ARMA VIRUMQUE CANO, TROJAE QUI PRIMUS AB ORIS
ITALIAM, FATO PROFUGUS, LAVINIAQUE VENIT
LITORA, MULTUM ILLE ET TERRIS JACTATUS ET ALTO
VI SUPERUM SAEVAE MEMOREM IUNONIS OB IRAM ;
MULTA QUOQUE ET BELLO PASSUS, DUM CONDERET URBEM, 5
INFERRETQUE DEOS LATIO, GENUS UNDE LATINUM,
ALBANI PATRES, ATQUE ALTAE MOENIA ROMAE ;
MUSA, MIHI CAUSAS MEMORA, QUO NUMINE LAESO,
QUIDVE DOLENS REGINA DEUM TOT VOLVERE CASUS
INSIGNEM PIETATE VIRUM, TOT ADIRE LABORES 10
IMPULERIT, TANTAENE ANIMIS CAELESTIBUS IRAE ?
URBS ANTIQUA FUIT, TYRI TENUERE COLONI,
CARTHAGO,
ITALIAM CONTRA TIBERINAQUE LONGE
OSTIA, DIVES OPUM STUDIISQUE ASPERRIMA BELLI;
QUAM IUNO FERTUR TERRIS MAGIS OMNIBUS UNAM 15
POSTHABITA COLUISSE SAMO ; HIC ILLIUS ARMA,
HIC CURRUS FUIT ; HOC REGNUM DEA GENTIBUS ESSE,
SI QUA FATA SINANT, IAM TUM TENDITQUE FOVETQUE.
PROGENIEM SED ENIM TROIANO A SANGUINE DUCI
AUDIERAT, TYRIAS OLIM QUAE VERTERET ARCES ; 20
HINC POPULUM LATE REGEM BELLOQUE SUPERBUM
VENTURUM
EXCIDIO LIBYAE : SIC VOLVERE PARCAS.
ID
METUENS, VETERISQUE MEMOR SATURNIA BELLI,
PRIMA
QUOD AD TROIAM PRO CARIS GESSERAT ARGIS
-
NECDUM ETIAM CAUSAE IRARUM SEAVIQUE DOLORES 25
EXCIDERANT ANIMO: MANET ALTA MENTE REPOSTUM
IUDICIUM PARIDIS SPRETAEQUE INIURIA FORMAE
ET GENUS INVISUM, ET RAPTI GANYMEDIS HONORES. -
HIS ACCENSA SUPER, JACTATOS AEQUORE TOTO
TROAS, RELIQUIAS DANAUM ATQUE IMMITIS ACHILLI, 30
ARCEBAT LONGE LATIO, MULTOSQUE PER ANNOS
ERRABANT, ACTI FATIS, MARIA OMNIA CIRCUM.
TANTAE MOLIS ERAT ROMANAM CONDERE GENTEM !
VIX E CONSPECTU SICULAE TELLURIS IN ALTUM
VELA DABANT LAETI ET SPUMAS SALIS AERE RUEBANT, 35
CUM JUNO AETERNUM SERVANS SUB PECTORE VULNUS
HAEC SECUM : «MENE INCEPTO DESISTERE VICTAM
NEC POSSE ITALIA TEUCRORUM AVERTERE REGEM?
QUIPPE VETOR FATIS. PALLASNE EXURERE CLASSEM
ARGIVUM ATQUE IPSOS POTUIT SUBMERGERE PONTO 40
UNIUS OB NOXAM ET FURIAS AJACIS OILEI?
Questions, chacune sur 10:
1) quels rapprochements (ou différences!) faites-vous entre les passages v. 1 - 7 et v. 8 - 11
2) Relevez et évaluez les figures de style du passage v. 1 - 7
3) Etudiez les temps dans le passage v. 12 - 22
4) au choix, en le précisant formellement:
relevez et commentez les allusions homériques.
scandez deux vers avec leur(s) césure(s) et les commentaires que ceci vous inspire.
quelle image de Junon Virgile nous donne-t-il
5) Quels critères d'un incipit d'épopée retrouvez-vous
ici? (cf.Lucrèce, I, début!)
