Didascalies

 

Celles de présentation des différents tableaux sont particulièrement conséquentes et abondent en détails concrets, voire pointilleux, ce qui renvoie au comportement maniaque de l’auteur lors de la préparation de ses pièces : en fait, E R refusait quasi toute autonomie non seulement aux acteurs, mais même au metteur en scène lui-même. Sa volonté de tout régenter, maîtriser jusqu’au moindre détail (rien ne doit lui échapper : sa création est sienne et n’a pas droit à une quelconque autonomie)  trouve là son expression la plus évidente..

Une représentation à l’hôtel de Bourgogne fait 24 l. La rôtisserie des poètes, 29 , le baiser de Roxane, moins pittoresque, 14 l (décor à la Roméo et Juliette), les cadets de Gascogne, 10 l. : la scène d’un siège est classique ;

 

A) le tout s’achève sur : la gazette de Cyrano, en 24 l. Cette longue présentation trace à traits fort précis le cadre conventuel dans lequel les acteurs évolueront.

 

1.       Dans cette dernière, les notations évoquant le temps abondent ; d’emblée, son écoulement, le laps de temps, énorme au vu de la durée d’une vie, qui sépare l’acte IV du V…  ce qu’indique, avec surenchérissement, ou plutôt précision du message, la première phrase nominale, fonctionnant ainsi, comme attendu classiquement, en encadrement entre l’acte I et le V. La durée : «5 ans» l’écart : «après», la date : «en 1655», en écho nostalgique par rapport au brio, au clinquant de I, un effet de contraste propre au drame romantique. L’imparfait  qui suit : «occupaient», renvoie dans un passé révolu l’ensemble de la scène, comme le catholicisme d’Etat, après la Révolution.  Les deux paragraphes suivants concernent notre second point. même si : «superbes ombrages» n’est pas étranger à l’automne. Cette saison  nous est alors imposée au quatrième paragraphe par le brutal présentatif, en une phrase courte, réduite au minimum : «C’est l’automne». Qui se révèle, aux yeux (cf. décor !) du spectateur, dans ce tableau (sic !), une saison métaphore. La tristesse nostalgique induite par les éléments naturels et les couleurs posées préfigurent la disparition du héros, non sans panache, en une ultime fulgurance gratuite : «rougie» au paragraphe précédent annonciatrice de :  «rousse, sombre, restés verts» (=survivance, persistance), «jaunes». 

 

v      La volonté de marquer l’apaisement est patente, vu la présence très insistante de la nature via la flore : «ombrages, arbre, grands buis, marronniers, branches, rideaux d’arbres, pelouse, bosquets, vigne, buis» (répétition : 3, arbre de deuil, comme les ifs), «frondaison», parallélisme avec : «pelouses fraîches. Taches sombres», en synesthésie («fraîches» =tactile, «sombres»=visuel), derechef : «buis», puis : «ifs» ; «feuilles» ensuite deux fois (après le global, la masse, le détail… chacun de nous ?). En fait, la nature nous accompagne jusqu’à notre fin car

 

v      C’est la mort qui s’avance lentement, doucement ; la disparition, l’achèvement, sans effet perceptible, sans cesse recommencé, comme en pure perte. Ainsi, les feuilles, en asyndète accumulative : «jonchent, craquent, couvrent», avec la fin : «tombent». (ce qui annonce, lors du soliloque de Roxane : «Tiens ! Une feuille morte», reprise par la didascalie suivante : «la feuille tombée», métaphore de mort, en fait reprise par Cyrano à partir du v.  165, en une effusion ensuite lyrique… N’est-ce point notre destin d’homme ?

 

2.       L’organisation de l’espace est en correspondance étroite avec l’atmosphère créée.

v      Le cadre général est tracé d’emblée : le parc du couvent que les Dames de la Croix… à Paris, très précisément donc. La volonté quasi mystique de nous envoûter est marquée par les marques de globalisation, abondantes : «Le parc (3 fois : début, milieu, fin), la maison, tout le fond, double rideau», accumulation avec : «des fuites de pelouses, d’autres allées (4 occurrences), des bosquets», autre plan d’ensemble : «les profondeurs du parc», puis : «le ciel», donc terre et ciel d’un seul tenant… multiplication aussi des éléments architecturaux simples, avec : «colonnade» (ou un d’un seul bloc : «maison», « perron» avant, chapelle), comme les allées (nature organisée, comme avec les pelouses), les bancs (4 occurrence en tout). Ensuite : toute la, chaque arbre (le distributif renvoie en fait à leur pluralité !), toute la scène, puis pléthore d’articles définis. Nous retrouvons ensuite un jeu lexical déjà rencontré (énorme#petite, 2 ème §) : grand (métier), petite (chaise).

