Le théâtre,
à la fin du XIXème
Avant-propos : Cyrano de Bergerac
doit
son succès considérable au contexte théâtral dans lequel l’œuvre
s’inscrit en 1897. Au moment où le théâtre de recherche est dominé par la
mise en scène naturaliste et le symbolisme (comme le théâtre d’art de Paul
Fort), ce théâtre de cape et d’épée sans problème métaphysique (du moins
pour un spectateur superficiel !), sans volonté non plus de reproduire
exactement le monde et encore moins de le transformer, paraît une surprise agréable,
un moment euphorique dans la grisaille de cette fin de siècle. La coupure entre
l’avant-garde, théâtre de recherche et de création, et le théâtre de
boulevard et de consommation courante, date aussi de ces années….
Présentation générale :
un théâtre d’une extrême diversité. Une fois le drame romantique passé de
mode, la comédie de mœurs prend son essor avec en particulier, des vaudevilles
comme ceux de Labiche. Motivées par le rire du spectateur, ses pièces
recourent à la caricature et au grossissement et annoncent George Feydeau. Le
théâtre naturaliste, quant à lui , illustré particulièrement par Henri
Becque, est plus sombre. Il cherche à atteindre une vérité sociale dans les
intrigues qu’il met en scène. A la fin du siècle, le théâtre symboliste se
propose de rénover l’art dramatique en tentant de suggérer plutôt que de
dire. Maurice Maeterlinck, qui illustre cette nouvelle tendance, influencera
Alfred Jarry, puis Antonin Artaud au XXè. Mais parallèlement à cette mode
symboliste, alors fréquemment rapprochée des agitations anarchistes, le succès
populaire considérable remporté par une pièce comme celle d’Edmond Rostand,
est emblématique de la variété des registres dramatiques qui se côtoient
alors. Cette pièce, qui renoue avec le drame hugolien, prouve que le public
continue à apprécier les comédies héroïques romantiques…
Donc,
Cyrano tranche
sur les tendances de l’époque :
·
Le
théâtre libre : Un jeune passionné de théâtre, André Antoine (1858
– 1943), est à l’origine d’un nouveau théâtre, le théâtre libre qui,
en neuf ans (de 1887 à 1896), modifia l’art dramatique français, malgré les
critiques qui ne cessèrent de lui être hostiles et qui louèrent parfois, a
contrario, la pièce de Rostand. Antoine est avant tout désireux d’en finir
avec les conventions surannées et d’élargir le répertoire. Metteur en scène
novateur et audacieux, Antoine est soucieux de la vérité des décors et des
costumes, joue avec la lumière, demande à l’acteur la vérité dans le geste
et dans l’intonation.
·
Le
théâtre de l’Oeuvre : des 1890 se font jour des réactions contre le théâtre
libre. Joseph Péladan fonde le théâtre de la Rose-Croix qui joue des pièces
à l’inspiration mystique. Paul Fort, avec le théâtre d’Art adapte pour le
public des écrivains symbolistes. En 1893, il abandonne son entreprise à Lugné-Poe
(1870 – 1940) et son théâtre devient le théâtre de l’œuvre dont le
premier succès sera Pelléas et Mélisande de Maeterlinck. Ce théâtre
devient donc le creuset des expériences dramatiques symbolistes. Avec comme
point de départ les réformes d’Antoine, Lugné-Poe donne dans le mystère et
la poésie, sans renoncer à une espèce d’initiation pédagogique à l’art
dramatique.
·
Le
théâtre naturaliste :
v
Jules
Renard (1864 – 1910), plus connu comme romancier (Poil de carotte,
1894), n’a as son pareil pour la pièce courte, au dialogue tendu entre deux
personnages (Le pain de ménage, 1897)
v
Octave
Mirbeau (1850 – 1917), romancier lui aussi devenu dramaturge, révèle un
cynisme et une brutalité qui éclatent aussi bien à travers ses romans (l’abbé
Jules, monument d’anticléricalisme sidérant) que par son théâtre (Les
Mauvais Bergers, 1897).
v
Emile
Fabre (1869 – 1955) écrit des pièces où sont exposés des problèmes
sociaux : le pouvoir de l’argent (l’Argent en 1895), la corruption électorale
(La Vie publique en 1901)
·
Le
théâtre «d’amour». C’est le titre d’ensemble du théâtre de
Porto-Riche (1849 – 1930) qui donne le ton à un type de théâtre dominé par
les sentiments et où excellèrent aussi Henry Bataille (1872 – 1922) et Henry
Bernstein (1875 – 1953).
v
Georges
de Porto-Riche, joué d’abord par Antoine, s’est surtout attaché au couple,
à ses sentiments, ses exigences, ses passions : La chance de Françoise
(1888), Amoureux (1890), le Passé (1897).
v
Chez
Henry Bataille, les personnages, toujours en crise, bouleversent les conventions
sociales pour assouvir leur passion (Maman Colibri, 1904, La marche
nuptiale, 1905, La Vierge folle, 1910) ; malgré une alliance,
parfois émouvante, du lyrisme et de l’observation psychologique, le manque
d’épaisseur de ses personnages n’a pu assurer la survie de son théâtre.
·
Le
théâtre d’idées : certains tentent de donner, sous une forme
dramatique, une image des grands problèmes du temps. François de Curel (1854
– 1929) est le représentant principal de cette tendance. Révélé par
Antoine, cet auteur a une conception élevée du théâtre et de son but. Ses pièces
posent toutes des problèmes contemporains : relations entre patrons et
ouvriers (Le repas du lion, 1897), l’attitude du savant en face de la
science : La nouvelle Idole, 1899). Paul Hervieu (1875 – 1915),
lui, part en guerre contre le joug du mariage (les Tenailles, 1895),
l’asservissement de la femme (La loi de l’homme, 1897),
l’ingratitude des enfants (la course du flambeau, 1901). Quant à Eugène
Brieux, il dénonce l’ambition des magistrats (la robe rouge, 1900) ou
les méfaits de l’instruction chez les humbles (Blanchette, 1892)
·
La
farce : ce genre difficile est illustré par Georges Courteline (1861 –
1929) : il dénonce avec un sens aigu de l’observation, les tracasseries
administratives (Messieurs les ronds-de-cuir, roman, 1893), la justice (un
client sérieux, 1897, le gendarme est sans pitié, 1899), l’armée,
les Gaietés de l’escadron, 1895. Epique, Alfred Jarry (1873 – 1907)
a donné, sur le mode «hénaurme», une œuvre pleine d’extravagances et de
calembours qui annoncent notre société post-modern, avec Ubu-roi, 1896,
satire féroce de toutes les formes de l’autorité politique et sociale.
·
A
ce tournant du siècle, n’oublions pas Paul Claudel (1868 – 1955) avec Tête
d’or (1889), la Ville (1890), l’Echange (1893), le
Repos du septième jour (1896), pièces dédiées à la Foi où
s’expriment le désespoir de ceux qui n’ont pas la grâce et la sérénité
de ceux qui croient en Dieu. Il s’orientera ensuite vers un théâtre plus
personnel : L’annonce faite à Marie est empreint de mysticisme médiéval
en 1912, le partage de Midi en 1906 – mais joué seulement en 1948,
pose le problème du couple humain…
Et
c’est dans cet ensemble que Cyrano…