le tout: Hubert Steiner
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Gaio Vipstano Fonteio consulibus diu meditatum scelus non ultra Nero distulit, vetustate imperii coalita audacia et flagrantior in dies amore Poppaeae, quae sibi matrimonium et discidium Octauiae incolumi Agrippina haud sperans crebris criminationibus, aliquando per facetias incusaret principem et pupillum uocaret, qui jussis alienis obnoxius non modo imperii, sed libertatis etiam indigeret. Cur enim differri nuptias suas? Formam scilicet displicere et triumphales avos, an fecunditatem et verum animum? Timeri ne uxor saltem injurias patrum, iram populi adversus superbiam avaritiamque matris aperiat! Quod si nurum Agrippina non nisi filio infestam ferre posset, redderetur ipsa Othonis conjugio: ituram quoquo terrarum, ubi audiret potius contumelias imperatoris quam viseret periculis ejus immixta. Haec atque talia lacrimis et arte adulterae penetrantia nemo prohibebat, cupientibus cunctis infringi potentiam matris et credente nullo usque ad caedem ejus duratura filii odia
Sous le consulat de C. Vipstanus et de Fontéius, Néron ne différa plus le crime qu'il méditait depuis longtemps. Une longue possession de l'empire avait affermi son audace, et sa passion pour Poppée devenait chaque jour plus ardente. Cette femme, qui voyait dans la vie d'Agrippine un obstacle à son mariage et au divorce d'Octavie, accusait le prince et le raillait tour à tour, l'appelant un pupille, un esclave des volontés d'autrui, qui se croyait empereur et n'était pas même libre. "Car pourquoi différer leur union ? Sa figure déplaît apparemment, ou les triomphes de ses aïeux, ou sa fécondité et son amour sincère ? Ah! l'on craint qu'une épouse, du moins, ne révèle les plaintes du sénat offensé et la colère du peuple, soulevée contre l'orgueil et l'avarice d'une mère. Si Agrippine ne peut souffrir pour bru qu'une ennemie de son fils, que l'on rende Poppée à celui dont elle est la femme : elle ira, s'il le faut, aux extrémités du monde ; et, si la renommée lui apprend qu'on outrage l'empereur, elle ne verra pas sa honte, elle ne sera pas mêlée à ses périls." Ces traits, que les pleurs et l'art d'une amante rendaient plus pénétrants, on n'y opposait rien : tous désiraient l'abaissement d'Agrippine, et personne ne croyait que la haine d'un fils dût aller jamais jusqu'à tuer sa mère.
GAIO VIPSTANO GAIO FONTEIO CONSULIBUS, Gaius Vipstanus et Gaius Fonteius étant consuls (RAPPEL: ablatifs absolus, datation traditionnelle)
RAPPEL:GAIUS=PRAENOMEN, FONTEIUS=nom de la GENS cf. M. TULLIUS CICERO - ici, l'identité est complète, avec le COGNOMEN; en fait, un nom latin complet se compose d'un élément qui précède le nom, le PRAE-NOMEN (16/17 prénoms fréquents, pour 32 prénoms théoriques, d'après Varron, abrégés, ex. M.=MARCUS), d'un élément central qui permet, étymologiquement, de «connaître» [racine: *(g)no] la personne, le NOMEN, en fait, le nom de la GENS (700), d'un 3ème élément pour préciser le tout, le CO-GNOMEN, proche d'un sobriquet (CICERO=pois chiche), dont un simple calcul (15X700) souligne la nécessité. Cette règle des trianomina n'est valable qu'après l'empereur Claude et dure jusqu'au IIIè ap. J.-C.
R2: Notons que l'abréviation de GAIUS est C.: les étrusques ont repris l'alphabet grec, d'où la succession canonique Alpha, Bêta, (d'où être an-alphabète, ne connaître ni son alpha, ni son bêta) Gamma; mais leur gutturale est sourde [k], donc, ils ajoutent une barre sous le G (pour son dessin, pense à une des 4 branches de la croix gammée - VAE «NAZICULIS»!); les romains, reprenant cet alphabet, et connaissant la gutturale sonore [g], différencient les deux en rajoutant un petit signe diacritique au C pour le différencier, d'où notre... G.
