Réponse de Scipion

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Scipio et venisse ea spe in Africam se ait, et spem suam prospero belli eventu auctam, victoriam se non pacem domum reportaturum esse; tamen cum victoriam prope in manibus habeat, pacem non abnuere, ut omnes gentes sciant populum Romanum et suscipere juste bella et finire. Leges pacis se has dicere: captivos et perfugas et fugitivos restituant; exercitus ex Italia et Gallia deducant; Hispania abstineant; insulis omnibus quae inter Italiam atque Africam sint decedant; naves longas praeter viginti omnes tradant, tritici quingenta, hordei trecenta milia modium.-- pecuniae summam quantam imperaverit parum convenit; alibi quinque milia talentum, alibi quinque milia pondo argenti, alibi duplex stipendium militibus imperatum invenio. -- 'his condicionibus' inquit 'placeatne pax triduum ad consultandum dabitur. si placuerit, mecum indutias facite, Romam ad senatum mittite legatos.' ita dimissi Carthaginienses nullas recusandas condiciones pacis cum censuissent quippe qui moram temporis quaererent dum Hannibal in Africam traiceret, legatos alios ad Scipionem ut indutias facerent, alios Romam ad pacem petendam mittunt ducentes paucos in speciem captivos perfugasque et fugitivos quo impetrabilior pax esset. 

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Scipion leur répondit "qu'il était venu en Afrique avec l'espoir de vaincre, et que ses succès lui donnaient presque la certitude de rapporter à Rome la victoire, et non la paix. Cependant, quoiqu'il eût pour ainsi dire la victoire entre les mains, il ne repoussait pas la paix; il voulait faire savoir à toutes les nations que le peuple romain n'entreprenait la guerre qu'avec justice et la terminait toujours de même. II exigeait pour condition de paix que Carthage restituât les prisonniers, les transfuges et les déserteurs ; qu'elle retirât ses armées de l'Italie et de la Gaule ; qu'elle renonçât à l'Espagne ; qu'elle évacuât toutes les îles qui sont entre l'Italie et l'Afrique ; qu'elle livrât tous ses vaisseaux longs , à l'exception de vingt; plus cinq cent mille boisseaux de blé et trois cents mille d'orge." Quant à la contribution en argent qu'il imposa aux vaincus, on n'est pas d'accord sur ce point; je trouve chez quelques historiens cinq mille talents, chez d'autres cinq mille livres pesant d'argent, chez d'autres enfin une double paie pour les soldats de Scipion. "Voilà, mes conditions, dit-il ; décidez si vous voulez de la paix à ce prix ; je vous accorde trois jours pour délibérer. Si vous acceptez, faites avec moi une trève, et envoyez à Rome une ambassade pour le sénat.» Les députés furent ainsi congédiés. A Carthage on fut d'avis de ne refuser aucune des conditions de la paix. On cherchait à gagner du temps pour qu'Hannibal pût repasser en Afrique. On envoya donc une nouvelle ambassade à Scipion pour conclure la trève, et une autre à Rome pour demander la paix : celle-ci menait avec elle, pour la forme, un petit nombre de prisonniers, de transfuges et de déserteurs, afin d'avoir moins de peine à obtenir la paix.

traduction par groupe de mots


XVI [8] SCIPIO AIT Scipion leur répond (" dit ")
Note sur le discours indirect des §§ 8-11
Le AIT introducteur, présent historique, a été considéré comme un vrai présent. Toutes les concordances des temps se font par rapport à un présent. En outre, tous les verbes au subjonctif se seraient déjà trouvés conjugués à ce mode en style direct.

