Traduction par X, revue et corrigée par H.
Steiner.
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Ibitis Aegaeas sine me, Messalla, per undas,
O utinam memores ipse cohorsque mei.
Me tenet ignotis aegrum Phaeacia terris.
Abstineas auidas, Mors, modo, nigra, manus;
abstineas, Mors atra, precor: non hic mihi mater
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quae legat in maestos ossa perusta sinus,
non soror, Assyrios cineri quae dedat odores
et fleat effusis ante sepulcra comis,
Delia non usquam, quae, me cum mitteret urbe,
dicitur ante omnes consuluisse deos;
10
Illa sacras pueri sortes ter sustulit: illi
rettulit e triviis omnia certa puer;
cuncta dabant reditus: tamen est deterrita numquam
quin fleret nostras respiceretque vias.
Ipse ego solator, cum jam mandata dedissem,
15
quaerebam tardas anxius usque moras;
aut ego sum causatus aves aut omina dira
Saturnive sacram me tenuisse diem.
O quotiens ingressus iter mihi tristia dixi
offensum in porta signa dedisse pedem!
20
Audeat invito ne quis discedere Amore,
aut sciat egressum se prohibente deo.
Quid tua nunc Isis mihi, Delia, quid mihi prosunt
illa tua totiens aera repulsa manu,
quidve, pie dum sacra colis, pureque lavari
25
te, memini, et puro secubuisse toro?
Nunc, dea, nunc succurre mihi nam posse mederi
picta docet templis multa tabella tuis,
ut mea votivas persolvens Delia voces
ante sacras lino tecta fores sedeat
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bisque die resoluta comas tibi dicere laudes
insignis turba debeat in Pharia.
At mihi contingat patrios celebrare Penates
reddereque antiquo menstrua tura Lari.
Quam bene Saturno vivebant rege, priusquam
35
tellus in longas est patefacta vias!
Nondum caeruleas pinus contempserat undas,
effusum ventis praebueratque sinum,
nec vagus ignotis repetens compendia terris
presserat externa navita merce ratem.
40
Illo non validus subiit juga tempore taurus,
non domito frenos ore momordit equus,
non domus ulla fores habuit, non fixus in agris,
qui regeret certis finibus arva, lapis;
Ipsae mella dabant quercus, ultroque ferebant
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obvia securis ubera lactis oves.
Non acies, non ira fuit, non bella, nec ensem
immiti saevus duxerat arte faber.
(texte contrôlé sur Hatier/les Belles Lettres)
Vous irez sans moi, Messalla, à travers les ondes Égéennes; mais puissiez-vous, toi et ta suite, garder mon souvenir, tandis que je suis retenu, malade, dans la Phéacie, cette contrée inconnue! Écarte tes mains avides, je t'en supplie, Mort sombre; écarte-les, je t'en supplie, Mort sombre: ici je n'ai point de mère qui recueille dans sa robe de deuil mes ossements brûlés; je n'ai point de soeur, qui répande sur ma cendre les parfums d'Assyrie et qui, les cheveux épars, pleure devant mon sépulcre. Délie n'est pas ici, elle qui avant de me laisser partir de la ville, consulta, dit-on, tous les dieux. Trois fois elle prit des mains d'un enfant les sorts sacrés; et l'enfant des carrefours lui remit constamment les mêmes réponses certaines. Toutes annonçaient mon retour. Cependant rien jamais ne put arrêter ses larmes ni calmer les craintes que lui inspirait mon départ. Moi-même qui voulais la consoler, après avoir donné déjà mes ordres, je cherchais sans cesse, dans mon anxiété, des prétextes pour le retarder. Tantôt j'invoquai les oiseaux, tantôt de sinistres présages, tantôt le jour sacré de Saturne. Oh! combien de fois, m'étant mis en route, ai-je dit que mon pied, - signe funeste, - avait heurté la porte! Que nul n'ose partir malgré l'Amour, ou sache qu'il est parti contre la volonté du Dieu! Que me sert maintenant ton Isis, ô Délie? Que me servent ces instruments de bronze tant de fois frappés par ta main? Que me sert qu'au milieu de tes pieux sacrifices, tu te sois, - je m'en souviens, - baigné dans une eau pure et que tu aies reposé sur un lit pur? Maintenant, Déesse, maintenant viens à mon secours: car tu peux me guérir; de nombreux tableaux l'attestent dans tes temples. Ma Délie, s'acquittant des chants promis, s'assiéra, vêtue de lin, devant ta porte sacrée; et deux fois par jour, les cheveux dénoués, elle devra dire tes louanges, belle à voir au milieu de la foule de Pharos. Ah! qu'il me soit donné de célébrer encore les Pénates de mes pères et chaque mois de payer le tribut de mon encens au Lare antique! Qu'on vivait donc heureux sous le règne de Saturne, avant que la terre s'ouvrît aux longues routes! Le pin n'avait pas encore bravé les ondes d'azur ni livré aux vents le gonflement d'une voile déployée. Errant à la recherche du gain et des terres inconnues, le nautonier n'avait point encore chargé son vaisseau de marchandises étrangères. En cet âge heureux, le robuste taureau ne portait point le joug; le cheval ne mordait point le frein d'une bouche domptée; les maisons étaient sans porte; aucune pierre fixée dans les champs n'assignait aux labeurs une limite certaine; les chênes eux-mêmes donnaient du miel, et les brebis d'elles-mêmes venaient offrir leurs mamelles pleines de lait aux hommes sans inquiétude. Il n'y avait pas d'armée, pas de colère, pas de guerre; l'art sans pitié d'un cruel forgeron n'avait point inventé le glaive.
