le texte
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scansion | traduction | traduction par groupe de mots | commentaire |
mort
de Laocoon et de ses enfants
Les
larmes du perfide Sinon, un pseudo-transfuge grec, convainquent les Troyens
que le cheval, dédié à Athéna sur les conseils du devin Calchas pour
expier le sacrilège de la violation de son temple par Ulysse et Diomède,
doit pénétrer à l’intérieur des remparts de leur ville, ce malgré
l’opposition affichée par Laocoon (jet d’un
javelot dans le flanc de cet équidé artificiel).
Et
n’oublions pas que ce récit en préambule à la destruction de Troie est
fait par Enée à la reine de Carthage, Didon, qui, suite aux manigances du
fils messager d’ Enée, Ascagne-Amour-Cupidon, tombe amoureuse du rejeton de
Troie pour en être possédée. Ce qui préfigure bien sûr la possession par
Rome du territoire de Carthage…
HIC
ALIUD MAJUS MISERIS MULTOQUE TREMENDUM
OBJICITUR
MAGIS ATQUE IMPROVIDA PECTORA TURBAT.
200
LAOCOON,
DUCTUS NEPTUNO SORTE SACERDOS,
SOLLEMNIS
TAURUM INGENTEM MACTABAT AD ARAS.
ECCE
AUTEM GEMINI A TENEDO TRANQUILLA PER ALTA
(HORRESCO
REFERENS) IMMENSIS OBIBUS ANGUES
INCUMBUNT
PELAGO PARITERQUE AD LITORA TENDUNT ;
205
PECTORA
QUORUM INTER FLUCTUS ARRECTA JUBAEQUE
SANGUINEAE
SUPERANT UNDAS ; PARS CETERA PONTUM
PONE
LEGIT SINUATQUE IMMENSA VOLUMINE TERGA.
FIT
SONITUS SPUMANTE SALO ; JAMQUE ARVA TENEBANT
ARDENTISQUE
OCULOS SUFFECTI SANGUINE ET IGNI
210
SIBILA
LAMBEBANT LINGUIS VIBRANTIBUS ORA.
DIFFUGIMUS
VISU EXSANGUES. ILLI AGMINE CERTO
LAOCOONTA
PETUNT ; ET PRIMUM PARVA DUORUM
CORPORA
NATORUM SERPENS AMPLEXUS UTERQUE
IMPLICAT
ET MISEROS MORSU DEPASCITUR ARTUS ;
215
POST
IPSUM AUXILIO SUBEUNTEM AC TELA FERENTEM
CORRIPIUNT
SPIRISQUE LIGANT INGENTIBUS ; ET JAM
BIS
MEDIUM AMPLEXI, BIS COLLO SQUAMEA CIRCUM
TERGA
DATI SUPERANT CAPITE ET CERVICIBUS ALTIS.
ILLE
SIMUL MANIBUS TENDIT DIVELLERE NODOS
220
PERFUSUS
SANIE VITTAS ATROQUE VENENO,
CLAMORES
SIMUL HORRENDOS AD SIDERA TOLLIT :
QUALIS
MUGITUS, FUGIT CUM SAUCIUS ARAM
TAURUS
ET INCERTAM EXCUSSIT CERVICE SECURIM.
AT
GEMINI LAPSU DELUBRA AD SUMMA DRACONES
225
DIFFUGIUNT
SAEVAEQUE PETUNT TRITONIDIS ARCEM,
SUB
PEDIBUSQUE DEAE CLIPEIQUE SUB ORBE TEGUNTUR.
TUM
VERO TREMEFACTA NOVOS PER PECTORA CUNCTIS
INSINUAT
PAVOR, ET SCELUS EXPENDISSE MERENTEM
LAOCOONTA
FERUNT, SACRUM QUI CUSPIDE ROBUR
230
LAESERIT
ET TERGO SCELERATAM INTORSERIT HASTAM.
DUCENDUM
AD SEDES SIMULACRUM ORANDAQUE DIVAE
NUMINA
CONCLAMANT.
