le tout: Hubert Steiner
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Motus senatu et Pedius Blaesus, accusantibus Cyrenensibus violatum ab eo thesaurum Aesculapii dilectumque militarem pretio et ambitione corruptum. Idem Cyrenenses reum agebant Acilium Strabonem, praetoria potestate usum et missum disceptatorem a Claudio agrorum, quos regis Apionis quondam avitos et populo Romano cum regno relictos proximus quisque possessor invaserat, diutinaque licentia et injuria quasi jure et aequo nitebantur. Igitur abjudicatis agris orta adversus judicem invidia; et senatus ignota sibi esse mandata Claudii et consulendum principem respondit. Nero, probata Strabonis sententia, se nihilo minus subvenire sociis et usurpata concedere rescripsit.
Pédius Blésus perdit aussi le rang de sénateur, accusé par les Cyrénéens d'avoir violé le trésor d'Esculape, et cédé, dans la levée des soldats, à la double corruption de la brigue et de l'or. Le même peuple poursuivait Acilius Strabo ancien préteur, envoyé par Claude pour régler la propriété de plusieurs domaines possédés autrefois par le roi Apion, et que ce prince avait laissés, avec ses États, au peuple romain. Les propriétaires voisins les avaient envahis, et ils se prévalaient d'une usurpation longtemps tolérée, comme d'un titre légitime. En prononçant contre eux, le juge souleva les esprits contre lui-même. Le sénat répondit aux Cyrénéens qu'il ignorait les ordres de Claude, et qu'il fallait consulter le prince, Néron, approuvant le jugement d'Acilius, écrivit néanmoins que, par égard pour les alliés, il leur faisait don de ce qu'ils avaient usurpé.
PEDIUS BLAESUS (EST) ET MOTUS SENATU Pedius Blaesus fut aussi exclu du sénat, CYRENENSIBUS (y, prononcez Ü) ACCUSANTIBUS THESAURUM AESCULAPI VIOLATUM (ESSE) AB EO (c. d'agent, comme attendu), les Cyrénéens accusant que le trésor d'Esculape a été profané par celui-ci QUE DILECTUM MILITAREM CORRUPTUM PRETIO ET AMBITIONE et que le recrutement des soldats a été saisi/attaqué par l'achat et la brigue. IDEM CYRENENSES AGEBANT REUM Les mêmes Cyrénéens faisaient comme accusé (donc accusaient) ACILLIUM STRABONEM Acillius Strabon, USUM POTESTATE PRAETORIA s'étant servi de la puissance prétorienne (donc ancien préteur) ET MISSUM A CLAUDIO et envoyé par Claude DISCEPTATOREM AGRORUM comme arbitre des champs QUOS QUONDAM AVITOS REGIS APIONIS qu'autrefois ancestraux du roi Apion ET RELICTOS POPULO ROMANO CUM REGNO et légués au peuple romain avec le royaume, QUISQUE PROXIMUS POSSESSOR INVASERANT tous les riverains (<chaque le plus proche!) avaient envahis comme possesseur QUE NITEBANTUR (en coordination avec AGEBANT) et ils s'appuyaient LICENTIA ET INJURIA DIUTINA sur une jouissance et une injustice invétérées (R: au rebours du latin, le français met l'adjectif en facteur commun aux termes concernés, donc ici pl.!), QUASI JURE ET AEQUO comme à bon droit et selon l'équité. IGITUR, AGRIS ABJUDICATIS, Donc, les champs leur ayant été retirés à la suite du jugement, INVIDIA ORTA (EST) ADVERSUS JUDICEM la haine naquit à l'encontre de l'arbitre (R: IN-VIDIA< ne pas voir quelqu'un... en peinture?).
R: étymologiquement, le JUDEX dit le JUS - le droit, c'est-à-dire la formule juridique qui s'applique au cas soulevé.
