LE CHAT, LA CINÉRAIRE ET L’ORDINATEUR

 

Querelle d'anciens

 

In memoriam mei antiqui

americanique ordinatoris

(Apocryphe)

 

Sur l'âtre éclata une bûche qui se consumait depuis le début de l'après-midi dans une douce quiétude. Après une trajectoire rougeoyante, une braise roula sur le carrelage terni par l'usure et atteignit le lino piqueté de points noirs. Une spirale d'un gris bleuté ondula vers les strates de cigarette errant au hasard des courants d'air qui traversaient par instants la pièce. Un demi-jour crépusculaire la baignait tandis que les nuages, derrière les barreaux de la fenêtre, attendaient pour semer leurs flocons.

Dans l'orbe lumineux d'une lampe dont le pied en fer forgé reposait sur un tabouret de cuisine, il n'avait pas sursauté : il pianotait sur son clavier à 60 touches qui tranchait, par la rigueur de ses lignes, sur les rondeurs lourdes de la table Henri II. La température ambiante convenait à la puce sise à l'intérieur de son clavier, mais ankylosait ses gestes, sous la chape de la couverture dont il s'était affublé. Les plis du tissu suivaient maladroitement le mouvement de ses mains aux doigts gourds, quand ils ne se prenaient pas dans l'embrouillamini de fils qui l'encerclaient. Les yeux rivés à l'écran dont la lueur verte diaprait sa barbe mal taillée, série par série, ligne par ligne, mot par mot, il replaçait dans son programme d'injures les accents exigés par chaque nouvel utilisateur. Lentement. Son ordinateur, fier de ses 16 Ko de mémoire vive, gérait sa frappe en sénateur. Lui-même procédait prudemment : chaque adjonction nécessitait un contrôle strict. Pourtant, malgré ses précautions, son intervention creusait parfois, dans la ligne concernée, un trou. Invisible. Mais à l'affichage, les lettres d'un terme fautif culbutaient dedans, et, disparues, laissaient leur place à d'autres qui restaient stables au-dessus du piège. Cet effet erratique ne l'amusait plus et accentuait sa répugnance à poursuivre son objectif. Et pour un bien piètre résultat : ne butait-il pas, lors de la lecture, à transformer en accents les étoiles dont certains mots français se trouvaient truffés ? Cet ersatz déconcertait tous les insultés. Même lui, à l'apparition sur l'écran de : D*ECAV*E E*BERLU*E.

Il s'arrêta, s'ébroua : il venait d'entendre le ronronnement d'un moteur. Le bruit se rapprocha, puis se tut. Le violent claquement d'une portière suivit. Aux criailleries d'une voix désagréable, il identifia, dans le couple qu'il devinait s'avançant, la mère de son hôte. Il désenroula d'un geste sa couverture et la lança dans le coin de la pièce où était monté le lit d'appoint. Fait, pour une fois. Il frémit. Allait-elle une nouvelle fois évoquer le départ de sa femme, avec une franchise consternante ? Malgré les yeux éteints et bovins de son mari qu'elle traînait toujours derrière elle ! Sous le joug. Complètement aplati. Désagrégé, désintégré par la personnalité explosive de sa grasse moitié.

Non, il exagérait. Sa déception personnelle ne devait pas entacher son jugement sur autrui. Ce brave bonhomme était assez matois pour s'être ménagé une position de repli : il la laissait galoper sur ses terres brûlées, abandonnées, et ressortait de sa cache comme un Scythe, dès qu'elle faisait montre de lassitude. Il compensait alors ses pertes antérieures. Une vengeance trop rare !

Elle bouscula la porte d'entrée, autant pour briser la résistance du bois sur le seuil de pierre que pour libérer un peu de son énergie. L'appel d'air bouscula les volutes de fumée, qui fluctuèrent en oscillant. Sans le saluer, elle se précipita à l'autre bout de la pièce et força, avec un ahan de bûcheron, l'imposte qui protesta, et dut céder. Il se tassa sur son siège : elle parlait… Guidée par sa logique personnelle. Ses centres d'intérêt mesquins. Son altruisme étriqué. A se gargariser du bon air de la campagne. De la qualité de son café qu'il aurait dû venir prendre, à la bonne franquette, comme chez lui. Sans oublier ses petits plats puisqu'un homme sans femme mange mal. Ce qui coûte cher et ruine la santé, alors que la Cocotte-Minute attend dans le vaisselier. Pour la soupe, inévitable par ce temps. Même si la météo s'améliore ! Il pourrait sortir, plutôt que de s'abîmer les yeux sous le lampadaire qu'elle s'est acheté pour ses vingt-huit ans de mariage. La lampe de chevet dans la chambre du haut. Mais il a retrouvé la rallonge égarée depuis trois mois ! L'efficacité de certains hommes, tout de même, sauf, comme d'habitude, pour le rangement.