Version (sur 50):
du v. 35 à 41.
Traductions proposées :
1) A.-M. Boxus et J. Poucet, à l’université de Louvain
Je chante les combats du héros qui fuit les rivages de Troie et qui, prédestiné, parvint le premier en Italie, aux bords de Lavinium ; il fut longtemps malmené sur terre et sur mer par les dieux tout puissants, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon; la guerre aussi l'éprouva beaucoup, avant de pouvoir fonder sa ville et introduire des dieux au Latium, berceau de la race latine, des Albains nos pères et de Rome aux altières murailles. Muse, rappelle-moi pour quelle cause, quelle offense à sa volonté, quel chagrin la reine des dieux poussa un héros d'une pitié si insigne à traverser tant d'aventures, à affronter tant d'épreuves ? Est-il tant de colères dans les âmes des dieux ? Jadis il y avait une ville (ancienne colonie tyrienne), Carthage, faisant face à l'Italie et aux lointaines bouches du Tibre, riche et passionnément âpre à la guerre. Junon, dit-on, la chérissait plus que toute autre cité, plus même que Samos. Là étaient ses armes, et là son char. Cette ville régnerait sur les nations, si les destins y consentaient : tel était déjà alors le but, l'objet des soins de la déesse. Mais elle avait appris que naissait du sang troyen une race, qui un jour renverserait les forteresses tyriennes; qu'en sortirait un peuple, roi d'un vaste empire, superbe à la guerre, pour la perte de la Lybie : ainsi le déroulaient les Parques. La Saturnienne, redoutant ce désastre, se rappelait l'ancienne guerre qu'elle avait menée au premier rang, devant Troie, pour ses chers Argiens. En outre les raisons de sa colère et ses cruels ressentiments n'avaient pas encore quitté son coeur; restaient ancrés en son esprit le jugement de Pâris et l'injurieux mépris de sa beauté, et la race abhorrée, et les honneurs échus à Ganymède, après son rapt. Ces souvenirs la brûlaient et, les Troyens, malmenés sur l'immensité, restes échappés aux Danaens et à l'impitoyable Achille, elle les tenait loin du Latium, eux qui, depuis tant d’années, erraient à travers les mers, conduits par les destins. Tant était lourde la tâche de fonder la nation romaine !
2) celle de Robert et Antoine le Chevalier d’Agneaux, Frères, de Vire en Normandie, à Paris, chez David Le Clerc, rue Frementel au Petit Corbeil, 1607
[Cette édition commence avec quelques vers en plus, qu’apparemment la critique verbale moderne a athétisés ( ?) : ils évoquent les créations bucoliques de l’auteur, le premier vers commençant par un : ILLE EGO fort peu modeste. Si j’ai le temps, je m’occuperait de ce détail lors de ma retraite, qui, en 2004, s’éloigne de facto! Ceci explique le : «Et» initial infra, qui n’est donc pas une syllabe parasite supplémentaire, metri causa]
Et les armes je chante, et l’homme, qui de toute
La côte d’Ilion tin t la première route
Par destin vagabond en Italie aux bords
Du pays Latinois : il eut d’étranges sorts
A l’appétit des Dieux, sur la terre et sur l’onde
Pour le dépit toujours vif en l’âme profonde
De Junon vengeresse : il eut bien à pâtir,
Par les guerres aussi quand ce vint à bâtir
Une ville et à mettre au pays de Latie
Ses Dieux, de qui la gent des Latins est sortie,
Et les pères Albains, et de qui hautement
Les enceintes de Rome ont pris leur fondement.
Muse dy-m’en le fait : pour quelle braverie
A sa majesté sainte, et comme quoy marrie
La princesse des dieux embarqua de son chef
A rouler tant d’ennuis, courir tant de méchef
Un homme en pitié si connu par ses gestes ?
Tant d’ire loge telle ès courages célestes ?
