Introduction
A résumer le cas échéant: Le texte que nous allons
lire est un extrait d’un conte philosophique de Voltaire, né en 1694; ce
texte, en tant que conte, a bien sûr une portée générale, mais s’inscrit
aussi dans son temps... Nous allons étudier un passage traitant de
l’inquisition.
Certes, en 1751, les autodafés sont interdits au
Portugal, mais en 1755, un séisme détruit entièrement Lisbonne. Voltaire
[anagramme de AROU(v)ET L(e) J(eune)] écrit le Poème sur le désastre de
Lisbonne. Il y est pessimiste et pense que les hommes, intelligents
normalement, deviennent des bêtes quand ils donnent libre cours à leurs
instincts indignes sous l’influence de l’infâme, allégorie multiforme qui
représente tout ce qui opprime et qui aliène, écrase l’homme au XVIIIème:
l’esclavage, l’inquisition, le despotisme, la prostitution et les couvents,
cf. la signature de Voltaire: écral’inf pour «écrasons l’infâme». Mais
l’aspiration à un monde meilleur reste:
«Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion.»
Donc, «il faut cultiver notre jardin», comme V.
conclut, par la bouche de son héros éponyme, le trentième chapitre de Candide;
il importe donc de se méfier des hommes et de se taire dans l’ignorance
des desseins de Dieu (à l’opposé du précepteur de Candide, Pangloss=toute
langue).
Bel exemple d’inconséquence humaine, un autodafé a
malheureusement lieu à Lisbonne en 1756, et c’est cette cérémonie qu’évoque
V. quand il rédige Candide en 1758, pour le faire éditer en 1759, un an
avant son installation définitive dans son château de Ferney, pour éviter
tout problème avec les censeurs royaux.
Dans ce conte philosophique (=genre littéraire bien précis!),
Candide a été chassé du château de Tunder-ten-tronckh, par son oncle, le
Baron, pour avoir embrassé derrière un paravent sa cousine, la belle Cunégonde.
Une guerre entre Abares et Bulgares dévaste ce paradis sur terre. Engagé par
erreur, Candide déserte; «SDF» rejeté par un Pasteur, il est recueilli par
un anabaptiste Jacques (dans cette secte chrétienne, l’adulte reçoit une
deuxième fois le baptême); Candide retrouve son précepteur Pangloss,
syphilitique. En naviguant d’Amsterdam vers Lisbonne, le bateau de Jacques
sombre et ce dernier meurt, noyé par un marin qu’il venait de sauver. Nos
deux héros se sauvent à la nage et nous les retrouvons à terre, après le
tremblement de terre qui a ravagé cette ville...
lecture du premier texte
Pris que nous sommes par le charme du conteur, nous
procéderons à une lecture méthodique linéaire fondée sur un seul centre
d’intérêt: la dénonciation du système inquisitorial
[pour les fanatiques de la lecture thématique, je leur
propose deux approches complémentaires, deux éclairages qui donneront au texte
son relief, deux aspects du texte qui nous permettront d’en mieux apprécier
la saveur, la teneur, la verve (malaxez-ça au choix!)
1) un épisode enlevé, écrit avec brio,
2) mais ceci ne doit pas nous faire oublier la
condamnation virulente de l’inquisition par Voltaire]
fin de V - VI
1§: malgré la catastrophe, il faut subvenir aux
besoins du corps (cf. réalisme de Voltaire), même si tout est bouleversé:
« des décombres » dont l'imprécision avec le déterminant indéfini
accentue l'ampleur du désastre; tout est détruit, et l’homme devient une bête
en quête de nourriture: « se glissant », en contraste avec l'élégant
et inattendu en de telles circonstances: « provisions de bouche ».
Ce n’est certes pas l'abondance: « quelques, un peu ». Tirés
d’affaires en une courte phrase, nos héros peuvent « ensuite »
aider autrui, ce qui est faire preuve d’un altruisme raisonnable et d’un
sens de la solidarité humaine (malgré leur intérêt quasi-névrotique pour la
philosophie): « comme les autres ». Il s’agit d'aménager la réalité
horrible: « soulager »; il y a quelques survivants, la périphrase
rappelle l’impact de la catastrophe: « les habitant échappés à la
mort ». Une chaîne de solidarité (évoquée par les homéotéleutes:
« réparèrent, travaillèrent, donnèrent ») s’établit, dans une
aide réciproque: « secourus par eux ». Remarquons le terme « citoyens »,
terminologie polémique dans une société monarchique, donc des personnes
libres et responsables qui ont besoin d’un simple coup de pouce pour se rétablir:
« donner un dîner ». L’hospitalité reprend ses droits, mais
modestement, avec l’impuissance soulignée par: « qu’on le pouvait ».
