Sacrifice aux divinités infernales,
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HIC
ACTIS PROPERE EXSEQUITUR PRAECEPTA
SIBYLLAE.
236
SPELUNCA ALTA FUIT VASTOQUE IMMANIS HIATU,
SCRUPEA, TUTA LACU NIGRO NEMORUMQUE TENEBRIS,
QUAM SUPER HAUD ULLAE POTERANT IMPUNE VOLANTES
TENDERE ITER PENNIS : TALIS SESE HALITUS ATRIS 240
FAUCIBUS
EFFUNDENS SUPERA AD CONVEXA FEREBAT :
UNDE LOCUM GRAI DIXERUNT NOMINE AORNON.
QUATTUOR
HIC PRIMUM NIGRANTIS TERGA JUVENCOS
CONSTITUIT FRONTIQUE INVERGIT VINA SACERDOS,
ET SUMMAS CARPENS MEDIA INTER CORNUA SAETAS 245
IGNIBUS IMPONIT SACRIS, LIBAMINA PRIMA,
VOCE VOCANS HECATEN CAELOQUE EREBOQUE POTENTEM.
SUPPONUNT ALII CULTROS TEPIDUMQUE CRUOREM
SUCCIPIUNT PATERIS. IPSE ATRI VELLERIS AGNAM
AENEAS MATRI EUMENIDUM MAGNAEQUE SORORI 250
ENSE
FERIT, STERILEMQUE TIBI, PROSERPINA, VACCAM .
TUM
STYGIO REGI NOCTURNAS INCOHAT ARAS
ET SOLIDA IMPONIT TAURORUM VISCERA FLAMMIS,
PINGUE SUPER OLEUM FUNDENS ARDENTIBUS EXTIS ;
ECCE AUTEM PRIMI SUB LIMINA SOLIS ET ORTUS 255
SUB ¨PEDIBUS MUGIRE SOLUM ET JUGA COEPTA MOVERI
SILVARUM, VISAEQUE CANES ULULARE PER UMBRAM
ADVENTANTE DEA.«PROCUL O, PROCUL ESTE, PROFANI»
CONCLAMAT VATES «TOTOQUE ABSISTITE LUCO ;
TUQUE INVADE VIAM VAGINAQUE ERIPE FERRUM : 260
NUNC ANIMIS OPUS, AENEA, NUNC PECTORE FIRMO.»
TANTUM EFATA FURENS ANTRO SE IMISIT APERTO ;
ILLE .DUCEM HAUD TIMIDIS VADENTEM PASSIBUS AEQUAT ;
Cela fait, il se hâta d’exécuter les recommandations de la Sibylle. Il y avait une caverne profonde qui s’ouvrait monstrueuse dans le rocher comme un vaste gouffre, défendue par un lac noir et par les ténèbres des bois. Aucun oiseau ne pouvait impunément traverser l’air au-dessus de cette sombre gorge, tant les émanations qui s’en dégageaient montaient vers la voûte du ciel. Aussi les Grecs ont-ils nommé ce lieu Aornos. La prêtresse y fait d’abord amener quatre jeunes taureaux au dos noir et verse sur leur front des libations de vin ; puis, entre leurs cornes, elle coupe le bout des poils et jette dans le feu sacré cette première offrande en appelant à haute voix Hécate qui règne au ciel et sur l’Erèbe. D’autres plongent le contenu dans le cou baissé des victimes et recueillent dans des patères le sang tiède. Enée frappe lui-même de son épée une brebis à la toison noire pour la mère des Euménides et sa puissante sœur, et pour toi, Proserpine, une vache stérile. Puis, dans l’ombre de la nuit, il dresse des autels au roi du Styx et livre à la flamme la chair entière des taureaux répandant une huile grasse sur les entrailles ardentes. Et voici qu’à la première apparition du soleil levant, la terre commença de mugir sous ses pieds, les cimes des forêts s’agitèrent, et l’ombre se remplit du hurlement des chiennes aux approches de la déesse : «loin d’ici ! Loin d’ici, profanes ! crie la Sibylle ; retirez-vous de tout le bois sacré. Et toi, en avant, l’épée hors du Sans en dire plus, d’un geste inspiré, elle s’est élancée dans la caverne béante ; et lui, sans peur, règle son pas sur le pas résolu de son guide. fourreau : c’est le moment, Enée, d’avoir du courage et un cœur ferme.