ET SE VENISSE IN AFRICAM qu'il est [le ET ne fait qu'annoncer le ET suivant] venu en Afrique EA SPE dans l'espoir (" avec cet espoir " ablatif apparenté à l'ablatif de manière, marquant une circonstance accompagnante ; EA est développé par une proposition infinitive), ET SPEM SUAM AUCTAM (ESSE) PROSPERO EVENTU BELLI - et que l'heureuse issue de la guerre a accru son espoir (" que son espoir (personnel) a été accru par l'heureux succès de la guerre ") - SE REPORTATURUM ESSE qu'il ramènera (REPORTATURUM ESSE de REPORTO, infinitif futur actif formé du participe futur actif, Acc. masc. sg. comme le sujet SE, et de l'auxiliaire ESSE, marquant une postériorité dans la proposition infinitive développant le EA) DOMUM VICTORIAM NON PACEM à Rome (" à la maison ") une victoire et non un (traité de) paix ; [9] TAMEN cependant CUM HABEAT VICTORIAM PROPE IN MANIBUS bien qu'il tienne presque la victoire dans (ses) mains (SE) NON ABNUERE PACEM il ne refuse pas la paix, UT OMNES GENTES SCIANT afin que toutes les nations sachent POPULUM ROMANUM que le peuple romain ET SUSCIPERE BELLA ET FINIRE JUSTE entreprend (le premier ET ne fait qu'annoncer le second) et termine (ses) guerres d'une manière juste (conforme à la justice). [10] SE DICERE LEGES PACIS HAS Il formule (ajoute-t-il) les dispositions de paix suivantes (" ces lois de paix ") : RESTITUANT CAPTIVOS ET PERFUGAS ET FUGITIVOS Qu'ils (les Carthaginois) rendent les prisonniers, les transfuges et les (esclaves) fugitifs ; DEDUCANT EXERCITUS EX ITALIA ET GALLIA qu'ils retirent (leurs) armées d'Italie et de Gaule ; qu'ils se tiennent à l'écart de l'Espagne (ablatif marquant une séparation) ; DECEDANT OMNIBUS INSULIS qu'ils se retirent de toutes les îles (ablatif cf. HISPANIA) qui se trouvent (" sont ") entre l'Italie et l'Afrique ; [11] TRADANT OMNES NAVES LONGAS qu'ils livrent tous leurs navires de combat (" vaisseaux longs " : plus un vaisseau est allongé, plus il peut aller vite. C'était une caractéristique essentielle des vaisseaux de guerre qui devaient éperonner les navires ennemis) PRAETER VIGINTI sauf vingt, (TRADANT) QUINGENTA (MILIA MODIUM) TRITICI, TRECENTA MILIA MODIUM HORDEI (qu'il livrent) cinq cent mille boisseaux (" cinq cent milliers de boisseaux ", MODIUM est le Gén. pl. archaïque de MODIUS, II " le boisseau ", mesure valant 8,76 litres ; cela revient à demander 43.750 hectolitres de blé, soit 4375 m 3 qui rempliraient un espace cubique de 16 m d'arête) de blé et trois cent mille boisseaux d'orge (soit 2625 m3 remplissant un cube de 13,8 m d'arête).
N.B. RESTITUANT, DEDUCANT, DECEDANT, TRADANT : ces verbes développent le démonstratif HAS cf. Catilinaires, 2, 20 EOS HOC MONEO DESINANT FURERE, cité par E.-Th. § 307