Reprise ensuite du leitmotiv, du Scandale: « un tel désastre » où
le déterminant nous renvoie sans fard au réel. « Il est vrai »
permet le passage au présent de l’énonciation, après les passés simples
descriptifs, [historiques, objectifs, présentant l’action ponctuellement, en
elle-même, dépourvue de toute durée personnelle, vitale]. « Le repas était
triste », car sa durée est cruelle, les cœurs ne sont pas réjouis, loin
de là, par la satisfaction des besoins physiologiques: « arrosaient ».
Ce repas n’est pas marque d’indifférence (au rebours des « rafraîchissements
aux dames » du chap. VIII), puisque le vin se transforme de façon
touchante en « larmes ». L'adversatif subjectif «Mais» souligne
que notre beau-haut parleur scandaleux est toujours là, comme un moulin à
raisonnements: imperturbable, impitoyable, fanatique, inhumain même dans ses
consolations: quand il aurait raison, la simple pitié, la pudeur humaine
devraient le faire taire. Rappelons que ce n’est pas un cri du cœur qui le
fera taire, mais l’inquisition, encore plus inhumaine, via la…
strangulation. Pangloss est simplement victime de son propre système, il
cherche à l'imposer aux autres par la persuasion intellectuelle, et non par
l'oppression physique, à l’inverse du système inquisitorial. Pangloss détruit
même l’espérance: « les choses ne peuvent être autrement ». Il
faut donc les accepter passivement, voire avec joie, cf. « consola »
[Admirons l’ironie voltairienne, l’ironie étant de présenter les choses
comme elles devraient être, l’humour étant de les présenter comme elles
sont, en faisant semblant de trouver cela normal. D'où le flegme anglais]. Le
raisonnement commence, avec des «car» en syndèse accumulée, voire ressassée,
en quasi ânonnement, conjonctions de coordination qui sont censées contraindre
la réflexion de l’auditoire. Série de raisonnements à inclusion, présupposant
une Providence positive, fondée sur un préjugé: « tout est bien »
(donc, tout est dit? Notons que Voltaire fausse comme à son habitude la
position de son adversaire ; à réduire au plus juste, à l’emporte-pièce,
la position de Leibniz dans sa Théodicée,
« le Tout est bien »). Mais ces présupposés, amenés au jour par
les: « car », vont se heurter aux conséquences qu’en tire
l’inquisiteur quant à la Foi. Relevons au passage le scandaleux et aveugle:
« tout ceci », avec les présents proverbiaux, indiscutables, assénés:
« est, il y a ». Les truismes: « il ne pouvait être ailleurs »
avec toute l’apparence du rationalisme objectif, mais en fait, une platitude
ridicule, vu l’explication qui arrive, niaise, ce qui est fâcheux puisque
c’est l’aboutissement d’une remontée dans les causes. On attend en fait
la fin: « car elles sont là ». Non, il se fonde sur la conception
d’un monde organisé par une Intelligence Bienveillante: «tout est bien».
Intervient un cafard de sacristie: « petit, noir »,
qui tout de l’espion: « à côté de lui », avec son titre
technique exact: « familier », c'est-à-dire un membre du bras séculier
de l’inquisition, donc chargé des basses-œuvres, la coercition physique, la
contrainte par corps. On sent la menace insidieuse dans la question posée de façon
anodine: « Apparemment », avec la lourdeur de la construction, et la
politesse (« poliment ») mielleuse du serpent qui veut endormir sa
proie: « monsieur ». La politesse de Pangloss repose, elle, sur le
respect intellectuel qu’a tout raisonneur froid pour un interrupteur, qui est
un potentiel disciple! Notre inquisiteur, sous le « Apparemment »,
émet en fait une affirmation, comme l’indique la lourdeur de ses
constructions. Il en tire la conséquence ultime: l’hérésie (donc le bûcher),
et le prouve par un raisonnement indiscutable, qui se veut imparable: « car,
si, donc, ni, ni ». Notons sa démarche vicieuse avec le passage de
« bien » à « mieux » dans sa bouche, en digne épigone
de… Voltaire ! On passe alors d’un optimisme concernant le monde et son
organisation matérielle (vision de Leibniz) à un optimisme irénique (=paix
totale) hérétique. Tout ceci parce que le familier, comme tout censeur impénitent
et dogmatique, n’a retenu que la fin du raisonnement.