dsssdt,
tph
ddsdds,
t (1 E apostrophé) 200
dsssds,
tp la césure t correspondant à une pause phono-sémantique
ssssds,
th
sddsdt,
th
sdssds,
tp la césure p correspondant à une pause phono-sémantique
sddsds,
tp
205
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h
ddssds,
tph la césure h correspondant à une pause phono-sémantique
ddsddt,
h (1 E apostrophé)
dsdsds,
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sdssds,
p (2 E apostrophé) 210
dsssdt,
h
dsssds,
th la césure h correspondant à une pause phono-sémantique
ddssds,
p la césure p correspondant à une pause phono-sémantique
dsssdt,
ph
ddssds,
tph
215
sddsds,
p (UM, EM élidés)
dsdsds,
th
dsssds,
p la césure p correspondant à une pause phono-sémantique, UM élidé
dddsds,
tph
ddssds,
tph
220
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tph
sdssds,
th
sssds,
p la césure p correspondant à une pause phono-sémantique
dsssdt,
h , AM élidé
dsdsds,
tp, A élidé
225
dsdsds,
th
ddddds,
p
sddsds,
th
dddsds,
t
ddssds,
ph la césure p correspondant à une pause phono-sémantique
230
dsdsds,
tp AM élidé
ssdsds,
(t)p, deux UM élidés.
I)
Voici qu'un autre prodige, plus grave, se manifeste aux malheureux Troyens; beaucoup plus effrayant, il trouble nos cœurs pris au dépourvu.Laocoon, que le sort avait désigné comme prêtre de Neptune,
immolait solennellement un énorme taureau sur les autels.Or voici que de Ténédos, sur des flots paisibles, deux serpents
aux orbes immenses, (je frémis en faisant ce récit), glissent sur la mer, et côte à côte gagnent le rivage.Poitrines dressées sur les flots, avec leurs crêtes rouge sang,
ils dominent les ondes; leur partie postérieure épouse les vagues, et fait onduler en spirales leurs échines démesurées.
L'étendue salée écume et résonne; déjà ils touchaient la terre ferme, leurs yeux brillants étaient teintés de sang et de feu,
et, d'une langue tremblante, ils léchaient leurs gueules qui sifflaient. À cette vue, nous fuyons, livides. Eux, d'une allure assurée,
foncent sur Laocoon. D'abord, ce sont les deux corps de ses jeunes fils qu'étreignent les deux serpents, les enlaçant, les mordant et se repaissant de leurs pauvres membres.
Laocoon alors, arme en main, se porte à leur secours. Les serpents déjà le saisissent et le serrent de leurs énormes anneaux. Deux fois,
ils lui ont entouré la taille, deux fois autour du cou, ils ont enroulé leurs échines écailleuses, le dominant de la tête, la nuque dressée.
Aussitôt de ses mains, le prêtre tente de défaire leurs noeuds, ses bandelettes souillées de bave et de noir venin.
En même temps il fait monter vers le ciel des cris horrifiés : on dirait le mugissement d'un taureau blessé fuyant l'autel,
et secouant la hache mal enfoncée dans sa nuque. Mais les deux dragons en un glissement fuient vers les temples,
sur la hauteur, gagnant la citadelle de la cruelle Tritonienne, où ils s'abritent aux pieds de la déesse, sous l'orbe de son bouclier.
II)
en
1607 et en alexandrins, par les frères Robert et Antoine Le Chevalier d’Agneaux,
de Vire en Normandie, édité par David le Clerc, rue Frémentel, au petit
Corbeil (exemplaire personnel de H. Steiner - notre recopie modernise la
graphie des accents ; sinon, l’orthographe est strictement respectée,
compte non tenu de l’enclenchement des automatismes professionnels)
Autre
trop plus grand’ chose, et plus à redouter
Vient
lors à nous chétifs troublés et épouvanter
Les
cœurs au dépourveu. Laocon d’aventure
Eleu
pour exercer la sacrificature
Du
Dieu porte-Trident, offroit un grand toreau
Es
autels solennels, quand par le coy[1]
de l’eau
De
Tenede voicy (d’effroy tout le courage
Me
tremble en le contant) passants la mer ànage,
Et
leurs égale course au rivage adressants,
Deux
serpens aux grands ronds, qui furieux dressants
Leurs
poitrines en haut et leurs crêtes sanguines
Entre
l’azur des flots passent les eaux marines :
Du
reste de leurs corps rasent le dos des mers,
Et
leurs horribles dos courbent en replis verds.
Grand
bruit en écumant font les ondes salées
Et
ja tenants les champs, de langues dardelées
De
leurs gueules sifflants les baveux bords léchoient.
Et
de sang et de feu leurs yeux ardants tachoient.
Demy-morts
à les voir nous nous mettons en fuite
Eux
droit à Laocon vont de course subite.
Et
tout premièrement tous deux les corps petits
De
ses deux chers enfans de leurs plians tortis
Enveloppent
serrés et rongent effroyables
D’un
mors envenimé leurs membres misérables.
