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Syphacem in castra adduci cum esset nuntiatum, omnis velut ad spectaculum triumphi multitudo effusa est. Praecedebat ipse vinctus; sequebatur grex nobilium Numidarum. Tum quantum quisque plurimum poterat magnitudini Syphacis famaeque gentis victoriam suam augendo addebat: illum esse regem cujus tantum maiestati duo potentissimi in terris tribuerint populi Romanus Carthaginiensisque ut Scipio imperator suus ad amicitiam ejus petendam relicta provincia Hispania exercituque duabus quinqueremibus in Africam navigaverit, Hasdrubal Poenorum imperator non ipse modo ad eum in regnum venerit sed etiam filiam ei nuptum dederit. Habuisse eum uno tempore in potestate duos imperatores, Poenum Romanumque. Sicut ab dis immortalibus pars utraque hostiis mactandis pacem petisset, ita ab eo utrimque pariter amicitiam petitam. Jam tantas habuisse opes ut Masinissam regno pulsum eo redegerit ut uita ejus fama mortis et latebris ferarum modo in silvis rapto viventis tegeretur. His sermonibus circumstantium celebratus rex in praetorium ad Scipionem est perductus. Movit et Scipionem cum fortuna pristina viri praesenti fortunae conlata, tum recordatio hospitii dextraeque datae et foederis publice ac privatim iuncti. Eadem haec et Syphaci animum dederunt in adloquendo victore. Nam cum Scipio quid sibi voluisset quaereret qui non societatem solum abnuisset Romanam sed ultro bellum intulisset, tum ille peccasse quidem sese atque insanisse fatebatur, sed non tum demum cum arma adversus populum Romanum cepisset; exitum sui furoris eum fuisse, non principium; tum se insanisse, tum hospitia privata et publica foedera omnia ex animo ejecisse cum Carthaginiensem matronam domum acceperit. Illis nuptialibus facibus regiam conflagrasse suam; illam furiam pestemque omnibus delenimentis animum suum avertisse atque alienasse, nec conquiesse donec ipsa manibus suis nefaria sibi arma adversus hospitem atque amicum induerit. Perdito tamen atque adflicto sibi hoc in miseriis solatii esse quod in omnium hominum inimicissimi sibi domum ac penates eamdem pestem ac furiam transisse videat. Neque prudentiorem neque constantiorem Masinissam quam Syphacem esse, etiam juventa incautiorem; certe stultius illum atque intemperantius eam quam se duxisse. 