Il y eut une ville antique où jadis ont
Habité ceux de Tyr, Carthage loin de front
L’Italie et les huis du Tybre regardante :
Riche en biens et au fait des batailles ardente,
Que seule devant Same, ainsi que l’on disoit,
Junon sur toute terre habiter se plaisoit,
Icy son char estoit, icy ses armes même,
Icy des nations le Royaume supréme,
Aspiroit la Deesse et vouloit estre mis,
Si comme que ce fust le destin l’eut permis :
Car elle en avoit bien entendu la menace,
Comme du sang Troyen sortiroit une race
Qui mettroit les rampars des Tyriens à bas,
Que largement regnant et superbe es combats
De là viendroit un peuple au sac de la Lybie :
Que les Parques avoient ainsi leur trame ourdie,
La fille de Saturne en craignant les effects
Et fraiche de la guerre, et des vieux combats faits
Devant Troye en faveur de ses aimés Argives
(Ny ne s’arrachoient pas les causes tousiours vives
De son ire, et le dueil de son cœur mutiné :
Dans le fond de son ame estoit enraciné
Et l’arrest de Paris, et depiteux de honte
L’affront de sa beauté mise à trop peu de côté,
Et la race ennemie et l’honneur odieux
Fait au beau Ganimede enlevé dans les Cieux)
S’enflammant là dessus repoussoit irritee
La flote cà et là par les mers agitee
Des Troyens, demeurant rechappé de la main
Des Gregeois et d’Achille au courage inhumain
Loing ce qu’elle pouvoit de la Latine rive :
Et erroit ceste gent par beaucoup d’ans fuitive
De mer en mer chassee ainsi que la iettoit
Cà et là le destin à son gré tant c’estoit
Un grand fait d’établir la nation Romaine.
Travail de Chantal Osorio:
Virgile
Enéide Chant
1, vers 1-33 |
|
|
Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris |
Arma
virumque cano |
Je
chante les armes et ce héros, (les combats du héros) |
Trojae
qui primus, ab oris |
qui
le premier, des rivages de Troie, |
Italiam, fato profugus, venit |
chassé
par le destin, vint en Italie |
Laviniaque
litora, |
et
sur les rivages de Lavinium, |
multum
ille jactatus |
ce
héros (fut) fréquemment malmené |
et
terris et alto |
et
sur terre et sur mer |
vi
superum |
par
la puissance des dieux d’en haut |
saevae
memorem Iunonis ob iram, |
à
cause de la colère ayant de la mémoire/tenace de Junon ; du
ressentiment de la cruelle Junon, |
quoque
et passus |
et
il endura aussi |
multa
bello |
bien
des malheurs à cause de la guerre |
dum
conderet urbem |
avant
qu’il ne fonde une cité |
inferretque
deos Latio |
et
qu’il n’apporte ses dieux dans le Latium ; |
genus
unde Latinum |
de
là (viennent) le peuple latin |
Albanique
patres |
et
les pères Albains |
atque
altae moenia Romae. |
et
les murailles de la haute Rome. (les hautes murailles de.. ) |
|
Musa, mihi causas memora, quo numine laseso, 10
quidve dolens regina deum tot volvere casus
insignem pietate virum, tot adire labores
impulerit. Tantaene animis caelestibus irae ? |
Musa,
mihi causas memora, |
Muse,
rappelle-moi les causes, |
quo
numine laeso, quidve dolens, |
à
cause de quelle volonté divine offensée et souffrant quoi pour
quelle offense à sa volonté divine et pour quelle douleur |
regina
deum |
la
reine des dieux |
impulerit |
précipita-t-elle |
insignem
pietate virum |
cet
homme remarquable par sa piété |
tot volvere casus |
à
traverser tant de malheurs dans
une telle cascade de malheurs |
tot
adire labores. |
à
affronter tant d’épreuves. / sur un chemin si éprouvant. |
Tantaene
animis caelestibus irae? |
De
si grandes colères (sont-elles) dans les âmes célestes ?