NERO NON DISTULIT ULTRA Néron ne reporta (R: FERO FERS FERRE TULI LATUM avec le préfixe DIS) pas davantage SCELUS DIU MEDITATUM le crime longtemps médité (R: participe passé d'un verbe déponent - étymologiquement, un verbe qui dépose, DEPONERE, son sens passif en en gardant la forme - donc sens passif fréquent!), AUDACIA COALITA VETUSTATE IMPERII son audace ayant été développée par la durée de son pouvoir (R: AUDACIA COALITA=ablatif absolu, VETUSTATE=ablatif de chose, complément d'«agent» d'un verbe passif: FERIOR GLADIO: je suis frappé par un glaive, FERIOR A PATRE, je suis frappé par mon père)) ET FLAGRANTIOR IN DIES AMORE POPPAEAE et (lui-même) plus brûlant de jour en jour à cause de son amour pour Poppée (R: VARIATIO, variation stylistique inattendue par la liaison en coordination entre un ablatif absolu et un adjectif en apposition) QUAE HAUD SPERANS qui, n'espérant plus SIBI MATRIMONIUM pour elle-même le mariage ET DISCIDIUM OCTAVIAE ni le divorce pour Octavie (R: chiasme - prononce [kiasm]! - datif-cod/cod-datif ou... parallélisme inversé!!!) AGRIPPINA INCOLUMI Agrippine étant saine et sauve, (R: ablatif absolu, avec être sous-entendu - n'existe pas au participe présent en latin, cf. ligne 1; ici, sens conditionnel) INCUSARET PRINCIPEM blâmait le prince
R: ce titre de prince est en fait celui qui désigne officiellement celui que nous appelons faussement empereur, et a été choisi par Auguste pour maintenir la fiction républicaine: le PRINCEPS SENATUS était traditionnellement le plus vieux du Sénat et était le premier (PRIN) à prendre (CEP) la parole devant cette... auguste (sic!) assemblée. Son avis avait une force quasi incoercible pour les autres sénateurs; il est vrai que dans une société patriarcale traditionnelle sans support écrit, ce sont ceux qui ont beaucoup vécu qui ont beaucoup retenu! Mais ce passé mythique est loin maintenant (vive l'informatique!)... Le titre d'IMPERATOR renvoie à l'IMPERIUM, le droit qu'a le général (au départ, un consul), en expédition militaire, de .«lire» les auspices pour décider d'engager - ou non - le combat. Ainsi, Néron a eu droit à 12 salutations impériales. Sur les monuments, son nom exact est IMP(ERATOR) NERO CLAUDIUS (car adopté par Claude) CAESAR AUG(USTUS) GERMANICUS. «L'empereur» est Père de la Patrie (fin 55 - début 56), il reçoit 14 fois la puissance tribunice, en fait chaque année, l'avantage étant qu'il devient SACROSANCTUS, donc inviolable: tout homme qui porterait la main sur lui est voué aux dieux infernaux par la formule: «SACER ESTO», étant bien entendu que tout ce qui est sacré doit rejoindre au plus vite les Dieux; Néron est salué 5 fois consuls en 55, 57, 58, 60, 68
CREBRIS CRIMINATIONIBUS, ALIQUANDO PER FACETIAS par de fréquentes récriminations, parfois sous forme de plaisanteries ET VOCARET PUPILLUM et l'appelait petit(e) chose (R: jusqu'à 17 ans, l'enfant s'appelle PUPUS! Ici, le diminutif alourdit la charge!) QUI, OBNOXIUS JUSSIS ALIENIS qui, soumis aux ordres (R: participe passé passif substantivé) étrangers, donc d'autrui INDIGERET NON MODO IMPERII SED ETIAM LIBERTATIS était privé non seulement de l'empire mais encore de la liberté. (donc, loin d'être un DOMINUS, titre ultérieur des empereurs au IIIè, c'est un SERVUS...Le texte passe ensuite au discours indirect, amené naturellement par INCUSARET et VOCARET et laisse la parole à la diatribe perfide - et fort habile - de la machiavélique Poppée.)