Elle disparût dans la cuisine, en emportant la vaisselle qu'il avait laissée traîner sur la table. Son mari restait près de la sortie. Soudain, il souleva la porte, qui s'ouvrit sans bruit et disparut. Un bruit d'eau se fit entendre dans la souillarde. Il enclencha son magnétophone pour sauvegarder ses corrections, contrôla que l'étoile de gauche dans l'angle de son écran clignotait régulièrement. Elle redémarrait. Une visite apéritive ! Avec tous les charmes de la communication minimale. Et les loisirs d'une préretraitée. Dont les bonnes affaires chez le brocanteur sont gâchées par l'afflux des Parisiens. Sans compter la neige qui menace. Le chauffage qu'il faut pousser. Modérément ici : les vieilles maisons sont mal isolées, mais conservent leur chaleur pendant la nuit. Ce qui limite la note de gaz. Si l'on n'en abuse pas pendant la journée.

Elle réapparaît en même temps que son mari, elle, un torchon à la main, lui, une bûche sous le bras. Une bonne initiative. Qui emporte son adhésion enthousiaste, malgré l'oubli du petit bois pour relancer le foyer. Puisque le soufflet est crevé, il le sait bien. Elle doit tout faire ici. Elle replace la bûche sur le chenet, puis s'intéresse à l'amas de fils qui s'entortillent devant l'écran. Qui n'est pas fait pour eux, un engin comme ça. On en trouve partout maintenant, ils font un peu peur, avec le chômage des jeunes. Car il travaille pour ses élèves, bien sûr. Une réponse négative ne la désarçonne pas. Elle proteste même : la nécessité de corriger des erreurs lui paraît incompatible avec le bon fonctionnement d'un appareil. Son mari intervient :

« Tu devrais essayer, Maman…

- Plutôt toi. Tu apprendras quelque chose et ça nous changera de la télé.

-        -  Je ne sais si ce programme vous conviendra : il est pénible à supporter, même s'il peut parfois amuser.

-        -  Installe-toi donc : ça te fera travailler. »

Il quitte la chaise derrière laquelle il se retranche, s'assoit, vigilant, devant la machine. Tandis qu'un rapide cliquetis de touches se fait entendre, il souffle, lève une main hésitante :

« Il ne se passe rien…

-         -  L'ordinateur intègre les renseignements que je viens de lui donner pour les manipuler. »

Devant leurs yeux s'inscrit subitement :

 "EXERCICE D'IDENTIFICATION DES ZONARDS

 QUELS SONT TES NOM ET PR*ENOM, S.T.P. ?

« … ! Que faut-il faire ?

- Taper avec le clavier votre nom suivi de votre prénom, comme l'écran vous le demande. »

Pesamment, les lettres s'additionnent les unes derrière les autres.

« Où est le « é » ?

-         -  Il n'y en a pas : j'ai dû remplacer les accents par des étoiles. Regardez PR*ENOM. Pour les écrire, regardez, vous procédez ainsi : une étoile devant la voyelle représente un « é » accent aigu, un derrière, un « è » accent grave ; avec deux, l'ensemble équivaut à l'accent circonflexe. »

Il efface ses trois exemples en effleurant la touche du retour en arrière, sous le regard déconcerté de son patient. Puis lui laisse le clavier :

« A vous ! Oui, vous effleurez la touche SHIFT et l'étoile en même temps. Très bien. Maintenant, ménagez un blanc de mot avec la touche d'intervalle, ici. Quand votre nom sera complet, vous rentrerez l'information avec la touche ENTER. En fait, à chaque interrogation, vous donnez une réponse par le truchement de ce clavier et elle s'imprime directement sur l'écran, comme vous pouvez le constater. »

 SI TU CROIS QUE CELA M'INT*ERESSE, VIEILLE GANACHE !

 QUEL EST TON SEXE (M ou F) ?

     « … ?

-       -  Qui a écrit ça?

-       -  Mais c'est le programme ! Je vous avais prévenu. Comme le titre vous l'indique, c'est un programme d'injures.