Y a-t-il tant de ressentiments dans les âmes célestes ? |
|
Urbs antiqua fuit, Tyri tenuere coloni,
Carthago,
Italiam contra Tiberinaque longe
Ostia,
dives opum studisque asperrima belli; 15
quam Iuno fertur terris magis omnibus unam
posthabita coluisse Samo ; hic illius arma,
hic currus fuit ; hoc regnum dea gentibus esse,
si qua fata sinant, jam tum tenditque fovetque.
|
Urbs
antiqua fuit, Tyrii tenuere coloni, |
Il
y avait une antique cité, des colons de Tyr l’habitèrent |
Carthago, |
Carthage, |
Italiam contra |
(qui
était) face à l’Italie |
Tiberinaque
longue ostia, |
et
aux bouches du Tibre au loin, |
dives
opum |
abondante
en ressources |
studiisque
asperrima belli ; |
et
très redoutable par ses ardeurs à la guerre |
fertur
Iuno |
Junon
est rapportée / on
rapporte que Junon |
quam
coluisse unam |
l’honorer
elle seule /
l’honorait cette seule cité |
terris
magis omnibus |
plus
que toutes les (autres cités sur) terres |
posthabita
Samo ; |
Samos
ayant été placée en seconde ligne avant
même l’île de Samos ; |
hic illius arma, hic currus fuit ; |
là
étaient ses armes, là son char ; |
hoc regnum gentibus esse, |
qu’elle
(que
cette ville)
obtienne le pouvoir sur les peuples |
si
qua fata sinant, |
si
les destins le permettent, |
jam tum dea tenditque fovetque. |
(c’est
ce que) déjà alors la déesse vise et recherche. |
|
progeniem sed enim Trojano a sanguine duci 20
audierat. Tyrias olim quae verteret arces;
hinc populum late regem belloque superbum
venturum excidio Libyae: sic volvere Parcas. |
Sed enim audierat |
Mais,
en effet, elle avait appris |
progeniem
Troiano a sanguine duci |
qu’une
race sortait du sang troyen |
Tyrias
olim quae verteret arces ; |
(race)
qui un jour renverserait la citadelle tyrienne ; |
hinc
populum |
que,
de là, un peuple |
late
regem belloque superbum |
souverain
partout, et superbe à la guerre, |
venturum
excidio Libyae : |
sortirait
pour la ruine de la Libye : |
sic volvere Parcas. |
ainsi
les Parques l’ont-elle filé. (en
ont-elles décidé) |
|
Id
metuens, veterisque memor Saturnia belli,
prima quod ad Trojam pro caris gesserat Argis – 25
necdum etiam causae irarum saevique dolores
exciderant
animo: manet alta mente repostum
judicium Paridis spretaeque injuria formae,
et genus invisum, et rapti Ganymedis honores.
|
Id
metuens Saturnia |
La
Saturnienne redoutant cela |
veterisque
memor belli |
et
se souvenant de l’ancienne guerre |
prima quod ad Troiam gesserat, |
qu’en
première ligne elle avait menée devant Troie, |
pro caris Argis, |
pour
ses chers Argiens, |
necdum
etiam causae irarum, |
ni
même les causes de sa colère, |
saevique
dolores exciderant animo : |
ni
ses cruels ressentiments n’avaient quittés son esprit : |
manet
alta mente repostum |
restent
ancrés au plus profond de son esprit |
judicium
Paridis |
le
jugement de Paris |
spretaeque
injuria formae, |
et
l’injure de sa beauté méprisée, l’injurieux
mépris de sa beauté |
et
genus invisum, |
et
cette race haïe, |
et
rapti Ganymedis honores. |
et
les honneurs (accordés)
à Ganymède enlevé. (après
le rapt)
|
|
His accensa super, jactatos aequore toto
30
Troas, reliquias Danaum atque immitis Achilli,
arcebat longe Latio, multosque per annos
errabant, acti fatis, maria omnia circum. Tantae molis erat Romanam condere gentem! |
his accensa super, |
Enflammée
à cause de cela, |
iactatos
aequore toto Troas, |
les
Troyens ballottés sur toute l’étendue de la mer, |
reliquias
Danaum atque immitis Achilli. |
Restes
des Danéens et de l’impitoyable Achille |
arcebat
longe Latio, |
elle
les repoussait loin du Latium, |
multosque
per annos |
et
depuis de nombreuses années, |
errabant,
acti fatis, |
ils
erraient, poussés par les destins, |
maria
omnia circum. |
sur
toutes les mers. |
Tantae
molis erat |
C’était
le propre d’un tel labeur Si
lourde était la tâche |
Romanam
condere gentem ! |
de
fonder le peuple romain ! (la
nation romaine) |
Enéide
Chant I, vers 1-33 (Incipit) : Commentaire
Introduction :
-
Virgile
-
Présentation de l’Enéide, épopée augustéenne
-
Situation du texte : incipit ->
installe les thèmes majeurs de l’œuvre / le ton / l’objectif
I
– Un incipit épique
1-1 : un incipit efficace :
- le plan de l’œuvre est annoncé dès
les premiers vers :
.Dans les vers 2 à 4, sont évoquées
les pérégrinations d’Enée, qui seront traitées dans les 6 premiers chants
de l’Enéide.