CUR ENIM SUAS NUPTIAS DIFFERRI? Pourquoi en effet son mariage est-il reporté? SCILICET FORMAM DISPLICERE sans doute sa beauté déplaît-elle (R: censuré, car on imagine le jeu de scène - ou de jambe?) ET AVOS TRIUMPHALES et ses ancêtres qui ont célébré le triomphe (R: un seul, le grand-père de Poppée) AN FECUNDITATEM ET ANIMUM VERUM ou sa fécondité et son esprit sincère? (R: la fécondité est une qualité essentielle pour une femme romaine et son absence, une cause légale de répudiation!) TIMERI NE UXOR il était craint que (R: en fait, la complétive est sujet du verbe au passif), => on craignait que, devenue sa femme, SALTEM APERIAT INJURIAS PATRUM (elle) du moins ne mît au jour les injustices imposées aux sénateurs (R: PATRES est le nom donné en latin à ceux que nous appelons communément les sénateurs), IRAM POPULI (R: avec une forte asyndète - absence de mot de liaison , et le passage du pluriel au singulier dans cette structure binaire en parallèle, prolongée par le doublet SUPERBIAM/AVARITIAM - les insultes virulentes fleurissent!),la colère du peuple
R: le peuple est la référence de Néron et il s'appuie sur ce dernier pour régner et rogner le pouvoir du Sénat, selon l'adage cher à Juvénal: PANEM ET CIRCENSES: du pain et des jeux, cf. 14-16 et 20-21
ADVERSUS SUPERBIAM AVARITIAMQUE MATRIS contre l'orgueil et l'avarice d'une mère. QUOD SI AGRIPPINA NON POSSET FERRE NURUM Si (R: QUOD renforce SI) Agrippine ne pouvait pas supporter une bru NISI INFESTAM FILIO si cette dernière n'était pas hostile à son fils (R: donc, en clair: qui aimât son fils; admirons l'accumulation des négations pour dénoncer ce que ce comportement maternel a de monstrueux et ce qu'il sous-entend de pulsion contre-nature), IPSA REDDERETUR CONJUGIO OTHONIS qu'elle même soit rendue à son mariage avec Othon (m.m: union d'Othon) ITURAM QUOQUO TERRARUM elle-même irait en n'importe quel endroit des terres (R: EO IS IRE II ITUM, donc, ici infinitif futur avec ESSE non exprimé), UBI AUDIRET CONTUMELIAS IMPERATORIS où elle entendrait (évoquer) les injures essuyées par l'empereur POTIUS QUAM VISERET plutôt que de les avoir sous les yeux, IMMIXTA PERICULIS EJUS elle-même étant mêlée aux dangers qu'il courait (R: IMMISCEO MISCUI MIXTUM, avec datif attendu, car verbe composé à préfixe, m.m: dangers de lui! Cette dernière remarque, très égoïste, augmente en fait la crédibilité à accorder aux vitupérations de Poppée). NEMO PROHIBEBAT HAEC ET TALIA Personne ne mettait le holà à ces paroles et d'autres telles (de la même teneur), PENETRANTIA LACRIMIS ET ARTE ADULTERAE, s'insinuant à cause des larmes et de l'habileté d'une femme adultère,
R:l'adultère de la femme a très mauvaise presse à Rome, car elle rend douteuse pour les pères leur descendance par le sang, alors que c'est le mâle de sang - ou l'adopté pleinement intégré dans sa nouvelle famille au point d'en adopter les dieux Lares! - qui est chargé du culte ancestral, donc, d'une certaine manière, de la MEMORIA - trace laissée dans l'histoire - de leur père; garantir la pureté de sa descendance, donc celle des femmes citoyennes, est plus une nécessité religieuse qu'une exigence morale à laquelle les anciens se montraient peu sensibles. MUTATIS MUTANDIS, le code napoléonien régit lui aussi le mariage en fonction d'intérêts, en fait la protection des biens familiaux et leur transmission avec le minimum de dispersion.
CUNCTIS CUPIENTIBUS (R: abl. abs. cf. CREDENTE, avec un jeu d'opposition: NEMO/CUNC-TIS/NULLO) tous désirant POTENTIAM MATRIS INFRINGI que la puissance d'une mère soit brisée ET NULLO CREDENTE et nul ne croyant ODIA (pl. emphatique) FILII DURATURA (non exprimé: ESSE) USQUE AD CAEDEM EJUS que les ressentiments de son fils se maintiendraient jusqu'au meurtre de cette dernière.
