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Haec non hostili modo odio sed amoris etiam stimulis amatam apud aemulum cernens cum dixisset, non mediocri cura Scipionis animum pepulit; et fidem criminibus raptae prope inter arma nuptiae neque consulto neque exspectato Laelio faciebant tamque praeceps festinatio ut quo die captam hostem vidisset eodem matrimonio junctam acciperet et ad penates hostis sui nuptiale sacrum conficeret. Et eo foediora haec videbantur Scipioni quod ipsum in Hispania juvenem nullius forma pepulerat captivae.
Ce discours où perçait non seulement la haine d'un ennemi, mais la jalousie d'un amant qui voit sa maîtresse au pouvoir de son rival, fit une grande impression sur l'esprit de Scipion. Ce qui donnait du poids aux accusations de Syphax, c'était ce mariage conclu à la hâte et pour ainsi dire au milieu des combats, sans qu'on eût consulté ni attendu Lélius; cet empressement précipité d'un homme qui, le jour même où il avait vu son ennemie entre ses mains, s'unissait à elle par les nœuds de l'hymen et célébrait les fêtes nuptiales devant les pénates d'un rival. Cette conduite paraissait d'autant plus coupable à Scipion, que lui-même, jeune encore, en Espagne, s'était montré insensible aux charmes de toutes ses captives.
[1] CUM DIXISSET HAEC Comme il (Syphax) avait dit cela (« ces choses ») NON MODO ODIO HOSTILI non seulement sous l'effet d'une haine d'ennemi (HOSTILI : Abl. neutre sg. épithète de ODIO, Abl. de cause), SED ETIAM STIMULIS AMORIS mais encore sous l'effet des aiguillons de l'amour, CERNENS AMATAM APUD AEMULUM (lui)qui voyait (« voyant » : CERNENS part. prés. act. N. masc. sg. dét. le sujet de DIXISSET) (son) aimée aux côtés de (son) rival, PEPULIT ANIMUM SCIPIONIS il agita l'âme de Scipion CURA NON MEDIOCRI [« au moyen »] d'un souci (qui n'était) pas ordinaire (litote pour « un grave souci »). [2] ET NUPTIAE RAPTAE PROPE INTER ARMA Et le mariage (qui avait été) expédié presque au milieu des combats (« armes », synecdoque fréquente) NEQUE CONSULTO NEQUE EXSPECTATO LAELIO sans consulter ni attendre Laelius (« Laelius n'ayant été ni consulté ni attendu », Abl. absolu) FACIEBANT FIDEM CRIMINIBUS donnaient (« faisaient ») du crédit (du poids) à (ces) accusations -QUE FESTINATIO TAM PRAECEPS ainsi que la hâte si impatiente UT, (qui avait fait) que, EODEM DIE QUO VIDISSET HOSTEM CAPTAM le jour même (« le même jour » Abl. de temps-moment) où il avait vu l'ennemie prisonnière (« prise »), ACCIPERET (EAM) il (l')avait reçue (ACCIPERET et CONFICERET : subjonctifs imparfaits dans une prop. de conséquence marquant simplement que la conséquence est une action terminée au moment de la parole) JUNCTAM MATRIMONIO dans les liens du mariage (« unie [à lui] par un mariage ») ET CONFICERET SACRUM NUPTIALE et avait accompli le rite nuptial AD PENATES HOSTIS SUI devant les Pénates (v. dictionnaire) de son propre ennemi ; [3] ET HAEC VIDEBANTUR SCIPIONI et cela (« ces choses ») paraissait à Scipion EO FOEDIORA QUOD d'autant plus honteux [« parce »] que IN HISPANIA en Espagne FORMA NULLIUS CAPTIVAE la beauté d'aucune captive PEPULERAT IPSUM JUVENEM ne l'avait ému (alors qu'il était) jeune lui-même (JUVENEM : attribut du COD IPSUM).
commentaire:
Scipion soupèse brièvement les propos de Syphax
Dans son discours, Syphax a crédité Sophonisbe d'une terrible puissance de persuasion qu'il ne s'est pas privé de dénoncer violemment. Oui mais... Tite-Live fait allusion à la haine de Syphax contre Masinissa et de sa jalousie, bien compréhensible vu la présence de Sophonisbe elle-même à l'entrevue (AMATAM APUD AEMULUM CERNENS) : les propos du vaincu pourraient donc avoir pour but de nuire à un ennemi qui est aussi un rival en amour ! Néanmoins, pour l'équilibre du récit, Syphax doit avoir raison puisque tous les ennuis occasionnés aux Romains par les Numides doivent obligatoirement provenir du patriotisme carthaginois de l'héroïne. Scipion corroborera donc les propos de Syphax par le comportement de Masinissa où il percevra déjà l'influence dangereuse de Sophonisbe. L'image de Scipion est donc intacte : il croit Syphax (qui « objectivement » dit vrai) sans pécher par crédulité.
N.B. Scipion et les captives
Le comportement impulsif de Masinissa permet à Tite-Live de flatter par contraste l'image de Scipion qui, lui, s'est toujours montré d'une correction exemplaire (NULLIUS FORMA PEPULERAT CAPTIVAE), ainsi que l'historien le développe largement ailleurs (XXVI, 49,
11-16 et surtout XXVI , 50 , 1-14). Scipion gagnait plutôt les coeurs... des fiancés qui se voyaient rendre leur belle et étaient poussés à devenir les alliés des Romains.
Une faiblesse du scénario livien
Sophonisbe et Masinissa sont donc apparemment présents lorsque Syphax parle à Scipion. Or, en principe, le commandant en chef aurait dû commencer par recevoir ses officiers victorieux pour entendre leur rapport... et les féliciter chaleureusement pour leur belle victoire avant de s'entretenir avec un prisonnier, fût-il royal. Mais ce scénario aurait interrompu la progression régulière du récit. Scipion aurait vu ses officiers, puis Syphax, puis de nouveau Masinissa... Le récit en aurait été alourdi. Tite-Live a préféré tenir son lecteur en haleine.
Conclusion sur l'Apparition de Sophonisbe
Scipion et le lecteur sont à présent bien persuadés qu'en épousant Sophonisbe Masinissa a placé les Romains devant une difficulté qu'il importe de résoudre au plus vite.