.Dans les vers 5 à 7 sont évoquées les
guerres menées par Enée pour fonder sa ville, guerres relatées dans les
chants 7 à 12.
- nous sont présentés aussi les éléments
essentiels du récit:
-Le héros « virum » dès le premier vers (repris vers
10)
ses origines « Trojam ab oris »,v1
sa
destination : « Italiam Laviniaque litora » v.2 (donc les
‘limites’ de ses déplacements)
sa mission : « inferret deos…Romam »v.6 / « Romanam
condere gentem » v.33
-
Son opposant majeur (véritable anti-sujet) sans lequel il n’y aurait
pas de récit : Junon, déesse hostile au héros , présente dès le vers 4
« saevae memorem Junonis »
les
raisons de son hostilité : son amour pour Cathage (vers 13-18) / la volonté
opposée des Parques (19-22)/ Pendant la guerre de Troie, son soutien indéfectible
pour les Grecs (24)/ + le jugement de Paris, et l’enlèvement de Ganymède
(27-28)
les
résultats immédiats de sa haine: les tribulations du héros
(3/5/9-10/29-32)
-Les
lieux dans lesquels il se situe : entre Troie, l’Italie -et plus
particulièrement Lavinium-, et
Carthage.
-
L’époque : entre la guerre de Troie (v.1) et la fondation de Rome
(v.33).
- un incipit «assumé» par son auteur :
« cano » au 1°vers, et « Musa, mihi causas memora » vers 8. + les deux
épiphonèmes des vers 11 et 33 qui expriment les sentiments du poète devant
les événements qu’il va relater (l’incompréhension / l’étonnement)
= installe une distance entre l’homme « normal » et le héros.
1-2- Un incipit épique
Tous les ingrédients de l’épopée
sont réunis dans cet incipit.
- Le vers choisi, l’hexamètre
dactylique, vers de l’épopée par excellence.
- Les personnages et l’argument
du récit : - un héros, conduit par le destin à
accomplir une haute mission, - mais contrecarré par les projets d’une divinité
puissante .
- Un héros :
début du texte : « arma virumque
cano », au 1°vers, avant coupe hepht.
Vers 10 : insignem pietatis virum,
avant coupe hepht.
C’est un valeureux guerrier « arma »
premier mot du texte.
Caractérisé par une vertu principale :
« pietatis » (« pietate virum », vers 10, entre deux
coupes tri/hepht).
-
A qui les dieux/le destin ont confié une haute mission :
dieux/destins :
vers 2 : « fato progufus »
(entre coupe tri/hepht) + deux longues sur fato, insistance sur le rôle du
destin.
Vers 22 : sic volvere Parcas, après
coupe hepht+ deux mots pieds en finale de vers.
32 :
« acti fatis » entre tri et hepht, + 4 longues –poids du destin-
La mission :
« dum conderet urbem »
v.5(après hepth + deux mots pieds en finale)
« inferretque deos » v.6
avant pent ; définit l’importance de la mission : trouver aux dieux
de Troie un autre domicile.
« Romanam conderet gentem »
v.33, après la coupe pent, avec ‘condere gentem’, mots-pieds en finale de
vers.