Puis
prompt à leur secours armé de dards venant
Le
saisissent luy-même, et vont l’environnant
De
grands cercles retors, et ayans embrassée
Ja
deux fois sa poitrine, ayans deux fois pressée
Sa
gorge des replis de leurs écaillés dos,
Luy
surmontoit le chef de têtes et de cols,
Luy,
que de noir venin et de sanie infecte
Tous
infectés avoit les rubans de sa tête,
Tâche
ensemble des mains détortiller les neuds :
Aux
étoilles ensemble élève crix hideux
Le
Toreau mugle ainsi, quand navré d’une playe
Il
fuyt l’autel sacré, et se sauver essaye,
De
la coignée ayant receu le coup douteux :
Mais
les dragons gemeaux d’un glisser tortueux
Es
hauts temples fuyants, gaignent de la Déesse
Au
courroux rigoureux, la sainte forteresse,
Et
se vont garantir, couverts sous la rondeur
De
son large bouclier, aux piés de sa grandeur.
Lors
ès cœurs effroyés nouvelle peur se glisse,
Et
disent tous, qu’avoir le mérité supplice
(sic !)
De
son impiété Laocon enduré
Pour
avoir outrageux par le fer aceré
Violé
le saint bois, et avoir de la pique
Roide
contre son flanc brandy la pointe inique.
Tous
crient d’une voix, qu’en la sainte maison
Il
faut mener l’image, et par humble raison
Appaiser
la fureur de la Deesse Irée
traduction
par groupe de mots:
HIC
ALIUD MAJUS Ici,
un autre malheur (tiré
du neutre - mais : «objet» serait trop flou en français ;
d’ailleurs, le contexte est hyperbolique, donc : catastrophe, désastre ?)
plus
grand MULTOQUE
MAGIS TREMENDUM et
de beaucoup/nettement (à
suivre la TV, faut-il écrire : clairement ?)
plus à craindre (avec
cette construction en français, sens d’obligation bien marqué, issu de
l’adjectif verbal)
OBJICITUR MISERIS est
jeté sous les yeux des malheureux que nous sommes (traduction-commentaire,
tentant de développer au max. les sèmes des lexèmes : OBJICIO=lancer
contre, avec contruction attendue au datif d’un verbe composé ; comme
souvent, Virgile se révèle très concis, très efficace ; faut-il alors
préférer : «se présente aux malheureux etc.», bien abstrait ?) ATQUE
TURBAT PECTORA IMPROVIDA. et
trouble profondément nos cœurs qui ne s’y attendent pas (nous
épouvante inopinément ? style emprunté) LAOCOON,
DUCTUS SORTE SACERDOS NEPTUNO
Laocoon, choisi par le sort comme prêtre pour Neptune a(ici,
le donneur de sacré, SACER-DOS, est le sacrificateur ; SACERDOS est
attribut, NEPTUNUS est au datif, le dieu en faveur duquel le sacrifice est
fait)
MACTABAT INGENTEM TAURUM Immolait
un immense taureau AD
ARAS SOLEMNIS près
des autels solennels (soit
pl. poétique par emphase, soit présence de plusieurs autels, de toute façon
à l’extérieur puisque les autels en marbre sont en fait la pétrification
des bûchers sur lesquels on immolait les victimes consacrées aux dieux ;
-IS en poésie –forme archaïque - pour –ES attendu ; un immense
taureau est un sacrifice de choix) ECCE
AUTEM GEMINI ANGUES Mais
voici que deux serpents (GEMINI=jumeaux,
bessons, ici 2 suffit) PER
ALTA TRANQUILLA A TENEDO de
par la haute mer apaisée en venant de Ténédos (ALTA
n. pl. = en fait la mer, via : les profondeurs, TRANQUILLA par contraste
avec l’angoisse du narrateur ! La précision de la direction d’où
viennent les reptiles s’explique : cette apparition a frappé le
narrateur, et ce détail concret rend crédible cette scène digne d’un film
d’horreur) (HORRESCO
REFERENS)
je frémis d’horreur tout en le racontant
IMMENSIS OBIBUS INCUMBUNT PELAGO
avec leurs énormes anneaux s’allongent sur la mer (PELAGO
au datif, car c. d’un v. composé, comme fréquemment en poésie ;
Etymologiquement, le CUBICULUM est l’endroit où l’on s’allonge)
PARITERQUE TENDUNT AD LITORA et
de front/d’un même train, ils se dirigent vers le rivage (LITUS
ORIS, n. pl., PARITER renvoyant de fait à : GEMINI) ;
PECTORA QUORUM ARRECTA INTER FLUCTUS
Leur poitrine dressée au milieu des flots (ADRIGI,
REXI, RECTUM : dresser ; QUORUM : relatif de
liaison=coordination + EORUM)
JUBAEQUE SANGUINEAE SUPERANT UNDAS et
leur crête ensanglantée/couleur de sang dépassent/dominent les ondes/vagues ;
PARS CETERA LEGIT PONTUM PONE
la partie restante/le reste de leur corps
parcourt/rase la mer par derrière (donc :
le dos de la mer ? ou PONE porte sur PARS, et corroborerait le CETERA ?
