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Movit et Scipionem cum fortuna pristina viri praesenti fortunae conlata, tum recordatio hospitii dextraeque datae et foederis publice ac privatim juncti. [9] Eadem haec et Syphaci animum dederunt in adloquendo victore. Nam cum Scipio quid sibi voluisset quaereret qui non societatem solum abnuisset Romanam sed ultro bellum intulisset, [10] tum ille peccasse quidem sese atque insanisse fatebatur, sed non tum demum cum arma adversus populum Romanum cepisset; exitum sui furoris eum fuisse, non principium; [11] tum se insanisse, tum hospitia privata et publica foedera omnia ex animo ejecisse cum Carthaginiensem matronam domum acceperit. [12] Illis nuptialibus facibus regiam conflagrasse suam; illam furiam pestemque omnibus delenimentis animum suum avertisse atque alienasse, nec conquiesse donec ipsa manibus suis nefaria sibi arma adversus hospitem atque amicum induerit. [13] Perdito tamen atque adflicto sibi hoc in miseriis solatii esse quod in omnium hominum inimicissimi sibi domum ac penates eamdem pestem ac furiam transisse videat. [14] Neque prudentiorem neque constantiorem Masinissam quam Syphacem esse, etiam juventa incautiorem; certe stultius illum atque intemperantius eam quam se duxisse. Haec non hostili modo odio sed amoris etiam stimulis amatam apud aemulum cernens cum dixisset, non mediocri cura Scipionis animum pepulit; et fidem criminibus raptae prope inter arma nuptiae neque consulto neque exspectato Laelio faciebant tamque praeceps festinatio ut quo die captam hostem uidisset eodem matrimonio iunctam acciperet et ad penates hostis sui nuptiale sacrum conficeret. et eo foediora haec uidebantur Scipioni quod ipsum in Hispania iuuenem nullius forma pepulerat captivae

traduction universitaire

Ce ne fut pas non plus sans émotion que Scipion compara la fortune, naguère brillante, de ce prince à sa fortune présente, et qu'il se rappela son hospitalité, la foi qu'ils s'étaient donnée, l'alliance publique et privée qui les avait unis. Les mêmes souvenirs donnèrent du courage à Syphax pour adresser la parole à son vainqueur. Scipion lui demandait "quels motifs l'avaient déterminé à repousser l'alliance de Rome et même à lui déclarer la guerre sans avoir été provoqué." Syphax avouait qu'il avait fait une faute et commis un acte de démence, mais que ce n'avait pas été en prenant les armes contre Rome : c'était là le terme et non le début de sa folie. Son égarement, son oubli de toutes les lois de l'hospitalité, de tous les traités d'alliance, avaient commencé le jour où il avait introduit dans son palais une femme de Carthage. Le flambeau de cet hymen avait embrasé sa cour; c'était là cette furie, ce démon fatal; dont les charmes avaient séduit son coeur et perverti sa raison; cette femme n'avait eu de repos que lorsqu'elle avait mis elle-même entre les mains de son époux des armes criminelles pour attaquer un hôte et un ami. Dans sa détresse, dans cet abîme de malheurs où il était plongé, il avait au moins la consolation de voir son plus cruel ennemi introduire au sein de sa demeure et de ses pénates ce même démon, cette même furie. Masinissa ne serait pas plus sage ni plus fidèle que Syphax; sa jeunesse le rendait même plus imprudent. II y avait, à coup sûr, plus d'irréflexion et de folie dans la manière dont il avait épousé Sophonisbe."

Ce discours où perçait non seulement la haine d'un ennemi, mais la jalousie d'un amant qui voit sa maîtresse au pouvoir de son rival, fit une grande impression sur l'esprit de Scipion. Ce qui donnait du poids aux accusations de Syphax, c'était ce mariage conclu à la hâte et pour ainsi dire au milieu des combats, sans qu'on eût consulté ni attendu Lélius; cet empressement précipité d'un homme qui, le jour même où il avait vu son ennemie entre ses mains, s'unissait à elle par les nœuds de l'hymen et célébrait les fêtes nuptiales devant les pénates d'un rival. Cette conduite paraissait d'autant plus coupable à Scipion, que lui-même, jeune encore, en Espagne, s'était montré insensible aux charmes de toutes ses captives.

traduction par groupe de mots

Tite Live Livre XXX

 

Movit et Scipionem

Emurent même Scipion

(Scipion même fut ému par)

cum fortuna pristina viri

d’une part l’ancienne condition de cet homme

praesenti fortunae conlata,

comparée à sa condition présente,

tum recordatio hospitii

d’autre part le souvenir de son hospitalité

dextraeque datae

et de la main droite donnée

(et de leur poignée de main)

et foederis juncti

et de l’accord joint (conclu)

publice ac privatim.

