L'Auberge

 

Murs blancs, toit rouge, c’est l’Auberge fraîche au bord

Du grand chemin poudreux où le pied brûle et saigne,

L’Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.

Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passe-port

 

Ici l’on fume, ici l’on chante, ici l’on dort.

L’hôte est un vieux soldat, et l’hôtesse, qui peigne

Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,

Parle d’amour, de joie et d’aise, et n’a pas tort.

 

La salle au noir plafond de poutres, aux images

Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,

Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux.

 

Entendez-vous? C’est la marmite qu’accompagne

l’horloge du tic-tac allègre de son pouls.

Et la fenêtre s’ouvre au loin sur la campagne.

Paul Verlaine: 1844 – 1896

L’auberge date de 1866, et paraît 18 ans plus tard dans le volume Jadis et naguère.

Jadis? Déplacement jeune avec son père, officier du génie, dans diverses garnisons. A Paris en 1851. Bac en 1862; devient poète-fonctionnaire, ce qui n’empêche pas des fêtes dans la société huppée/branchée de l’époque ni des voyages à pied dont l’Auberge garde trace. Sa cousine, Elisa Moncomble, dont il est amoureux, meurt en 67; son alcoolisme se calme avec son mariage avec Mathilde Mauté de Fleurville; Mais Arthur Rimbaud le débauche en 71… Une querelle d’ivrognes, en Belgique, amène Verlaine à tirer sur Rimbaud; une incarcération de plusieurs mois s’ensuit. Pendant cette période, Verlaine se convertit au catholicisme (naguère); cet épisode qui ne sera pas sans laisser de traces toute sa vie donnera aussi naissance à Sagesse, livret d‘inspiration catholique. Mathilde obtient alors la séparation de corps. Verlaine va alors de fredaines (son aventure en Angleterre avec Létinois) en remords et confessions; il écrit aussi bien des textes religieux (Sagesse) que des écrits érotiques. Il meurt sous des flots d’absinthe en 1896, après avoir fait découvrir les poètes maudits: Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud…

 Son texte:

Quelques éclaircissements

Maleck Adel est un héros des romans romantiques de Mme Cottin, un auteur de best-seller au début du XIXème, comme l’atteste cette image d’Épinal dans cette auberge.

Le vin, bleu est du vin rouge violacé (cf. le gros bleu, le petit bleu, plus léger.) Le passeport était exigé dans les hôtels, pour lutter contre la criminalité due, pensait-on à l’époque, au vagabondage (cf. Jean Valjean)

Verlaine nous fait partager un instant de bonheur d'une simplicité extrême (de l'épicurisme?), en convoquant nos cinq sens:

commentaire

1) Ce sonnet régulier évoque un instant de bonheur. y Participe la perfection formelle du sonnet régulier: de fait, les alexandrins s'enchaînent subtilement, avec une grande variation des rythmes et quelques trimètres, v. 5, 12, sans doute 14, les rimes s'embrassent comme attendu, avec une finale où les rimes habituellement suffisantes ou riches, terminent sur un contraste entre une pauvre en [ u ] et une subtile quasi-léonine: qu'accompagne/campagne: gutturale identique, nasale, puis riche... Cette musique régulière fascine. Comme attire l'opposition entre le monde extérieur empreint de chaleur (poudreux, brûle), de souffrance (saigne), négatif vu le singulier «pied» avec ses ampoules ensanglantées sur lesquelles se focalise l'attention du vagabond et une «Auberge fraîche, gaie», avec la même assonance . Elle affiche haut et fort son titre: «Bonheur», comme proclamant un idéal, avec la majuscule des noms propres au début du vers 3 où ce terme reprend en écho celui du v. 1: le mot «enseigne» claque à la fin  du même vers, en s'appuyant sur les 5 liquides du vers, avec un rythme déséquilibré qui permet un fort accent sur le mot essentiel du texte: «Bonheur», corroboré par la spécificité induite par la présence marquée des articles définis (cf. «L'Auberge, le grand chemin, le pied, l'hôte, l'hôtesse, la salle, les images, la marmite, l'horloge» etc.), vu la majuscule du nom propre: 2/2/5/3. 

