le tout: Hubert Steiner

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Semper, ut inducar, blandos offers mihi vultus, 
    post tamen es misero tristis et asper, Amor. 
Quid tibi saevitiae mecum est? An gloria magna est 
    insidias homini conposuisse deum? 
Nam mihi tenduntur casses: jam Delia furtim                   5
    nescio quem tacita callida nocte fovet. 
Illa quidem tam multa negat, sed credere durum est: 
    sic etiam de me pernegat usque viro. 
Ipse miser docui, quo posset ludere pacto 
    custodes: heu! heu! Nunc premor arte mea,                 10
fingere nunc didicit causas, ut sola cubaret, 
    Cardine nunc tacito vertere posse fores; 
tum sucos herbasque dedi, quis livor abiret, 
    quem facit impresso mutua dente venus. 
At tu, fallacis conjunx incaute puellae,                              15
    me quoque servato, peccet ut illa nihil; 
neu juvenes celebret multo sermone caveto, 
    neve cubet laxo pectus aperta sinu, 
neu te decipiat nutu, digitoque liquorem 
    ne trahat et mensae ducat in orbe notas.                            20
Exibit quam saepe, time, seu visere dicet 
    sacra Bonae maribus non adeunda Deae. 
At mihi, si credas, illam sequar unus ad aras; 
    tunc mihi non oculis sit timuisse meis. 
Saepe, velut gemmas ejus signumque probarem,                   25
    per causam memini me tetigisse manum; 
saepe mero somnum peperi tibi, at ipse bibebam 
    sobria supposita pocula victor aqua. 
Non ego te laesi prudens: ignosce fatenti, 
    jussit Amor: contra quis ferat arma deos?                              30
Ille ego sum, nec me jam dicere vera pudebit, 
    instabat tota cui tua nocte canis. 
Quid tenera tibi conjuge opus? Tua si bona nescis 
    servare, frustra clavis inest foribus. 
Te tenet, absentes alios suspirat amores                                   35
    et simulat subito condoluisse caput. 
At mihi servandam credas: non saeva recuso 
    verbera, detrecto non ego vincla pedum; 
tum procul absitis, quisquis colit arte capillos, 
    et fluit effuso cui toga laxa sinu;                                             40
quisquis et occurret, ne possit crimen habere, 
    stet procul aut alia ... ante via.

(texte contrôlé sur Hatier/les Belles Lettres)

traduction universitaire

Toujours, pour m'attirer, tu m'offres un visage caressant, et bientôt, hélas! je n'éprouve que ta tristesse et ta rigueur, Amour! Qu'ai-je avec toi de commun, sauvage enfant? la grande gloire pour un Dieu que de dresser des embûches à un homme! Déjà on me tend des pièges; déjà Délie, en cachette, réchauffe traîtreusement je ne sais quel rival dans la nuit taciturne. Elle jure et affirme le contraire, il est vrai; mais j'ai peine à le croire : ne nie-t-elle pas de la sorte nos amours à son mari? C'est moi-même qui, pour mon malheur, lui ai appris le moyen de tromper ses gardiens. Hélas! hélas! je suis aujourd'hui la victime de mes propres leçons. Tantôt elle a appris à feindre des prétextes pour coucher seule, à faire tourner sans bruit une porte sur ses gonds; tantôt je lui ai donné des sucs et des herbes pour faire partir la meurtrissure que Vénus réciproque imprime avec les dents. Mais toi, imprudent mari d'une femme qui te trompe, prends garde à moi aussi, pour qu'elle ne pèche pas. Veille à ce qu'elle évite les longs et fréquents entretiens des jeunes gens; à ce qu'elle ne s'étende avec une robe flottante qui lui découvre la gorge; à ce qu'elle ne te trompe pas par un signe, et ne tire la liqueur avec son doigt pour tracer des caractères sur la table ronde. Crains ses nombreuses sorties, assurât-elle se rendre aux mystères de la Bonne-Déesse, dont l'accès est interdit aux hommes. Si tu m'en crois, je la suivrai seul au pied des autels: alors je n'aurai point à redouter que mes yeux me trompent. Souvent, sous prétexte d'admirer ses pierres ou son cachet, je me souviens de lui avoir touché la main. Souvent je t'ai endormi avec du vin pur, tandis que moi, je buvais sobrement en mettant de l'eau au fond de la coupe, et j'avais la victoire. Je ne t'ai point offensé à dessein  pardonne à mes voeux. C'est l'Amour qui le voulut : qui lutterait contre les Dieux? C'est moi, - je ne rougirai pas de dire la vérité, - que ton chien poursuivait durant la nuit entière. Qu'as-tu besoin aussi d'une jeune épouse? Si tu ne sais pas garder ton bien, c'est en vain qu'une clef est à la porte. Elle te prend dans ses bras, soupire après d'autres amours absentes, et fait semblant soudain d'avoir mal à la tête. Eh bien! confie-la à ma garde; je ne me dérobe pas aux coups sauvages; je ne refuse pas de me laisser mettre des chaînes aux pieds. Arrière alors tous ceux qui cultivent leur chevelure avec art, qui laissent flotter le pli ondoyant d'une toge lâche. Si quelqu'un se trouve sur son chemin, que, pour prévenir toute accusation, il s'arrête ou prenne une autre route.

traduction par groupe de mots

introduction type-bac, à l'oral:

L'extrait que nous allons lire fait partie du livre premier livre des élégies d'ALBIUS TIBULLUS (nous n'avons que son NOMEN et COGNOMEN, sans le PRAENOMEN) qui comptait 3 livres les deux premiers étant de lui, le tout paru vers - 26, après le triomphe du PATRONUS d'ALBIUS TIBULLUS, P(ublius) VALERIUS MESSALLA CORVINUS. C'est sur ce poème de rupture que s'achève le cycle de Délie, idylle commencée dans l'élégie 1, poursuivie par diverses tribulations (2 avec sa déconvenue, la déception, 3 marquée par la solitude, l'angoisse de mourir seul à Corfou, 5 imprégnée des récriminations du dépit face au comportement apparemment volage de sa dulcinée). S'intercale, dans ces souffrances, le début du cycle de Marathus, qui se poursuivra au-delà de la rupture avec Délie...

v. 1: MIHI OFFERS SEMPER, tu me présentes toujours, UT INDUCAR pour (que je sois trompé) pour me tromper, VULTUS BLANDOS un visage séduisant TAMEN POST mais après ES TRISTIS ET ASPER (tu es désagréable et pénible) et tu fais une triste et sévère figure (pardonne, lecteur, ce calque don quichottesque!) au malheureux + que je suis + cf. MIHI au premier v., AMOR, Amour. QUID SAEVITIAE EST TIBI CUM ME (Quelle sorte de sévérité/cruauté est à toi avec moi?) De quelle cruauté fais-tu preuve (avec moi) à mon encontre? (ici, génitif partitif avec un pronom interrogatif; Maurice Rat en 1931 présente la leçon: QUID TIBI, SAEVE PUER, MECUM EST: Qu'ai-je en commun avec toi, cruel enfant? cette interrogation annonçant la suite, cf. HOMINI/DEUM. Budé a choisi la LECTIO DIFFICILIOR, qui plaide une innocence de bon aloi, la solution de Rat pêche peut-être par la trop forte insistance de ce qui sépare un homme d'un Dieu...) AN MAGNA GLORI(A) EST à moins que ce (représente le sujet réel, infinitive dont DEUM est lui-même le sujet) ne soit une grande gloire DEUM COMPOSUISSE qu'un dieu ait installé/dressé INSIDIAS (toujours pl.; étymologiquement: être assis dans l'attente d'attaquer l'ennemi) HOMINI des embûches contre un +simple + mortel (en poésie, le complément d'un verbe composé est très souvent au datif).

5 NAM CASSES MIHI TENDUNTUR C'est que des rets me sont tendus: JAM CALLIDA DELIA Déjà (l'habile) Délie, non sans rouerie FOVET FURTIM (adv.) favorise en voleuse NESCIO QUEM je ne sais qui NOCTE TACITA (dans la nuit silencieuse) dans le silence de la nuit. QUIDEM ILLA (Certes) Oui, celle-ci NEGAT JURATA nie + ce fait+ (ayant juré) après avoir juré/sous serment, SED EST DURUM CREDERE mais il est difficile de + lui + faire confiance. ETIAM SIC D'ailleurs c'est (ainsi) en ces termes PERNEGAT DE ME qu'elle nie tout (sens globalisant du préfixe) en ce qui me concerne USQUE (adv.) VIRO jusqu'à maintenant/avec constance (nous ne pouvons résister à ce clin d'œil) à son mari - ou homme, mais le terme est populacier en français. IPSE MISER DOCUI Et (expression de l'asyndète par une syndèse en français!) c'est moi-même qui malheureux/dans mon malheur, + lui + ai enseigné QUO PACTO de quelle manière POSSET LUDERE CUSTODES comment elle pouvait (tromper) se jouer des gardiens (gardes du... corps!):

10 HEU! HEU! Hélas, + trois fois + (apparemment, deux fois seulement en latin!) hélas! PREMOR NUNC MEA ARTE (Je suis acculé par) je me prends maintenant à mes propres artifices (le passif s'approche du réfléchi parfois, surtout avec l'insistance sur l'EGO souffrant: première personne dans PREMOR, MEA en fin de vers, voire NUNC référent temporel personnel). TUNC DIDICIT C'est avant = de moi? (car cette précision temporelle en anaphore renvoie au passé du locuteur) qu'elle a appris FINGERE CAUSAS à imaginer des raisons UT CUBARET SOLA pour coucher seule, TUNC avant POSSE VERTERE FORES à pouvoir ouvrir une porte (à double battant, d'où le pluriel; notons que le pouvoir impliquant le savoir, nous aurions un pléonasme soulignant le rôle formateur de l'amant) CARDINE TACITO (avec un gond muet) sans faire grincer un gond. TUNC DEDI C'est avant que je + lui + ai donné SUCOS HERBASQUE les sucs et les herbes - ou le suc de certaines herbes, par hendiadys, même si les femmes romaines ne répugnaient pas au tartinage, aux emplâtres plus ou moins ragoûtants pour se ravaler la façade - QUIS (archaïque=QUIBUS) ABIRET grâce auxquelles disparaît (subjonctif de conséquence dans la relative en latin) LIVOR QUEM VENUS MUTUA le suçon (LIVOR=un bleu) qu'un désir réciproque FACIT DENTE IMPRESSO (participe passé passif d'IMPRIMERE) génère avec l'appui des dents + sur la peau +.