à titre public et privé.

Eadem haec

Ces mêmes choses

et Syphaci animum dederunt

donnèrent aussi à Syphax le courage

in adloquendo victore.

dans le fait d’adresser la parole au vainqueur

d’adresser la parole à son vainqueur

page 68

Nam cum Scipio quid sibi voluisset quaereret qui non societatem solum abnuisset Romanam sed ultro bellum intulisset, [10] tum ille peccasse quidem sese atque insanisse fatebatur, sed non tum demum cum arma adversus populum Romanum cepisset; exitum sui furoris eum fuisse, non principium; [11] tum se insanisse, tum hospitia privata et publica foedera omnia ex animo ejecisse cum Carthaginiensem matronam domum acceperit.

Nam cum Scipio

En effet comme Scipion

quid sibi voluisset quaereret

demandait ce qu’il avait voulu pour lui

                  ce qu’il avait eu comme intention

qui non solum abnuisset

lui qui non seulement avait dénoncé (rejeté )

quand … il

societatem Romanam

l’alliance romaine

sed ultro

mais qui en plus / de sa propre initiative

bellum intulisset,

avait déclenché la guerre,

tum ille fatebatur,

celui-ci avouait (avoua) que alors

peccasse quidem sese

certes il avait commis une faute

atque insanisse

et avait perdu la tête

sed non tum demum

mais pas alors seulement

cum arma cepisset

quand il avait pris les armes

adversus populum Romanum;

contre le peuple romain ;

exitum sui furoris eum fuisse,

(attraction du genre du sujet par celui de l’attribut, quand le sujet est un pronom neutre –id-)

cela avait été la fin (l’aboutissement) de sa folie

non principium;

non le début ;

tum se insanisse

alors il avait été fou,

tum ex animo ejecisse

alors il avait rejeté de son esprit

hospitia privata (omnia)

tous les liens d’hospitalité privés

et publica foedera omnia

et tous les traités publics,

cum domum acceperit

quand il avait reçu dans sa maison

Carthaginiensem matronam.

une femme (épouse) carthaginoise.

une Carthaginoise comme épouse.

 

[12] Illis nuptialibus facibus regiam conflagrasse suam; illam furiam pestemque omnibus delenimentis animum suum avertisse atque alienasse, nec conquiesse donec ipsa manibus suis nefaria sibi arma adversus hospitem atque amicum induerit. [13] Perdito tamen atque adflicto sibi hoc in miseriis solatii esse quod in omnium hominum inimicissimi sibi domum ac penates eamdem pestem ac furiam transisse videat. [14] Neque prudentiorem neque constantiorem Masinissam quam Syphacem esse, etiam juventa incautiorem; certe stultius illum atque intemperantius eam quam se duxisse

Illis nuptialibus facibus

Avec ces torches nuptiales

regiam conflagrasse suam;

il avait mis le feu à son palais ;

illam furiam pestemque

(c’est) cette furie et ce fléau

omnibus delenimentis

(qui) avec tous ses attraits

animum suum avertisse atque alienasse,

avait détourné et perverti son esprit,

nec conquiesse

et n’avait pas eu de repos

donec ipsa manibus suis

jusqu’à ce qu’elle-même de ses propres mains

sibi induerit

lui ait fait revêtir

nefaria arma

des armes sacrilèges

adversus hospitem atque amicum.

contre un hôte et un ami.

Perdito tamen atque adflicto sibi

Cependant pour lui qui était perdu et accablé

hoc solatii

ceci en fait de consolation

in miseriis esse

dans son malheur était

il y avait dans son malheur cette consolation,

quod videat

à savoir / le fait qu’il voyait que

in domum

dans la maison

omnium hominum inimicissimi sibi

du plus ennemi de tous les hommes pour lui

du pire de tous ses ennemis

ac penates

et dans ses pénates (dans son foyer)

eamdem pestem ac furiam

ce même fléau et cette même furie

transisse.

s’était introduite.

Masinissam esse

Massinissa n’était

neque prudentiorem neque constantiorem

ni plus avisé ni plus raisonnable

quam Syphacem,

que Syphax,

etiam incautiorem

(il était) même plus imprudent

juventa;

à cause de sa jeunesse ;

certe illum eam duxisse

Il était évident que celui-là l’avait épousée

stultius atque intemperantius

d’une façon plus sotte et moins réfléchie

quam se

que lui.