C'est bien que cette félicité s'inscrit dans un cadre concret, précis, avec les anaphores d'«ici», agréable, avec le rejet du hiatus entre «ici» et «on» via un «l'» euphonique, dans un cadre actuel pour le créateur, vu les présents de l'indicatif qui scandent ce texte; de plus, elle n'a rien d'un idéal inaccessible réservé aux élucubrations d'intellectuels puisque «l'hôte est un vieux soldat», sans doute de l'épopée napoléonienne sur le tard, car ce texte date de 1866 - époque où, jeune fonctionnaire, Verlaine, commence déjà ses errances, mi-voyageur, mi-vagabond (cf. pas besoin de passe-port en fin de v. 4, puisque ce texte, pour intemporel qu'il puisse être par rapport à l'idéal d'abord exposé, puis prôné, s'inscrit aussi dans les réalités quotidiennes du temps: les hôteliers devaient non seulement tenir le registre exact de leurs clients mais aussi vérifier la validité du permis de circuler qu'était le passeport, dûment visé à la gendarmerie, comme, encore à l'heure actuelle, dans certains pays d'Afrique; mais cet hôte pourrait aussi être un jeune retraité de la guerre de Crimée ou du Mexique (les guerres vieillissent!), et l'hôtesse, au rebours de son mari (?) occupe à elle seule, en maîtresse femme que l'on imagine plantureuse vu ses dix grossesses arrivées à terme, deux vers 1/2, en pendant massif de l'homme dans la deuxième moitié de l'hémistiche, avec l'assonance es(se)-ei(gne)...Elle ne se targue pas de haute philosophie puisqu'elle parle de tout ce qui caractérise le bonheur, sans classement ordonné ou réfléchi: amour, joie et aise, l'union entre ces trois termes étant marquée par l'amuïssement des deux e muets, ainsi que par la frappe des dentales des compléments indirects en accumulation ternaire... Tout jugement dépréciatif énoncé à l'encontre de cet idéal qui pourrait être condamné comme piètre, limité, etc. par tout observateur extérieur, est rejeté implicitement par l'auteur de cette présentation/de cette description: avec une litote tranchante: «et n'a pas tort», qui rompt justement, par l'intervention de l'énonciation dans l'énoncé, la banalité des propos tenus: Apparemment, l'idéal épicurien de l'ataraxie est atteint ici: il s 'agit d'un «amour» sans trouble, sans passion; ce sont des corps à l'«aise», qui s'assument sans complexe qui nous sont présentés ici, malgré les problèmes: le vieux soldats doit avoir son caractère et ses rhumatismes, les enfants sont teigneux, et nombreux. L'effet est central: «joie», et vu les éléments qui le composent: boire, manger (cf.; début du vers 4, en parallèle et rythmique et fonctionnel. Vin bleu, pain tendre), dormir (fin du vers 5: ici l'on dort), avec la régularité du trimètre, celle-ci est proche de l'épicurisme, car il s'agit de satisfaire aux besoins naturels et nécessaire sans effort ni travail inutile; or, il n'y a pas besoin de se fatiguer beaucoup - sauf quand on est Jean Valjean! - pour obtenir son vin bleu, son pain tendre, sa bouffarde, sa couche, et sa «soupe aux choux». Qui plus est, cet idéal que l'on découvre philosophique (car pour nous plus proche de l'ascétisme épicurien que de sa dérive hédoniste, voire décadente; autre marque épicurienne: il s'agit d'un monde à l'écart de l'agitation extérieure, où l'on se repose, loin de s'engager: le fait qu'à la fin la fenêtre s'ouvre au loin sur la campagne est moins une invitation au voyage, pour citer Baudelaire, qu'une incitation au repos: Verlaine nous convoque à un doux nonchaloir), cet idéal, écrivions-nous, est destiné à tout un chacun, indifféremment, vu l'abondance des «on» du v. 5.

Et nous entrons tout naturellement, comme tout un chacun (comme de juste!) dans cette sphère malgré l'aspect géométrique de l'Auberge, car ce bonheur nous concerne: le «vous» du début du vers 11 nous introduit, comme attendu, dans cet espace, protecteur au v. 9: «noir plafond», avec ses décorations, avec l'illustration chère à une piété sans inquiétude spirituelle réelle, celle des Rois Mages, sans oublier le plat collectif de la «soupe aux choux»,  agréable: «bon» comme tout ce qui caractérise d'ailleurs cet endroit, après le «fraîche» du v. 1, le «gaie» du v. 3, avant le «allègre» du v. 13; ainsi, ces deux adjectifs encadrent en fait le terme «joie» du v. 8. Ce moment de relâchement - parler de relaxation serait anachronique - échappe bien sûr à l'angoisse générée par la fuite du temps; son écoulement devient positif, symbole de vie au lieu de nous annoncer la mort, comme dans la chanson de Jacques Brel, les Vieux: «tic-tac allègre de son pouls», et l'impression de cocon protecteur, où les objets inanimés ont une âme, est renforcé par l'hyperbate des vers 12-13, comme par le rythme équilibré du trimètre du vers 12, la séquence 2/4 || 2/4, corroboré par le jeu des voyelles allant se fermant, puis ouvertes, pour finir en fermeture progressive... Et notre bonheur, comme par surcroît avec la syndèse au début du vers final, ce surenchérissement permettant d'accéder à la perfection, se marque par une contemplation sans angoisse, sans effort, comme l'indique le réfléchi: «s'ouvre», en une échappée belle, avec les liquides fluides, des voyelles qui s'ouvrent en fin d'un vers se poursuivant lui-même sur un e muet, en trimètre, la césure à l'hémistiche existant techniquement mais s'absorbant avec le e muet. Cette ouverture n'est pas une fuite mais l'accomplissement d'une douce béatitude sans limite, sans frein: au loin... 

