C. SUETONI TRANQUILLI
DE VITA CAESARUM
NERO
IX-X qualités de Néron
texte | traduction universitaire | traduction mot-à-mot | traduction commentée | commentaire |
IX. Orsus hinc a pietatis ostentatione Claudium apparatissimo funere elatum laudavit et consecravit. Memoriae Domitii patris honores maximos habuit. Matri summam omnium rerum privatarum publicarumque permisit. Primo etiam imperii die signum excubanti tribuno dedit "optimam matrem" ac deinceps ejusdem saepe lectica per publicum simul vectus est. Antium coloniam deduxit ascriptis veteranis e praetorio additisque per domicilii translationem ditissimis primipilarium; ubi et portum operis sumptuosissimi fecit.
X. Atque ut certiorem adhuc indolem ostenderet, ex Augusti praescripto imperaturum se professus, neque liberalitatis neque clementiae, ne comitatis quidem exhibendae ullam occasionem omisit. Graviora vectigalia aut abolevit aut minuit. Praemia delatorum Papiae legis ad quartas redegit. Divisis populo viritim quadringenis nummis, senatorum nobilissimo cuique, sed a re familiari destituto annua salaria et quibusdam quingena constituit, item praetorianis cohortibus frumentum menstruum gratuitum. Et cum de supplicio cujusdam capite damnati ut ex more subscriberet admoneretur: "quam vellem, " inquit, "nescire litteras". Omnes ordines subinde ac memoriter salutavit. Agenti senatui gratias respondit: "Cum meruero". Ad campestres exercitationes suas admisit et plebem declamavitque saepius publice; recitavit et carmina, non modo domi sed et in theatro, tanta universorum laetitia, ut ob recitationem supplicatio decreta sit eaque pars carminum aureis litteris Jovi Capitolino dicata.
X.
Ensuite, commençant par faire étalage de piété filiale, il célébra
magnifiquement les funérailles de Claude, fit son éloge funèbre et l'éleva
au rang des dieux. Il accorda de très grands honneurs à la mémoire de son père
Domitius. Quant à sa mère, il lui laissa la haute direction de toutes les
affaires privées et publiques. Le premier jour de son principat, il donna même
comme mot d'ordre au tribut de garde: «la meilleure des mères», et souvent
par la suite il se promena en public avec elle, dans la litière d'Agrippine. Il
établit à Antium une colonie composée de vétérans prétoriens, auxquels il
joignit les plus riches des primipilaires, qui abandonnèrent leur ancienne résidence;
en outre, il y construisit un port au prix de sommes énormes.
X.
Pour mieux prouver encore ses bonnes dispositions, il déclara qu'il
gouvernerait suivant les principes d'Auguste, et ne laissa passer aucune
occasion de manifester sa générosité et sa clémence, voire même (sic!) son
amabilité. Il abolit ou diminua les impôts trop lourds. Il réduisit au quart
les récompenses accordées à ceux qui dénonçaient les infractions à la loi
Papia. Il fit distribuer au peuple quatre cents sesterces par tête, puis décida
que tous les sénateurs issus de très nobles familles, mais ruinés, auraient
des appointements annuels, s'élevant pour certains à cinq cent mille
sesterces, et les cohortes prétoriennes, une distribution gratuite de blé,
tous les mois. Un jour qu'on le priait de signer, selon l'usage, un arrêt de
mort, il dit: «Comme je voudrais ne pas savoir écrire!» Il salua souvent des
gens de tous les ordres (par leur nom) et de mémoire. Au Sénat qui le
remerciait il répondit: «Attendez que je l'aie mérité.» La plèbe elle-même
fut admise à ses exercices militaires et très souvent il déclama en
public; il donna aussi lecture de ses poésies, non seulement dans son palais,
mais encore au théâtre, et tout le monde en fut si charmé, qu'après une séance
de ce genre on décréta des actions de grâce aux dieux et que les vers lus par
lui furent gravés en lettres d'or et dédiés à Jupiter Capitolin.
