De l’amour du siècle antique

 

 

Au bon vieux temps un train d’amour régnait,

Qui sans grand art et dons se démenait,

Si qu’un bouquet donné d’amour profonde,

C’était donné toute la terre ronde,

Car seulement au cœur on se prenait.

 

 

Et si, par cas, à jouir on venait,

Savez-vous bien comme on s’entretenait?

Vingt ans, trente ans, cela durait un monde

Au bon vieux temps.

 

 

Or est perdu ce qu’amour ordonnait:

Rien que pleurs feints, rien que changes on n’oit.

Qui voudra donc qu’à aimer je me fonde,

Il faut premier qu’amour on refonde,

Et qu’on la mène ainsi qu’on la menait

Au bon vieux temps.

 

 

1) le rondeau

Appelé à l’époque médiévale aussi: rondel, rondelet; chanson de danse créée au XIIIème, sa structure métrique dépend de sa structure musicale: il y a donc de grandes variations; un point commun:

(définition du rondeau):

un refrain, de deux vers au moins, huit au plus, est posé en tête, puis repris deux fois, partiellement ou totalement, une fois au milieu de la pièce puis à la fin. Comme l’habitude des copistes était de ne pas reproduire intégralement les reprises du refrain, mais seulement les premiers mots de ces reprises (appelées rentrement), le rondeau nouveau au XVème se présente comme suit: soit (en ouverture, le début du texte) 5 vers + 3 + R (fin du couplet central) + 5 + R (clôture) = 15 vers (comme ici), soit 4 + 2 + R + 4 + R = 12 vers.

 

2) Clément Marot: 1496-1544:

Son père, de basse extraction, obtient une place à la cour de Louis XII pour ses talents de poète, dans la tradition des grands rhétoriqueurs.

En 1519, au service de Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, sœur de François Ier; incarcéré au Châtelet, deux fois, libéré la deuxième sur ordre du roi.

De 1528 à 1534, en faveur: 1532: L’Adolescence clémentine, (une incarcération) en 1534, une suite.

Traduction du Psaume VI de David, donc en mauvaise presse auprès de l’Eglise.

Affaire des Placards (octobre 34), s’enfuit, arrêté à Bordeaux, s’échappe, gagne la Navarre, condamné par contumace à être brûlé vif.

En exil à Ferrare puis Venise; abjure ses erreurs à Lyon en décembre 36.

En 1542, première édition de L’Enfer, persécuté, se réfugie à Genève, puis à Chambéry; meurt à Turin en 1544.

Marot a rédigé 80 rondeaux, 56 avant 1527, un seul après 1532

 

trois thèmes: 

a) une virtuosité certaine dans l’accord entre les exigences de la forme et le thème même du poème (cf. le titre):

le poème est scandé par l’expression «au bon vieux temps»: le premier couplet évoque un cadeau simple donné par amour

le second couplet évoque la durée de la relation amoureuse

le troisième couplet consacre deux vers (11-12) à la satire des mœurs amoureuses actuelles; le poète désire donc revenir au bon vieux temps. Chanson de ronde, le poème revient donc à son point de départ et justifie ainsi son nom de vers: retour (rime:valeur, poème sur seulement deux rimes, rythme: décasyllabes et tétrasyllabe pour le rentrement)

Tout ceci ne va pas sans une certaine obscurité induite par les archaïsmes auxquels nous sommes très sensibles

un train= manière de vivre, se démenait= se pratiquait, si que= si bien que, amour est féminin, par cas= éventuellement, on s’entretenait= combien de temps on restait amoureux, or= maintenant, changes= changements, infidélités, oit= entendre, premier= premièrement.

 (cf. vocabulaire, les syllepses): rôle des inversions, une hyperbole: v. 8; le jeu entre amour allégorisé et l’amour...

 

b) en fait, il s’agit de séparer amour naturel et amour factice:

la façon d’exprimer les sentiments amoureux est critiquée, comme étant un pur jeu verbal, reposant sur des sentiments captieux. cf. vocabulaire de la franchise et de l’hypocrisie, les qualificatifs définissant les amours d’antan: simplicité.

v. 1 - : l’âge d’or; gratuité d’une nature généreuse; bon+vieux: aspect quotidien, familier, mais réduit au seul domaine amoureux: se démenait= registre courant.

rythme allègre: coupe 4/6, allitération en t/d, accents.

exemple frappant: l’offrande traditionnelle d’un bouquet, sans adjectif qualificatif, un : ce qui compte, c’est la façon dont le bouquet est donné, confortée par les D, lien sonore, donc lien de signification; v. 4: est privilégiée l’importance symbolique du geste: terre, toute, puis ronde: précision (cf. Vasco de Gama + Christophe Colomb). v. 5: particularité de cet amour, registre courant: se prenait. Car/coeur/ seulement/se, sifflantes adoucissantes, rythme 6/4.

v. 6 aboutissement de cet amour, donc en 3 étapes traditionnelles, sans doute disparues en 10-11; vision épicurienne des sains plaisirs de la vie. Sitôt évoqué le plaisir, la durée: 20 ans, 30 ans (cf. espérance de vie), imprécision volontaire: pour le cœur amoureux, le temps ne compte pas. v. 6-7: sifflantes: climat doux, bonheur amoureux. V. 8: dentales annonçant le retour du refrain.

Amour factice: rupture brutale: Or=désormais. Changement de temps: présent. Coupe, inversion du sujet; ne plus obéir à amour, c’est s’écarter donc d’une loi naturelle et divine. la Construction en // au v. 11 accentue l’effet d’insistance créé par les deux formules dévalorisantes, mises en valeur par l’inversion des COD. L’anaphore de la locution inélégante: rien que accentue la critique introduite ici.

Je: personnel, futur; il n’y a donc pas de passage au refus de l’amour, leçon optimiste, certes, mais issue d’un changement radical: il faut; mener deux fois, cf. démenait, cf. début du texte, sur le plan des idées: nouveaux fondements à chercher derrière nous.

par le choix des mots: rimes riches unissant v. 3 à 12 et 13, en créant un écho, amour comme en 1 et 3.

dans la construction du poème, par le retour du refrain.

 

c) le regret des amours d’antan.

imparfait= la durée

changement de rythme dû aux césures...

expression de dépit: v. 11.

retour à l’allure sereinement nostalgique en fin de rondeau.