comique de situation issu de la disproportion entre les objets présentés, procédé
déjà utilisé par Rabelais, et repris par Jonathan Swift : le bateau paraît
ainsi bien fragile alors que l’équipage a confié sa vie à ce n’apparaît
même plus comme une coque de noix, mais comme une toute petite chose
susceptible d’un écrasement immédiat. Aussi, «ces messieurs» est une
expression de mépris et non de politesse. Le quiproquo du nain, outre le
renforcement de la disproportion vu ce terme, prête à sourire, le vaisseau est
un animal d’un autre type par rapport à une baleine.
Les
erreurs d’interprétation des hommes s’expliquent par leur souci de trouver
raison à tout, ce qui les ridiculise, après l’ouragan, le naufrage sur un
rocher inconnu. C’est comme un coup de pied dans une fourmilière, ils
s’agitent en vrac : tous (passagers et gens de l’équipage) ; chacun
prend ce qu’il considère comme le plus précieux : les
matelots leur vin, ils se font une réserve sur le rocher et semblent même
se jeter dessus, dans leur panique peu professionnelle ; les géomètres
semblent plus maîtres d’eux, mais réagissent de façon inadaptée : ce
n’est pas le moment de sauver leurs instruments de travail, et l’effet
comique de l’accumulation d’objets devenus inutiles est renforcé par le
dernier élément de la structure ternaire : ils n’oublient pas les
filles lapones – suivez mon regard torve. Apparemment, on tente d’installer
un campement de fortune, puisqu’on enfonce un bâton ferré dans ce qui est
pris pour le sol. Le texte continue à flirter avec l’ambiguïté :
qu’est-ce qui peut sortir d’un animal ? La suite est évidemment une
antiphrase : Voltaire fait sa chattemite en prétendant ne vouloir blesser
personne ; d’abord le terme vanité est dépréciatif, et transformer les
grands en importants est… opportun mais méchant, la suite confirmant le
propos : la petite remarque demande des calculs précis, où les décimales
s’accumulent. Le résultat en est faux, car Voltaire se moque et des
importants, incapables de calculer, et de ses lecteurs car il fait ainsi d’une
pierre deux coups : ses lecteurs bénévoles
– le temps écoulé depuis Micromégas le prouve – ne se méfient pas
alors qu’il ne faut jamais croire quelqu’un sur parole, surtout Voltaire ;
il faut toujours utiliser son esprit critique. La suite est du même tonneau,
car Voltaire se permet le luxe de pontifier et de nous donner une leçon
d’ouverture d’esprit, ce dont nous sommes supposé incapables : il est
obligé d’ajouter : il se peut qu’il y ait un grand nombre… Il
poursuit sa charge par une cruelle moquerie sur la démarche contournée des
intellectuels que nous sommes : or, concevez, je vous prie, ce qu’elles
penseraient… en se moquant en fait de notre logique en accumulant les
coordinations, où le : je vous prie semble montrer qu’il faut vraiment
supplier pour que nous fassions un effort de compréhension. Bizarrement, je
subodore un syllogisme, mais n’arrive pas à l’éclaircir. Encore une énigme
de Voltaire ? Il termine en se moquant, comme Rabelais de Picrochole, du piètre
résultat de nos batailles où le «ces» est méprisant (deux villages, même
pas villes, et que l’on n’a même pas eu la possibilité de conserver). Néant
sur néant !
Il
passe à l’anecdote illustrative en litote antiphrastique : «je ne doute
pas», en envisageant d’abord qu’un capitaine de grenadiers le lise – ce
qui paraît fort improbable, ces derniers n’étant pas réputés pour leur
curiosité intellectuelle – puis qu’il augmente la hauteur, déjà
impressionnante, du bonnet de ses soldats ; il fait bonne mesure, sans
marchander : «grands pieds, au moins» ; on imagine le déséquilibre
comique obtenu, avec plus sur la tête que dedans. Suit l’avertissement
solennel : «mais je l’avertis» (Voltaire ne craint pas le duel !),
et la chute en insulte : «infiniment petits» (avec l’avantage de
ridiculiser aussi en passant Pascal, spécialiste des deux infinis, mais
pas de ce type là !). Après ces passages blessants pour la morgue et
nobiliaire et militaire, en fait commune, Micromégas, en bon philosophe, se
montre grand, car il ne se décourage pas, avec Voltaire qui remet le couvert :
«les atomes dont je viens de parler», alias les membres
de l’expédition de Maupertuis en Laponie. Un petit tour par les
spermatozoïdes, pour retrouver les hommes-machines chers à La Mettrie, promus
au rang d’animaux savants : «tous leurs tours», ce que renforce l’écho
de l’expression, et le sens étymologique d’«opérations» : la joie
des découvreurs est ensuite communicative, et prête à sourire avec sympathie,
une fois n’est pas coutume chez Voltaire… Nos naufragés sont toujours aussi
agités, vu la structure ternaire au présent de narration, sans que le but
d’une telle agitation de type brownien apparaisse clairement puisque l’on
monte et que l’on descend. Apparemment, on sort du vaisseau ce qui peut être
sauvé ou être utile…
Mais
notre cher Voltaire n’oublie jamais le chien de sa chienne : Fontenelle a
droit encore à une pique – amenée par «baissent» qui prend un autre sens
si la géminée se simplifie. Au reste, le mouvement de descente et de montée a
aussi une connotation obscène ; aussi Voltaire lui en remet une couche :
il est aussi ridicule que les naufragés, en passant de l’un à l’autre (vu
les antonymes incompatibles, autre ridicule : «défiance#crédulité»),
sans mesure : «excès» deux fois. C’est un voyeur, un impudique donc,
malgré l’allusif : «j’ai pris la nature sur le fait», qui n’a rien
d’une énigme après : travailler (sic ! alors que c’est plus
proche du plaisir) à la propagation (sous-entendu : de leur espèce, ce
qui supprime toute la poésie autour de cette activité physiologique : on
retrouve là le réalisme voltairien, voire rabelaisien), alors que ce bon mot
le concerne lui-même au premier chef, vu ses agissements avec Mme de Tencin. La
morale de l’histoire est que… les géomètres ne baisent pas les lapones (ah ?) ;
certes, Voltaire le dit plus élégamment, mais en y pensant fortement.
Pourtant, il nous achève par le sérieux : «microscopes», car cet
instrument est inattendu (encore que… vu le contexte… soyons clair :
les petits peuvent avoir besoin d’un grossissement) après que nous, lecteur
pervers encouragé par le contexte sexuel, nous avons attendu une chute salée,
alléché que nous étions par : «qu’on se serve ou non»… Nous te
laissons, cher internaute, (être asexué, c’est bien connu, donc cher est ici
au neutre) la responsabilité de compléter…
ICI ? La conclusion, donc résumer les acquis. Ce serait vous faire injure que de le faire à votre place !