v. 15 AT TU, CONJUX INCAUTE Mais toi, conjoint peu regardant (avec le jeu de mot: CAVE, prends garde!) PUELLAE FALLACIS d'une jeune femme trompeuse, SERVATO QUOQUE ME veille par la même occasion sur mes intérêts UT ILLA PECCET NIHIL pour que celle-ci ne pêche en rien (ici, l'intérêt de l'autre est le même que le sien: empêcher l'entrée en lice d'un troisième larron!). CAVETO NEU CELEBRET prends garde qu'elle ne fréquente JUVENES MULTO SERMONE des jeunes gens suite à des conversations répétées, NEVE CUBET ni qu'elle ne s'allonge (par ex. au cours d'une CENA dans le triclinium: les femmes, d'abord exclues, ont fini, à la fin de la République, par y assister, assises, puis, à l'époque impériale, allongées comme les hommes; rappelons d'ailleurs que les moralistes dénonçaient vertement le comportement d'exhibitionnistes hommes qui profitaient de l'ouverture du pli de leur toge pour faire montre de leurs capacités viriles, aussi bien pileuses que musculeuses, voire érectiles...) APERTA PECTUS découverte quant à la poitrine (acc. de relation, comme en grec), SINU LAXO le pli de son vêtement étant relâché (avec l'ambiguïté du terme SINUS, au sens figuré; sein) NEU TE DECIPIAT NUTU ni qu'elle ne te trompe d'un signe de tête

v. 20 QUE NE TRAHAT ni qu'elle n'étire LIQUOREM DIGITO du vin avec son doigt ET DUCAT NOTAS et ne (conduise des signes) trace des caractères IN ORBE MENSAE sur le cercle de la table (sur la table circulaire, celle qui recevait mets et boissons à disposition du convive). TIME + TAM + SAEPE QUAM EXIBIT Crains aussi souvent qu'elle sortira, SEU DICET ou si elle dit VISERE désire voir/assister SACRA BONAE DEAE aux mystères de la Bonne Déesse NON ADEUNDA MARIBUS qui ne doivent pas être approchés par les hommes. AT SI CREDIS MIHI mais si tu me fais confiance, UNUS ILLAM SEQUAR + c'est + seul + que + je la suivrai AD ARAS auprès des autels (s.-e. ici pour un sacrifice à l'autel de l'amour!); TUNC TIMUISSE MEIS OCULIS Alors (avoir eu peur pour mes yeux, donc, avec le sens du perfectum - résultat présent d'une action passée) être frappé de cécité (ne serait pas à moi) ne me concernerait pas (pour la simple et bonne raison qu'il assisterait à d'autres mystères, torrides ceux-là - encore qu'à Eleusis, par ex., les mystes assistaient à la représentation en chair et en os d'une hiérogamie - où il pourrait se rincer l'œil, comme sa partenaire! Retenez-moi!!!).

v. 25 SAEPE, VELUT PROBAREM souvent, comme pour admirer GEMMAS EJUS QUE SIGNUM ses pierres précieuses ou (ici, sens alternatif de -QUE) son sceau, MEMINI PER CAUSAM je me souviens que + c'est + pour cette raison/ce prétexte + que + ME TETIGISSE MANUM j'ai touché sa main. SAEPE PEPERI SOMNUM TIBI à de multiples reprises j'ai engendré (PARIO, cf. parturiente) pour toi le sommeil, donc je t'ai endormi MERO avec du vin pur (il était de tradition dans les banquets que chaque convive boive le nombre de coupes voulu par le maître de la soirée: si le sort désignait un buveur de fond, bonjour la gueule de bois. Ceci permettait de déterminer le roi de la soirée... Les vins étaient très lourds - l'équivalent actuel serait le martini ou le muscat - d'où l'habitude qu'un échanson les mélange à de l'eau dans un cratère. Ceci permettait toute sorte de manipulation... ) AT IPSE BIBEBAM SOBRIA mais moi-même je buvais POCULA SOBRIA des coupes sobres/qui n'enivrent pas, VICTOR AQUA SUPPOSITA vainqueur puisque (sens causal de l'adjectif verbal) de l'eau avait été versée discrètement. EGO NON TE LAESI Moi, je ne t'ai pas blessé/lésé PRUDENS (PRO-VIDENS, en voyant les conséquences) intentionnellement: IGNOSCE FATENTI pardonne au parlant/à celui qui + te + parle + et avoue + (ou à mes vœux, comme le propose Rat. Dans ce cas le PRUDENS paraît peu judicieux...).

v. 30 AMOR JUSSIT + c'est + Amour + qui l'+ a ordonné. QUIS FERAT ARMA qui porterait les armes CONTRA DEOS? contre les Dieux? EGO SUM ILLE Moi, je suis celui - NEC ME PUDEBIT JAM et (ne me fera pas rougir) je ne rougirai pas désormais DICERE VERA de dire (des choses justes) la vérité (le français préfère la tournure abstraite) (s.-e.: puisque tout est perdu) CUI TUA CANIS INSTABAT contre lequel ta chienne s'acharnait (IN-STARE + dat - verbe préfixé) TOTA NOCTE toute la nuit (faut-il y voir un sens obscène? cf. la précision physique du v. 35). QUID OPUS TIBI (Quel besoin à toi) quel besoin as-tu TENERA CONJUGE d'une jeune épouse ? SI NESCIS SERVARE si tu ne sais pas conserver TUA BONA tes biens, FRUSTRA CLAVIS INEST FORIBUS + c'est + en vain + que + la clé est à (l'intérieur de) la porte.