traduction universitaire

A la nouvelle qu'on amenait Syphax au camp, les soldats sortirent tous en foule, comme s'ils allaient assister à une pompe triomphale. C'était lui qui marchait en tête, chargé de fers; il était suivi de la troupe des nobles numides. Alors ce fut à qui grandirait le plus la puissance de Syphax et la renommée de son peuple, pour relever l'importance de la victoire : "C'était là le roi dont la majesté avait paru si imposante aux deux peuples les plus puissants du monde, aux Romains et aux Carthaginois, que le général romain, Scipion, avait quitté sa province d'Espagne et son armée, pour aller solliciter son amitié, et s'était transporté en Afrique avec deux quinquérèmes, tandis qu' Asdrubal, général des Carthaginois, ne s'était pas contenté d'aller le trouver dans ses états, et lui avait donné sa fille en mariage : il avait eu à la fois en son pouvoir les deux généraux, celui de Carthage et celui de Rome. Si les deux partis avaient, en immolant des victimes, cherché à obtenir la protection des dieux immortels, tous deux avaient également cherché à obtenir l'amitié de Syphax. Telle avait été sa puissance, que Masinissa, chassé de son royaume, s'était vu réduit à semer le bruit de sa mort et à se cacher pour sauver ses jours, vivant, comme les bêtes, dans les profondeurs des bois, du fruit de ses rapines." Ce fut au milieu de ces pompeux éloges de la foule que le .roi fut amené au prétoire devant Scipion. Ce ne fut pas non plus sans émotion que Scipion compara la fortune, naguère brillante, de ce prince à sa fortune présente, et qu'il se rappela son hospitalité, la foi qu'ils s'étaient donnée, l'alliance publique et privée qui les avait unis. Les mêmes souvenirs donnèrent du courage à Syphax pour adresser la parole à son vainqueur. Scipion lui demandait "quels motifs l'avaient déterminé à repousser l'alliance de Rome et même à lui déclarer la guerre sans avoir été provoqué." Syphax avouait qu'il avait fait une faute et commis un acte de démence, mais que ce n'avait pas été en prenant les armes contre Rome : c'était là le terme et non le début de sa folie. Son égarement, son oubli de toutes les lois de l'hospitalité, de tous les traités d'alliance, avaient commencé le jour où il avait introduit dans son palais une femme de Carthage. Le flambeau de cet hymen avait embrasé sa cour; c'était là cette furie, ce démon fatal; dont les charmes avaient séduit son coeur et perverti sa raison; cette femme n'avait eu de repos que lorsqu'elle avait mis elle-même entre les mains de son époux des armes criminelles pour attaquer un hôte et un ami. Dans sa détresse, dans cet abîme de malheurs où il était plongé, il avait au moins la consolation de voir son plus cruel ennemi introduire au sein de sa demeure et de ses pénates ce même démon, cette même furie. Masinissa ne serait pas plus sage ni plus fidèle que Syphax; sa jeunesse le rendait même plus imprudent. II y avait, à coup sûr, plus d'irréflexion et de folie dans la manière dont il avait épousé Sophonisbe."