- [12] PARUM CONVENIT On n'est pas d'accord (sur le point de savoir) QUANTAM SUMMAM PECUNIAE IMPERAVERIT l'importance de la somme en numéraire que (" quelle grande somme d'argent monnayé ") (Scipion) a commandée. INVENIO ALIBI QUINQUE MILIA TALENTUM Je trouve ici (ALIBI... ALIBI...= " à un endroit..., ailleurs... ") (que ce sont) cinq mille talents (" cinq milliers de talents " TALENTUM Gén. pl. archaïque de TALENTUM, I nom d'une unité de poids dont la valeur attestée la plus faible pour le métal monétaire est de 20kg1/2 ; le total serait d'env. cent tonnes d'argent), ALIBI QUINQUE MILIA PONDO ARGENTI ailleurs (que ce sont) cinq mille livres (PONDO, indéclinable désignant la " livre " de 324 g, signifiait à l'origine " en poids ", car c'est au départ l'Abl. d'un *PONDUS,I uniquement usité à cette forme, qui accompagnait le terme LIBRA " livre " ; par la suite LIBRA a été sous-entendu) d'argent (= 1620 kg d'argent), ALIBI DUPLEX STIPENDIUM IMPERATUM (ESSE) MILITIBUS ailleurs (encore) (que c'est) une double solde qui a été commandée pour les soldats. - [13] " DABITUR " INQUIT " Il vous sera accordé (" donné "), dit-il (on passe au style direct), " TRIDUUM un délai (" une durée ") de trois jours AD CONSULTANDUM pour délibérer (gérondif) -NE PAX PLACEAT HIS CONDICIONIBUS (sur le point de savoir) si la paix (vous) plaît à ces conditions (ablatif ). SI PLACUERIT Si c'est le cas (" si elle vous a plu " futur antérieur), FACITE INDUTIAS MECUM concluez (" faites ") une trêve (mot qui est toujours au pluriel en latin) avec moi, MITTITE LEGATOS ROMAM AD SENATUM (et) envoyez des ambassadeurs devant le Sénat de Rome (" à Rome auprès du Sénat "). [14] CUM CARTHAGINIENSES ITA DIMISSI Comme les Carthaginois, ayant été ainsi renvoyés (chez eux), CENSUISSENT avaient émis l'avis, QUI QUIPPE (eux) qui, bien sûr, QUAERERENT MORAM TEMPORIS cherchaient (subjonctif imparfait dans une relative à nuance de cause) à gagner du temps (" recherchaient un délai ") DUM HANNIBAL TRAICERET IN AFRICAM jusqu'à ce qu'Hannibal passe (" fasse la traversée ") en Afrique, NULLAS CONDICIONES PACIS (ESSE) RECUSANDAS qu'il ne fallait refuser aucune condition (pluriel en latin) de paix (" que nulles conditions de paix n'étaient à refuser " RECUSANDAS adjectif verbal Acc. fém. pl. attribut de CONDICIONES dans une proposition infinitive COD de CENSUISSENT), MITTUNT LEGATOS ALIOS AD SCIPIONEM envoient des (" d'autres " le premier ALIOS ne fait qu'annoncer le second : les Carthaginois envoient deux séries ambassadeurs, " les uns " à Scipion et " les autres " à Rome) ambassadeurs auprès de Scipion UT INDUTIAS FACERENT pour conclure une trêve (" pour qu'ils conclussent ", le subj. imparfait indique que le présent historique MITTUNT a été senti comme un passé), ALIOS ROMAM AD PACEM PETENDAM (et) d'autres à Rome pour demander la paix (même expression en 16,3), DUCENTES (ambassadeurs) qui emmenaient (" conduisant " de DUCO, participe présent actif Acc. masc. pl. détermine LEGATOS) IN SPECIEM PAUCOS CAPTIVOS QUE PERFUGAS pour la montre quelques (" peu de ") prisonniers et transfuges ET FUGITIVOS ainsi que des (esclaves) fugitifs QUO PAX ESSET IMPETRABILIOR pour obtenir la paix plus facilement (" pour qu'ainsi la paix fût plus-facile-à-obtenir ").

commentaire: La composition du discours
a) Une réponse vive, concise et instantanée dont Scipion est le seul auteur.
La réponse fuse immédiatement après la demande des Carthaginois. Selon Tite-Live, Scipion ne réfléchit pas, ne prend l'avis de personne, ne réunit pas son état-major pour délibérer, n'en réfère pas au Sénat de Rome avant de poser des conditions. D'autre part, l'auteur allie la concision permise par le style indirect à des procédés qui donnent de la vivacité à l'expression : statut de vrai présent accordé au présent historique rendant le style indirect " actuel " et usage répété aux §§ 10 et 11 du subjonctif sans UT (parataxe) pour développer LEGES HAS, tournure qui relève de la langue parlée. Enfin, le § 13 conclut en style direct. La réponse est donc donnée, osons le mot, tambour battant.

b) Une remarque qui brise le rythme (§ 12)
Comment alors justifier que le jaillissement si spontané, si libre, de ce discours soit brisé aux deux tiers de son déroulement par le § 12 où Tite-Live interrompt son personnage pour prendre lui-même la parole et faire une remarque d'ordre tout à fait technique sur la discordance entre ses sources, qu'il relève scrupuleusement ? Cette discordance était vraisemblablement réelle et ce genre de remarque se trouve régulièrement dans l'oeuvre. On sait en effet que Tite-Live travaillait à partir des ouvrages des historiens antérieurs qui pouvaient refléter des traditions divergentes. Mais on peut faire confiance à l'auteur : s'il l'avait voulu, il aurait trouvé le moyen de conserver tout son rythme au passage.