2) Mais malgré, parfois, la complexité de nos remarques, le bonheur réalisé est d'une simplicité extrême. Cette absence de recherche - en fait la suprême élégance - se rencontre déjà dans le plan net de ce sonnet: le premier quatrain présente en un tableau de genre, bucolique, le bâtiment lui-même, au  bord de la route, avec le détail pittoresque de l'enseigne qui s'accroche en fin de vers, et une nature morte finale; viennent ensuite les personnes qui y logent («dort»), nous nous sommes rapprochés, en restant encore à l'extérieur, puis nous entrons dans le premier tercet («vous accueille» avec le «vous» en début de vers, notre présence étant confirmée ensuite par l'accent tonique renforcé sur «vous» par l'interrogative et le report de l'accent final du verbe sur le monosyllabe suivant), pour finir par nous rapprocher («Entendez-vous.. C'est»).de l'âtre où bout «la marmite», comme dans la comptine enfantine bien connue, dans le dernier tercet. Le vers final permet de clore cette visite. Notons aussi l'extrême sobriété des moyens utilisés par Verlaine: phrases au présent, sans complexité syntaxique aucune, avec une seule variation de type: une interrogative en 12, le reste étant déclaratif, avec deux présentatifs communs. le poète ne répugne pas à la répétition: «l'Auberge». celle-ci est esquissée à gros traits: «murs, toit»: il est difficile d'être plus concis, et ce schéma suffit à créer le bâtiment, en l'appuyant sur les liquides, l'écho des e ouverts, et les deux chuintantes, en un rythme rapide, renvoyant au pas bien habituel, répété sans cesse (cf. le «tic-tac» du v. 13) , du voyageur: 2/2/4/2/2, suivi au vers suivant de: 2/2/2 || 4/2. La route («grand chemin poudreux») est vite illustrée, encadrée par deux adjectifs, dont le premier est d'une banalité extrême, comme les rares adjectifs de ce texte d'ailleurs: l'émotion sourd de la plus plate normalité quand elle touche nos sens (cf. thème 3). Les détails sont concrets et d'une précision ici clinique: l'ampoule brûle avant de s'ensanglanter, chez les bourgeois, mais à une époque où il n'est pas rare de marcher pieds nus, le pied brûle sur la route car le soleil de midi est brûlant, et les cailloux finissent par découper la corne sous les pieds. Et l'auteur présente ce fait comme habituel.

Au point que le texte en devient souvent atemporel; une étude sur l'ensemble du texte le prouve, avec ses phrases nominales ou l'absence de verbes d'action: un présentatif d'état au vers 1, les 2 verbes en relative n'ont pas d'objet, le vers 4 étant encore plus emblématique; les 3 verbes du v. 5, 2 transitifs, le dernier intransitif, fonctionnent eux aussi sans objet; les deux actions suivantes sont dans une relative, le verbe au-delà est indirect, et «tort» fait partie d'une expression verbale. C'est la salle qui «accueille», en une, à la réflexion, déconcertante, voire paradoxale [vu notre sensibilité à la pauvreté volontaire du vocabulaire de ce texte, avec même des mots considérés comme proprement prosaïques: «passe-port», le familier, voire argotique : «marmots», «teigne» - maladie de la peau du cuir chevelu, «soupe aux choux», plat bien ordinaire, «marmite», d'un usage on de peut plus habituel à l'époque]  anthropomorphisation ou personnification, ainsi amenée si naturellement que l'on n'y prend garde. Comme une femme sans goût, elle s'est pomponnée («noir», les couleurs vives des images d'Épinal) avec un seul verbe sur 3 vers. Le COD d'entendre est lui aussi en rupture logique, en un raccourci fréquent, usuel dans la langue populaire: on entend normalement du bruit, c'est par ellipse qu'on entend la marmite. Le verbe «accompagne» qui devrait impliquer un déplacement exprime ici un mouvement sur-place, celui du balancier de cette horloge. Et il n'est pas jusqu'à la fenêtre elle-même qui, par définition immobile, malgré l'expression commune: ouvre sur la campagne, ne s'anime elle-aussi, a contrario. Tout en nous offrant la campagne. Ceci va bien dans le sens du nonchaloir: nous sommes, non pas dans un autre monde, mais dans un arrêt dans l'écoulement du temps, ce que notre expérience première a bien du mal a faire partager avec les mots et les phrases qui, de facto, s'écoulent, et s'avancent les unes derrière les autres, sans fin... 