v      Et cet espace est parfaitement organisé par l’homme, On s’y retrouve parfaitement, avec les notations d’orientation : «à gauche», avec l’espace qui s’étend : «vaste», «sur lequel ouvrent plusieurs portes», avec donc le regard qui change de point de vue. L’«arbre» qui trône «au milieu de la scène» (axe de symétrie ou, du moins, de répartition spatiale)  s’érige avec la phrase nominale, et sa mise en exergue : «isolé», avec un effet d’emboîtement puisque nous rencontrons pour la deuxième fois : «au milieu». «à droite, premier plan» : les lignes directrices sont fortement tracées dans ce tableau, avec un autre emboîtement : «parmi». Nous avons une impression d’enchâssements successifs. Et de rayonnements comme dans les jardins de Versailles : «traversé, des fuites, d’autres, les profondeurs». Avec la rigueur du jardin classique à la française : ses «pelouses, ses bosquets», ses massifs de «buis». Il y a toute une série de sorties possibles (portes, 3 fois)0 de passages ouverts (allées), ce qui permet à cette nature organisée de vivre : qui vient se perdre, comme sans contrainte. Le passage par la vigne torsadée permet de passer des lignes aux surfaces/volumes : frondaison, taches, plaques, l’ensemble étant unifié par l’abondance des feuilles mortes. Le regard revient au centre : «Entre le banc de droite et l’arbre», Ensuite, des lignes géométriques : «métier à broder, chaise», avec le désordre induit par toute activité humaine : «paniers pleins d’écheveaux» (niveau de langue technique, comme «métier à broder» !) et de «pelotons» (niveau de langue : familier).  Une attente vu le groupe nominal elliptique, comme en titre, un appel ? «Tapisserie commencée». Comme créé par les mots, le décor apparaît au «lever de rideau». On saisit là sur le vif le désir/fantasme d’Edmond Rostand, non seulement d’être le metteur en scène, mais aussi le régisseur. Comme voulant réunir sous son seul nom tous les métiers du théâtre ! Cet espace instauré, le spectateur de constater, DE VISU, qu’il se prête à la vie communautaire et religieuse : ceci avait é&té préfiguré par les termes .«couvent« Dames de la Croix, chapelle», cela est confirmé IN VIVO par la présence des sœurs qui vont et viennent ; le banc demi-circulaire est utilisé : assises autour. La fondatrice de la maison au… centre ! «religieuse»…

v      notons donc pour finir l’impression d’ensemble généré par cet espace-temps : le regard (que nous avons plusieurs fois mentionné), via le texte, explore tout le décor, en s’attardant sur la tapisserie commencée (référence implicite évidente à Pénélope). Le tout s’achève sur l’évocation à l’horizontale, des sœurs, les feuilles tombant à la verticale, pour finir comme les sœurs. C’est bien l’attente apaisée de la mort qu’évoque cette importante description… ce que le titre du tableau, en clin d’œil annonçait : la dernière nouvelle de la gazette de Cyrano étant celle de sa mort (v. 241 – 242 !

 

autres approches

I) L'automne:

Dans cette didascalie, Edmond Rostand, comme à son  habitude, nous développe une description extrêmement précise du décor des scènes qui occuperont l'acte V. Il procède de façon tatillonne, voire maniaque avec un souci du détail qui ne laisse que fort peu de liberté au metteur en scène: la présentation est complètement maîtrisée, réfléchie, et Rostand nous fait ici un tableau quasi emblématique de l'automne.