I- Regrets :
Vers 1 à 3 :
Ibitis, Messalla
Messalla,
vous
irez sine me sans moi,
per undas AEGAEAS à travers les ondes
de la mer Egée. O ! utinam
MEMORES MEI Puissiez-vous vous souvenir de moi IPSE
cohorsque toi-même et ta cohorte.
Phaeacia Me tenet La Phéacie me retient aegrum
malade
terris ignotis sur des terres inconnues (ablatif locatif sans préposition
avec TERRA).
Vers 4 à 14 :
Abstineas MODO,
NIGRA MORS Ecarte
seulement, noire mort,
manus avidas tes
mains avides, Abstineas, ATRA MORS
écarte-les (anaphore très forte, marque d’angoisse profonde),
sombre mort
precor je t’en prie :
non + EST + hic mihi mater (n’est
pas ici à moi une mère) je n’ai pas une mère Quae
legat OSSA PERUSTA qui recueille (subjonctif consécutif)
mes ossements brûlés
in SINUS MAESTOS dans
son vêtement
de deuil ; Non
soror je n’ai pas une soeur,
quae dedat
CINERI qui donne à ma cendre
odores ASSYRIOS les
parfums
d’Assyrie Et fleat
et
qui pleure comis effusis
les cheveux répandus (marque de deuil, quand les
cheveux ne sont pas arrachés !) ante sepulcra devant
mon tombeau , Delia non usquam
Délie n’est nulle part/pas là, (elle) quae
DICITUR CONSULUISSE qui
est dite (dit-on) avoir consulté OMNES DEOS ANTE
tous les dieux avant, CUM ME MITTERET URBE
alors qu’elle me renvoyait de la ville/me laissait quitter la
ville ; TER ILLA sustulit
Trois fois celle-ci a pris
pueri sortes SACRAS d’un jeune garçon
les tablettes de sort sacrées
illi e triVIIS
puer à celle-ci l’enfant des carrefours
Rettulit omina certa a rapporté
des présages certains
(Hatier propose OMNIA ce qui semble une coquille pour : OMINA, la métrique
étant dans les deux cas respectée) Cuncta
dabant reditus tous assuraient :garantissaient
mon retour : tamen est deterrita numquam
cependant elle n’a jamais pu s’empêcher
Quin fleret ni de pleurer
respiceretque nostras
vias ni de craindre mes voyages.
Vers 15 à 18 :
Ipse solator
Moi-même, voulant la consoler , cum
EgO TAM dedisseM MANDATA alors que j’avais déjà
donné mes recommandations Quaerebam
USQUE ANXIUS je cherchais
continuellement, anxieux
tardas moras à retarder mon départ/des excuses
dlilatoires Aut ego sum causatus AVES ou
j’ai moi-même prétexté des oiseaux
aut omina dira des présages sinistres (donc OMNIA avant
pour éviter cette répétitions ? Mais c’est aussi une obsession !!!)
VE
Diem sacram SATURNI ou
bien que le jour consacré à
Saturne me tenuisse
m’avait retenu (ce troisième complément en
anacoluthe).
Vers 19 à 22 :
O ! quotiens
ingressus Oh combien de fois, m’étant mis en chemin, dixi
mihi Offensum pedem
que mon pied blessé pour moi (donc mon pied !)
in porta
dans une porte dedisse signa tristia
avait donné signes de mauvaise augure !
Quis
ne audeat discedere
Que personne n’ose s’en aller Invito
Amore malgré l’Amour
(l’amour étant opposé) Aut
sciat SE EGRESSUM ou bien qu’il sache
qu’il est parti prohibente deo
contre la volonté du dieu.