Nous avons le mérite de poser la question, sans savoir/pouvoir/vouloir la
trancher. Bellessort chez Budé botte en touche, apparemment : «glissait
lentement sur la surface de la mer»)
SINUATQUE IMMENSA TERGA VOLUMINE. et
courbe son énorme dos/croupe en tournant (TERGUM,
cf. tergiverser, tourner le dos, pour souligner l’hésitation ; un
VOLUMEN est un support écrit que l’on lit en tournant (cf. la Thora !)
alors que le CODEX se lit en feuilletant) SONITUS
FIT SALO SPUMANTE ; Un
bruit se fait sur la mer (devenue,
par leur déplacement)
écumante a(ainsi,
plusieurs sens sont touchés : l’ouïe, la vue – voire le toucher) JAMQUE
ARVA TENEBANT
et déjà (rapidité
de la reptation sur mer des serpents),
ils occupaient/touchaient les champs/la terre QUE
SUFFECTI OCULOS ARDENTIS et
imprégnés quant à leurs yeux
ardents (acc.
de relation, fréquent en Grec comme en poésie latine, -IS poétique pour
–ES, acc. Pl. 3ème)
SANGUINE
ET IGNI de
sang et de feu (corroborant
ARDENS)
LAMBEBANT LINGUIS VIBRANTIBUS Ils
léchaient de leur langue vibr(ionn)ante
(une
traduction anachronique, vu la date de la découverte de cette bactérie –
étymologiquement, elle-même en grec : un petit bâton !)
ORA SIBILA leur
bouche sifflante.
DIFFUGIMUS VISU EXSANGUES. Nous,
nous nous enfuyons, exsangues/blêmes/livides à cette vision (le
pronom «Nous» en extraposition emphatique s’explique par notre désir de
souligner l’asyndète virgilienne ; VISU : ablatif causal)
ILLI AGMINE CERTO Ceux-ci,
au moyen de/dans leur (marche ? non !) coulée sans hésitation, (chez
Virgile aussi : AGMINA CAUDAE les remplis de la queue (de la couleuvre)
au rebours d’IN CAUDA VENENUM ; CERTUS : leur cible est «allumée» !)
PETUNT LAOCOONTA
vont chercher Laocoon (acc.
de forme grecque, attendu vu l’origine du nom !) ;
ET PRIMUM UTERQUE SERPENS IMPLICAT et
d’abord l’un et l’autre/chacun des serpents enveloppe
PARVA CORPORA DUORUM NATORUM les
petits corps de ses deux enfants (donc
de jeunes enfants)
AMPLEXUS après
les avoir embrassés (participe
passé du déponent AMPLECTOR)
ET DEPASCITUR MORSU et
chacun dévore en les mordant (DEPASCOR,
déponent ; MORSU : ablatif de moyen ; plus précisément, vu
le suffixe : par l’action de mordre. Virgile jouerait ici avec le
supin) ARTUS
MISEROS les
membres qui provoquent la pitié;
POST CORRIPIUNT IPSUM ensuite
ils le saisissent lui-même
SUBEUNTEM AUXILIO AC FERENTEM TELA alors
qu’il vient à leur secours (et qu’il porte des armes), les armes à la
main (deux
participes ; TELUM est une arme de jet, un javelot)
QUE LIGANT SPIRIS INGENTIBUS ; et
ils +le+ ligotent de leurs nœuds immenses (cf.