Il commence par une série de phrases nominales, exposant brièvement, mais efficacement, la date, avec une reprise: «en 1655», le lieu: «le parc d'un couvent», c'est-à-dire un monastère féminin, ici «les Dames de la Croix», le décalage dans le temps étant souligné par l'imparfait: «occupaient»; tout ceci indique que notre auteur attend une reconstitution fidèle, une reproduction à l'identique qui semble préfigurer l'obsession patrimoniale propre à notre époque... D'emblée, l'effet esthétique d'ensemble, qui sera développé ensuite (voire prouvé à l'envi vu l'abondance des notations ultérieures), est évoqué: «superbes», avec le pluriel qui amplifie l'impression positive... Les grands ensembles sont répartis: «à gauche», (ensuite, «à droite», où les côtés cour et jardin- à la gauche du spectateur - du théâtre classique disparaissent avec un clin d’œil ici - comme dans les autres actes!) avec «la maison» (ici, le bâtiment des moniales), avec un désir de majesté architecturale, de construction impressionnante: l'article défini, l'adjectif «vaste», la multiplication des portes, «plusieurs», impression de prestige affiché confortée par l'adjectif «énorme au milieu de la scène» (il s'agit bien d'une didascalie!), la présence physique de l'arbre est marquée par la phrase nominale qui l'impose en soi, comme un ancrage central, ce que corrobore l'expression: «isolé», comme la reprise de «milieu», avec l'effet d'emboîtement-gignogne d'une sphère dans un ovale. Ensuite, nous aurons: «grands, tout le fond, les branches, double rideau, des fuites de pelouses» (le tout au pluriel), la reprise d'«allées», pour finir, par delà les «bosquets», puis en expansion  quasi infinie: «les profondeurs du parc», lui-même encore en redite, par «le ciel» qui clôt une longue énumération. Les éléments architecturaux se multiplient comme les végétaux: «chapelle, colonnade» qui se perd - encore une fois, cette impression de volume immense. Le vocabulaire amplificateur abonde: «toute», avec le collectif: «frondaison», (cf. plus loin: «toute la scène», avec le jeu de mot car ce parc à la française est aussi de présentation: il sert d'écrin à la maison et à la chapelle), «les pelouses» derechef, «les feuilles» en duplicata après les «buis et les ifs», en contraste, les verbes expressifs; «jonchent (transitif),craquent (intransitif), couvrent (transitif), feuilles», donc multipliées elles-mêmes par cette accumulation ternaire en asyndète: il s'agit d'un parterre de feuilles mortes auquel s'ajoutent à la fin d'autres «feuilles» qui «tombent» (final intransitif: les feuilles, d'actives, occupent maintenant toute la surface de la scène: elles sont installées)... en une phrase rapide conclusive, avec un mouvement parallèle (mais en vecteurs de direction opposée!) à celui du lever de rideau.

L'automne lui-même entre peu à peu en scène, aussi bien dans sa présentation que dans son illustration:

* deux vues d'ensemble d'abord: «le parc, ombrages»; ensuite 3 instantanés, bien cadrés, de plus en plus précis: l'angle du champ de vision se rétrécit avec: «maison, arbre, banc» ; s'ensuit un travelling qui se termine sur un dernier plan en pied: «la porte de la chapelle». L'espace s'élargit ensuite en lignes de fuite diverses, comme un panoramique: «pelouses, allées, bosquets, les profondeurs du parc», pour s'arrêter sur le bref «ciel», à l'infini, avec, ensuite, un autre travelling sur «la vigne rougie». Ceci permet la conclusion partielle de la phrase à présentatif, comme indubitable, au présent de description: «C'est l'automne». Après ces présentations d'abord photographique, puis cinématographique, E. Rostand accumule les notations sensorielles:

- visuelles avec les couleurs (annoncée par «rougies»), comme: «rousse, verts, jaunes», en jouant sur le contraste obscur/clair avec: «Taches sombres/ plaque de feuilles jaunes», les deux en phrases nominales pour conforter l'effet de diaprure. Ensuite avec les verbes: «couvrent, tombent»... puis «tapisserie commencée» (ce qui ne va pas sans évoquer Pénélope)

- tactiles: impression de masse, quasi d'écrasement due à «toute la frondaison» avec le jeu d'harmonie des voyelles de la phrase, l'adjectif «fraîches». Ceci sera repris par: «jonchent, sous les pas». Certes, «les paniers d'écheveaux et de pelotons» évoquent implicitement leurs couleurs - même si les tapisseries du temps sont moins contrastées que celles de Lurçat - mais ceci implique aussi le travail manuel de l'aiguille, ce qui renvoie au toucher.