Commentaire: Tacite nous ici en scène, de façon vivante, infligée par Poppée à Néron: nous voyons alors comment ce envisage ce forfait: un matricide.
Tacite utilise la rhétorique pour mieux toucher ses auditeurs/puis lecteurs confrontés aux pulsions néroniennes: commençant classiquement par un ablatif absolu de datation, avec son asyndète archaïque, donc traditionnelle, notre auteur oppose à DIU un NON ULTRA brutal, soulignant l'imminence de la décision. Les termes sont vifs: AUDACIA, FLAGRANS, l'alliance des termes déconcertante: un ablatif absolu coordonné à un comparatif apposé. Suivront ensuite, jusqu'à la fin du chapitre I, les explications: mais le responsable est nommé: NERO placé à côté du verbe DISTULIT, de façon paradoxale, puisque, justement, il n'est plus question de tergiverser. Tacite met ainsi en valeur le rôle décisif de l'empereur: même si Poppée a sa lourde part dans cette démarche (cf. la suite) , le sentiment de l'impunité et de la stabilité avérée explique au premier chef la décision du PRINCEPS, ce que souligne le parallélisme: VETUSTATE IMPERII par rapport au AMORE POPPAEAE. A la grande politique IMPERII se mêle la problématique personnelle induite par la relative QUAE qui nous ouvre les secrets domestiques: Poppée - bien que mariée, ce que rappellera le CONJUGIO - désire le MATRIMONIUM avec son corollaire inévitable: le DISCIDIUM pour Octavie - qui sera liquidée (60-65), l'articulation contraignante entre ces deux procédures étant souligné par le chiasme, Poppée, disions-nous, de cause adventice, semble devenir le facteur déclenchant, comme l'indiquent les deux subjonctifs de cause de cette relative: INCUSARET/VOCARET. Notre mégère non apprivoisée est présente: CREBRIS... le jeu des gutturales sourdes [k] et des labiales sourdes [p], avec l'harmonie imitative des voyelles ouvertes [a] et fermées [i] - même s'il convient de rester prudent face à de telles interprétations - donne toute sa vivacité au passage, avec l'aide d'un deuxième chiasme: verbe-cod/cod-verbe: INCUSARET PRINCIPEM (rapprochement de termes antinomiques) PUPILLUM VOCARET. Le rapprochement des deux termes, avec le très dépréciatif PUPILLUM, surprend d'ailleurs. Suit une deuxième relative QUI, qui assène un dernier jugement, par allusion: Néron est un esclave, la virulence de cette insulte mortifère est accentuée par la structure NON MODO SED ETIAM. Nous passons alors au style indirect, avec la brutalité de l'interpellation: CUR ENIM et l'interrogation vive. Les qualités que s'attribue Poppée - nombreuses: 4 COD - deviennent contre toute attente des défauts - Pardonnons-lui l'outrance du pluriel AVOS, emportée qu'elle est par la violence de son ressentiment. Tout y passe: Poppée devient même la dernière (SALTEM) protection du Sénat (PATRUM); elle incarne l'ensemble des forces politiques en y ajoutant le POPULI, comme par automatisme (cf. SPQR Senatus PopulusQue Romanus!). Après cette présentation pseudo-objective - cf. l'infinitif - on passe au mode jussif: REDDERETUR, avec le comportement monstrueux de la mère - on oserait dire castratrice - jalouse de sa NURUM, ceci étant dénoncé par l'accumulation des négation: NON NISI IN-FESTAM. On passe au futur (donc, recherche dans la variation temporelle): ITURAM, avec l'opposition entre le début de la phrase (éloignement) et la fin (dangers partagés?) Mais c'est pour mieux les refuser, tout en les rendant palpables, avec le pluriel. Tacite reprend ensuite la position objective de l'historien et résume ce qui précède d'un HAEC ET TALIA magistral. Il ne peut s'empêcher une pique de misanthrope: PENETRANTIA (3ème participe présent de ce texte (FLAGRANS, SPERANS, PENETRANS, plus loin, CUPIENS, CREDENS) qui, comme les attributs, permettent à la phrase de rebondir); mais ne s'agit-il pas de misogynie car comment interpréter la perfidie du ARTE ADULTERAE? Le jeu des oppositions continue: NEMO/CUNCTIS/NULLO, avec les parallélismes avec la VARIATIO pl./sg: CUPIENTIBUS CUNCTIS ET CREDENTE NULLO. Notons que ce qui semble en cause n'est pas tant la vie de la mère de l'empereur que son emprise politique (POTENTIAM). Mais la cause est entendue: l'ODIUM s'est multiplié en pluriel. Tacite s'est donc ingénié dans ce passage, à présenter de façon vivante et variée ce qui est en fait une