c) Pourquoi une telle composition ?
En fait, les pourparlers rapportés au ch. 16 vont avorter et la guerre va reprendre, ainsi que le suggèrent déjà le QUIPPE QUI... TRAICERET du §14 et le IN SPECIEM du § 15 annonçant les développements ultérieurs de la situation. Il est donc inutile de trop insister sur la réponse de Scipion en lui donnant trop d'importance, car cet acte va se révéler vain. Scipion va être déçu, "joué" par ses ennemis. Il n'est donc pas mauvais de présenter cette réponse inutile au pas de charge, en évitant les détails et les amplifications. Mais il faut également éviter de paraître escamoter l'action du héros. La remarque technique permet 1° de ne pas déséquilibrer l'ensemble par un mouvement trop précipité en conservant à ce passage une certaine longueur, un certain poids; 2° de séparer le début du discours, dont le propos se révélera stérile, de la conclusion en style direct où le propos est inoffensif pour l'image de Scipion. Ainsi, le § 12 a pour effet de distraire quelque peu le lecteur d'éléments légèrement défavorables au héros.

d) Comparer avec XXX, 36 (fin) et 37
On trouvera à cet endroit le récit de la réponse que Scipion donne à l'ambassade de trente Carthaginois qui vient demander la paix " pour de bon ", après la bataille de Zama. Après une allusion à la première ambassade (celle de notre chapitre), Tite-Live met en scène une réunion d'état-major qui délibère de la question et présente cette fois des motifs de vouloir faire l'économie d'un siège de la ville, puis indique les nouvelles conditions de paix signifiées aux vaincus d'une manière beaucoup plus " historique " : en employant des UT au lieu des parataxes que nous avons vues et en conjuguant les verbes au subjonctif imparfait.

Remarques sur le contenu du discours
a) §§ 8-9 : Scipion accepte de faire la paix
Remarquer qu'il veille à rester en position de force : s'il " ne refuse pas " (litote pour " il accepte ") c'est pour montrer la justice du peuple romain et non pour de quelconques raisons de faiblesse, d'opportunité ou d'intérêt personnel. Il est d'ailleurs déjà quasiment vainqueur...
N.B. Les Etats antiques veillaient à toujours avoir une bonne raison de déclarer la guerre (défense contre l'agression, aide aux alliés en danger...). Bien que les Romains aient fait la guerre continuellement, ils ont toujours eu l'impression d'être dans leur bon droit. La déclaration de guerre était entourée d'un rituel qui faisait constater à tous (et en particulier aux dieux) que l'ennemi avait refusé toute solution pacifique. Mais Tite-Live élargit un peu le propos en parlant de justice pour la fin des guerre également...
b) §§ 10-11 les conditions de paix
FUGITIVOS : ce sont les esclaves qui s'enfuyaient chez l'ennemi pour échapper à leur servitude.
EXERCITUS : Magon, le frère d'Hannibal, opérait encore dans le nord de l'Italie tandis qu'Hannibal lui-même se trouvait au sud, mais ces troupes n'étaient plus entretenues par l'Etat carthaginois et leurs capacités opérationnelles étaient réduites d'autant. L'Espagne avait servi aux Barcides, la famille d'Hannibal, de base pour reprendre la lutte contre Rome en 218. Scipion avait réussi à en chasser les Carthaginois en 206. D'une manière générale, les historiens actuels s'accordent à trouver que ces conditions de paix étaient très avantageuses pour les Carthaginois. Il est possible que Scipion ait voulu terminer la guerre au plus vite pour éviter de laisser cet honneur à son successeur à la tête des troupes romaines d'Afrique.

b) Dispositions transitoires.
On voit que, même si Scipion a le droit de dicter lui-même des conditions de paix, la décision finale revient au Sénat de Rome devant lequel les ambassadeurs carthaginois sont invités à se rendre. La trêve était une chose normale en pareil cas. De même, les ambassadeurs étaient protégés par les lois de la guerre.

Les arrière-pensées carthaginoises
MORAM TEMPORIS QUAERERE : " gagner du temps " : quoique la traîtrise carthaginoise ait été proverbiale à Rome (FIDES PUNICA, la " foi punique " en était synonyme) n'oublions pas toutefois que les " décideurs " carthaginois étaient divisés sur la conduite à adopter. Leur apparente " traîtrise " est due en partie à l'instabilité du rapport des forces entre le parti de la guerre, dominant, et l'opposition favorable à la paix. Tite-Live signale d'ailleurs en XXX, 3-4, que Scipion avait lui-même recouru au même procédé envers Syphax : il avait entamé des négociations qui lui avaient permis d'envoyer des espions au camp des Numides puis les avait fait échouer avant de reprendre les opérations. A la guerre comme à la guerre...