Pangloss ne cherche pas la polémique, non par crainte,
mais parce qu’il faut procéder délicatement sur ces impondérables (cf. le
Jansénisme et l’Augustinisme, Grâce
nécessaire et Grâce suffisante, Grâce de Dieu et liberté de l’homme, le
sujet polémique des Provinciales de
Pascal, le concepteur du calcul des probabilités, comme Leibniz l’est du
calcul infinitésimal, alors que Voltaire n’est que le vulgarisateur de Newton
avec Mme Du Châtelet dans ses Eléments
de la philosophie (sic !) de Newton en 1737). En fait, Pangloss adhère
profondément à la révélation chrétienne (même si d’aucuns, sauf Saint
François d’Assise, considèrent qu’un certain pessimisme marque le
christianisme), mais ne traite tout
de même pas l’inquisiteur en frère en Jésus-Christ: « humblement,
excellence ». De fait, c’est aussi la politesse hypocrite de l’époque
qui régit les rapports sociaux. On a une impression de jeu de marionnettes;
« encore plus poliment », comme dans une logomachie où les
adversaires se livrent un assaut à fleurets mouchetés. Les termes: « chute
de l’homme, malédiction » montrent bien que les croyances de Pangloss
sont conformes à l’orthodoxie catholique la plus pointilleuse. Notre cafard
de sacristie tire un seul mot de sa profession de Foi: « nécessairement »,
qui équivaut pour lui à « absence de liberté ». Dans ce cas,
l’homme n’est pas coupable, car irresponsable? Quelle hérésie! L’assaut
de politesse est donc trompeur: le familier visait l’aveu public, pour rendre
impossible la rétractation. Prisonnier de sa dialectique, Pangloss, tout
affriandé par le débat, ne voit pas le danger et fait assaut de politesse,
pour poser son paradoxe. Bafouille-t-il? « Nécessité, nécessaire ».
On s’y perd... Heureusement pour
nous, Voltaire abrège ce pensum, qui est une égratignure de sa part à l’égard
de la langue de bois des théologiens et de leurs querelles byzantines. La métaphysique
devient de la pataphysique avant la lettre. L’expression: « car enfin »
est splendide et laisse pantois tout lecteur. Pangloss, dans cette conversation
urbaine, montre toute sa candeur vis-à-vis du langage, au rebours de Montaigne
pour lequel « toute confrontation est verbale », Essais, III. Le bon ton de Voltaire, sa précision gourmande du
terme exact se retrouvent ensuite: « Porto ou Oporto » (le familier,
au milieu du malheur, sait bien vivre). Le terme « estafier » est très
péjoratif, c’est un sbire, un spadassin.
Le titre du chapitre procède de l’oxymore : « bel
auto-da-fé » puis de la rupture de ton, car le rapprochement, la
concomitance est incongrue: « fessé » qui renvoie par ailleurs aux
« indignités » que pouvaient subir certains ecclésiastiques quand
ils avaient péché : on les « fustigeait » ! Le premier
paragraphe débute donc par une digression apparente après le résumé du
chapitre cinquième ; elle rappelle immédiatement le lecteur à son inquiétude
initiale: « auto-da-fé » (qui sent bon son Portugal à lire le TLF :
le terme espagnol est « auto de fe » -aussi en portugais
actuellement, semble-t-il, d’après
Reverso, ce qui n’éclaire pas notre lanterne - alors que la légende noire de
l’inquisition concerne plutôt l’Espagne). Sa présentation (sic !) par
Voltaire se veut indifférente, d’une grande froideur – malgré le feu
purificateur ! - supposée objective, comme tout le reste du chapitre
d’ailleurs, pour mieux éveiller notre indignation face à tant
d’obscurantisme, et d’hypocrisie sociale: il faut sans doute des boucs émissaires
à la foule qui, sinon, s’en prendrait à ses maîtres. Le bilan est
technique: « les trois-quarts ». On s’attend alors à des mesures
efficaces pour soulager la population éprouvée: « les sages ». Que
faire pour sauver le dernier quart? L’impuissance des humains face aux
catastrophes naturelles est soulignée: « prévenir une ruine totale ».