b) scène que l'on oserait presque qualifier de ménage - mais Néron y reste curieusement passif, manipulé. En fait, Poppée lui fait une scène! Celle-ci commence de façon apaisée (VETUSTATE), avec une froideur quasi chirurgicale: MEDITATUM SCELUS. C'est qu'un fait est patent: FLAGRANTIOR AMORE, avec un processus qui s'accélère: IN DIES. Poppée semble donc avoir toutes les cartes en main? Que non pas: elle n'a que l'amour, et non le pouvoir que lui donnerait le mariage. Deux obstacles s'y opposent: Octavie, l'épouse légale ce qui serait peu si ne s'y adjoignait la mère de l'empereur, Agrippine. Poppée s'attaque donc à l'obstacle et elle sait jouer, en femme fatale, de toutes les cordes à son arc: déterminée et constante: CREBRIS, violente: CRIMINATIONIBUS, habile, avec ses ruptures (ALIQUANDO) de ton: PER FACETIAS - terme qui, vu l'ambiance, déconcerte ici et montre toute la subtilité de notre intrigante, capable de varier ses effets, car toute scène implique aussi des talents d'actrice. Elle va jusqu'à la dérision, sûre de son pouvoir: PUPILLUM, sans pitié ni mesure: OBNOXIUS, avec l'abusif: LIBERTATIS OBNOXIUS. Toute la scène centrale est au style indirect, ce qui ne diminue pas sa violence: Poppée demande des comptes: CUR. On imagine son comportement physique devant son amant quand elle évoque le FORMAM, la lippe de mépris pour le AVOS - car Néron n’est pas dépourvu de noblesse: certes, son accession à l’empire s’est faite par son adoption par Claude, mais, de sang, il est par sa mère petit-fils de Germanicus et d’Agrippine l’aînée, elle-même fille de Julie, l seul enfant d’Auguste et de Scribonia - Livie, la deuxième femme d’Auguste, en - 38, ne lui ayant donné aucune descendance biologique (mais un fils adoptif: Tibère, issu d'un premier mariage); il faut donc que Poppée soit bien sûre d’elle pour aller aussi loin, car elle rappelle ainsi implicitement l’accumulation des turpitudes qui ont fait que Néron - fils certes d’Agrippine mais aussi de Domitius Ahenobarbus - est au pouvoir! (Si ce problème complexe t'échappe, reporte-toi à tes livres de Latin ou d'histoire pour étudier en détail les arcanes de la dynastie Julio-claudienne, via ses arbres généalogiques: ton écran n'est pas assez grand!) FECUNDITATEM: On retrouve l'orgueil de la femme romaine, réputée d'abord pour sa capacité à produire des descendants mâles. Elle repasse même de la sphère privée à celle publique en se présentant comme l'ultime rempart (SALTEM, remarque sympathique pour les autres courtisans) contre la tyrannie maternelle. Les invectives fusent: SUPERBIAM AVARITIAMQUE alors que la gloire de la noblesse romaine (cf. racine: être connu) est de savoir se monter généreuse (cf. toutes leurs constructions édilitaires, les jeux de gladiateurs et, en général, leur «évergétisme»), réside dans sa capacité à dépenser. Elle a le front de rappeler qu'elle n'est pas seule: elle a encore son mari! Ce rappel douteux s'explique par l'évocation de ce qui lui manque: le terme de NURUM. La scène frise le ridicule: son époux Othon exilé par sa nomination comme gouverneur de Lusitanie (Portugal) l'amène à évoquer son propre exil personnel (ITURAM QUOQUO TERRARUM, comme dans les plus belles tragédies, en fait par amour pour son chéri: POTIUS QUAM. Certes, il y a le souci de sa sécurité personnelle (IMMIXTA); mais c'est que son amant ne fait rien pour assainir la situation. Elle sait d'ailleurs Néron lâche et craintif, et évoquer de l'abandonner (UBI AUDIRET) par crainte de contempler DE VISU ses périls (VISERET), donc de les partager, est le meilleur moyen de l'amener à réagir. En actrice consommée, elle ajoute même le jeu de scène: LACRIMIS, et ses armes personnelles (ARTE, à l'allusion scabreuse - un abattage certain), avec d'autant plus de succès que le champ est libre et que personne ne cherche à contrebalancer l'effet très négatif de ces scènes répétées. Dans la cadre de la lutte politique (POTENTIAM), toute la FAMILIA impériale suit Poppée, sans se soucier des conséquences immorales: CAEDEM, pourtant dénoncées par Tacite: USQUE AD. Nous voyons ainsi que Poppée, manipulatrice subtile, en utilisant toutes ses ressources personnelles, arrive, par le truchement de ses scènes, à amener Néron à envisager le forfait innommable.