Reprenons après ce survol: le nom de l'auberge, «Bonheur», n'a rien de rare, elle n'a de remarquable - vu son nom propre - que d'être le symbole d'une réalité bien connue et ce qu'elle propose l'est encore plus: le «vin bleu» est l'équivalent à l'époque de notre gros rouge, le pain a une qualité que l'on recherche pour son plaisir quotidien: «tendre», tous deux d'autant plus communs qu'ils n'ont pas d'article qui les spécifie, et si le texte a un rythme de chanson (2/2/4/4), c'est celui d'une ritournelle, comme un pied de nez à la gendarmerie: «pas besoin de passe-port» qui clôt, comme un pied de nez, non sans humour, ce quatrain puisque, au rebours du pain et du vin dont on a besoin, on se passe ici de passe-port, avec son écriture étymologique; donc,  rien d'extraordinaire, rien de plus courant... Donc de plus grossier? La répétition des «ici» nous convie à accepter sans esprit critique ces activités habituelles  La répétition des «on» évoque un groupe banal dans son indéfinition asexuée; après avoir satisfait aux besoins primaires du corps, boire et manger, on se délasse le corps («fume», considéré comme un plaisir très positif jusqu'à la loi Evin) et le cœur: «chante», puis on met les deux en veille: dort. Thème rabattu ensuite que celui du retraité de l'armée - un demi-solde? - qui exploite une auberge sur ses vieux jours avec une maîtresse-femme active, efficace dans l'élevage de ses mioches: «peigne et lave» (cet hystéron-protéron s'expliquant par le traitement, avant le bain, de ces champignons, prolifique: «dix» vu l'absence de contraception, en bonne santé: «roses», malgré la présence irritante, grattante de la «teigne»: il s'agit bien de choses vues; elle n'a pas sa langue sans sa poche, cette matrone exubérante: «amour, joie, aise», en structure ternaire, car là où il y a de la gêne...

Dans une auberge, le centre est «la salle» noircie par la fumée de la cheminée, cet aspect traditionnel est conforté par l'article défini et elle nous est présentée en quelques mots très simples où le jeu des voyelles et du rythme bien frappé permet de ressentir une impression de protection maternelle, avec l'esthétique chère aux enfants des couleurs fortement contrastées sur les deux gravures accrochées au mur: le poète évoque, non la chose, mais l'effet qu'elle produit avec l'adjectif et la diérèse vi-olentes; ces images d'Épinal s'inspirent de scènes à succès populaire: une illustration inspirée par le best-seller oublié de Mme Cottin, les Rois mages où la piété, toujours du bas peuple, trouve à s'épanouir béatement, sans angoisse existentielle. La nourriture concoctée, v. 11, est à l'avenant: on en a par avance comme plein la bouche avec les 3 voyelles nasales et les autres fermées, avec son rythme régulier fleurant la satiété: 3/3 || 2/2/2. Et cette mise en relief, par la place en fin de tercet, de ce plat commun correspond, non pas à un raffinement quelconque, mais à sa fréquence...