Noter l’ordre suivant lequel la mission
nous est dévoilée : fonder une ville ; cette ville sera le nouveau
domicile des dieux pénates de Troie ; cette ville sera le berceau de la
Nation Romaine.
Enée héros premier, avant Romulus.
- Mais soumis à des tribulations
« multum et terris jactatus et alto » v. 3 ,
avec coupe hepht qui « coupe » le héros de « terris » ;
« tot volvere casus » v. 9 après coupe
hepht + deux mots pieds
« tot adire labores » v.10
(après coupe hepht)
« jactatos aequore toto » v .29-30
, après coupe pent + deux mots pieds en finale.
« multosque per annos »
v.31-32 après coupe hepht + rejet de « errabant » en début de 32 +
après la coupe hepht « maria omnia circum », avec deux mots pieds
en finale, insistant sur « omnia circum ».
-
En effet il gène les plans de Junon
Junon (« Junonis » nommée au 4°
vers) est l’autre personnage fondamental de cette épopée, omniprésente dans
cet incipit : plus de 20 vers sur les 33 parlent d’elle.
Ce
n’est pas n’importe quelle déesse, mais une déesse puissante :
vers 9 « regina deum » entre
deux coupes tri/hepht. Elle est aussi fille de Saturne : «Saturnia »,
vers 23, après coupe hepht. Elle est en outre soutenue par d’autres
dieux : cf 4 « vi superum ».
La
déesse se caractérise essentiellement par un caractère cruel et rancunier:
« saevae memorem Junonis ob iram »
v.4 avec ‘saevae’ et ‘memorem’ mis en valeur par les trois coupes du
vers.
Sa
mémoire garde tout :
. les souvenirs de ses combats «veterisque
memor Saturnia belli, /prima quod ad Trojam pro caris
gesserat Argis » -23-24- et sa
participation à la guerre aux côtés des Grecs («pro caris…Argis »,
après la coupe, rappelle ses préférences, et donc sa haine pour les Troyens) ;
. mais surtout toutes les offenses
susceptibles de déclencher sa colère (cf vers 25- 28) :
rappel du jugement de Paris avec
l’humiliation qui l’accompagne – ‘formae’ en mot-pied final-, et la
haine attachée à son peuple, + Ganymède, troyen aussi, dont l’humilie
autant le rapt que les « honores » (- ‘Ganymedis honores’
après la coupe hepht, ‘rapti’ ayant été détaché par l’autre coupe
pent :double offense faite par Jupiter à Junon) ;
= une mémoire envahie par ses
ressentiments pour tous les Troyens. Or Enée est troyen.
En
outre elle a des projets personnels attachés à sa préférence pour Carthage :
vers 12 - 18, et en particulier « hoc
regnum
dea gentibus esse, / si qua fata
sinant, jam tum tendique fovetque. », avec « regnum » mis en
valeur entre les deux coupes pent- hepht et « jam tum » (idem).
Mais
elle est soumise à une force plus forte qu’elle : le destin
« si qua fata sinant », placé
en début de vers 18 avant la coupe pent : isolement suggérant deux volontés
en opposition ; laquelle est exprimée par le « sed enim » du
vers 19, placé entre coupe tri et pent. Car les destins ont d’autres projets :
« Progeniem sed enim Trojano a sanguine duci » (Sanguine duci, deux
mots pieds en finale).
La
question est donc plus de savoir jusqu’à quelles extrémités la colère de
Junon pourra se laisser aller à l’encontre du Héros, que de savoir quelle
sera l’issue de l’opposition, les « fata » étant d’emblée présentés
comme supérieurs à Junon, et donc favorables à la mission « Romanam
condere gentem » . Cet incipit nous annonce donc autre chose qu’une
« simple » épopée.
II Un incipit placé sous le patronage
d’Homère, comme « caution », pour une épopée destinée à
chanter la grandeur de Rome et de son empereur Auguste.
2-1) Une épopée homérique
L’Énéide,
dès les premiers vers, se présente comme l’héritière de l’Iliade et de
l’Odyssée.