ET SENATUS RESPONDIT MANDATA CLAUDII ESSE IGNOTA SIBI. Et le sénat répondit que les instructions de Claude étaient ignorées de lui-même (R: SIBI=le sénat: le réfléchi, dans l'infinitive, renvoie au sujet de la principale) ET PRINCIPEM CONSULENDUM (ESSE: en facteur commun aux deux infinitives) et que le Princeps devait être consulté. NERO, SENTENTIA STRABONIS PROBATA, Néron, l'avis de Strabon ayant été approuvé, (R: SENTENTIA=décision judiciaire du JUDEX, ce qu'il pense: SENTIO) SCRIPSIT SE SUBVENIRE NIHILO MINUS SOCIIS (R: SUBVENIRE=verbe composé, donc complément au datif) fit écrire (au sénat) qu'il n'en venait pas moins en aide aux alliés ET CONCEDERE USURPATA et qu'il (leur) concédait les terres qui avaient été usurpées.
- témoignage précis (cf. abondance des ablatifs absolus circonstanciels) sur les difficultés administratives rencontrées par l'impérialisme romain dans la gestion des provinces. Ne nous attardons pas au pillage d'un temple (Verrés, dénoncé par Cicéron, a fait pire): ceci est somme toute anecdotique - un (vrai!) détail secondaire -, même s'il amène à expulser du Sénat un coupable; apparemment, les Cyrénéens ont à Rome un PATRONUS assez influent pour soulever cette affaire au sénat... tout ceci est commun aussi bien en période de guerre que de PAX ROMANA: n'oublions pas que la brigue (AMBITIO) pour obtenir les postes amenait des dépenses électorales que les gagnants regagnaient sur le dos de leurs administrés (corruption, confiscations, abus divers); pour savoir comment interpréter la PAX ROMANA, pensons au «calme» de nos anciennes colonies... et n'oublie pas que la vision que certains veulent nous donner de l'Empire Romain n'est pas dénué d'arrière-pensée(s!): ce n'est pas un hasard si Mussolini s'en est inspiré... et suivez mon regard vers la droite de la droite! L'attaque en règle contre Strabon est plus révélatrice (cf. le comportement, les protestations des petits blancs en Algérie contre l'administration de l'Armée Française, qui a dû finir d'ailleurs par leur céder) : son titre officiel est rappelé (PRAETORIA), son ordre de mission (MISSUM DISCEPTATOREM), la situation objective antérieure et indubitable: AVITOS, avec l'aboutissement: RELICTOS qui se fait au plus grand bénéfice du POPULO ROMANO (en fait, ce n'est pas un partage des terres: cela permet à la NOBILITAS, puis à l'IMPERATOR d'accaparer les AGRI conquis, ici un REGNUM entier!). Remarquons que le terme REGNUM renvoie les Cyrénéens à leur ancien statut de sujets d'un roi, alors que les romains ont chassé les rois étrusques en -509... Manière de déprécier ces provinciaux, levantins qui plus est? cf. le mépris de Juvénal pour «ces gens-là», car le rejet de l'autre est la chose au monde la mieux partagée entre réactionnaires et/ou impérialistes...
N.B.: toutes les digressions politiques sont de mon fait: fais-toi ton opinion!
- Oui, on sent pointer ici le mépris du Grand commis d'Etat pour des pratiques maffieuses ou un lobby- la nuance peut échapper : ACCUSANTIBUS CYRENENSIBUS, IDEM CYRENENSES, QUISQUE PROXIMUS: est bien dénoncé l'effet d'un groupe de pression lié par des intérêts bassement matériels communs, qui l'intéressent apparemment plus que le scandaleux pillage d'un de ses temples.
l'utilisation des moyens judiciaires pour obtenir un déni de justice n'est guère estimable: les provinciaux se comportent ici en vrais romains de souche.