- auditives: l'ouïe est annoncée par: «plaque... chaque», évoquée par le verbe quasi onomatopéique: «craquent» et les monosyllabes «craquent (e muet!) sous les pas dans les», avec l'écho des articles définis et des [a]. Ensuite, le silence conventuel, de mise lors de la méditation que permettent les pérégrinations des sœurs... Silence qui sera rompu dès le lever du rideau par le bavardage sans conséquence des sœurs, mais qui flotte encore dans cette fin de didascalie, comme le reprécise la mention finale sur la chute des feuilles...

* cette saison s'immisce petit à petit: «ombrages» concerne aussi bien l'été mais l'isolement de l'«arbre énorme», ce par opposition à: «petite», plus loin, donc dans un environnement spatial inadéquat, rend cette mention négative, ce que confirme la présence de l'arbuste (tout petit), par excellence de nos cimetières, le «buis» (comme l'«if», ailleurs). La présence insistante du minéral est aussi inquiétante: «vaste perron, banc de pierre demi-circulaire», comme préfigurant une pierre tombale. Les «marronniers», inconsciemment, impliquent cette saison. Plus clairement, la «chapelle» est «entrevue parmi les branches», ce qui n'est possible que si les feuilles sont tombées, comme le confirme le: «à travers le double rideau»; si les feuilles étaient encore là en abondance, ce double rideau resterait parfaitement opaque. Autre indicateur précis de la saison: «vigne rougie». La courte phrase présentative: «C'est l'automne» confirme donc ce qui précède. Mais c'est l'automne en son début: «toute la frondaison», certes, les arbres sont en train de se dénuder, néanmoins l'opération en est à son commencement, c'est l'été indien! Effet de nostalgie, de regret de la belle saison que l'indication: «buis et ifs restés verts». Les «feuilles» sont comme écrasées: «une plaque», et elles occupent tout l'espace: «jonchent, toute», desséchées: «craquent», elles débordent «dans les allées», et même «couvrent» le sol, le terme: «à demi» impliquant que le vent a déjà soufflé... Tous ces aspects négatifs se termineront sur la phrase finale...

 

II) registre(s) du passage:

réaliste: c'est une didascalie, avec la rigueur de la présentation (Remarques Formelles en I et III), avec de légères traces d'effusion poétique (utilisation des sens, animation de la description)

En insistant sur les aspects négatifs du texte (et en utilisant les arguments de la présence/absence!), on pourrait arriver au registre tragique (avec la présence du sacré : «couvent, ciel», et la menace que constitue l'automne pour la vie!)

 

III) présence/absence:

La présence du «parc du couvent» (en encadrement, avec, au début du texte: «couvent», et en final: les «sœurs», avec les mentions, moins spécifiques, bien sûr, de «la chapelle» au milieu du passage) est bien marqué dans le texte avec: «à gauche, à droite», les phrases nominales qui imposent une réalité qui n'est pas soumis aux aléas du temps qui passe, l'alternance des phrases sèches, brèves avec des développements beaucoup plus développés, les présents descriptifs, les verbes d'action: «ouvrent» (de même: l'«allée de marronniers» est complément d'agent du verbe: «être traversé»), «qui aboutit» (un  verbe de mouvement), la présence effective d'un spectateur bénévole virtuel sous la forme d'un «on» (lui-même annoncé par: «entrevue» et «cette»); ce parc est d'autant plus réel, existant qu'il est soumis à nos regards; «ouvre» souligne bien cette idée et tout s'anime: «qui vient se perdre», même si ce dernier terme relève de l'absence: en fait, très subtilement - et c'est ce qui fait aussi l'intérêt de cette didascalie qui, pour destinée qu'elle soit au metteur en scène, s'adresse aussi au lecteur bénévole - chacun des deux termes antagonistes se renforce par son opposition à l'autre: plus il y a de présence, plus le manque est évoqué comme en filigrane: ainsi le «perron» et le «banc» disparaissent quant à eux, en partie, mais c'est pour laisser plus de place aux «feuilles» dont l'existence est attestée par les répétitions de ce mot; les déplacements des «sœurs» eux-mêmes semblent s'annuler et s'épuiser en allers-retours: «vont et viennent», donc sans but évident marqué... Cette réalité du parc est corroborée par celle de l'automne déjà évoqué (rappeler ici tout ce qui concerne cette saison en insistant sur son existence évidente), et ces deux présences dégagent en creux (ce paradoxe a déjà été mentionné ci-dessus) deux absences:

* Cyrano, car l'«arbre énorme» (qui n'est pas sans rappeler l'utilisation à l'acte I de cet adjectif par Cyrano) qui occupe «le milieu de la scène», semble comme un clin d’œil à toute la présence physique du héros éponyme dans les 4 actes précédents et en est la métaphore heureuse, tandis que le terme: «isolé», mis en valeur par son apposition et qui rappelle aussi la tirade du: «non, merci» de l'acte II, annonce sa mort, non sans panache: «au milieu», donc ici au centre d'«une petite place»; n'oublions pas que Cyrano est toujours en représentation... et sa mort ultérieure est illustrée par la présence instante des «buis» (deux fois) et «des ifs», dont les «feuilles» persistantes évoquent la permanence du souvenir, voire la Vie Eternelle, dans nos cimetières chrétiens.

* Roxane est en suspens dans ce texte: le «grand métier» à broder semble lui être proposé, ainsi que la «petite chaise», disposée à l'avance dans l'attente de sa venue, avec son pensum (étymologiquement, le poids de laine donné à filer chaque jour par la matrone à ses esclaves): «paniers pleins» (donc attendant d'être mis à contribution, avec un plan de travail chargé!) avec l'attaque identique en [p], comme «pelotons», les deux derniers substantifs avec «d'écheveaux» étant en structure binaire: il s'agit d'une réalisation artistique exigeante. Et Rostand insiste, après cette avalanche de précision technique car les écheveaux sont tirés des pelotons: «tapisserie commencée», comme celle de Pénélope, une autre femme en attente d'une présence. Et l'occupation, par la Mère Supérieure (une sœur plus âgée) et de ses filles, du «banc» souligne a fortiori combien la «petite chaise» est vide (par rapport au : «pleins» des «paniers») et attend une occupante... 

 

Des feuilles tombent (belle mise en abyme, non?).

 

Et nous terminerons donc sur cette énigme!

 

B) les annotations au fil du tableau permettent justement la lente montée du pathétique.

Nous commençons par les banalités d’une dénonciation publique des fautes de chacune, la règle étant plutôt de dénoncer ses turpitudes, ses égoïsmes personnels plutôt que ceux de ses sœurs dans le Christ ! Les didascalies donnent des indications pour mieux dégager le comique subtil de cette première scène.

Une première didascalie plus longue présente en pied le couple Roxane-de Guiche qui seront, dans le dialogue qui suit, immédiatement renommés en Madame Magdeleine et le duc-maréchal de Gramont (connu en littérature pour ses Mémoires, un avatar inattendu pour de Guiche !))

v      couleurs et apparence extérieure: Roxane est vêtue de noir ; sa tenue est précisément évoquée, celle d’une veuve au XVII : coiffe des veuves et longs voiles. De Guiche, en revanche, est présenté de façon imprécise, en un jugement vif, à l’emporte-pièce, magnifique et vieillissant, ce qui laisse un peu de liberté au costumier. Cyrano est très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux… L’ombre augmente après le v. 215. L’ombre est complètement venue dans la longue didascalie évoquant que Cyrano est découvert…