v. 35 TE TENET Elle te tient + dans ses bras +, SUSPIRAT ALIOS AMORES ABSENTES soupire + après + d'autres amours absentes (ici, un autre amant) ET SIMULAT SUBITO et fait semblant subitement CAPUT CONDOLUISSE (CONDOLESCO) que sa tête a mal. AT CREDAS Mais puisses-tu croire (sens de souhait du subjonctif; Rat et Hatier traduisent par: confie-la à ma garde) SERVANDAM MIHI qu'elle doit être gardée par moi (adjectif verbal avec c. d'agent au datif d'intérêt): NON RECUSA VERBERA SAEVA je ne récuse pas les coups cruels, EGO NON DETRECTO moi je ne refuse pas VINCLA PEDUM (les liens des pieds) les étrivières. TUNC ABSITIS PROCUL alors (soyez au loin) éloignez-vous, QUISQUIS COLIT CAPILLOS ARTE (chacun qui) vous qui soignez vos cheveux avec art, CUI TOGA LAXA pour qui la toge relâchée

v. 40 EFFLUIT SINU EFFUSO flotte en un pli répandu (en un ample drapé). ET QUISQUIS OCCURRET et quiconque vient à sa rencontre, STET PROCUL (qu'il se tienne au loin ) qu'il s'arrête AUT ... ANTE ALIA VIA ou qu'il + passe + devant par une autre route.

COMMENTAIRES:

ce texte a été peaufiné pour mieux exsuder la souffrance ressentie, apparemment, car Tibulle est passé maître dans l'art de la distanciation...

1) un texte très travaillé, comme l'atteste le jeu intellectuel d'opposition déconcertante et contradictoire, avec TAMEN comme pour mieux souligner l'aspect (VULTUS) ambivalent de l'amour: SEMPER/POST en début de vers; faut-il relever tous les raffinements subtils de Tibulle? Nous n'en voulons pour preuve, en ce début d'élégie que son attention au vocabulaire. prenons VULTUS: serait-ce un pluriel poétique? VULTUS est l'aspect que présente le visage, donc ici les traits. Mais l'amour peut aussi se réaliser à travers différents visages... féminins?, cf. élégie- mais ce serait une muflerie, alors même que le poète déplore la rupture; il faut dans ce cas y voir une marque de ressentiment. Ou n'est-ce pas plutôt que la personne aimée présente des jeux de physionomie, voire de multiples faces agréables, donc attrayantes, cf. les blandices de l'enfance; ce travail d'orfèvrerie sur les mots est corroboré lexicalement: n'avons-nous pas BLANDOS, puis ASPER, avec le rapprochement sémantique: MISERO TRISTIS. Judicieusement, le poète trompe notre attente, notre automatisme: INDUCAR? donc la tromperie féminine? Que non pas: AMOR éclate comme la solution surprenante, là où nous attendions, en cette sixième élégie, Délie... Le souci de la variation est raffiné: après deux vers déclaratifs, une double interrogation, le TIBI s'oppose au ME, la deuxième interrogation généralise. Et on revient dans un vers de rythme absolument identique au 3ème, comme d'ailleurs au premier, excepté la césure (penthémimère). INSIDIAS amène naturellement la métaphore de la chasse; CASSES à l'hephthémimère du v. 5, avec l'intelligence subtile, la métis: FURTIM, confirmé par CALLIDA. Délie se montre aussi habile dans ses actions que notre poète dans ses constructions, comme l'incarne le chiasme DELIA... TACITA CALLIDA NOCTE (nom/adj//adj./ nom.). Tibulle ne répugne pas à l'insistance: NEGAT, repris par PERNEGAT, avec le raffinement du JURATA, déponent parfois dans l'ancienne langue, sachant que le latin perdait ses déponents aussi vite qu'il les créait, tout simplement parce que cette voix est en fait intellectuelle, et demande un minimum de réflexion pour que le récepteur ne se leurre pas. L'incrédulité de l'amant est bien soulignée par les syndèses: il accepte bien à contrecœur, ou plutôt à contre-intelligence les dénégations de sa bien-aimée: QUIDEM, SED, SIC ETIAM, en achevant sur VIRO. Il cherche à aider Delie: DOCUI à la penthémimère, ARTE en fin de vers, et son élève est performante: FINGERE DIDICIT, lui-même à la penthémimère, ainsi que POSSE, après le premier POSSET du v. 9. Et tout le temps de la formation s'écoule dans l'opposition entre le NUNC du v. 10 et les anaphores des TUNC en césure trihémimère en 11 et 12, en début de v. 13. Les notions acquises s'accumulent, d'abord par une allusion générale: QUO PACTO LUDERE CUSTODES, ensuite une explication verbale sur presque un vers: FINGERE CAUSAS, puis l'acquisition d'une première technique en 1 vers pour finir par une formation quasi-médicale sur 2 vers, efficace vu le résultat: ABIRET en fin de vers 13. Puis, après les tromperies subies (dues à l'amour trompeur, à Délie elle-même - CALLIDA - à l'amoureux pris à son propre jeu), Tibulle s'attaque à l'amant en titre lui-même, qui a déjà été annoncé par VIRO en fin de v. 8. Les interdictions s'accumulent: NEU deux fois en début de vers. S'ensuit un impératif. SAEPE en césure trochaïque, suivi de l'hephthémimère est repris en début des vers 25 et 27. Le jeu AT TU en 15 et NON EGO en 29 permet l'articulation logique du raisonnement: l'amant en fait complaisant n'a pas à en vouloir à celui qui subit la loi d'Amour, qui reprend en 30 la fin du v. 2. Et Tibulle de s'imposer finalement: ILLE EGO SUM, aux antipodes du IPSE MISER DOCUI: il s'agit de se montrer, par rapport à son rival. Mais Tibulle revient à son obsession: Délie, et les autres hommes: d'abord celui qui la possède, ou plus justement, est possédé par elle: TE TENET, en asyndète, puis les autres; d'abord par le flou AMORES, puis - au-delà de son propre désir de la conserver pour lui: SERVARE 34, SERVANDAM, malgré les souffrances dignes de celles infligées aux esclaves - des allusions plus précises, en courtes esquisses, avec des raccourcis caricaturaux: 39 et 40. Ainsi ce début d'élégie est-il très construit mais les reprises de termes, les oppositions marquées participent aux sentiments de tristesse que Tibulle entend éveiller chez son lecteur/auditeur.