traduction par groupe de mots et commentaires

CUM ESSET NUNTIATUM SYPHACEM ADDUCI IN CASTRA Comme il avait été annoncé (passif impersonnel) que l'on amenait Syphax au camp (« que Syphax était amené » - le camp est celui de Scipion), OMNIS MULTITUDO toute une foule (OMNIS donne l'idée que la foule est un ensemble composite, formé de toutes sortes de gens différents : non seulement les soldats mais les valets d'armée, les marchands, les femmes, tout le petit monde qui accompagnait l'armée) EST EFFUSA se répandit (« fut répandue » - l'idée est que les gens « sortent en foule ») VELUT AD SPECTACULUM TRIUMPHI comme au spectacle d'un triomphe (A Rome, le triomphe est le grand cortège solennel avec lequel un général vainqueur va remercier Jupiter Capitolin d'avoir donné la victoire ; cette récompense accordée par le Sénat était très convoitée. Le général, habillé, comme le dieu, d'un grand manteau rouge, se tient sur un char. Il fait défiler dans le cortège ses plus belles prises de guerre, notamment les prisonniers de marque). [2] IPSE VINCTUS PRAECEDEBAT Lui-même enchaîné (de VINCIRE,io, vinxi, vinctum « enchaîner », rien à voir avec VICTUS « vaincu ») marchait en tête, GREX NOBILIUM NUMIDARUM SEQUEBATUR (et) une troupe (« un troupeau ») de nobles Numides (le) suivaient. TUM QUISQUE AUGENDO VICTORIAM SUAM A ce moment, chacun, en amplifiant (AUGENDO gérondif à l'ablatif. 
Le datif est en principe impossible ici) sa propre victoire, ADDEBAT QUANTUM POTERAT PLURIMUM ajoutait autant qu'il (le) pouvait le plus (de choses possible) MAGNITUDINI SYPHACIS à la grandeur de Syphax, FAMAE GENTIS à la renommée de la nation (numide) : [3] ILLUM ESSE REGEM Ce personnage était le roi (style indirect dépendant de l'idée déclarative contenue dans PLURIMUM ADDEBAT : « ajoutait des tas de choses » en disant que...) MAJESTATI CUJUS à la majesté duquel DUO POPULI POTENTISSIMI IN TERRIS les deux peuples les plus puissants sur Terre (TERRIS « les terres » émergées), ROMANUS CARTHAGINIENSIQUE, le (peuple) romain et le (peuple) carthaginois TRIBUERINT TANTUM avaient accordé tant (d'attention...) (TRIBUERINT subjonctif de style indirect ; parfait employé comme temps absolu représentant un indicatif parfait du style direct), [4] UT SCIPIO, IMPERATOR SUUS au point que Scipion, son propre général en chef (SUUS [= populi Romani] n'est pas ici un « réfléchi » ; Tite-Live l'emploie pour insister sur importance de la personne de Scipion pour l'Etat romain) NAVIGAVERIT IN AFRICAM était allé (« a navigué » subjonctif dans une prop. de conséquence et parfait = temps absolu marquant un fait passé par rapport au moment de la parole) en Afrique DUABUS QUINQUEREMIBUS avec deux quinquérèmes (QUINQUEREMIS : C'est le navire de guerre ordinaire, non pas un navire à « cinq rangs » de rames mais un navire à trois rangs de rames au maximum où chaque série de trois avirons était manoeuvrée par cinq hommes : deux hommes pour chacun des deux avirons supérieurs et un seul pour l'aviron inférieur ; DUABUS : nombre dérisoire ; Scipion s'était jeté dans la gueule du loup, voir Tite-Live XXVIII, 17,4 - 18,12, et on lui a reproché d'avoir ainsi risqué sa personne : Tite-Live, XXVIII, 42, 7) AD PETENDAM AMICITIAM EJUS pour demander (adjectif verbal) son amitié (« l'amitié de celui-ci ») RELICTA PROVINCIA HISPANIA EXERCITUQUE après avoir abandonné (sa) province d'Espagne ainsi que (son) armée (abl. absolu, RELICTA abl. fém. sg. accordé avec PROVINCIA, le sujet le plus rapproché ; HISPANIA est apposé à PROVINCIA ; PROVINCIA ne désigne pas ici une entité territoriale mais bien la sphère d'activité spécialement dévolue à un magistrat ; à l'époque, en 206, Scipion avait le pouvoir militaire (IMPERIUM) en Espagne au mépris des règles habituelles puisqu'il n'avait pas encore été élu aux magistratures requises, préture et/ou consulat. On lui avait conféré l'IMPERIUM quoiqu'il ne soit que PRIVATUS, un « simple particulier ». Cette formule du PRIVATUS CUM IMPERIO préfigure le fondement juridique du futur pouvoir impérial), [5] HASDRUBAL POENORUM IMPERATOR (tandis qu') Hasdrubal, général en chef des Carthaginois, NON MODO VENERIT IPSE AD EUM IN REGNUM n'était pas seulement venu (temps : cf. NAVIGAVERIT) lui-même auprès de lui dans son royaume SED EI DEDERIT ETIAM FILIAM NUPTUM mais lui avait même donné (cf. VENERIT) sa fille en mariage (« pour se marier » supin de NUBERE,o, nupsi, nuptum « épouser », en parlant de la femme, il faut donc comprendre « pour qu'elle se marie »). EUM HABUISSE Cet homme (Syphax) avait eu IN POTESTATE en son pouvoir UNO TEMPORE au même instant (« en un seul moment ») DUOS IMPERATORES, POENUM ROMANUMQUE deux généraux en chef, un carthaginois et un romain. [6] SICUT UTRAQUE PARS PACEM PETISSET AB DIIS IMMORTALIBUS De même que chacune des deux parties avait demandé (ici subjonctif de style indirect ; plus-que-parfait : temps relatif exprimant l'antériorité de cette action par rapport à PETITAM (ESSE)) la paix aux dieux immortels HOSTIIS MACTANDIS en immolant des victimes (HOSTIIS de HOSTIA,ae « la victime » d'un sacrifice ; MACTANDIS adjectif verbal épithète de HOSTIIS : « au moyen de victimes à immoler »), ITA AMICITIAM PETITAM (ESSE ) AB EO PARITER UTRIMQUE de même une amitié lui avait été demandée également des deux côtés (Bref, Romains et Carthaginois ont mis Syphax sur le même pied que les dieux auxquels ils avaient déjà eu l'occasion de s'adresser. L'équivalent des victimes sacrificielles est, dans un cas, Sophonisbe et dans l'autre Scipion lui-même qui se livre sans défense à Syphax. L'expression « dieux immortels », par sa généralité, donne à la comparaison une certaine force en suggérant que les deux parties en guerre s'adressaient aux mêmes êtres divins comme elles se sont adressées au même roi – cf. par exemple l'Iliade d'Homère ou tant les Grecs que les Troyens sacrifient aux mêmes dieux).[7] JAM HABUISSE TANTAS OPES D'autre part, (il) avait eu de si grandes ressources UT REDEGERIT MASINISSAM PULSUM REGNO qu'il avait affaibli (« abaissé, réduit » - REDEGERIT cf. supra NAVIGAVERIT etc.) Masinissa chassé de son royaume (MASINISSAM PULSUM groupe COD de REDEGERIT : trad. possible « après avoir chassé M. de son royaume il l'avait réduit... ») EO UT VITA EJUS à ce point que la vie de celui-ci VIVENTIS RAPTO IN SILVIS MODO FERARUM vivant (part. prés. actif Gén. masc. sg. détermine EJUS) de rapine dans les forêts à la manière des bêtes sauvages TEGERETUR FAMA MORTIS ET LATEBRIS se protégea (TEGERETUR : « fut » ou « était protégée » ; l'emploi du subj. imparfait montre que le fait est énoncé pour sa valeur de conséquence et non pour son importance propre) par la rumeur de (sa) mort et grâce à des cachettes. »