ligature, spire)
ET JAM AMPLEXI BIS MEDIUM, et
déjà ayant embrassé deux fois +sa+ ceinture (MEDIUM=milieu
du corps
CIRCUMDATI BIS TERGA SQUAMEA COLLO s’étant
entouré deux fois leur croupe écailleuse de son cou (CIRCUMDARE
avec une tmèse ; ici, ce participe passé passif a un sens réfléchi
indirect : «pour eux», cf. Chez Virgile, Enéide : VENUS
CIRCUMDATA FACIEM OBSCURO NIMBO, Vénus s’étant entouré le corps/aspect
d’un obscur nuage ; l’obscurité de construction évoquerait ici une
fusion inextricable issue du processus d’étranglement, si bien qu’on a
l’impression que les anneaux se revêtent du cou, ainsi tordu horriblement
… Au reste, CIRCUMDARE fonctionne ici comme un déponent ; est-ce la
proximité d’AMPLECTOR ? Le sens reste clair, puisque nos traducteurs
semblent imperturbables, comme fréquemment quand un passage présente une
difficulté grammaticale) SUPERANT
CAPITE ET
CERVICIBUS ALTIS. ils
le surmontent de leur tête et de leur haut col (rupture :
sg. inattendu et pl. régulier entre CAPITE ET CERVICIBUS, à moins qu’il ne
s’agisse d’évoquer une illusion d’optique : ils en feraient
qu’une tête au-dessus de celle de Laocoon)
ILLE TENDIT SIMUL MANIBUS Lui-même
essaie en même temps de ses mains DIVELLERE
NODOS de
desserrer les nœuds (TENDO
+ infinitif=s’efforcer de)
PERFUSUS VITTAS ses
bandelettes souillées de (<complétement
arrosé quant à ses bandelettes)
SANIE ATROQUE VENENO, de
pus/bave et de noir venin
SIMUL TOLLIT CLAMORES HORRENDOS AD SIDERA en
même temps, il lève/pousse des cris horribles vers (les
étoiles)
le ciel:
QUALIS MUGITUS
comme le mugissement (sans
TALIS)
CUM TAURUS SAUCIUS FUGIT ARAM lorsque
le taureau ensanglanté a fui l’autel ET
EXCUSSIT CERVICE SECURIM INCERTAM
et a secoué de son cou (les
deux verbes sont au présent du perfectum ; pour l’allitération… désolé
de cet automatisme)
la hache qui n’a pas assuré sa frappe. AT
GEMINI DRACONES DIFFUGIUNT LAPSU Mais
les deux dragons s’enfuient en rampant (avec
l’opposition GEMINI DIF-FUGIUNT : chacun son chemin)
AD DELUBRA SUMMA
vers les sanctuaires qui somment les hauteurs (LUO=délier
d’une faute, purifier, cf. lustre tous les 5 ans, eau lustrale ; le
DELUBRUM est un endroit où
l’on va, purifié ou pour se purifier – mais chez les romains comme chez
les grecs, la pureté est moins morale que physique : il faudra attendre
le christianisme pour arriver à cette conception épurée, même si la saleté
du corps renvoie symboliquement à celle de l’âme. Car la dichotomie
n’est pas aussi tranchée : MENS SANA IN CORPORE SANO ;
ΚΑΛΛΟΣ
ΚΑΓΑΘΟΣ) nous dit la civilisation antique)
QUE PETUNT ARCEM SAEVAE TRITONIDIS
et gagnent le temple élevé de la cruelle tritonienne (=Athéna-Minerve,
TRITONIS car née au bord du lac Tritonis en Libye, de la tête de
Zeus-Jupiter frappée par la hache d’Héphaïstos-Vulcain ; cette
allusion est à double détente puisque l’épithète rituelle d’Athéna,
Pallas, nomme la fille du dieu Triton, le génie de ce lac ; élevée
avec Athéna, cette dernière la tua accidentellement, et c’est en
l’honneur de sa victime qu’Athéna aurait fabriqué le PALLADIUM, gardé
comme relique par les Vestales, dans le temple le plus archaïque de Rome, vu
sa forme de hutte, reprise par des urnes funéraires… C’était notre
minute de culture !),
QUE TEGUNTUR SUB PEDIBUS
DEAE.
et ils se couvrent / cachent sous les pieds de la déesse (ainsi,
ils vivifient la représentation par Phidias de cette vierge, avec un serpent
couché au bord d’un bouclier à ses pieds, iconographie dont s’inspirera
le christianisme, dans son efficacité syncrétique,
dans le droit fil, pour le croyant – aparté laïque de ce dernier, de l’Incarnation)
QUE SUB ORBE CLIPEI
et sous l’orbe de son bouclier (la
célèbre Egide, fabriquée avec la peau de la chèvre d’Amalthée, nourrice
de Zeus-Jupiter, à l’origine de la Voie Lactée et de la corne
d’abondance aussi ; n’oublions pas dessus la tête de Méduse, médusant
ses assaillants)
TUM VERO PAVOR NOVOS (archaïque
pour NOVUS)
alors
vraiment une peur jamais éprouvée INSINUAT
CUNCTIS PER PECTORA TREMEFACTA
s’insinue en tous de par leurs poitrines effrayées (notons
qu’Enée fait partie du groupe, mais ne s’y inclut pas ici ; cf. plus
loin FERUNT),
ET FERUNT LAOCOONTA EXPENDISSE MERENTEM SCELUS
et ils disent/de dire que Laocoon a payé à juste titre/en le méritant son
crime,
QUI LAESERIT ROBUR SACRUM CUSPIDE
lui qui a blessé le bois consacré de son javelot (CUSPES
CUSPIDIS : objet pointu)
ET INTORSERIT TERGO HASTAM SCELERATAM.