Vers 23 à 26 :
Quid tua Isis En
quoi ton Isis NUNC
MIHI PRODEST DELIA m’est maintenant utile, Délie,
quid mihi prosunt
En quoi me sont utiles Illa aera totiens ces
instruments de bronze tant de fois repulsa tua manu
agités/secoués par ta main. dum colis
sacra pie Pendant
que tu accomplis les cérémonies sacrées de façon pieuse Quidve (prodest)
A quoi te sert-il TE Lavari PURE que tu te sois lavée
de façon pure (=purifiéé), memini je m’en
souviens, ET TE secubuisse et
que tu te sois couchée chastement toro puro sur
une couche pure ?
Vers 27 à 32 :
Nunc
dea nunc
maintenant, déesse, maintenant
succurre MIHI secours-moi (nam
multa tabella (singulier collectif, ou masse confuse ?)
PICTA en effet, de nombreux petits tableaux
peints tuis templis,
dans tes temples
(préposition facultative avec les noms de lieu)
docet posse
mederi enseigne(nt)
que tu peux guérir ) ut mea Delia afin
que ma Délie persolvens VOCES votivas s’acquittant
de ses (paroles votives, cf. allitérations très nettes, un peu forcées
d’ailleurs) voeux sedeat ante
fores sacras
s’assoie devant tes portes sacrées tecta
lino habillée de lin Bisque
die et que, deux fois
par jour,
resoluta comas dénouée quant à ses
chevelures (acc. De relation au pl. emphatique, Tibulle semblant d’ailleurs,
comme Maupassant, très sensible à cet appendice à forte connotation
sensuelle, censée attirer l’homme, cf. le fait de voiler la chevelure féminine
dans diverses civilisations, par, apparemment, manque de maîtrise des mâles
sur leur pulsion) , debeat elle
doive tibi dicere te
dire laudes, insignis les
honneurs, elle-même remarquable/
belle in turba Pharia au milieu de la
foule de Pharos .
Vers 33 à
36 :
At mihi contingat Mais qu’il m’arrive celebrare
Penates patrios de célébrer les Pénates de
mes pères et Reddereque rendre en retour tura
menstrua l’encens offert une fois
par mois Lari antiquo
au Lare ancien.
Quam vivebant bene comme ils vivaient bien
rege Saturno Saturne
étant roi (ablatif absolu temporel),
priusquam Tellus avant que la terre est
patefacta in longas vias ne se soit ouverte en longues routes.
Vers 37 à 40 :
pinus nondum contempserat le pin n’avait pas encore bravé
undas caeruleas les
ondes bleues (=la mer, le pin=synecdoque pour les navires), praebueratque
ventis ni n’avait pas encore présenté
aux vents Effusum sinum, la voile déployée et
navita vagus le
marin, errant repetens
compendia terris ignotis recherchant
le gain sur des terres inconnues,
Nec Presserat ratem n’avait pas encore chargé son navire (plutôt : radeau, cf.
la vieille méfiance des romains à l’égard des choses de la mer)
merce externa d’une marchandise étrangère.
Vers 41 à 48 :
Illo tempore A
cette époque taurus
validus le taureau
vigoureux non
subiit juga n’a pas affronté le joug (ici, tous les
parfaits passent en bon français à l’imparfait descriptif),
equus
Non momordit le
cheval n’a pas mordu frenos ore domito le
mors de sa bouche domptée, ULLA domus Non
habuit FORES Aucune demeure n’a eu de
porte (beaux exemples de l’âge d’or, quand
on est à l’âge de fer, d’après les romains… Il y a toujours des
laudatores temporis acti et le temps passé s’embellit de sécurité, ce qui
est un leurre dont se gargarisent des gens dépassés, au Front Naze) non
fixus (est )
lapis la pierre n’a
pas été enfoncée in agris
dans les champs (Rousseau s’en souviendra !),
Qui regeret qui trace/ fixe :pour
fixer finibus certis arva par
des frontières déterminées la surface des champs. Ipsae
QUERCUS d’eux-mêmes les chênes
dabant mella donnaient du miel (cela s’apparente
alors au pays de Cocagne) ultroque oves
spontanément les brebis
ferebant ubera leurs mamelles
obvia lactis présentant du lait
securis (hominibus) aux hommes sans soucis.
fuit Non acies il n’ y a pas eu d’armée,
non ira pas de colère,
non bella pas de guerre,
nec arte immiti ni avec un art
sauvage/rude inhumain
faber saevus
le forgeron cruel
duxerat ensem n’avait pas étiré l'épée.
Axes ?
1)
l’âge d’or
2)
le sentiment religieux
3)
le sentiment amoureux