v      les mouvements sont évoqués pour être ralentis, comme pénibles :  les soeurs sont d’ailleurs, de façon révélatrice, assises au début du tableau ; apparition de Roxane ; auprès d’elle marche de Guiche ; ils vont à pas lents. La mère Marguerite se lève ; DE G. et R. descendent et s’arrêtent près du métier. Un mouvement du regard : R. regardant la croix du couvent. Si Le Bret descend, la plupart des mouvements/réactions rentrent dans le cadre de la communication d’émotion : hochant la tête, avec un sourire amer. Sortie discrète de R. avec d. G. Premier mouvement un peu vif : Le Bret et Ragueneau se sauvent pour n’avoir rien à annoncer à R. Puis R. s’assied à son métier. Bref mouvement pour le transport du fauteuil de Cyrano ; R. s’installe, repousse du doigt la feuille tombée sur son métier. On le voit, l’ensemble est très alangui. Et ce n’est pas l’arrivée de Cyrano qui va donner de la vivacité à la scène : lentement, effort visible, s’appuyant sur sa canne. Cyrano finit par atteindre son but : est parvenu au fauteuil et s’est assis. A l’appel de Cyrano, sœur Marthe qui traverse le parc glisse vers lui.  Son geste d’étonnement à la vue de la figure de Cyrano est évoqué certes, mais il est si discret qu’il échappe à R. Certes, son travail de broderie l’absorbe (plus loin, v. 161, R. penchée sur son métier), mais c’est aussi que ceux qui l’entourent ne s’agitent pas ! Nouveau mouvement du visage : R. levant la tête et regardant au loin. Le malaise de Cyrano provoque le premier mouvement vif du tableau, après l’irruption de Ragueneau : R. court vers lui en criant. Tout assis qu’il est, Cyrano réagit vivement, reculant avec effroi dans son fauteuil. La scène s’apaise derechef. R. reste debout à côté de lui. Il y a ensuite le jeu de retour au métier (202 : revient à son méteir, le replie, range ses laines) pour revenir à Cyrano lisant la lettre dans l’obscurité qui tombe… Elle s’approche tout doucement, passe derrière le fauteuil, se penche, regarde la lettre. Lui posant la main sur l’épaule. Les mots eux-mêmes sont dits avec lenteur. Pour le grand final, et l’explication, l’action se précipite : Le Bret et Ragueneau entrent en courant. Cyrano se redresse, alors qu’il baissait la tête.  Il la découvre, entourée de linges. Puis il retient R. voulant aller chercher de l’aide auprès des sœurs. Il se soulève, est retombé assis, secoué d’un grand frisson, et se lève brusquement. Les mouvements s’accélèrent. Il interdit, pour son ultime combat, toute intervention à autrui. Il va s’adosser à l’arbre. Il tire l’épée. Il s’agit de terminer sur un paroxysme sans ridicule, malgré l’outrance recherchée de cette mort spectaculaire… l’agonie est bien le dernier combat, étymologiquement. La scène du duel se dégage : tous reculent épouvantés. Il lève son épée. Frappe de son épée. Il frappe. Il fait des moulinets immenses : n’oublions pas que les épées de l’époque ne sont pas encore les fleurets du XVIIIè et permettent certes l’estoc, mais sont aussi des armes de taille. Dernière charge : il s’élance l’épée haute, pour l’estocade finale. L’épée s’échappe de ses mains, il chancelle , tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau. L’ultime baise de Roxane (annoncé par le titre du tableau III). On voit que les mouvements, très atténués, se sont brutalement accélérés pour s’achever aussi brutalement…

v      silence : Soeur Marthe chuchote à sœur Claire (bas, dit la didascalie) ; de Guiche et Roxane descendent en silence, après un temps, nouveau silence, après un silence encore (donc, souligné derechef par l’auteur : la communication est lourde de sous-entendus et de réflexions personnelles) ; notre héros lui-même se tait un instant , après le v. 147. Roxane entend C. chuchoter avec sœur Marthe. En 190 : C. ferme les yeux. Sa tête tombe. Silence. Roxane se penche sans bruit vers Cyrano lisant la lettre. Découvert, s’ensuit un long silence. Silence aussi avant la confrontation avec la mort (314)

v      la mort apparaît, avec le seul ménagement des hésitations de Ragueneau. Le texte se suffit à lui seul ; notons que parfois, certaines didascalies semblent superfétatoires ou pléonastiques : comment ne pas dire hautainement, en 73 – 74 : Je sais, oui : j’ai tout ; il n’a rien… Le prononcer avec pitié et commisération serait odieux et plat…. La solitude de Roxane, lors de la sc. IV est judicieusement évoquée par : les sœurs s’éloignent. Le perron permet entrée et sortie des personnages. L’indifférence à la feuille morte, soulignée par : elle repousse du doigt la feuille tombée sur son métier est une sorte d’effacement prémonitoire du héros, avant même son arrivée. Mais elle présente, il réagit avec ce qui lui reste d’énergie, pour le principe (v. 316). Elle vainc certes, mais sans gagner : Cyrano a gardé son  panache…