- Virgile ancre dès le premier vers son
épopée dans le cycle Troyen :
· « Troiae » v.1 situé
entre coupe pent et coupe hepht,
repris par «Trojano ab sanguine », vers 19 après la coupe pent ,
« ad Trojam » vers 24, et « Troas » au début du v.30,
spondée initial.
- Présence des héros du cycle Troyen :
· « Paridis » v.
27 situé entre coupes tri et pent, le troyen responsable de la guerre (judicium
en mot initial, + après la coupe « spretae… formae » rappelant
l’enjeu du concours entre les déesses) ; « caris Argis »,
vers 24, «Danaum » et «Achilli » v.30 , après la coupe pent, les
Grecs et leur héros majeur.
- Virgile construit son épopée à
l’image de celle d’Homère mais en inversant les deux parties (cf le plan) :
.les vers 2-4 évoquent les pérégrinations
d’Enée, entre Troie et Lavinium, pérégrinations traitées dans les 6
premiers chants de l’Enéide, en // avec L’Odyssée, récit des pérégrinations
d’Ulysse.
. les vers 5-7 évoquent les guerres menées
par Enée pour fonder sa ville, guerres relatées dans les chants 7 à 12, en //
avec l’Iliade, récit de la guerre des Grecs contre les Troyens.
De nombreux passages dans cet incipit
reprennent ces deux thèmes des pérégrinations et de la guerre :
. champ lexical du voyage : « profugus »,
« venit » v.2 ; « errabant », « acti »
v.32…
· champ lexical de la mer et de la
terre : « oris » v.1 ; « littora » v.3 ;
« terris et alto » v.3 ; « maria omnia circum »
v.32…
. champ lexical de la guerre :
« multaquoque et bello passus» v.5, avant la coupe pent ; « belloque
superbum » v.21 après la coupe hepht ; « memor Saturnia belli »
vers 23…
- Mais si l’Enéide est une Odyssée
suivi d’une Iliade, l’inversion porte aussi sur le contenu même des
récits qui va dans un sens opposé : l’errance d’Enée n’est pas
destinée à lui permettre de rentrer enfin chez lui, mais de trouver ailleurs
un autre « chez lui » ; la guerre menée ensuite par le héros
n’est pas destinée à punir et détruire une ville,
mais à en fonder une nouvelle.
2-2) C’est que cette épopée a
une fonction historique/politique : chanter la gloire de Rome
2-2-1 :
La dimension historique
Totalement absente chez Homère (monde de légende et de
mythologies) : il utilise des éléments de la vie quotidienne de son époque,
mais jamais des événements.
A l’inverse, chez Virgile, la dimension historique est donnée dès
l’incipit :
- indications géographiques très
précises (v.2 « Italiam » en tête de vers, « Lavinia »
après la coupe hepht) + gradation dans les noms de lieux : de « urbem »
v.5, « Latio » v.6 entre pent et hepht, à « Latinum »
en fin de vers ; v.7 de «Albani patres », à « altae moenia
Romae » : Rome enfin citée, et mise en valeur par l’hypallage
« altae Romae » qui la magnifie.
Ainsi, dès les 7 premiers vers on reçoit
plus d’informations sur Rome et sur son peuple que sur Énée.
- puis évocation de la ville de
Carthage, ennemi héréditaire de Rome (lors des guerres puniques : cf
vers 19-22) ; « Carthago » v.13, préparée par la périphrase
emphatique « urbs antiqua fuit » au vers précédent, qui la place
au centre des hostilités futures (cf le vers 22, « venturum »,
participe futur annonçant l’issue de la guerre des deux cités) ; située
géographiquement par rapport à Rome : vers 13 « Italiam contra
Tiberinaque longe/ostia », avec « contra » entre coupe pent et
hepht ce qui met à la fois en évidence sa place géographique et son hostilité
historique + « ostia » en rejet et dactyle initial ;
La suite résume toutes les guerres
puniques :
« Carthago Italiam contra» -
vers 14 « dives opum », juste avant coupe pent. - « studiis
asperrima » juste après la coupe.
Puis au v. 20 insistance sur la
destruction de Carthage « verteret arces » : 2 mots pieds en
finale, et au vers 22 : « excidio Libyae » avant la coupe pent.