-       -  Drôle d'idée, pour un enseignant. Et vous êtes de l'Enseignement catholique ? Vous devriez travailler plutôt pour vos élèves. Si vous passez vos journées à ça…

-       -  C'était un simple exercice d'entraînement au maniement de listes de vocabulaire et à la transformation de chaînes de caractères… La deuxième question vous attend !

-       -  Réponds M, voyons ! Tu seras toujours aussi lent. M comme mâle !

-       -  F comme femelle, alors.

-       -  Arrête de dire des bêtises, Papa. »

 VA TE FAIRE ENCULER, MACHO !

 QUEL A**GE AS-TU ?

« …

- Il est vraiment vulgaire. Et vous montrez ça à vos élèves ? L'école Catholique d'aujourd'hui…

- Pas exactement. Comme je viens de vous le dire, j'ai réalisé ce travail pour m'amuser. Mieux maîtriser mon matériel.

- Les savants sont un peu bizarres… Mais tu as eu 56 ans il y a un mois. J'avais fait du pâté en croûte.

 FOUS-TOI UN BALAI DANS LE CUL POUR TE SOUTENIR, RUINE EXPECTORANTE.

« Mais c'est vraiment vulgaire, tu ne trouves pas, Papa ?

-       -  Ecoutez, nous pourrions peut-être arrêter : la suite est un peu brutale…

-       -  Mais non ! Cela lui fera du bien : il est trop gentil avec les gens.

-       -… »

 P*ECHAUD ANDR*E N'EST QU'UN PSEUDONYME QUI NE TROMPE QUE TOI.

 FLATIDE ANDR*E P*ECHAUD, ANCE**TRE LUBRIQUE,

 VOICI TES VRAIS NOMS :

 *ENORMIT*E CAUCHEMARDESQUE

 GISCARDIEN BOUDINASSE

 OUISTITI FISTULEUX

 PESTE VISQUEUSE

            « …

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- L'ordinateur prend comme principe que le nom rentré n'est pas exact : il change l'identité déclarée en insulte.

- Et FLATIDE ?

- D'une mollesse répugnante, puante.

- Comme LUBRIQUE, alors !

- Cet adjectif signifie plutôt « intéressé par le sexe ».

- Il ne s'est pas trompé, votre appareil ! Ce mot veut donc dire « énormité » ? Comment ça, GISCARDIEN? Nous sommes pour Chirac !

-Si cela peut vous rassurer, le programme contient aussi CHIRAQUIEN, COMMUNISTE, MITTERANDISTE et même LEPENISTE : je suis large d'esprit.

-…

- Mais qu'est-ce que tu attends, comme un empoté ? Continue, voyons !

- Vous touchez la flèche orientée vers le haut, à cet endroit. »

OTARIE S*ENILE

RAMASSIS MANIAQUE

MIRLIFLORE VENIMEUX

INFAMIE ENCRASS*EE

« Et cela vous amuse. Vraiment, ces professeurs, quand j'y pense…

- Laisse faire les jeunes, Maman. »

 MOISISSURE H*ER*ETIQUE

 PUTOIS CONISSIME

 PIGEON ROUPIEUX

 GUEULE DE RAIE BRAILLARDE

            « Il n'est pas poli, votre ordinateur. »

Son doigt, tordu par un rhumatisme, appuie sèchement sur la flèche. Tout s'efface, remplacé par :

 GIRAFE NARCISSIQUE

 GROIN GRANGUIGNOLESQUE

 TR*EPAN*E DES BURETTES ADIPEUX

 D*EJECTION TEIGNEUSE

« Où est passé mon nom ?

 - L'écran se remet à zéro toutes les trois séries d'injures, pour faciliter la lecture. Sinon, le texte serait remonté sur l'écran, ce qui provoque une impression désagréable.

 - GIRAFE ? Tu n'es pas si grand avec ton cou que tu rentres toujours. Mais c'est d'un grossier… Et vous avez tout ça en tête ? Pour un enseignant…

- J'ai noté les insultes que je rencontrais dans la vie courante et j'ai acheté un dictionnaire spécialisé, les neuf mille insultes de la langue française.

- Et ça se trouve dans le commerce ?