commentaires: §§1-7 Un prisonnier remarquable
1.Une mise en scène à grand spectacle (§§ 1- 2).
La scène réunit de très nombreux figurants (OMNIS MULTITUDO EFFUSA, GREX NUMIDARUM) dans une atmosphère de solennité joyeuse (allusion à la cérémonie du triomphe). L'image de Syphax enchaîné se détache nettement (IPSE attire l'attention sur le personnage en l'opposant aux autres) sur ce fond de multitude grouillante. La place de VINCTUS en fin de membre de phrase correspond cinématographiquement à un gros plan sur les chaînes. L'allusion à un groupe de Numides rehausse le tableau en évoquant le rang du roi déchu. En somme, Tite-Live place son personnage en évidence dans une situation de triomphe inversé.

2. Rappel de la splendeur du roi
a) Procédé
Le soin de rappeler la splendeur passée de Syphax est laissé... à ses vainqueurs eux-mêmes. Le procédé était suffisamment hardi pour nécessiter une explication : SUAM VICTORIAM AUGENDO. Si les vainqueurs exaltent Syphax, c'est pour amplifier l'importance de leur propre victoire. Par le biais d'un passage en style indirect, Tite-Live peut mettre un peu de vie dans son récit tout en évitant les longueurs car le recours au style indirect permet de ne donner qu'un résumé des commentaires prêtés à la foule. En outre, l'auteur s'efface ici derrière ses personnages : ce n'est donc pas « lui » qui encensera Syphax.
b) Contenu

Tite-Live se limite à l'évocation de deux faits. Le premier est la conférence où Syphax avait réuni Hasdrubal et Scipion en 206 pour tenter d'arbitrer le conflit et de trouver à celui-ci une solution négociée. L'importance de l'événement est soulignée par des effets d'accumulation : rappels multiples du nom et de la qualité des participants, énumération pour chaque invité de deux traits qui indiquent leur empressement à rencontrer Syphax. Scipion a 1° abandonné son poste 2° livré au roi sa personne sans défense tandis qu'Hasdrubal 1° s'est rendu chez le roi et 2° lui a donné sa fille. On voit que la symétrie est ici quelque peu forcée mais elle contribue à l'équilibre et au balancement de la phrase. Après cette phrase balancée vient une conclusion (§ 6) qui insiste sur l'identité de conduite des belligérants qui sont devant Syphax comme devant les dieux. Le second fait évoqué en style indirect est la traque menée par Syphax à l'encontre de Masinissa, qui avait réduit ce dernier à l'état de gibier. On remarquera que les personnages dont il est question ici, Hasdrubal, Scipion et Masinissa, sont les trois protagonistes principaux du récit. Tite-Live ne s'est pas écarté de l'essentiel de son sujet.