Comme l'est, dans ce type d'endroit, la marmite, mise en exergue par le présentatif «c'est» après le suspens opéré par la question «entendez-vous?»: Il y a une énigme. Une inquiétude? Elle se résout immédiatement, facilement, encore une fois en toute banalité, ressourcée par l'hyperbate et le rythme parallèle: 2/4 || 2/4 en un  mécanisme formel subtil. ce qui renvoie aux rouages de l'horloge...picarde, normande? De toute façon provinciale. On ne sort pas du quotidien: c'est la vie la plus ordinaire et son cadre coutumier (Maleck Adel, les Rois mages) qui nous sont présentés ici. Usuelle aussi, voire éculée, l'image du cœur avec le pouls, c'est celui du cœur du mécanisme, celui des battements du balancier. la campagne elle-même existe, sans plus ni description, mais, comme dans tout le poète l'extrême banalité de la réalité est sublimée par le raffinement de la forme, avec le rythme symétrique 4/2 || 2/4 avec la césure effacée par l'amuïssement du e muet, compte non tenu du surenchérissement induit par la syndèse en début du vers: Et. Tout ceci transforme cet instant de bonheur en un idéal concret (donc, ici, résumé des deux parties...).

3) Cette incarnation d'un idéal s'opère par le truchement de nos 5 sens. Visuel d'abord, par la présentation schématique: «Murs, toit», réduite à l'essentiel: «enseigne» en fin de v. 3 où le regard se précise, la salle, par l'utilisation de couleurs vives et contrastées entre elles: «blancs», blancheur qui se retrouve dans la poussière du chemin, classiquement grise, mais ici éclairée par le soleil, «rouge», corroboré par le, en fin de v. 2, «saigne», «bleu», doublement accentué, vu le report de l'accent du nom sur l'adjectif, monosyllabique comme lui (cf. début du v. 1!); glissons sur la fumée et ses volutes avec «fume», mais, dans l'imaginaire, les deux personnages emblématiques de cet endroit sont hauts en couleur0 comme ils se dressent dans ce vers 6, massifs; les «marmots» nus dans le baquet qui trône sur la terrasse à l'extérieur du bâtiment sont «roses», car bien briqués par leur mère; passons sur le gris de la «teigne»; le «plafond» est «noir», sans nous écraser: le sens, malgré la place, reste concret puisque Verlaine ne pouvait écrire: noir de poutres; l'impact des illustrations est marqué par le rejet de «vi-olentes» en diérèse. Le texte termine sur une impression lumineuse avec «la fenêtre» qui «s'ouvre» d'elle-même.

Outre le sens visuel, le tactile, voire algique, est aussi convoqué: «fraîche» où l'intensité de la sensation (l'effet kiss cool?) est rendue par l'écho des e ouverts, et le rythme, y compris l'amuïssement du e muet; la pénibilité de la pérégrination des piétons est elle-même marquée et par le rythme et par les voyelles fermées et par la série phonique: «ou(dr)eux où le» et son hiatus, en focalisant la douleur sur «le pied» blessé («brûle» hyper-accentué); mais l'apparition de «L'Auberge» enfin  atteinte, en début de v. 3, permet d'oublier cette sensation douloureuse, remplacée par «gaie», avec 4 fois le son e ouvert dans ce vers (cf. plus loin «joie» et «allègre»). «Tendre» renvoie au moelleux de la mie, souple. «Dort» évoque une couche elle aussi agréable. L'hôtesse fait voler ses mains partout pour peigner et laver ses gosses, avec la rémanence, en contre-point,  de la douleur: «teigne». Notons pour finir que l'on entre de plain pied dans la salle, sans aucun effort...

Et le texte de laisser place au sens olfactif en ce v. 11, après avoir évoqué son pendant, le sens gustatif (celui-ci, biologiquement, n'allant pas sans le premier), via le «vin bleu» et le «pain tendre» au v. 4: l'odeur est lourde, mais bonne, agréable, même si l'on en a plein les narines, comme le marquent les nasales fermées. Inutile et gratuit de chercher des correspondances synesthésiques: ici, chaque sens garde son autonomie, les perceptions sont vives dans ce texte concret. ce que corrobore l'interpellation brutale: «Entendez-vous?» Le poète convoque maintenant notre ouïe, et le glougloutement de «la marmite» avec son couvercle devient l'instrument principal de cette orchestration, issue par ailleurs du sonnet lui-même, qui, comme son nom l'indique, sonne et résonne, résonne avec le jeu de ses rimes propre à cette structure poétique... Pour filer la métaphore orchestrale, notons le terme «accompagne», en rupture, propre à la mise en valeur, avec le très prosaïque et commun: tic-tac, onomatopéïque, Si bien que le vers final se diapre de toutes ces sensations: certes, le regard est là, mais qui n'a respiré à pleins poumons, écouté de toutes ses oreilles, touché en voyant une fenêtre s'ouvrir au point d'avoir l'impression de... finir? (je ne suis pas très content de ce final, en arête - ou en queue? de poisson!)...   

H.S.