Début du chapitre 14

 

Ce discours où perçait non seulement la haine d'un ennemi, mais la jalousie d'un amant qui voit sa maîtresse au pouvoir de son rival, fit une grande impression sur l'esprit de Scipion. Ce qui donnait du poids aux accusations de Syphax, c'était ce mariage conclu à la hâte et pour ainsi dire au milieu des combats, sans qu'on eût consulté ni attendu Lélius. ; cet empressement précipité d'un homme qui, le jour même où il avait vu son ennemie entre ses mains, s'unissait à elle par les noeuds de l'hymen, et célébrait les fêtes nuptiales devant les pénates d'un rival. Cette conduite paraissait d'autant plus coupable à Scipion que lui-même, jeune encore, en Espagne, s'était montré insensible aux charmes de toutes ses captives.

[14] Haec non hostili modo odio sed amoris etiam stimulis amatam apud aemulum cernens cum dixisset, non mediocri cura Scipionis animum pepulit; et fidem criminibus raptae prope inter arma nuptiae neque consulto neque exspectato Laelio faciebant tamque praeceps festinatio ut quo die captam hostem uidisset eodem matrimonio iunctam acciperet et ad penates hostis sui nuptiale sacrum conficeret. et eo foediora haec uidebantur Scipioni quod ipsum in Hispania iuuenem nullius forma pepulerat captiuae.

Commentaire du 13, 9-14

Le préambule (13, 8) permet de comprendre un peu mieux l’attitude inattendue de Syphax : l’expression d’une émotion véritable du coté de Scipion libère la parole de Syphax ; et celui-ci s’exprime avec une violence étonnante.

1°) LE CHOC DE DEUX PERSONNALITES

1-1) Peu de place pour Scipion dans cet extrait ; mais les quelques mots qui sont dit à son propos permettent de le voir comme un chef :

C’est lui

- qui engage le dialogue, qui pose les questions, (cum Scipio quaereret + cum/tum qui montre la concomitance des deux prises de parole : c’est parce que Scipion demande, et avec un véritable intérêt pour Syphax, que Sy. va répondre avec une telle fougue)

- qui oriente le discours de Syphax vers lui-même (sibi voluisset),

- puis vers les deux griefs essentiels (abnuisset societatem/ ultro bellum intulisset)

Il se montre essentiellement étonné du refus de l’alliance romaine

 ‘’          ‘’                 ‘’         ‘’          de l’audace qui consiste à vouloir faire la guerre contre Rome

Tout montre qu’il ne s’attend pas du tout à la réaction de Syphax ; pour Scipion, tout doit être explicable par la raison et l’amour de la patrie (justitia, prudentia, moderatio, virtus... quelques unes des vertus les plus romaines –du  « mos majorum »): on doit avoir des raisons claires pour agir ; la principale peut être l’intérêt « personnel », mais par rapport à sa patrie, surtout pour un roi.

A aucun moment, Scipion ne met l’amour dans les moteurs possibles d’une action guerrière, ni ne semble soupçonner que Sophonisbe ait pu jouer un rôle de premier plan dans la défection de Sy. (Même si au début du livre 30, Tite Live écrit  « Scipion n’avait pas renoncé non plus à se réconcilier avec Syphax, au cas où sa passion pour sa femme commencerait à se calmer avec le temps »)

Scipion ici est le représentant de la « Fides romana »

1-2) En face Syphax représente la « Fraus punica »

- Certes, il reconnaît qu’il a eu des torts :

Tum ille fatebatur peccasse quidem sese

- Mais passe très vite sur ses motivations politiques éventuelles dans le combat, et sur son alliance avec les Carthaginois, alliance dont le mariage avec Sophonisbe a été le garant. (rapporté par Tite-Live en 28, 1-19, accord qui , en outre, a momentanément fait perdre à Scipion l’alliance de Syphax)

Le verbe insanisse permet d’introduire une autre dimension dans la faute : celle de l’irréflexion, de la perte de sa maîtrise personnelle ; cela permet à Syphax de glisser très rapidement sur le « cum arma cepisset adversus populum Romanum », présenté comme un aboutissement, dont  la rigueur il n’est pas responsable : « exitum...non principium » ;

- En revanche « furoris » fait écho au verbe insanisse et prépare l’essentiel de la dénonciation ; lui qui a été un allié choisi des Romains ne peut pas avoir trahi cette alliance sans y avoir été poussé par une sorte de folie. D’ailleurs cet acte le met dans un état d’affliction propre à émouvoir Scipion :  « Perdito..atque adflicto sibi...in miseriis »