c) C'est que ce texte nous présente aussi un couple maudit: l'idée du Mal est induit d'emblée par le terme SCELUS; le temps est complice (VETUSTATE=durée, IN DIES=répétitivité aux effets cumulatifs) et s'allie au forfait connu car l'allusion du MEDITATUM SCELUS, pour périphrastique qu'il paraisse, est, pour une conscience romaine, très claire: le matricide! Tout le texte est assombri de cet arrière-plan fuligineux. Couple maudit car marqué par le désespoir: HAUD SPERANS, par la nécessité d'éradiquer les obstacles à leur bonheur: INCOLUMI. Il y a des instants de relâchement: PER FACETIAS; Tacite se montre ici fin psychologue; cet épisode rappelle les manouevres que l'on suppose à Hauteclaire dans le Bonheur dans le crime de Barbey d'Aurevilly: il s'agit bien d'un couple diabolique où la mort de l'autre est justifié par le désir - bien moral en soi - de la liberté. Il s'agit pour l'amante d'enlever les dernières hésitations de celui qu'elle maîtrise: prestation et argument sexuels (FORMAM), sociaux (AVOS), désir du mâle de se reproduire (FECUNDITATEM), voire l'affection vraie (VERUM ANIMUM - sentiment rarement évoqué dans la littérature romaine, sauf dans les mariages stoïciens - même si cette chute laisse rêveur dans une telle (em)bouch(ur)e. Serait-ce que par amour, elle développerait en elle des facultés politiques à la Eva Péron, comme le laisserait entendre la phrase suivante? En fait, le seul obstacle étant Agrippine et Néron semblant vouloir ne rien y faire, Poppée affecte de croire possible un retour au foyer, sans autre forme de procès, ce qui laisse rêveur, soit sur ses illusions, soit sur ses prestations... Le couple est menacé par la tragédie, Poppée, notre héroïne préfère la séparation à la souffrance de voir son chéri insulté: CONTUMELIAS. Le IMMIXTA semble ambigu? Que non pas! C'est la voir en péril qui lui rendrait la vie avec lui insoutenable. Le ARTE reprend alors sous le calame même de Tacite le FORMAM de Poppée, avec la même allusions sensuelle. Le résultat est patent: tous sont en accord avec la maîtresse du couple, par inconscience: NULLO CREDENTE (Notons que l'intimité telle que nous l'entendons aujourd'hui ne se développera réellement qu'avec les intérieurs bourgeois du XIXème! Nous en sommes bien loin à Rome!)
Le malheur est que quand le matricide sera commis, les gens l'accepteront sans protester. Néron répudia ensuite Octavie, épousa Poppée en 62, puis la tua d'un coup de pied dans le ventre. Geste qu'il regretta!
En ce début du Livre XIV des Annales, Tacite nous a donc présenté,de façon très vivante, les récriminations virulentes d'une mégère peu apprivoisée, alias sa maîtresse Poppée. On sourirait presque de cette scène de théâtre de boulevard si tout ceci ne débouchait pas sur le matricide d'Agrippine par son fils Néron par la main de son sbire, Anicet, véritable maître des basses-oeuvres puisqu'il éliminera aussi Octavie.