2) De fait, l'intensité de la souffrance provoquée par la rupture - qui s'avèrera inéluctable malgré l'aide de la mère de Délie, au présent qui plus est, aux vers 59-60 - s'exprime d'emblée par les allitérations en [s] des deux premiers vers, avec le jeu entre les liquides abondantes et des passages d'occlusives réitérées, par ex. posT Tamen, TrisTis eT, voire de séquences vocaliques répétées: sEmpEr, inducAr blAndos, mIhI, VUltUs, mEn Es, trIstIs. Tout ceci n'est pas sans provoquer un effet de ressassement, propre à incarner la souffrance... Pensons au célèbre Pont Mirabeau, d'Apollinaire... L'amoureux subit cet amour déceptif: passif d'INDUCAR, souligné par la césure penthémimère, MIHI au datif, repris par MISERO à la césure traditionnelle du pentamètre, v.2. Le narrateur est bien dans un état de déréliction qu'il nous fait partager par un présent qui, de vérité générale: OFFERS, passe à un présent de narration, anecdotique avec FOVET; les CASSES sont bien là, l'innocent tombe dans l'embuscade: INSIDIAS, sans possibilité, dans son innocence par opposition à la CALLIDA, de se défendre: les deux interrogatives, disproportionnées, évoquent cette pénible situation, comme l'élision des deux voyelles: dsssds, souffrance soulignée par la répétition de "ESt", l'un à la césure hephthémimère, l'autre en fin de vers: MEC(UM) EST; MAGN(A) EST. Il n'est pas jusqu'au AN qui ne marque cet... état présent: Rat n'édite pas le EST final et propose donc un trochée au lieu d'un spondée: la construction d'ensemble reste claire: une infinitive sujet, avec un groupe nominal attribut. Quelle qu'elle soit par ailleurs: phrase elliptique concise sans le verbe copule exprimé ou insistance sur cette réalité choquante, ce que semblerait confirmer le AN, deuxième élément d'une double interrogation, en opposition au sens du premier: soit cruauté gratuite, inexpliquée, à l'égard d'un martyr en fait de l'amour: MISERO, soit mesquinerie d'un dieu jaloux, sans plus de raison, d'un homme? Cette tare est plutôt l'apanage des hommes... d'un simple homme: HOMINI à la césure du pentamètre, DEUM à la fin... Avec l'angoisse d'une situation piégée, marquée par les voyelles sourdes, opposées aux 4 [a] de la fin de l'hexamètre précédent... v. 6 le ressentiment mal refoulé par une indifférence feinte: NESCIO QUEM se marque par l'allitération en gutturales sourdes [k]. Le raisonnement s'accroche, tente de s'imposer, non sans mal: v. 7. 8 de courtes phrase, en syndèse; QUIDEM, SED, SIC ETIAM. Il faut se confronter à l'insoutenable, se contraindre à regarder de face une vérité que l'on veut éluder: voilà bien l'enjeu des deux NEGAT: la réalité objective est là, renforcée par le présent qui perdure. Délie semble pousser la perversité jusqu'à se servir de Tibulle, dans ses serments, pour cacher un troisième homme. L'indignation filtre dans ces vers 8, de par le jeu entre voyelles ouvertes et fermées. Notre poète se rend compte - ce qui renforce l'ironie féroce du texte - qu'il a tissé lui-même, nouveau Pygmalion maladroit, la trame qui l'étrangle... C'est bien ce que souligne avec tristesse le IPSE MISER au début du v. 9: la situation de Tibulle est d'autant plus pénible qu'il est l'artisan de son propre malheur, ce qui amène ses plaintes, la seconde à la césure du pentamètre 10: il est condamné à subir, on n'ose dire la pression - vu le jargon actuel du milieu sportif qui déborde en cette période de JO! - l'effet écrasant, oppressant, suite à ses propres: MEA en fin de vers, manigances: ARTE est ici péjoratif. Le TUNC renvoie à ses activités de formateur ès cocufiage, à 3 reprises: comme pour mieux se flageller, Tibulle évoque ses différentes leçons, avec le résultat sensuel: VENUS MUTUA DENTE IMPRESSO; certes il y avait le maître, mais sa disciple et lui-même arrivaient au même stade de la connaissance amoureuse. C'en est trop, car l'aimée est absente, ce qu'évoquait déjà le jeu des personnes: la deuxième pour l'amour (OFFERS), après la première de l'émetteur (INDUCAR), la troisième, donc en dehors du champ de l'interlocution, uniquement donc comme objet d'une narration étant utilisée pour Délie (v. 5). Nous passons, au début du v. 15, en deux monosyllabes avec dentales sourdes, à l'interpellation brutale