3. Fonction des §§ 1-7
Tite-Live a mis en évidence le retournement complet de la destinée de Syphax.

[8] REX CELEBRATUS le roi accompagné (CELEBRARE « fréquenter en grand nombre, se presser autour de ») HIS SERMONIBUS CIRCUMSTANTIUM par ces propos des assistants (partic. prés. act. Gén. masc. pl. substantivé) EST PERDUCTUS AD SCIPIONEM IN PRAETORIUM fut conduit auprès de Scipion au quartier général (PRAETORIUM : la partie du camp réservée au général, PRAE-ITOR, « celui qui marche en tête ». Le mot français « prétoire » est issu de PRAETORIUM mais dans un autre sens, celui de « palais du préteur », car PRAETOR était aussi le nom des magistrats qui avaient notamment la justice dans leurs attributions). CUM FORTUNA PRISTINA VIRI Non seulement (CUM... TUM... : « autant... autant... », « non seulement, mais encore ») le sort antérieur du personnage COLLATA PRAESENTI FORTUNAE comparé à (son) sort présent MOVIT ET SCIPIONEM émut également Scipion, TUM RECORDATIO HOSPITII mais encore le souvenir de (leur) relation d'hospitalité (cf. 28, 18 : Scipion se rappelle la manière dont il a été reçu par Syphax en 206. HOSPITIUM,ii : « hospitalité » relation entre deux parties vivant dans des pays étrangers l'un à l'autre : chacune des parties a accepté de recevoir l'autre lors de ses déplacements. Lors de la conclusion de l'accord, on brise un objet dont chacun reçoit une moitié. Quand on arrive chez un hôte, on présente son fragment d'objet que l'hôte compare avec sa propre moitié pour vérifier la qualité de l'arrivant. La relation d'hospitalité pouvait être héréditaire. Le caractère réciproque de la relation a laissé une trace en français : le mot « hôte », qui désigne aussi bien la personne qui reçoit que celle qui est reçue) DEXTRAEQUE DATAE (et) de (leur) poignée de main (« et de la (main) droite ayant été donnée ») ET FOEDERIS JUNCTI PUBLICE AC PRIVATIM ainsi que de l'accord qui avait été conclu (« joint ») sur les plans public et privé. [9] EADEM HAEC DEDERUNT ET SYPHACI ANIMUM Ces mêmes choses (souvenirs) donnèrent également à Syphax le courage (ANIMUM : le « tonus », le « moral ») IN ADLOQUENDO VICTORE de s'adresser à (son) vainqueur (IN + Abl. = ici « dans le domaine de... », ADLOQUENDO adjectif verbal, épithète de VICTORE « dans le domaine du vainqueur à interpeller »).NAM CUM SCIPIO QUAERERET En effet comme Scipion (lui) demandait QUID SIBI VOLUISSET où il avait voulu en venir (« ce qu'il avait voulu pour lui ») QUI NON SOLUM ABNUISSET SOCIETATEM ROMANAM lui qui non seulement avait rejeté l'alliance romaine SED ULTRO mais qui en plus INTULISSET BELLUM avait déclenché la guerre, [10] , ILLE FATEBATUR SESE QUIDEM PECCA(VI)SSE ATQUE INSANI(VI)SSE TUM, cet homme (« celui-là ») reconnaissait qu'il avait certes commis une faute et avait perdu la tête à ce moment, SED NON TUM DEMUM mais pas seulement CUM ARMA CEPISSET ADVERSUS POPULUM ROMANUM au moment où (CUM temporel, normalement suivi de l'indicatif ; CEPISSET subjonctif de style indirect ; plus-que parfait pour noter l'antériorité par rapport à INSANISSE) il avait pris les armes contre le peuple romain (POPULUS ROMANUS est le nom officiel de l'Etat romain, cf. les noms d'Etats tels qu'ils figurent sur les passeports : « République française », « United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland »...) : « EUM FUISSE EXITUM FURORIS SUI Cela (n') avait été (que) l'aboutissement de sa folie (EUM Acc. masc. sg. sujet de FUISSE dans une prop. inf. dépendant d'un DICENS « disant » sous-entendu ; masculin et non neutre par attraction du genre de l'attribut EXITUM ; le latin ne dit pas « ça va être ta fête » mais bien « celle-là va être ta fête »), NON PRINCIPIUM et non son point de départ ; CUM ACCEPERIT DOMUM MATRONAM CARTHAGINIENSEM (c'est) quand il avait reçu chez lui (« dans sa maison ») la femme de Carthage (ACCEPERIT cf. § 3 TRIBUERINT) SE TUM INSANI(VI)SSE, (qu')il avait alors perdu la tête, (qu')il avait alors rejeté loin de lui (« loin de son âme ») tous les liens d'hospitalité privés et (tous) les traités publics. [5] ILLIS FACIBUS NUPTIALIBUS Avec ces flambeaux de mariage, CONFLAGRA(VI)SSE SUAM REGIAM il avait mis le feu à sa (demeure) royale, ILLAM FURIAM PESTEMQUE (c'était) cette furie et ce fléau OMNIBUS DELENIMENTIS (qui) par tous (ses) attraits AVERTISSE ATQUE ALIENA(VI)SSE ANIMUM SUUM avait détourné et détaché son âme NEC CONQUIE(VI)SSE et n'avait eu aucun repos DONEC IPSA SUIS MANIBUS jusqu'à ce qu'elle-même de ses propres mains SIBI INDUERIT lui ait fait revêtir (à lui Syphax) ARMA NEFARIA des armes sacrilèges ADVERSUS HOSPITEM ET AMICUM contre un hôte et un ami. [13] Néanmoins, SIBI PERDITO ATQUE AFFLICTO, pour lui (qui était) perdu et affligé, ESSE TAMEN HOC SOLACII il y avait néanmoins ce (sujet) de consolation QUOD VIDEAT qu'il voyait (QUOD = « le fait que » ; VIDEAT subj. présent représentant un indicatif présent du style direct employé pour des raisons de légèreté et de vivacité du style au lieu de l'imparfait attendu en vertu de la concordance des temps) EAMDEM PESTEM AC FURIAM TRANSISSE que ce même fléau et cette même furie était passée IN DOMUM AC PENATES dans la demeure et le foyer (« les Pénates », voir dictionnaire) de (celui qui était) pour lui le plus odieux de tous les hommes [15] MASINISSAM ESSE NEQUE PRUDENTIOREM Masinissa n'était ni plus avisé (PRUDENS = PROVIDENS « qui prévoit/pourvoit ») NEQUE CONSTANTIOREM QUAM SYPHACEM ni plus conséquent (= stable et ferme) que Syphax, ETIAM INCAUTIOREM JUVENTA (il était) même davantage imprudent du fait de (sa) jeunesse ; CERTE il était certain que (« certainement ») ILLUM DUXISSE EAM celui-là avait épousé celle-ci (DUCERE sous-entendu IN MATRIMONIUM « conduire dans le mariage » = « épouser » en parlant de l'homme) STULTIUS d'une façon plus idiote ATQUE INTEMPERANTIUS QUAM SE et plus dévergondée que lui(-même). »

commentaires: §§ 8-14 : Une scène émue... qui oublie ou déforme généreusement certains détails