HINC ORSUS A OSTENTATIONE PIETATIS Ensuite, ayant commencé par faire parade de
sa piété filiale LAUDAVIT CLAUDIUM il prononça l'éloge funèbre de Claude ELATUM
FUNERE APPARATISSIMO (une fois) porté à sa
dernière demeure en très grand apparat ET
CONSECRAVIT et le fit diviniser.
HABUIT MAXIMOS HONORES Il fit attribuer les plus
grands honneurs MEMORIAE PATRIS DOMITII à
la mémoire de son père Domitius. PERMISIT
MATRI Il confia à sa mère
SUMMAM OMNIUM RERUM PRIVATARUM PUBLICARUMQUE l'ensemble
de toutes les affaires privées et publiques ETIAM
PRIMO DIE IMPERII D'ailleurs, le premier jour de
son pouvoir DEDIT SIGNUM TRIBUNO EXCUBANTI il
donna comme mot de passe au tribun de garde «OPTIMAM
MATREM» la meilleure mère AC
DEINCEPS EST SAEPE VECTUS et plus tard il fut
souvent transporté LECTICA EJUSDEM SIMUL par
la litière de la même, ensemble PER
PUBLICUM en public. DUXIT
ANTIUM COLONIAM il développa la colonie
d'Antium VETERANIS E PRAETORIO ASCRIPTIS en
y inscrivant des vétérans du prétoire ET
ADDITIS DITISSIMIS PRIMIPILARIUM et en y
ajoutant les plus riches des primipiles PER
TRANSLATIONEM DOMICILII par changement de résidence
UBI FECIT ET Il y +fit+ construire aussi PORTUM
OPERIS OPULENTISSIMI un port au prix d'un
travail très coûteux.
X. ATQUE UT ADHUC CERTIOREM OSTENDERET INDOLEM En outre, pour
encore mieux montrer son penchant, PROFESSUS SE IMPERATURUM après avoir
proclamé qu'il gouvernerait, EX AUGUSTI PRAESCRIPTO d'après les principes d'Auguste NEQUE OMISIT
ULLAM OCCASIONEM il
ne perdit aucune occasion EXHIBENDAE LIBERALITATIS NEQUE
CLEMENTIAE NE QUIDEM COMITATIS de montrer ostensiblement sa générosité,
sa clémence, voire son ouverture à autrui. AUT ABOLEVIT AUT MINUIT VECTIGALIA
GRAVIORA Il
abolit ou diminua les impôts trop lourds. REDEGIT AD QUARTAS +PARTES+ Il réduisit au
quart PRAEMIA
DELATORUM LEGIS PAPIAE les
récompenses des dénonciateurs +des contrevenants à+ la loi Papia. QUADRAGINTA
NUMMIS VIRITIM DIVISIS POPULO Quatre cents sesterces par tête ayant été distribués
au peuple par tête, CONSTITUIT SALARIA ANNUA CUIQUE NOBILISSIMO SENATORUM il institua des
appointements annuels pour tous les sénateurs des meilleurs familles, SED
DESTITUTO A RE FAMILIARI, mais
privés de leur bien familial ET QUIBUSDAM QUINGENA et pour certains
cinq cents chacun, ITEM FRUMENTUM MENSTRUUM GRATUITUM de même +une distribution+ de blé
mensuelle gratuite COHORTIBUS PRAETORIANIS pour les cohortes prétoriennes. ET CUM
ADMONERETUR Et comme on
l'engageait UT SUBSCRIBERET DE SUPPLICIO à signer pour le supplice CUJUSDAM
DAMNATI CAPITE d'un
condamné à mort EX MORE conformément
à la coutume, INQUIT: "QUAM VELLEM NESCIRE LITTERAS" il dit: comme je
voudrais ne pas savoir écrire. SALUTAVIT SUBINDE AC MEMORITER Il salua souvent
et avec sa mémoire seule OMNES ORDINES
+les membres de+ tous les ordres. RESPONDIT SENATUI AGENTI GRATIAS Il répondit au
Sénat lui rendant grâces: "CUM MERUREO" lorsque je l'aurai mérité. ADMISIT ET
PLEBEM Il admit aussi
la plèbe AD SUAS
EXERCITATIONES CAMPESTRES à
ses exercices militaires DECLAMAVITQUE SAEPIUS PUBLICE et il déclama
assez souvent en public; RECITAVIT ET CARMINA Il récita aussi des poésies, NON MODO
DOMI SED ET IN THEATRO non
seulement chez lui mais aussi au théâtre, TANTA LAETITIA UNIVERSORUM avec une si
grande joie d'absolument tous UT OB RECITATIONEM SUPPLICATIO DECRETA SIT que pour cette
lecture une action de grâce fut décrétée QUE EA PARS CARMINUM et que la partie
des vers +lue+ DICATA LITTERIS AUREIS fut dédiée en lettres d'or JOVI CAPITOLINO à Jupiter
Capitolin.