du mari: pour surprenante et déconcertante que soit cette démarche, soulignée par le AT de début de vers, elle permet de demander des comptes à un autre que soi et permet en fait de partager la responsabilité de l'infidélité de Délie entre les deux hommes. Ainsi, Tibulle peut réussir à évoquer ce qui le blesse. Il s'en même s'y complaire, amis c'est dans un processus bien humain: arrivée à un certain degré, la douleur psychique pousse à décliner cette dernière sur autrui, et le comportement fort relâché, voire racoleur, de la jeune fille, souligné par la multiplication des circonstances dont elle profite pour vivre ses amours déchire certes le cœur de l'amant, mais il ne doit pas être seul à souffrir: il y a une délectation morbide à se confronter à ces différents tableaux fort rapides, mais ô combien évocateurs... Tibulle sait comment remuer le fer dans sa plaie, tout en profitant - passez-moi l'expression - de l'occasion pour en blesser son rival: un bel exemple de coup de Jarnac. Mais le MIHI revient vite à la charge, car son EGO lui est à charge (v. 23 - 24). Et il retombe dans le regret du passé, sans cesse à ressasser le bonheur perdu: MEMINI. Et ceci est d'autant plus déchirant que la possession de la femme aimée a eu lieu maintes fois: SAEPE en début de vers (v. 25 et 27), et ceci n'est pas ce qui va la lui rendre. Il semble alors regretter ses tromperies, passagèrement: JUSSIT AMOR; Tibulle n'est pas l'homme de la culpabilité, il sait se dédouaner, ne serait-ce que pour vivre heureux. Et une telle justification semble suffire au pardon; il s'affiche haut et fort: ILLE EGO SUM. Mais Délie est toujours absente: quels que soient les moyens utilisés, toutes les manœuvres dilatoires de Tibulle, la réalité est là, donc la souffrance due à l'absence, d'où le TENERA CONJUGE du v. 33. Tibulle veut se confronter à l'horreur tangible, à la scène incontournable quand on possède une femme qui appartient à un autre: TE TENET avec ses dentales... pour encore une fois tenter de se décharger sur son rival en le rendant à son tour jaloux. La souffrance reste si intense, avec les sifflantes (v. 37), et les voyelles ouvertes [a] que le terme SERVANDAM, par un rapprochement conscient renvoie aux châtiments corporels les plus pénibles infligés aux esclaves; il est bien évident qu'à le lire, il s'inflige à lui-même ces SAEVA TENERA, autant que Délie les lui impose, comme les VINCLA PEDUM. Et nous voyons alors que tout ce que nous avons dit sur la souffrance de Tibulle doit être nuancé: il s'agit aussi du lieu commun de la littérature amoureuse, et c'est bien le propre d'une élégie: nous sommes face à une construction littéraire, maîtrisée par l'art, cf. le clin d'œil d'ARTE MEA, en une mise en abîme: l'auteur d'une élégie, que le sujet repose ou non sur une anecdote personnelle, est bien en droit de dire : PREMOR ARTE MEA... Et c'est dans cette optique qu'il faut savoir aussi interpréter cette souffrance affichée, proclamée, et dont l'intensité nous est rendue sensible par les démarches opérées pour l'éluder ou l'atténuer... D'ailleurs, les formules d'abomination, d'exécration des rivaux sont bien manipulées, et la transition perceptible: ce n'est pas par l'émotion que l'on passe de VINCLA PEDUM qui empêche tout mouvement à: PROCUL ABSITIS... et si Tibulle, au rebours des gandins dénoncés, ne se trafique pas la chevelure - vu la virulence de l'attaque - on oserait presque le paraphraser en écrivant: COLIT ARTE VERSUS! Au reste, il est amusant de constater qu'après la mention des charmes affichés de Délie (APERTA PECTUS SINU LAXO), cette dernière puisse maintenant jouir du spectacle offert par le drapé d'une toge, voire plus: n'est-ce point Cicéron qui dénonce un orateur qui profitait des ouvertures de sa toge pour faire profiter les amateurs de sa "vergogne". De telles préoccupations confirment que la souffrance que nous venons de traiter est bien réelle, mais en tant que sujet littéraire... Victor Hugo a bien procédé de la même manière pour sa chère Léopoldine puisque cette perte ne l'a pas empêché de faire le nécessaire pour devenir pair de France, et lui a permis d'écrire de très beaux vers... Mais tout créateur n'est-il pas vampire de lui-même autant que des autres?