et a dardé contre son flanc une lance criminelle (INTORQUEO,
avec le datif dû au préfixe)
CONCLAMANT SIMULACRUM DUCENDUM AD SEDES DIVAE
Ils votent d’une seule voix que la statue doit être conduite vers le temple
de la Divine QUE
NUMINA DIVAE ORANDA et
que la Puissance souveraine de cette dernière doit être adorée (le
NUMEN : Volonté (absolue ? Attention aux voies du Destin) d’un
Dieu qui se marque par un simple signe de tête ; deux adjectifs verbaux
d’obligation).
I)
Ce qui nous frappe de prime abord, peut-être paradoxalement, vu la qualité
dramatique de ce passage, c’est la présence de la religion dans ce poème ainsi
que le réalisme patent dont il fait preuve:
A)
Superstition
que le refus du terme exact pour désigner au départ les deux dragons qui ne
seront désignés comme tels qu’à la fin de 225 : ALIUD à la trihémimère
du v. 199 ; de même, l’identité des GEMINI n’est révélée qu’à
la fin du vers suivant, en très forte disjonction, avec d’ailleurs
d’abord ce qui les caractérise d’emblée : IMMENSIS OBIBUS ;
ensuite ILLI en 212 les rappelle ; SERPENS UTERQUE en 214…
l’irruption
dans notre monde humain d’un PORTENTUM est révélatrice d’une action
divine, avec la révérence angoissée qu’elle inspire : c’est
TREMENDUM en fin de v. 199, PECTORA TURBAT en fin de v. 200 ; en
contraste : TRANQUILLA en 203 ; le célèbre : HORRESCO du début
de 204 ; 212 : DIFFUGIMUS EXSANGUES ; plus loin : 212 ;
HORRENDOS en 222, puis 228 : NOVOS avec sa remarquable forme archaïque,
en disjonction forte avec PAVOR, le tout corroboré par PER PECTORA TREMEFACTA.
Pourquoi tant de crainte ? C’est qu’il y
a une différence absolue de nature entre deux mondes, elle est perceptible,
indiquée par la différence de taille : MAJUS, MULTO, MAGIS sur 2 vers,
en 199-200 avec une polyptote.
Dans
ces temps antiques, chacun pouvait se retrouver officiant : DUCTUS SORTE
SACERDOS NEPTUNO en 201 ; la piété romaine trouve place dans le texte :
SOLLEMNIS TAURUM INGENTEM MACTABAT AD ARAS ; admirons la forte
disjonction, avec le parallélisme : adj. nom adj. nom, et le chiasme du
nombre : pl. st pl. qui donnent toute son emphase au cadre de la scène,
de façon hyperbolique, car ces ARAS se trouvent à l’extérieur de la cité;
l’action de MACTARE est très positive, cf. MACTE dans les exclamations de
souhait, en contraste en fait avec le sacrifice épouvantable de Laocoon et de
ses deux enfants, AD MAJOREM DEAE GLORIAM… les
VITTAE (v. 221) renvoient aux bandelettes qui entouraient le front des prêtres,
marque de pureté. Souillées, elles dénoncent donc l’impureté religieuse
du sacrificateur, qui ne peut alors qu’être éliminé (cf. le SACER ESTO du
tribun de la plèbe, inviolable). Au reste, SACRIFIER porte bien son nom…
les vers 223/224 évoquent une scène peut-être plus fréquente qu’on ne le
croit : la main malhabile qui manque son coup, le sacrificateur devant
frapper l’animal au cou, sans s’y reprendre. Le centre sacré de la cité
se trouve sur l’acropole : AD SUMMA DELUBRA, ARCEM, et les divinités
sont rancunières : SAEVAE, d’où le respect qu’on leur porte. Nos
notes de traduction éclairent le TRITONIDIS et l’ORBE CLIPEI. Les décisions
matérielle (introduction du SIMULACRUM dans l’enceinte sacrée de la cité :
AD SEDES) et spirituelle (NUMINA ORANDA) sont prises collectivement, sans