- Reste à  dire quelle est la responsable : remarquer la façon dont Sy recule le moment où il va dénoncer So. : deux TUM + reprise de insanisse / ex animo ejecisse (glisse dans les conséquences de cette folie l’attitude que Scipion lui reproche, le rejet de « hospitia privata et publica foedera omnia », à l’évocation desquels Scipion avait été si troublé) ;

Donne enfin le nom de celle qui est à la source de cette folie si proprement barbare : « Cum Carthaginiensem matronam domum acceperit ». Habileté du « acceperit » ; on dirait qu’il n’y est pour rien, qu’il a oublié que son mariage avec Sophonisbe était une des façons de sceller l’accord passé entre Numides (Masaesylles) et Carthaginois (Hasdrubal), et que ce mariage a été hâté tellement Syphax était amoureux (T.L : 29, 23).

2°) LA DUPLICITE DE SYPHAX

En fait, use de tous les moyens pour essayer de minimiser la gravité de son opposition aux Romains.

2-1) Utilise l’origine carthaginoise de Sophonisbe pour détourner les responsabilités sur elle :

-          n’utilise pas son nom ; ne la nomme que comme « carthaginiensem » donc rappelle de façon assez claire pour Scipion qu’elle est la fille d’Hasdrubal.

-          Champ lexical de la dévastation (+ métonymie triple) : « facibus – double sens : torches qui accompagnent le mariage/ feu qui consume tout sur son passage - ; conflagrasse – reprise de l’idée de feu et de destruction (+ regiam : palais et puissance royale) - ; furiam pestemque // en opposition le résultat de ce fléau : l’allitération en A du groupe suivant : Animum suum Avertisse Atque AlienAsse.....etc, insistant sur ce que Syphax a subi : prise de pouvoir de Sophonisbe sur son esprit (avertisse) qui le rend « autre » ( alienasse –famille de alius) ; ce qui le conduit à prendre les armes contre un ami (Arma Adversus Amicum)

-          Opposition entre Syphax et Sophonisbe marquée dès le début de la phrase par l’opposition « illis / illam » (prise de distance avec les torches du mariage et la furie de So), avec « suam / suum »( les biens de Syphax : son royaume / son esprit, détruits par la puissance destructrice de So).

-          Insistance sur la responsabilité de cette femme : « ipsa, manibus suis » dans un savant mélange de réfléchis renvoyant à So sujet de la proposition, et à Sy dont on rapporte les propos.

2-2) Essaye de miner la confiance des Romains à l’égard de Massinissa

-          Massinissa présenté certes d’abord comme « omnium hominum inimicissimi sibi » ;

-          Mais ensuite, Syphax insiste sur les ressemblances qui existent entre M. et lui : ils sont Numides tous les deux, et donc il est naturel qu’il ait les mêmes défauts que Syphax ; noter l’abondance des comparatifs « neque prudentiorem neque constantiorem Masinissam quam Syphacem » « incautiorem »

-          Plus naturel encore qu’il se comporte de façon « stultius atque intemperantius », puisqu’il est plus jeune (juventa) ;

-          Mais il le fait dans la gestion d’un mariage (se duxisse) qui ne peut être approuvé de Rome. Noter l’expression par laquelle Sy désigne So entrant chez Massinissa : « sibi domum.... eamdem pestem ac furiam » (mêmes mots mais ordre inverse dans la phrase précédente « illam furiam pestemque...animum suum » qui concernait Sy).

Pourquoi dans ce cas les Romains ne pourraient-ils pas envisager une défection de la part de Massinissa ?

Qu’est-ce que Syphax a à gagner à ce travestissement de la réalité ? peu de choses en fait ; il est prisonnier des Romains, et même si Scipion est ému de son sort, il y a fort peu de chances pour qu’il ne le maintienne pas prisonnier.

Alors ? Vengeance d’un mari jaloux ? Volonté d’entraîner dans sa chute sa femme et le nouveau mari de celle-ci ?

Peut-être aussi souci de Tite-Live de concentrer la responsabilité de la rupture de Syphax avec Rome sur Sophonisbe et Syphax.

Et nécessité de présenter Sophonisbe comme dangereuse, afin de justifier la solution que trouvera Massinissa à cette situation périlleuse pour lui mais plus encore pour Rome. C’est d’ailleurs ce qui frappe l’esprit raisonnable de Scipion : le danger représenté par la passion amoureuse de Massinissa, et qui explique que la première mesure qu’il prend après avoir écouté Syphax, c’est de faire la morale à M. et de l’inciter à mettre fin à ses désordres.