L’auto-da-fé est là: « bel, spectacle » (voir est donc un défouloir :
« donner au peuple » - comme on donne aux fauves ?). La décision
est automatique, inhumaine, comme le marque: « était décidé », au
lieu du: « fut » attendu, comme une vérité générale, et non de
circonstance. Voltaire fait ici une erreur historique volontaire. Il est
coutumier du fait, on l’a déjà constaté à plusieurs reprises, cf. son
erreur d’une décimale dans ses calculs au début de Micromégas:
l’autodafé ne fut pas si rapproché. L’apparat est souligné: « grande
cérémonie » avec l’humour noir de la proximité de son antonyme direct
« petit feu ». Il s’agit au reste de broutilles: quelques
personnes, peu importe le nombre. Ces personnes - ce qui est éminemment
scandaleux - sont transformées en moyen ; méditons la cruauté du:
« à petit feu », comme une recette de cuisine.
Tout ceci se termine sur une aberration: « empêcher la terre de
trembler », avec l’adjectif polémique « infaillible » théologiquement
connoté. Au reste, l’inquisition avait une pratique obsessionnelle du
« secret » : chez Voltaire, la précision du vocabulaire
n’est jamais gratuite, et fait écho dénonciateur !
L’impassibilité apparente de Voltaire est ici très sarcastique.
Le: « En conséquence » initial dénonce de
façon virulent l’inconséquence. Biscaye se trouve en pays basque, pas de
chance pour ce voyageur, cet homme qui a eu tort, comme parrain, d'épouser la
marraine de son filleul. Les Portugais semblent être des convers (=convertis,
bien souvent sous la menace, juifs ou musulmans ? Dans ces deux cas, de
toute façon, ils continuent à pratiquer sous le manteau leur religion qui leur
interdit la consommation du porc, ce qui n’est pas le cas pour un chrétien) ;
Ici, ils sont très certainement relaps : ils ont dû plusieurs fois ainsi
« parer » leur poulet, tout en assistant à la messe ; de toute
façon, convertis une fois, ils ne peuvent revenir à la Foi sans le payer de
leur corps. Voltaire, réducteur, en reste à l’anecdote de l’interdit
alimentaire, comme un fait brut, sans explication, sans vouloir montrer son
symbolisme et ce qu’il implique. Certes, c’est évident pour tous les
lecteurs de son temps. Justement, Voltaire ne répugne pas à l’évidence. Il
entend en fait ainsi rendre plus flagrant l’abus du pouvoir spirituel qui
s'immisce dans la liberté personnelle de chacun. Le bras séculier s’occupe
de nos deux victimes potentielles, Pangloss et Candide, avec l’acte
d’accusation, quasi-ubuesque. Notons l’adynaton (=impossibilité): « tous
deux, séparément » [une anecdote personnelle : à une entrée de
frontière en Afrique après un coup d’Etat, tous les passagers du car-brousse
ont été contrôlés « individuellement et collectivement » par une
barbouze armée qui dissuadait d’en rire, avec sa mitraillette baladeuse];
admirons l’euphémisme des « appartements très frais »= les geôles
d’une prison, un cul de basse-fosse. Voltaire se cite ici lui-même : il
avait déjà fait cette plaisanterie dans son poème La
Bastille… Pas de procès, apparemment - ce qui est historiquement faux -,
tout va très vite : « huit jours après », ce qui dénonce
l’abus de pouvoir. On leur passe un déguisement d’apparence burlesque, mais
le « on orna », au-delà du cérémonial et de l’esthétique,
cache la mort. La décoration est d’une platitude grotesque: on attendrait
d'ailleurs sans queue ni tête. Candide a droit à des sortes de diablotins
anodins. Certes, ceci est repris pour Pangloss, mais le tout en chiasme avec
inversion des images (« renversées/droites »), car les peines sont
différentes ! Ces détails précis augmentent la crédibilité de la mise
en scène des condamnés et souligne le soin avec lequel ceci est pensé, réalisé,
maîtrisé. Mais on ne sache pas que le san-benito (terminologie exacte, comme
la mitre) était ainsi illustré. La procession s’apparente à celle des pénitents
(ridiculisée par des arrière-pensées de carnaval !), avec l’adjectif
« pathétique »= qui touche le cœur souligné par l’intensif
« très », du moins pour l’assistance, et non les participants qui
le subissent à leur corps défendant, mais sans que cela soit rappelé par
Voltaire, ce qui est de la plus grande habilité : les victimes semblent
consentantes, intégrées, alors que ce ne peut être le cas. Le « faux-bourdon »
est une manière de chanter, avec une prononciation syllabique accentuée et des
accords homorythmiques. Les fesses de Candide se transforment sous nos yeux en
tambour (et en regret de ne pas les avoir vues plus
tôt pour Cunégonde). Les autres condamnés sont rapidement éliminés,
avec l’impassibilité du conteur, une fausse indifférence: il s’agit d’un
sinistre assassinat légal: manger, donc « brûlés »; Pangloss?
donc « pendu » (cela lui coupera le souffle, le flux verbal!).
