Le genre littéraire : évocation de l’énonciation

I D’emblée, dès l’incipit (première partie, chapitre I, le texte se présente comme une lettre, deux fois, recelant une vengeance. Au point que le narrateur-épistolier s’interroge sur la source de son inspiration : Quelle est cette fièvre d’écrire qui me prend, aujourd’hui, anniversaire de ma naissance (67 ans ; donc , implicitement, un bilan ?). Il interroge ensuite sa narrataire : Tu te demandes pourquoi cette soudaine furie d’écrire ? «Furie» est bien le mot.

Il reprend : sans doute pourrais-je craindre que tu déchires cette lettre ? Avec son contenu : Je veux que tu saches, je veux que vous sachiez, toi, ton fils (=Hubert), ta fille (=Geneviève, (nous apprendrons plus loin que la seconde, Marie, est morte), ton gendre (=Phili, époux de Janine), tes petits-enfants (donc, théoriquement, aussi les siens !), quel était cet homme qui vivait seul en face de votre groupe serré .

Le genre littéraire se définit aussi par dénégation : il ne s’agit pas plus ici de mon éloge funèbre, écrit d’avance par moi-même, que d’un réquisitoire contre vous. Mais plus loin : il faut que je vive assez longtemps pour achever cette confession. Qu i présente sou forme de lettre. Concrètement : tu liras ces pages.

II Auto-observation critique : Si c’était mon métier d’écrire, je ne pourrais tirer de ma vie de lycéen une page attendrissante… Plus loin : je relis ces lignes écrites hier soir dans une sorte de délire. Comment ai-je pu céder à cette fureur ? Ce n’est plus une lettre, mais un journal interrompu, repris… Ce que j’ai écrit est écrit. D’ailleurs, que désirai-je, sinon m’ouvrir tout entier devant toi, t’obliger à me voir jusqu’au fond ?… Il faut remonter à la source de cette fureur

IV : confession. Je recule toujours devant le récit de cette nuit

V : sortirai-je jamais de cette histoire ? Je l’ai commencée pour toi ; et déjà il m’apparaît invraisemblable que tu puisses me suivre plus longtemps. Au fond, c’est pour moi-même que j’écris. Vieil avocat, je mets en ordre mon dossier, je classe les pièces de ma vie, de ce procès perdu… Mais je n’arriverai jamais au bout de cette confession si je continue de mêler le présent au passé. Je vais m’efforcer d’y introduire un peu d’ordre.

IX : un aveu : je ne t’ai jamais dit comment je l’ai connu, le père de Luc, à Bordeaux, en septembre 1914.

X Je reprends ce cahier après une crise qui m’a tenu près d’un mois sous votre coupe.

XI J’ai relu ces dernières pages – stupéfait par ces bas-fonds en moi qu’elles éclairent…. Les pages que tu viens de lire m’ont-elles rendu moins horrible ? … Si je n’attendais pas ma mort pour te livrer ces pages ?

XII (Paris, rue Bréa) Comment ai-je pensé à mettre ce cahier dans mes bagages ?Qu’ai-je à faire maintenant de cette longue confession (cf. Rousseau) Tout est rompu avec les miens… Ils seraient capables de s’en servir contre moi, si ces pages leur tombaient entre les mains. Elles ne s’adressent plus à personne. Il faudra les détruire dès que je me sentirai plus mal… A moins que je ne les lègue à ce fils inconnu que je suis venu chercher à Paris… Mon fils a le droit de me connaître par cette confession

XV à Calèse : j’ai rouvert ce cahier… J’irai jusqu’au bout de ce récit. Je sais maintenant à qui je le destine ; il fallait que cette confession fût faite ; amis je devrai en supprimer bien des pages dont la lecture serait au-dessus de leurs forces…

XVII Je ne reverrais plus ma femme ; il n’y aurait plus entre nous d’explication : elle ne lirait pas ces pages

XX d’Hubert à Geneviève : (père) trouvé… la face contre un cahier ouvert… (C’est) Une pièce qui t’appartient autant qu’à moi-même… 3 fois : confession… Cet avocat n’a pas voulu perdre son procès, ni devant lui-même, ni devant nous…. Ce cahier, surtout dans les dernières pages, apporte avec évidence la preuve du délire intermittent… Donc, déchire ce cahier… des impressions de nature qui dénotent, chez cet orateur, un don réel d’écrivain

Janine à Hubert (ma mère) refuse de me confier le journal de grand-père. Le journal où il note les moindres incidents de sa vie… Là où était son trésor, là n’était pas son cœur ? Sur ce point, je jurerais que le document dont on me refuse la lecture apporte un témoignage décisif.