traduction par groupe de mots:
HIS ACTIS ces choses ayant été faites, abl. absolu, (donc, après la crémation de Misène) EXSEQUITUR (déponent au présent de narration) PROPERE il suit jusqu’au bout, donc il exécute en hâte PRAECAPTA SIBYLLAE les ordres (les choses prises en premier, les prescriptions) de la Sibylle cf. v. 153. FUIT (parfait: retour à la narration historique, témoignage objectif) Il y avait SPELUNCA ALTA une grotte profonde (Haut en fr. < ALTUM, le H < allemand Hoch! Cette seconde grotte s’enfonce dans le mur de rochers qui entoure le lac Averne), IMMANIS VASTO HIATU monstrueuse (par la taille et l’effet horrible) avec une large ouverture (abl de qualité cf. le hiatus, quand on passe d’un voyelle fermée à une voyelle ouverte), SCRUPEA rocailleuse, TUTA LACU NIGRO protégée (donc inaccessible aux visiteurs) par un lac noir TENEBRISQUE NEMORUM et par les ténèbres des bois, SUPER QUAM HAUD ULLAE VOLANTES (participe présent substantivé, au féminin à cause d’AVIS) au dessus de laquelle (antécédent=grotte) aucun volant (=oiseau, ULLUS=semi-négatif ici avec HAUD, négation lexicale) POTERANT PENNIS ne pouvait de ses ailes TENDERE ITER IMPUNE diriger sa course (mot-à-mot: chemin) impunément: TALIS HIALITUS une telle émanation SESE EFFUNDENS ATRIS FAUCIBUS se répandant hors des noires gorges SESE (=SE, en facteur commun pour les deux verbes) FEREBAT AD CONVEXA SUPERA s’élevait vers la concavité (neutre pluriel=adjectif substantivé) élevée (=voûte du ciel ici, il faut comprendre que les oiseaux sont... gazés par des exhalaisons méphitiques, comme le mentionne Varron, cf. la mort de Pline l’Ancien, lors de l’éruption du Vésuve à Pompéï, en 79!). Le vers suivant ressemble à une glose (=commentaire d’érudit, écrite en vers par un critique, puis intégrée plus tard dans la tradition du texte par un copiste; ce vers est d’ailleurs absent dans une partie des manuscrits). Perret en fait l’athétèse (cf. Larousse en 10 volumes) dans sa traduction. UNDE GRAI DIXERUNT LOCUM AORNON (acc. grec) NOMINE d’où les grecs appelèrent le lieu AORNOS (sans oiseaux) par le nom (abl de qualité) QUATTUOR/ HIC PRI/MUM NI/GRANTES/ TERGA IU/VENCOS (dont les 4 spondées donnent tout sa solennité au sacrifice) HIC SACERDOS PRIMUM ici la prêtresse d’abord CONSTITUIT (présent de narration) QUATTUOR JUVENCOS fait (cf. CAESAR PONTEM FECIT, César (fit) faire un pont!) placer (car les victimes doivent être volontaires ou du moins ne pas résister pour que le sacrifice soit accepté par les dieux!) quatre (chiffre de mauvais augure, normal pour un sacrifice aux Dieux Chthoniens) taureaux NIGRANTES TERGA étant noirs quant au dos (acc. de relation de type grec!) QUE INVERGIT FRONTI (datif poétique, complément d’un verbe composé) VINA (pluriel collectif) et verse sur leur front du vin (INVEGERE: terme technique propre au sacrifice aux Dieux infernaux: la main droite incline la coupe vers la gauche (SINISTRA!); FUNDERE réservé aux Dieux d’en-haut implique que le mouvement a lieu vers la droite).
v. 245 ET CARPENS SUMMAS SAETAS INTER MEDIA CORNUA et coupant l’extrémité des poils entre le milieu des cornes (cf. SUMMA ARBOR= le sommet de l’arbre!) IMPONIT (sans cod, en facteur commun à CARPENS et IMPONIT) IGNIBUS SACRIS elle les dépose dans les feux sacrés PRIMA LIBAMINA (cf. LIMEN LIMINIS n) comme premières offrandes (apposition à SAETAS) VOCANS VOCE (allitération et répétition poétique) appelant à haute voix HECATEN (acc. grec) POTENTEM CAELOQUE EREBOQUE (avec syndèse) Hécate puissante dans le Ciel (dans ce cas, c’est Artémis en Grec, Diane en Latin) et dans l’Erèbe (fleuve noir des Enfers, synecdoque car partie pour le tout!). ALII SUPPONUNT CULTROS D’autres placent dessous (coup porté sous la gorge, du bas vers le haut) le couteau (le français utilise le singulier distributif, là où le latin est sensible à la quantité de l’ensemble, d’où ce pluriel CULTROS; le couteau fr. est un petit CULTER TRI, ici couteau utilise par les grecs pour leurs sacrifices). ET QUE SUCCIPIUNT (forme archaïque pour SUSCIPIUNT) PATERIS CRUOREM TEPIDUM et recueillent dans des patères (dat avec verbe composé ou ablatif locatif? PATERA AE f, patère: cf. à la messe, la coupe < PATEO, être étendu, patent=évident en fr.) le sang (rouge, issu d’une blessure fraîche) tiède (cf. TEPIDARIUM, bain tiède). AENEAS IPSE FERIT ENSE (abl. moyen) Enée lui-même frappe de son épée AGNAM VELLERIS ATRI une brebis à la toison noire (génitif de qualité, possible comme l’ablatif de qualité cf. PUER EGREGIA INDOLE ou EGREGIAE INDOLIS un enfant d’un caractère remarquable, tout deux fréquents en poésie!) MATRI (datif) EUMENIDUM pour la mère des Erinyes (la Nuit) QUE SORORI MAGNAE ou pour sa Soeur puissante (=la Terre) QUE TIBI, PROSERPINA et à toi, Proserpine (reine des Enfers, passage ornemental à la deuxième personne, en apostrophe), VACCAM STERILEM une vache stérile (par respect religieux, les animaux sacrifiés renvoient ici à la mort). TUM INCHOAT REGI STYGIO Alors il entreprend pour le roi du Styx (les verbes inchoatifs sont ceux qui indiquent un commencement, par ex. avec le suffixe -SCO: ADUL-E-SCO, SENE-E-SCO!) ARAS NOCTURNAS des autels nocturnes ET IMPONIT VISCERA SOLIDA TAURORUM FLAMMIS et il dépose les chairs entières (holocauste=on brûle tout) entières des taureaux dans les flammes (VISCUS ERIS n, plus souvent au pluriel, tout ce qui est compris entre les os et la peau; les viscères en tant que telles sont les EXTA, cf. v. suivant), PINGUE SU/PER OLE/(UM) INFUN/DENS AR/DENTIBUS/ EXTIS avec allongement de la finale de l’adverbe SUPER répandant par-dessus l’huile grasse sur les entrailles (datif complément d’un verbe composé) en train de brûler (participe). AUTEM ECCE SUB LIMINA PRIMI SOLIS ET ORTUS (acc. pluriel 4ème décl.) Mais voici qu’au seuil (pl poétique) du premier soleil (approche, donc aube!) et qu’au lever (des astres) SOLUM MUGIRE (infinitif de narration, comme l’interprète Mme Flobert? ou COEPTA en facteur commun , accord avec le plus rapproché?) SUB PEDIBUS le sol mugit sous les pieds ET JUGA SILVARUM COEPTA MOVERI et les reliefs des forêts commencent (cf. COEPI) à être mises en branle QUE CANES VISAE ULULARE PER UMBRAM et des chiennes (celles de la meute d’Hécate) furent vues (!=parurent; au reste, Virgile intervertit volontiers les opérations des sens, par synesthésie?) hurlant à travers l’ombre DEA ADVENTANTE la déesse s’approchant (abl. absolu au part. présent et le suffixe -TO de fréquentatif). PROCUL, O ESTE PROCUL PROFANI Loin, Ô, soyez loin, profanes (étymologiquement, ceux qui sont devant le FA-NUM, là où le Dieu parle cf. proFAner, l’adepte du temple est un FA-Natique, cf. les FAns d’une... idole), CONCLAMAT VATES, s’exclame la prophétesse, QUE ABSISTITE LUCO TOTO et éloignez-vous du bois tout entier TUQUE INVADE VIAM et oit, rentre dans le chemin QUE ERIPE FERRUM VAGINA et sors l’épée du fourreau (cf. partie de l’organe sexuel féminin). NUNC AENEA, OPUS (EST) ANIMIS NUNC PECTORE FIRMO C’est maintenant, Enée, qu’il est besoin d’une âme (pluriel poétique), maintenant d’un coeur courageux (qui s’accorde avec le plus rapproché mais est en facteur commun avec ANIMIS). TANTUM EFFATA ayant seulement dit (ces mots, s.-e., EFFATA part. passé déponent nominatif fém. sg.) FURENS SE IMMISIT ANTRO APERTO en délire elle s’élança dans la grotte ouverte (=l’ouverture de la grotte); ILLE (laudatif?) AEQUAT PASSIBUS HAUD TIMIDIS DUCEM VADENTEM Lui égale par des pas non timides son guide (cf. Il Duce! le duc en fr.) qui avance (part. présent).
Commentaire: deux thèmes, à préciser et approfondir
I) récit d’un sacrifice aux Dieux infernaux: lieu angoissant (taille, noirceur, odeur), inversion des marques du culte aux dieux d’en-haut, précision du processus sacrificiel, prémices d’un tremblement de terre, expulsion des profanes, délire de la prophétesse enthousiasmée au sens étymologique du terme, courage de l’initié.
II) texte d’un poète qui sait prendre son lecteur (ou auditeur, cf. les interpellations qui rompent la narration), jouant sur les affects (angoisse...), les sensations (couleur, chaleur, etc.), qui fait vivre l’épisode sans s’éterniser sur les détails, Virgile n’en gardant que les plus frappants, avec utilisation d’éléments grecs, donc sans respect frileux de la norme... Même si la piété romaine transparaît: v. 236 PROPERE (mais il s’agit du PIUS AENEAS!), le respect pour les puissances divines, l’interpellation: à toi, Proserpine... Même faisant partie du milieu épicurien de Mécène, donc matérialiste, Virgile, poète, ne peut rester insensible au Divin.