1. Enfin un peu d'émotion
Pour la première fois, l'atmosphère du récit se charge de réactions affectives. En effet la pitié de Scipion (MOVIT) amène de la part de Syphax une confession tout empreinte de colère exprimée sur un ton violent et emporté : accumulation de termes forts (PECCASSE, INSANISSE employé deux fois, FURIAM PESTEMQUE termes répétés plus bas, AVERTISSE ATQUE ALIENASSE, NEFARIA, PERDITO ATQUE AFFLICTO, STULTIUS), grandiloquence de l'anaphore TUM... TUM... Joie mauvaise à la pensée que c'est l'ennemi qui a hérité de la « furie ».

2. L'unique raison de la déconfiture
Syphax rejette toute la faute sur l'influence de Sophonisbe, ce qu'il résume dans la première formule poétique de notre récit : ILLIS NUPTIALIBUS FACIBUS REGIAM CONFLAGRASSE SUAM (§ 12). Tite-Live y évoque en un raccourci frappant, tout le processus de la défaite sous la forme d'une seule action concrète, et ce grâce à une suite de trois métonymies : « avec ces torches nuptiales » = à cause de cette passion pour Sophonisbe « il avait incendié » = il avait réduit à néant « son propre palais » = sa propre puissance royale. La première métonymie, « torches nuptiales » pour « passion amoureuse » met aussi l'accent sur l'ambivalence de la passion : accessoires obligés du joyeux cortège qui conduisait l'épousée à sa nouvelle demeure, les torches sont également des objets dangereux !

3. Le discours de Syphax ne concorde pas avec le reste des récits de Tite-Live
La réalité historique de l'histoire de Sophonisbe nous échappe. Cependant, il est bon de remarquer que le discours prêté à Syphax contient de graves discordances par rapport au reste du récit de Tite-Live lui-même.

a)Un oubli
Tout à son ressentiment envers l'infidèle, Syphax oublie de signaler que s'il a rejeté l'alliance romaine, c'est aussi, un peu, à cause du fait que les Carthaginois lui avaient donné en échange leur feu vert et leur soutien, au moins diplomatique, pour s'emparer du royaume de Masinissa, toujours allié de Carthage en principe (Tite-Live, XXIX, 31). Scipion ne n'en souvient pas non plus.

b) Un gauchissement
D'après le récit de Tite-Live lui-même, les relations de Syphax avec les Romains en général et Scipion en particulier n'ont jamais été aussi étroites que ce passage ne le suggère. Le récit de notre historien donne perpétuellement l'impression que Rome a toujours recherché l'amitié de Syphax sans jamais l'obtenir vraiment : on en reste toujours au niveau des projets et des bonnes intentions. Quant à Scipion, il n'a jamais rencontré Syphax qu'en une seule occasion (évoquée plus haut). C'est peu pour un véritable HOSPITIUM. En outre, l'évocation d'un traité à caractère public conclu par Scipion avec Syphax, elle se résume à la formule laconique FOEDERE ICTO CUM SYPHACE « un accord ayant été conclu avec Syphax» (XXVIII, 18) dans la phrase de conclusion de l'entrevue. Cette formule ressemble à une clause de style, car le « traité » en question ne produit véritablement aucun effet par la suite.
c) Pourquoi ces discordances ?
Elles permettent à Tite-Live de concentrer toutes les responsabilités de la rupture avec Rome sur les personnes de Syphax et de Sophonisbe.

3. Conclusion sur le chapitre 13
Ce chapitre, où Scipion entre en scène, n'est pas une digression. Tite-Live ne s'écarte pas de l'histoire de Sophonisbe. Dans un style plus animé que celui du chapitre 12, l'historien fait éclater aux yeux du général en chef romain le danger que représente pour tout le monde la présence de Sophonisbe aux côtés de Masinissa. Le Numide sera-t-il la prochaine victime de la Carthaginoise ? Le problème que pose Masinissa à son allié romain est donc désormais clairement défini aux yeux de Scipion, l'homme à qui il revient de trouver une solution.