passer par le truchement d’un quelconque pontife, celui qui fait la traversée,
la liaison entre, justement, le matériel (hommes) et le spirituel (dieux) ;
c’est d’ailleurs le titre de PONTIFEX MAXIMUS que prendra ultérieurement
Auguste, une fois Lépide disparu, en -12… quoi qu’il en soit, Virgile
rend bien la simplicité des moeurs de cette époque, fidèle au schéma
politique d’Auguste, le retour aux sources, la révérence pour les autels
et les temples puisque ce dernier se targue, dans son testament, d’en avoir
restauré 80 à Rome, cf. l’ARA PACIS AUGUSTAE…
B)
Ceci
n’empêche donc pas l’évocation directe et sans fard du réel :
·
le
sang (207 en début de vers, 210 ; absent chez ses plus éminents réceptacles,
les hommes, puisqu’ils sont devenus, eux, par opposition, EXSANGUES en 212 ;
le taureau est SAUCIUS en dactyle 5ème de 223
·
la
mer et la terre : TRANQUILLA PER ALTA en fin de 203, PELAGO avec ce qui
fait la jonction entre le monde aquatique et le monde minéral : LITORA
au dactyle 5ème de 205 ; FLUCTUS, UNDAS tous les deux
à l’hephtémimère, PONTUM en fin de 207 : le monde maritime semble
bien le berceau des serpents, SPUMANTE SALO à l’hephtémimère de 209. La
terre enfin : ARVA en 209, sans marquer de solution de continuité :
JAMQUE, donc aussi à l’aise dans un monde que dans l’autre. Pendant la scène,
le regard monte : SUPERANT CAPITE en 219, VITTAS en 221, AD SIDERA :
222, comme AD SUMMA DELUBRA en 225, ARCEM en 226, pour laisser la place à la
déesse : SUB PEDIBUS DEAE, avec l’adhésion : CONCLAMANT.
·
Les
temps présent/imparfait où le récit est revécu par le narrateur,
alternativement intradiégétique (ECCE, DIFFUGIMUS), quand le ressenti
s’exprime directement, et extradiégétique : HORRESCO REFERENS, en une
fausse mise à distance, due à l’énonciation elle-même ainsi évoquée ;
l’énoncé se termine par un éloignement plus marqué en 228 : CUNCTIS,
car le narrateur semble complètement s’exclure … mais
toutes ces variations rendent plus tangible la narration.
avec
des réalités visibles, certes non prévisibles : IMPROVIDA en 200, mais
fortement perceptibles : ECCE en présentatif au début de 203, OCULOS en
210 ; en 212 : VISU (cf. en II, la violence de la description des
serpents en action, en mouvement) ; ces réalités sont frappantes :
OBJICITUR, en 200 : cela est lancé contre le regard, en une quasi
synesthésie.
Tout
ceci s’allie à une structure parfaitement maîtrisée :
Ø
la
catastrophe, en syndèse : 203 ;
Ø
206
une relatif de liaison pour les PECTORA des serpents, avec encadrement par
deux verbes de mouvement du v. 205.
Ø
la
description, à l’hephtémimère de 207, de leur queue ;
Ø
leur
débarquement/arrivée, en syndèse : JAMQUE à la même césure en
209
Ø
ILLI
en 212, derechef ! en opposition avec le DIFFUGIMUS du début du vers et
leur but : LAOCOONTA en début de vers suivant
Ø
Leur
première action en 213 : ET PRIMUM à la penthémimère, l’élimination
des enfants
Ø
ensuite,
la victime principale : en début de 216, POST IPSUM
Ø
son
étranglement est immédiat : ET JAM en fin de 217, avec, entre-temps :
SIMUL 2 fois, en 220 à la trihémimère, et en 222
Ø
Ceci
laisse logiquement place au cri lancinant de l’agonie : 223, QUALIS
MUGITUS à la penthémimère, avec un vers à 4 spondées.
Ø
225,
début : AT GEMINI ; la disparition des deux monstres.