N’est-il
pas clair que Rome est le véritable sujet ?
Certes
au vers 15, Carthage est mise sous la protection de Junon : on repasse de
l’Histoire à l’Epopée. Mais la raison en est claire : Junon est
favorable à Carthage, et contre les Troyens, donc doublement opposée à Enée
(cf v.4), comme Troyen, et comme héros ayant pour mission de fonder la ville
d’où viendront les destructeurs de Carthage.
Les Guerres Puniques trouvent ainsi leur
justification dans la mythologie. Et les vainqueurs en tirent la gloire
d’avoir écrasé une cité protégée par Junon, la reine des dieux. Ou
comment l’épopée et l’histoire se renforcent l’une l’autre.
2-2-2 L’Enéide fait
donc bien l’éloge de Rome et de la politique Augustéenne
Énée :
Héros éponyme, évoqué mais non cité. Son fils Ascagne est aussi appelé
Iule ; c’est lui qui fondera la ville d’Albe ( Et Romulus et Rémus
viennent d’Albe) ; de lui viendra la « gens Julia », celle de
César ; or Auguste étant le fils de César se trouve ainsi être
le descendant d’Enée.
A
travers Énée, c’est en fait Auguste qui est représenté. Si la première
épithète accordée à Enée est « insignem pietate virum » v.10
(isolé par coupe hepht), c’est que cela rejoint l’un des objectifs d’
Octave devenu empereur de Rome : après les guerres civiles et les
proscription, il faut faire régner la paix, et remettre en avant les vieilles
valeurs romaines (le mos majorum),
leur abandon étant donné comme la cause des guerres civiles. Auguste se veut
un nouvel intermédiaire entre les hommes et les dieux, en rétablissant la
« virtus , la justitia , la pietas et la clementia ».
Le respect des dieux et des ancêtres que
Virgile signale comme constitutif d’Enée est digne du héros de l’ordre
moral que se veut être Auguste.
Peuple
romain, véritable personnage principal de cet incipit :
- Le peuple romain « Troiano a
sanguine duci », est issu du sang Troyen.
Véritable champ lexical de la
race/filiation/peuple : « genus …Latinum» v.6 ; « Albani
patres » v.7 ; « progeniem » v.19 en tête de vers, avant
une coupe tri. ; « populum » v.21 ; « Romanam gentem »
v.33
- C’est pourquoi le peuple romain a les
vertus d’un héros :
Ce peuple est « late regem belloque
superbo » comme tout héros victorieux ; ce qui évoque aussi bien sûr
la véritable souveraineté du peuple romain sur le bassin méditerranéen,
conquise au cours de guerres nombreuses.
- et celui qui le gouverne devient l’égal
de celui qui est son origine :
Si le dernier vers évoque la « longue et lourde tâche » d’Enée,
« Romanam condere gentem » peut définir aussi la mission
qu’Auguste s’est donnée, de faire régner la paix dans tout l’empire
romain, et ainsi de faire advenir un nouvel « âge d’or ». Pour
cette mission aussi, on peut s’exclamer « tantae molis erat » !
Conclusion :
Cet incipit est tout à fait remarquable :
Certes, il indique tous les thèmes de
l’épopée qu’il introduit ; mais il donne aussi à comprendre
clairement l’objectif « fondateur » que Virgile a assigné à son
œuvre : donner une base mythologique et divine à l’empereur Auguste.
D’emblée le lecteur attentif sait
qu’il va en quelque sorte bénéficier de deux livres en un : la belle
histoire d’Enée, et l’histoire remarquable du peuple romain. Le tout à
travers un texte qui sait mêler la variété des tons et des inspirations,
imitateur d’Homère sans en être esclave.
Comment Auguste aurait-il pu accepter de se soumettre aux volontés ultimes de Virgile en détruisant une œuvre qui servait son image aussi bien, mieux même, que le plus beau des monuments ?
Pour
en savoir beaucoup sur Auguste, je vous recommande une visite sur le site :http://www.ac-orleans-tours.fr/lang_anciennes/arapacis/arapacsommaireauguste.htm