Le « quoique » fait intervenir l’énonciation et accentue la crédibilité
- paradoxalement - à accorder au texte: le narrateur ne cherche pas à éclaircir
ce qui lui échappe, il n’est pas omniscient. De toute façon, Pangloss ne
peut disparaître brûlé ici, car il doit réapparaître - et non ressusciter
car seul l’épisode de l’Eldorado est merveilleux - à la fin du conte
philosophique. Voltaire termine sur
un ultime sarcasme, en une nouvelle de type journalistique, avec le sadique:
« épouvantable »!
Notre philosophe en herbe, lui, réagit fort peu
philosophiquement; Voltaire s’amuse: 4/3/3/3/3, avec une anaphore, les
nasales, le jeu des voyelles qui incarnent, sinon l’agonie, du moins une
grande souffrance : pAlpItANT. Il monologue en son for intérieur et
accumule les preuves concrètes contre l’optimisme leibnizien, après une réflexion
générale par analogie: « les autres »? Sont-ce les mondes
impossibles? Tout ceci est bien creux. Il évacue son propre sort peu glorieux,
bien que ce soit le premier contre-exemple qui lui vienne à l’esprit,
« chez les Bulgares » (les bougres étant l’appellation des
homosexuels à l’époque !). Le ton se veut tragique, il n’est
qu’amphigourique et grandiloquent, avec une apostrophe au mort et une
hyperbole outrée : « le plus grand des philosophes »! Est-ce
son oraison funèbre? Des louanges post mortem... Remarquons que le plus
scandaleux n’est pas la mort, mais l’absence d’explication, « sans
que je sache pourquoi ». C’est vrai, l’ignorance est la pire des
choses. Candide se montre beaucoup plus humain et attristé par la mort de
l’anabaptiste (mais lui est réellement mort, de fait). « La perle des
filles » fait partie du jargon amoureux et elle mérite bien son prénom
emblématique de Cunégonde, vu ses expériences énoncées plus loin. Elle a eu
le ventre fendu mais pour deux raisons. Le texte est très heurté, pour
souligner le trouble - compréhensible - du héros.
Il cahote en revenant de l’autodafé: rythme 5/4/3 (à
peine), 2/2/2/3 avec le « béni » inattendu, annoncé par le déconcertant
« prêché » au passif : on prêche le jeûne à qqn, par ex.
Tout décor est absent; c’est qu’il quitte une scène pour une autre: celle
libertine, l’entrevue avec une maîtresse tout autant attentive à l’éclat
d’une paire de fesses qu’abêtie par le partage de son corps. Notons le
classique de la littérature libertine du XVIIIème: l'entremetteuse
qui aborde le béjaune éberlué. Voire plus, si affinités, puisqu’il
s’agit de prendre « courage » suite à une proposition… décente ?
Ainsi, dans ce passage, sous un récit apparemment
objectif, Voltaire a dénoncé avec efficacité tout ce que l’inquisition a de
scandaleux: la recherche du délit d’opinion, les décisions arbitraires, la bêtise,
même pas de ses responsables puisqu’ils
n’apparaissent pas en tant que tels, la cruauté de ses châtiments, sa
gratuité alliée à une efficacité mortifère, voilà qui rend le tout
consternant. Au surplus, son inadéquation avec la réalité est évidente.
Notre philosophe des Lumières parachèvera ce tableau en montrant que le grand
inquisiteur lui-même n’est pas dupe et se sert de ce système pour ses
jouissances personnelles. Voltaire préfigurera alors le jugement de Sade sur
les instances religieuses de son époque...
(entre le chapitre VI et VIII, la vieille remet sur
pied le jeune fouetté, qui, en visite amoureuse chez Cunégonde, apprend le
massacre du reste de sa famille; le chapitre VIII commence par les différents
viols plus ou moins consentis ou subis par sa bien-aimée, dévolue pour finir
au juif don Issacar)