- plus maintenant. Il est maintenant épuisé…

-  Vous êtes vraiment bizarre, pour vous être acheté ça. »

 P*ETAUDIERE IDOLA**TRE

 DIPLODOCUS FR*EN*ETIQUE

 COCU COMPLEX*E

 CUL DE JUMENT LIBIDINEUSE

« Comment ça, COCU ? Mais il m'insulte, ma parole. Je ne t'ai jamais trompé, Papa, tu le sais bien.

- Je sais, je sais, ma chérie, concède-t-il en s'affaissant légèrement.

-       -  Ah non, n'en profite pas ! Il n'est pas drôle, votre exercice. Et toi, tu ne dis rien : on te traite de COCU et Monsieur est content.

-       -  Mais ce n'est qu'un jeu, Maman.

-      -  Un jeu dégoûtant.

 PISSOIRE SORDIDE

 PORC CYCLOTHYMIQUE

 MAMMOUTH GOITREUX

 RACLURE DE BIDET MAL BAIS*EE

« Arrête donc d'appuyer ! Il est fou, il n'a pas le droit !

- Vous pouvez stopper le programme quand vous le désirez.

- C'est ça. Je vais m'en occuper, moi. On verra s'il ose m'insulter. Mais lève-toi donc ! » 

Son mari s'extirpe péniblement de son siège, pour faire place à sa « chérie », qui se jette sur la flèche.

CARICATURE INCOMMUTABLE

 GRINGALET TYRANNIQUE

 VAURIEN IMPRODUCTIF

 PIE*CE DE MUS*EE EMPA**T*EE

            « Ça ne marche pas, regardez : il me traite de VAURIEN et de GRINGALET.

- Le résultat était attendu : vous utilisez les renseignements rentrés par votre mari.

-        - Car vous avez préparé tout ça pour lui ?

-        - Bien sûr que non ! Ce programme ne tient pas compte de la personnalité de chacun. Une telle démarche m'aurait demandé trop de travail pour rentrer des données dont l'accès n'est pas toujours évident. Compte non tenu du fait que la collation ne serait pas fiable… Quoiqu'il en soit, mon appareil manque de mémoire pour ce faire.

-…?

-…!

- De toute façon, la production affichée aurait été trop blessante, et je ne veux surtout pas provoquer de drame ; Recommençons, si vous voulez être injuriée conformément à votre sexe.  »

Son mari s'éloigne pour s'emparer du tisonnier ; en se penchant vers l'âtre, il fait disparaître derrière son corps voûté de coiffeur sa calvitie prononcée. Un raclement couvre le cliquetis des touches.

« Mais viens donc voir ! Il me dit d'aller me FAIRE TITILLER PAR mes COPINES ? Il me traite aussi de SALOPE ?! Je vais me rajeunir, on verra bien. »

 VA TE FAIRE SUCER TES GLAIRES PAR TON TOUCHE-PIPI, GROTESQUE !

     «  Vous avez vraiment des idées bizarres ! », remarque-t-elle en attendant la suite d'un œil gourmand. Oui, allumé.

P*ECHAUD MARTHE N'EST QU'UN PSEUDONYME QUI NE TROMPE QUE TOI :

FLATIDE MARTHE P*ECHAUD, DEBRIS SOIXANTE-HUITARD,

VOICI TES VRAIS NOMS :

TRONCHE PATHOLOGIQUE

GUENILLE EUNUQUE

PARTOUZARDE GLOBULEUSE

CONVULSIONNAIRE RINGARDE

« Il a encore commis une erreur : pourquoi EUNUQUE ?

-        - C'est une faute de programmation que je dois éradiquer. Il serait d'ailleurs plus juste de parler de bogue. C'est le terme pertinent en informatique.

-       - Comme chez nous, alors, pour la bogue de la châtaigne ?

-       - Votre rapprochement étymologique est estimable, mais cela vient de l'anglais et signifie cafard, tout simplement parce qu'en 1945, le premier ordinateur construit par l'armée américaine, l'UNIVAC, commit une erreur de calcul suite à la chute sur l'une de ses lampes, d'un de ces parasites… Mais je vous ennuie…

-       - Mais non ! Grâce à vous, nous nous cultivons, n'est-ce pas, André ? Tu peux arrêter de tigonner le foyer : le feu repart… Et puis, EUNUQUE, c'est amusant, tu ne trouves pas, Papa ?

-       - Peut-être. CONVULSIONNAIRE, ce n'est pas très gentil par contre. Continue, pour voir. »

 CHANCISSURE SATANIQUE

 POUILLEUSE IMMONDE

 MOMIE DEJET*EE

 POUFFIASSE GELATINEUSE

            Son ventre déformé par quatre enfants mal programmés se recula :

            « Tu te rappelles, la fois que tu as laissé ce chauffard me traiter de pouffiasse ? Tu as même fini par t’excuser !