Participent
à la confrontation concrète opérée par ce texte les effets d’échos :
le taureau en 202, repris en 223-224, IMMENSIS en 204 à la penthémimère
repris en 208, comme INGENS en 202 et 217, le tout par contraste, encore, avec
les PARVA du v. 213 ; autres répétitions : GEMINI : 203, 225
ce qui permet une respiration du texte, cf. PECTORA, 200, en
début de 206, 228, comme MISER : 199, 215 ; DIFFUGIMUS, début 212,
FUGIT à la penthémimère de 223 ; TERGA fin 208, début 219
II)
il s’agit bien d’un texte
plein de bruit et de fureur, avec un sens aigu de la dramatisation :
Ø
La
pitié (l’horreur est traitée en début de II, puisque ce sentiment est en
rapport avec le registre merveilleux) : le registre pathétique affleure
avec : MISERIS en 199, à la césure hephtémimère ; le JAM en 209,
avec le passage à l’imparfait, indique l’acceptation malgré soi, déchirante,
de cette présence destructrice. Ceci
dépasse les forces de simples humains : EXSANGUES à l’hepthémimère
de 212, souffrance psychique marquée par les 3 spondées… C’est inéluctable,
les dès sont en fait jetés : AGMINE CERTO en fin de 212, avec, dans
l’ordre, PRIMUM (puis POST en début de 216), les enfants ; MISEROS
derechef, à la penthémimère de 215 ;
Ø
l’effort
pour se libérer, pour échapper à son destin, est vain, inutile… ironie
sanglante que l’ AUXILIO SUBEUNTEM, sinistre, oui ! avec ses piètres
armes, inutiles : TELA FERENTEM, au v. 216 ; le résultat est immédiat :
ET JAM en fin de 217, écrasement avec les 3 spondées du v. suivant ;
tentative avortée en 220 : TENDIT à la césure hephtémimère, puis
quasi submersion : PERFUSUS en début de 221, mortelle, vu le sens et les
sondées… Faut-il voir un souvenir vécu
dans la scène du taureau blessé ? Avec un léger décalage :
là où les serpents vont AGMINE CERTO, la hache est INCERTAM, mais
tranchante, vu l’abondance des consonnes sourdes… Bilan : 1 vers pour
l‘esquisse de défense, 220, 4 pour l’agonie et son râle. Virgile nous épargne
le hoquet final. C’est bien qu’il n’y avait rien à faire… C’est que
nous avons
Ø
Annoncée,
à mots couverts : ALIUD MAJUS, avec son effet : MISERIS, TURBAT, le
MACTABAT préfigurant la mise à mort, en un miroir sinistre… cf. aussi le
connu : HORRESCO REFERENS où les liquides et la césure montrent la répugnance
à rappeler un épisode tragique…
Ø
Imminente :
ECCE AUTEM en début de 203 avec césure trihémimère, le présent
d’INCUMBUNT, TENDUNT : le danger se rapproche. Comme le bruit se perçoit :
FIT en début de 209 ; TENABANT : ils sont tout près, ils se pourlèchent
les lèvres d’avance, et se retrouvent face à leur victime : LAOCOONTA
PETUNT, à la césure penthémimère, correspondant à une pause phono-sémantique
(=ponctuation)…
Ø
Progressive :
Leur victimes ? nous les découvrons plurielles : PRIMUM, POST. Les
enfants sont dévorés (sic !) en 2 vers ½, le destin de Laocoon se règlera
en 9 vers.
Ø
Ultime :
CORRIPIUNT en début de 217, SUPERANT à la penthémimère du v. 219. les cris
de douleur : v. 223 ; il meurt pendant la comparaison.
Ø
Achevée,
sans fleurs ni couronnes : les serpents se retirent en 3 vers ; le
malheureux Laocoon, sans même être plaint, est condamné : une telle
peine ne peut qu’être justifiée. et le
dernier vers de préfigurer la suite.
Terminons
(plus vite : je craque !)
III)
Où se jouent différentes focalisations :
[1]
Coy=cours ? Mon dictionnaire de patois normand (Robin-Leprévost)
n’en dit rien ; le sens général reste clair…
post—propos :
Ne
qualifions pas le programme de 2004 de «nouveau», car il faut savoir se
projeter dans l’avenir et penser à la pérennité de notre pensum… pour
les internautes dans n années. De moins en moins latinistes ( ?), vu les
coupes drastiques opérées cette année par Luc Ferry dans les effectifs
scolaires: Oui, en 2004, Ministre de l’Education Nationale, loin
d’apporter la lumière comme le laisserait croire la consonance de son
identité, c’est en ange déchu que, du fond de son Enfer sans passé, donc
sans futur, il veut priver nos élèves de ce qui lui échappe. Avec mon
esprit de l’escalier, que ce Lucifer me fait dévaler, une question, après
ces constatations : le oueb ne va-t-il pas , au fil du temps, se
transformer en cénotaphe, avec plus de sites créés par des morts, maintenus
par piété familiale et/ou affective, que de créations EX NIHILO ? Dans
ce cas, que ces propos servent à rappeler dans quelle ignorance barbare a
voulu nous plonger celui dont il n’est pas utile de perpétuer la mémoire,
sinon pour la honnir : VAE ISTO MINISTRO LAUDATORIBUSQUE…
Après
ces vitupérations nécessaires…
Ce
programme de 2004, disions-nous, a au moins le mérite de modifier notre
pratique antérieure (début : 1996) dans la présentation de textes
latins en fonction du programme : nous nous posons maintenant des
questions d’adéquation des traductions en notre possession…