3) un sens certain de l'humour et de la comédie humaine: il y a de l'arroseur arrosé dans ce passage. Car nous avons ici une série de tableautins dignes du théâtre de boulevard...

Mystification du lecteur d'emblée que cet INDUCAR rapproché de BLANDOS si bien qu'une figure féminine semble vouloir se concrétiser : OFFERS, présente et présent, si l'on me passe ce jeu de mot, face à un homme MISERO en un rapport d'éloignement que reprendra l'amour courtois, avec son amoureux transi. TRISTIS ne lève pas l'ambiguïté, dissipée par ASPER et l'interpellation finale qui résout cette courte énigme : AMOR. Cette thématique de l'indifférence profonde, malgré un abord agréable, se retrouve avec SAEVITIAE, non sans évoquer la perversité : INSIDIAS. Le rapport de différence qualitative est corroboré par l'expression HOMINI/DEUM. Ce type de rapprochement par complémentarité se retrouve plus loin avec FALLACIS/INCAUTE au v. 15, comme avant avec LUDERE/CUSTODES au v. 9/10, voire SOLA CUBARET au v. 11...

Après ce premier tableau sur un amour de loin mal récompensé, la situation habituelle s'inverse : traditionnellement, c'est l'homme qui tente de prendre la femme dans ses filets : CASSES, et cette situation inattendue n'entre pas pour peu dans l'émotion ressentie ici par l'amoureux, ex-amant, émotion que les différents types de phrase employés ont subtilement évoquée au cours de ces 6 premiers vers. Et l'émetteur semble vouloir reprendre sa personnalité, vu les multiples occurrences du pronom personnel de 1ère personne : MIHI , ME, difficilement, c'est ce qu'impliquent les datifs. Mais n'insistons pas trop sur le tragique de la situation qui relève plutôt de notre approche 2...

Nous nous trouvons ensuite face à une scène de comédie avec le triangle adultère évoqué de la fin de 5 au v. 8: DELIA en fin de vers, repris par ILLA emphatique au début du v. 7 : entre les deux : le nouvel amant, le rival, innommé, trop haï sous un mépris affecté, car trop affiché : NESCIO QUEM, avec toutes les gutturales sourdes de ce passage ; l'ex se retrouve à l'écart, malgré sa présence à la césure du pentamètre 5, pour finalement laisser la place au maître légal : VIRO, terme poétique pour le mari. Le tout sous une avalanche de faux-serments et de mensonges : FURTIM en fin de vers, avec la finesse féminine : CALLIDA. Le plus amusant est que l'incrédule ici n'est pas le mari comme attendu, mais l'ex-amant avec, comme en feu d'artifice final, souligné par la reprise de la même racine : NEGAT/PERNEGAT, la pirouette: les mensonges antérieurs... le USQUE annonçant les TUNC accumulés ensuite...Oui, nous sommes bien face à un malheureux : MISER qui se reconnaît hautement comme tel : IPSE, en début de v. 9. Tibulle s'en prend à lui-même, comme dans les histoires d'amour éculées qui finissent toujours mal, si l'on en croit une chanson actuelle... Quoiqu'il en soit, le IPSE MISER DOCUI ne peut que prêter en même temps à sourire...