-      -  Tu n'y étais pas allée de main morte, aussi ! Ce soir, tu n'apprendras pas beaucoup d'injures nouvelles.

-      -  Dis tout de suite que je suis mal éduquée !

·      -  Je vous en prie : tout ceci est un simple jeu d'esprit, connaître ces mots n'implique pas que nous les utilisions quotidiennement.

·        -  Au moins, ça l'amuse. Mais regardez-le : il est heureux, je vous jure, de me voir insulter en public.»

Elle se lève avec une souplesse inattendue :

« D'ailleurs, je commence à en avoir assez : votre écran fait mal aux yeux avec sa couleur verte. Elle est trop vive. Et vos étoiles, ce n'est vraiment pas pratique.

- Essayons encore une fois, maman : ce n'est pas tous les jours que nous aurons un ordinateur ici.

- Je pense bien. Il y a plus urgent. N'oublie pas que nous devons acheter une machine à laver pendulaire pour laver tes pulls de laine.

GROSSE BARRIQUE PUTESCIBLE

VIEILLE PIE TYRANNIQUE

VESSIE P*ETEUSE

ARAIGNEE DISSOLUE

     «PUTESCIBLE ?

-  Vous êtes très douée pour déceler tous les problèmes, chère Madame… Il manque le R. J'ai voulu taper PUTRESCIBLE, qui peut pourrir.

-   Et ça te fait rire ? C'est VIEILLE PIE TYRANNIQUE ?

-   Mais non, voyons, Maman. ARAIGNEE DISSOLUE, c'est amusant, non ?

-   Tu penses à celle que tu as cachée dans le plafond ? », lance-t-elle à la cantonade, d'un air d'innocence. Aigrie.

Il s'assombrit, glisse sa main droite derrière son pull distendu, grommelle à part soi : «Elle se cache pour pas bouffer la vieille pie tyrannique… »

Sa moitié avale son murmure :

« Depuis qu'il est en retraite, il ne sait plus quoi faire : il se traîne partout… Un rien l'amuse ; rien n'intéresse Monsieur… »

Elle se rengorge, pitoyable :

« Pourtant, si ! Toujours à rôder près de mes petits plats. Ce n'est pas ce qui va nous faire maigrir, malgré le docteur. Quand j'y pense… Tiens, il est temps. Tu vas encore te plaindre parce que j'ai oublié l'heure du repas. »

Elle tend une main empressée :

« A demain, mon cher Monsieur. Merci de nous avoir montré tout ça. Nous n'avons pas tout compris, mais c'était bien intéressant. Mais ne perdez pas trop de temps à ça ! Prenez votre temps, profitez de la vie, sans vous compliquer. Sans vous enfermer dans la fumée. Vous devriez sortir, visiter notre belle région, tout n'est pas fermé… »

Son amabilité se tord sur une moue ingénue :

« Il y a certainement une brave petite femme quelque part pour vous - elle le serre avec sympathie - croyez-moi. »

Puis elle se dérobe, tire la porte d'entrée vers elle :

« Dépêche-toi, quel lambin ! Tu risques de manquer tes informations.» Elle n'est plus là...

 Dans le silence recrée, son mari s'avance, se dégage après une légère pression. Un court instant, sa figure soufflée par l'alcool reste dans l'entrebâillement. Emporté par le flux impératif de sa femme. Leur conversation percée d'éclats de voix se contracte sur un ronflement libérateur.

Un effleurement. S'étale :

 GARCE PATHOLOGIQUE

 CRAPAUDIE*RE TALMUDIQUE

 LARVE VICIEUSE

 SALOPE SIRUPEUSE

 Il heurta le bouton d'arrêt et s'abîma, debout, dans la contemplation du foyer. Palpitant du chatoiement des braises.

Sur un pétillement, il se retourna.

En allumant une énième cigarette, il s'assit devant son appareil, et lui redonna vie. Il brancha son imprimante qui cliqueta avec son bruit habituel, ouvrit le dossier vert qui traînait parmi ses cassettes. Lut la première feuille à voix haute et parut satisfait.

 Le curseur descendit au milieu de l'écran pour inscrire :

                                                                          LE CHAT, LA CINERAIRE ET L'ORDINATEUR.