Les
rois qui meurent tour à tour renaissent au cœur des poètes.
Dans
ce miroir je suis enclos vivant et vrai comme on imagine les anges et non comme
sont les reflets.
Etude
méthodique autour d’une seule idée : Ces calligrammes sont un reflet…
vivant du poète, (puisque pour lui, les reflets sont morts).
Le
titre : L’absence d’articles du titre renvoie déjà au nom propre qui
se dégage du miroir ; l’homophonie à l’initiale des deux premiers
mots, l’abondance de la liquide [r], ces redites en fait, participent à cette
incarnation de l’Identité du poète. Le rythme n’est pas de reste :
première mesure : 1 syllabe, deuxième mesure : 2, troisième :
3, avec l’ouverture de la diphtongue finale, comme un cri de victoire :
la quête du moi a été accomplie. Ici, le pseudonyme devient, par la
transmutation poétique, la véritable identité : son pseudonyme littéraire :
Guillaume Apollinaire se dégage comme une vérité absolue (donc détachée)
quasiment au centre de la page, alors que son vrai nom est : Guillaume
Apollinaris de Kostrowitzky. Comment se fait cette transmutation, qui est une
sorte de renaissance ? Par des approches successives : d’abord l’évocation
– au sens aussi de donner voix à, la parole à - des cœurs :
Celui
de l’amour, désespéré (comme souvent chez Apollinaire qui y a trouvé une
des sources les plus fécondes de son inspiration !)
Le
cœur à l’ouvrage : la poésie
Puis
l’âme, puisqu’il se voit lui-même vivant en ce miroir
Le
cœur d’abord. Un cœur d’une précision anatomique, puisque les deux
ventricules n’ont pas une taille identique et que l’on croit voir l’aorte.
Les deux lettres dont la taille de caractère est plus grande frappent comme un
battement, et permettent aussi l’initialisation d’une lecture très pénible
à cause de la découpe lettre par lettre, sans espacement dû au blanc des
mots. Cette expression familière déconcerte mais annonce la souffrance. La
comparative tombe, avec une précision clinique mais l’aspect du texte,
en le décryptant, est tel que la compréhension elle-même est renversée,
comme se retourne ici l’image du cœur enflammé d’amour, une image éculée
de la poésie amoureuse, mais qui a eu ses heures de gloire
avec les troubadours, puis la Pléiade. Notons que «renversée» tombe
aussi très bien, graphiquement. C’est donc à un mal-aimé que nous avons
affaire. Ce cœur présente même l’aspect visuel d’une
flamme renversée et les liquides ne vont sans évoquer la tristesse. :
la flamme brûle encore, alors
qu’elle devrait être étouffée : la souffrance est plus forte,
Apollinaire a été brûlé par ses passions, et il en souffre encore
personnellement : «Mon»
La
couronne, sommée quelle est d’une pierre précieuse, nous entraîne aussi
dans ses arcanes : le sens de la lecture est d’abord vertical, en avançant
horizontalement ensuite de syllabe en syllabe, une 3ème ligne
horizontale permet d’arriver à un vers qui n’a de non canonique que la
dernière lettre en majuscule. Il est patent que c’est le texte lui-même, le
travail du poète sous nos yeux, qui permet à ces rois évoqués de survivre :
c’est ce que constate le texte, dans un présent qui nous concerne :
Renaissent. Avec un cœur qui renvoie au premier calligramme. La symétrie de
l’aspect de cette couronne met en valeur un QUIA central qui signifie :
parce que en latin. Mais cette énigme se perd dans du lettrisme : LRUMR.
Nous en conservons simplement une impression de murmure. Même une fois décrypté,
le sens résiste : les rois certes meurent tour à tour, mais le corps
glorieux du roi traverse les siècles : cf. le roi est mort, vive le roi !
Donc ils renaissent aussi tour à tour- Apollinaire augmente la crédibilité de
son assertion en utilisant une formulation archaïque. De plus, «tour» de
chaque côté du vers transforme sous nos yeux, en un processus direct, une création
visuelle immédiate, la couronne en forteresse. Le travail du poète est sans
relâche : le RE impliquant la réitération, le retour, comme l’indique
le vers : chaque roi avait droit derechef (sic !) à son poète de cour…
Pourquoi le cœur des poètes ? Non pas par amour, mais parce que ce cœur
est le siège de l’inspiration, et c’est ce qui explique que leur poésie
transcende les siècles (Virgile a chanté l’empereur Auguste, Ronsard, la
dynastie royale avec la Franciade, Hugo n’a pas été de reste dans la Légende
des Siècles… Et le grand Shakespeare ? Goethe ?Sans chercher aussi
loin, Rois est aussi une métaphore pour monter que les plus puissants – donc
aussi les plus petits – ne restent dans la mémoire commune – donc ne vivent
après leur mort – que grâce aux poésies… cf. le sonnet de Ronsard :
quand vous serez vieille… le poète crée de l’immortalité : celle de
ceux/celles dont ils parlent. Et en même temps la sienne. Aussi arrivons-nous,
suivant une démarche psychique très finement observée par G. A., au miroir.
Il fonctionne comme une sorte de tombeau du poète, mais ici le poète est
vivant : ce ne sont pas lettres mortes qui s’inscrivent dans le cadre :
il n’y a pas de contradiction entre : «enclos», car les signes «délimitent»
et« vivant» : les signes libèrent, leur propre est de nous parler, l’émetteur
est donc vivant, puisque nous, récepteurs, le sommes !. Avec le subtil :
dans ce miroir : l’expression crée la réalité en même temps qu’elle
l’évoque : n’est-ce pas là ce qu’a fait Dieu dans la Bible en
disant : que la Lumière soit ? Le fait de la nommer la crée, le fait
de nommer le miroir le crée sous nos yeux… Notons la haute affirmation de
l’existence, puisque la découpe syllabique sans blanc de mot permet
l’affirmation d’un JE SUIS. Notre interprétation hésite ensuite : EN ;
le terme CLOS semble mortifère, ce que dénie totalement le : VIVANT
conforté par la reprise dans VRAI de la fricative. Ce texte dit la vérité !
Et les majuscules imposent leur masse, ce qui permet, par contraste à «uillaume
pollinaire» de vivre, par-delà ses initiales réductrices…Le ON nous fait
participer à cette permanence du poète – un désir d’Apollinaire
explicable psychanalytiquement, vu le comportement débridé de sa mère. La
comparative a du mal à s’extraire, vu la graphie. Mais vu l’effort fait
pour décrypter, on adhère à l’existence de ces anges dans notre imaginaire
– même si l’on n’y croit pas : l’effet mental provoque leur évocation !
Si bien que le reflet dans le miroir en devient banal, ce d’autant plus que ce
RE de reprise a déjà été rencontré. Paradoxalement donc, le reflet
(multiplié : pluriel) matériel (sont) est moins convaincant que ce que
l’on imagine : G. A. a bien ici une essence/nature qui touche au
spirituel. D’où l’importance du nom…
Donc,
ces calligrammes se veulent d’une adéquation totale entre le fond et la
forme, entre le «signifiant-texte» ici (et non plus son) et -signifié-sens» :
ici la réalité de l’image est ainsi réalisée : Apollinaire revit
quand nous le lisons, avec le même effet que la lecture des épitaphes à l’époque
romaine…