- Néron, pas dupe, tranche par un jugement à la Salomon, qui lui coûte moins (sauf un manque à gagner ultérieur), mais en montrant qu'il n'est pas dupe, ce qui est une manière de monter son pouvoir absolu, supérieur à celui d'un roi, car il dit le droit objectif (PROBATA), tout en laissant les choses en l'état, par humanisme (SUBVENIRE) par reconnaissance (trompeuse! car le titre de SOCII en fait concerne souvent des peuples mis en coupe réglée, après avoir d'ailleurs parfois aidé Rome?) par largesse (CONCEDERE - attitude d'ailleurs pragmatique, fréquente chez les Romains qui ne bouleversent pas les choses et acceptent parfois les structures administratives antérieures pour mieux les phagocyter par la suite... Ne sont-ils pas les premiers utilisateurs de la REAL-POLITIK?). Ainsi, ils n'ont pas à s'embarrasser de la gestion locale, et ils se trouvent - par ce principe de délégation implicite - face à des responsables auxquels ils peuvent faire rendre gorge.
b) ce fait divers est présenté avec la froideur objective de l'historien: expulsion évoquée dès le début du paragraphe, opération manu pulite? MOTUS qui accumule les chefs d'accusation VILATUM, CORRUPTUM PRETIO AMBITIONE (structures binaires). Le plus dangereux, chez le sceptique Tacite venant en deuxième: après le comportement sacrilège, le risque de recruter de mauvais soldats, alors que la défense de Rome est l'obsession de cette cité depuis son origine: n'oublions pas que, pour les Romains, toutes leurs guerres ont en fait été défensives [cf. les 20 prêtres fétiaux, chargé du Droit international, donc des déclamation de guerre et de paix], cf. aussi le temple de Janus, aux portes quasi toujours ouvertes en cas de guerre, pour lui permettre de porter secours aux Romains.
La froideur de Tacite, loin de toute approche journalistique (# mort d'Agrippine?) rend plus odieux les Cyrénéens qui, de victimes dans la première phrase, passent à accusateurs (cf. REUM), d'un magistrat oeuvrant légalement (USUM, DISCEPTATOREM); en fait, les choses ne sont jamais franchement manichéennes, pour le décrypteur du machiavélisme humain qu'est Tacite, par certains côtés, contempteur du genre humain. En une longue phrase, il oppose le «Droit légal» (AVITOS, RELICTOS, toujours en structure binaire) à un Droit d'usage (DIUTINA) abusif (LICENTIA ET INJURIA) qui veut s'apparenter au droit (QUASI JURE ET AEQUO) mais s'est transformé avant même ces faux-fuyants (cf. ordre des mots) en confiscation définitive, comme le marque le plus que parfait (INVASERANT). Leur comportement indécent est aussi dénoncé par le final: NITEBANTUR (faire effort). En bon administrateur - on sent l'approbation de Tacite- AGRIS ABJUDICATIS, la réaction des voleurs a été immédiate et explique ainsi le AGEBANT REUM ACILIUM. Derrière l'objectivité impassible de Tacite (parfait: RESPONDIT, utilisation du style indirect) filtre sa moquerie à l'égard du sénat lâche, incapable de prendre une décision, et qui s'en lave les mains, comme Ponce-Pilate: IGNOTA. Il se cache derrière le PRINCEPS (qui deviendra DOMINUS au IIIè). Tacite montre ainsi l'omnipotence de Néron... et, par la même occasion, indique comment les Romains ont réussi à garder aussi longtemps la mainmise sur leurs provinces, en ménageant la chèvre et le chou, et en intervenant directement le moins possible, voire en conservant les structures politiques locales en se contentant d'une interface minimale - par responsables interposés
digression - d'aucuns (réactionnaires!) protesteront - le succès de l'impérialisme romain (la fameuse PAX ROMANA) s'explique aussi par sa capacité d'assimilation, ses facultés de transposition des réalités culturelles locales dans son propre système ainsi que par le pragmatisme de ses hauts fonctionnaires. Une civilisation qui ne doute pas d'elle-même et sûre de ses valeurs est apte à l'ouverture... Les intégrismes (religieux ou politique - type F haine) dénoncent une faiblesse refusée, un déni de la réalité objective...