Autre preuve d'humour: le terme CONJUX est plus fréquemment réservé aux femmes. C'est que dans ce couple, c'est plutôt Délie qui semble porter la toge... malgré sa jeunesse: PUELLAE en fin de v. 15. Et comme à plaisir, non sans cruauté d'ailleurs, Tibulle revient sur la différence d'âge, par allusion: JUVENES (v. 17). Puis il insiste sur la plaie: TENERA CONJUGE au v. 33, pour ce propriétaire trop confiant: TUA CANIS (v. 32), chienne de compagnie, du genre roquet teigneux: INSTABAT, TOTA NOCTE - car on n'aime guère être dérangé dans son sommeil à l'âge de notre barbon: le monde de la nuit est fait pour les jeunes - de plus, une chienne disions-nous, une autre preuve que cet homme est bien installé dans sa propriété : nous sommes loin du chien de garde qui figure avec l'inscription CAVE CANEM sur le seuil d'une villa à Pompéi. Il s'agit d'un gros propriétaire: TUA BONA (v. 33), avec le refus de sa maîtresse d'accomplir son devoir - qu'on n'ose qualifier de conjugal: en effet, les citoyens n'épousent pas les affranchies: ils couchent avec, en les entretenant: SUBITO CONDOLUISSE CAPUT (v. 36); Tibulle souligne donc que le cocu n'en a pas pour son argent: les parasites abondent, si nous reprenons le fil du texte là où nous l'avons abandonné: JUVENES CELEBRET au v. 17. La suite est proche de l'autocritique implicite: MULTO SERMONE. N'est-ce pas ce qui explique aussi le succès qu'il a rencontré auprès de Délie? Et nos parasites se transforment - après la parole, le regard - en voyeurs bien servis, vu l'allusion à peine voilée à l'étalement des charmes au v. 18. La drague active de Délie continue avec les CENAE: singe de tête comme du doigt qui donne des indications ou des encouragements IN ORBE MENSAE. Tout ceci concernait le cadre de la DOMUS. Mais, au rebours des citoyennes communes - il est vrai qu'elle est affranchie - Délie sort souvent: v. 21 EXIBIT; En fait, elle suit en cela les femmes de la haute de l'époque, et nous découvrons que nos belles du XVIIème qui se fardaient pour la messe n'ont rien inventé: VISERE SACRA. Cela semble même le bon plan par excellence, car ce petit épisode s'étend sur 3 vers. Et cela redonne sa chance à notre amateur: UNUS SEQUAR, car la sortie religieuse n'est qu'un prétexte, vu le v. 24: Tibulle n'est pas un esprit fort et son propos n'est pas de se moquer de la BONAE DEAE, mais de la crédulité de l'amant en titre au mensonge: DICET (v. 21). Et toute occasion est bonne: nous revenons à la DOMUS, après cette sortie. Délie se montre une croqueuse de diamants efficace: qui a payé les GEMMAS, et le SIGNUM? Que de regrets, de récriminations pour notre cocu? on le soupçonne même d'avoir payé le coup à ses propres dépens, car croyant festiner un ami, il n'a fait que lui laisser la place. Sans oublier non plus que le vin pur n'était pas le meilleur moyen d'honorer sa belle. Tibulle s'étend trop sur ces détails: MERO, BIBEBAM VICTOR pour que nous n'en soyons pas persuadé: il participait à ces beuveries comme invité. Voilà bien une scène digne d'une comédie. Après la justification par l'inconscience (PRUDENS en devient négatif!) de ce qui est objectivement une ignoble tromperie et est le signe d'une amoralité certaine ( saouler l'autre pour se rouler dans le stupre), il est amusant de voir Tibulle se décharger de toute responsabilité sur le Dieu Amour, comme si c'était le fin mot de toute l'affaire. Comme excusé, il revient à la charge, cette fois-ci pour ses visites nocturnes. En fait, ce n'était pas à une chienne, mais à l'homme de protéger le corps de celle qu'il aime des assauts de son amant. Et nous ne pouvons nous empêcher d'imaginer le cocu seul, privé de sommeil par les aboiements de son toutou favori protestant contre la présence de l'intrus dans la maison. ET ce niais ne se doute de rien, dans sa bonne conscience de propriétaire: TUA BONA. Tibulle a parlé de clef (CLAVIS). C'est pour mieux nous ouvrir la porte: Tibulle ne s'arrête même pas au seuil du lit, comme s'il voulait qu'aucun aspect de la vie de son ancien rival n'échappe à ses éclaircissements et ses dénonciations. Même dans l'intimité sexuelle, Délie trompe et accomplit sa prestation: TE TENET avec les dentales, le cœur est ailleurs: SUSPIRAT ALIOS AMORES, avec les sifflantes... Le raffinement de Délie, sa fragilité - fallacieuse, cf. FINGERE CAUSAS UT SOLA CUBARET) lui est un moyen d'évasion. Et Tibulle attribue au regret d'un amant toutes les fois où Délie s'est refusé à son amant en titre... Il est assez fin connaisseur des effets de la vie commune pour ne pas être sûr de toucher juste, et il le fait avec une perversité et une sûreté qui ne peut que réjouir le lecteur: il s'agit de scènes de la vie conjugale, avec ses petitesses médiocres. Tibulle se permet même de donner des leçons de sécurité: SERVANDAM MIHI, là où l'autre n'a pas su défendre sa... part? il n'a pas la bêtise des esclaves qui se font châtier pour leur négligence - comme devrait l'être d'ailleurs l'autre, aussi bête que ces INSTRUMENTUM VOCALE. Le passage se termine sur l'intérêt de Délie pour les jeunes faisans: QUISQUIS COLIT ARTE CAPILLOS (v. 39)... Une seule solution: il faut la mettre à part: STET PROCUL (v. 42), comme on a éloigné les objets de ses désirs: les QUISQUIS distributifs sont bien pluriels: la forteresse est si fragile qu'on ne peut tolérer la présence dans les environs d'un assiégeant potentiel quelconque.

Participent aussi à l'alacrité du passage les petites piques qui abondent: UNUS AD ARAS; les rites religieux semblent peu courus et nous sommes loin de la restauration morale - oserions-nous écrire: retour à l'ordre moral? - voulue par Auguste. Comme le comique de répétition des mêmes scènes, soulignées par les SAEPE déjà évoqués en 1...

Mais cette distanciation ironique n'est-elle pas la suprême élégance du désespoir? (cf... 2!). Notre propos se contredit par instant? Mais c'est qu'une oeuvre littéraire est toujours polyphonique et ne donne jamais son dernier mot: elle reste vivante, dont soumise aux changements... (pour ceux qui sont sensibles à la modernité de Tibulle, ou du moins à ce qu'il nous apporte actuellement)

SCANSION:

rappel des abréviations: s=spondée, d=dactyle, t=trochée final, _t=césure trihémimère, _p=penthémimère, _h=hephthémimère.

Pour le pentamètre, nous ne mentionnons que le rythme des deux premières mesures, la suite étant automatique. Rappelons seulement que l'élégiaque est formé de 2 membres de 2 pieds et demi chacun, séparés par une coupe obligatoire. Il y a 6 temps marqués répartis en 3 + 3 par la coupe. Le deuxième membre est obligatoirement composé de deux dactyles et d'une syllabe indifférente...

v. 1

dsssds_p

dd

dsssds_h, élisions: MEC(UM) EST, MAGN(A) EST

dd

dsssds_h

dd

dsdsds_t_h, élision: DUR(UM) EST

ds

ddssds_p

v. 10: ss

ddssds_p

dd

ssdsds_t_h

ds

v. 15, en spondées: ssssds_h

ds

ddssds_t_p_h

ds

sdsddt_h

v. 20: ds

sddsds_trochaïque_h

dd

dssdds_p

dd

dsssdt_h

sd

dsdddt_t_p_h, élision: TIB(I) AT

dd

dsssdt_h

v. 30: ds

dssdds_t, élision: ILL(E) EGO

ss

v. 33: en dactyles: ddddds_t_h

ss

dsdsds_h

dd

dsssds_h

ds

dssdds_p

v; 40: ds

dsssdt_p

v. 42: LOCUS DESPERATUS, donc non corrigé...