Traduction commentée : HINC ORSUS A OSTENTATIONE PIETATIS Ensuite, ayant
commencé par faire parade de sa piété filiale (ORDIOR ORSUS SUM, ORDIRI: commencer par,
avec la préposition AB d'origine; OSTENTATIO ONIS, nom d'action, soulignant la
volonté de monter au grand jour; le terme étalage serait exact, mais sans élégance,
cf. actuellement, les signes ostentatoires de richesse de nos parvenus ne
choquent plus, au rebours de l'affichage en public de son appartenance
religieuse! PIETAS, une qualité essentielle pour un Romain, d'où l'importance
de la montrer dans cette société où l'être et le paraître sont intimement
liés, cf. PIUS AENEAS, le pieux Enée, réputé pour son respect pour son père,
d'où notre traduction-commentaire!) LAUDAVIT
CLAUDIUM il prononça l'éloge
funèbre de Claude (l'une
des responsabilités les plus éminentes d'un fils, un exercice incontournable où
l'on n'a pas le droit d'échouer; traduire simplement par: «louer» manquerait
de précision ici) ELATUM FUNERE
APPARATISSIMO (une fois) porté à sa dernière
demeure en très grand apparat (EFFERO EXTULI ELATUM: porter en dehors,
donc pour un mort: être emporté, donc enseveli; FUNUS ERIS n., cf. les funérailles;
APPARATUS: bien appareillé, donc avec magnificence et munificence, corroboré
par le superlatif!) ET CONSECRAVIT et
le fit diviniser (un vote du Sénat permettait
l'apothéose de l'empereur, POST MORTEM, bien sûr. Ainsi fit AUGUSTUS pour
JULIUS CAESAR, d'où le mois de Juillet, et TIBERIUS pour AUGUSTUS, d'où le
mois d'août. La série sera suspendue ensuite car Tibère, par ses coupes
sombres dans les rangs sénatoriaux, n'a pas obtenu cet honneur, pas plus que
Caligula que le tremblant Claude n'a pas tenté de promouvoir... Devenir SACER
fait participer au divin, d'où la formule d'autoprotection du tribun de la Plèbe,
inviolable: SACER ESTO, à l'encontre d'un agresseur, ce qui contraint tout
quidam à expédier ce dernier AD PATRES!)).
HABUIT MAXIMOS HONORES Il fit attribuer les plus
grands honneurs (deuxième superlatif: MAG-NUS,
* MAG-IOR > MAJOR, * MAG-SI-MUS > MAXIMUS, allitération en labiales
[B,P,M], pour mieux dégager cette mise en exergue, harmonie avec jeu sur les
voyelles, cf. la phrase suivante - pour mieux dénoncer l'hypocrisie de Néron?)
MEMORIAE PATRIS DOMITII à
la mémoire de son père Domitius (le premier
devoir filial: permettre à la MEMORIA de son père de rester, d'où les
inscriptions sur les tombes au bord des routes: le passant en les lisant redonne
vie au nom - ce qui permet étymologiquement de le connaître - du disparu.
L'essentiel est de survivre en laissant et des descendants et un nom, cf.
Erostrate qui brûle le temple de Diane à Ephèse pour que son nom ne meure
jamais - DE FACTO, cf. la nouvelle de Sartre!).
PERMISIT MATRI Il confia à sa mère (PERMITTO
IS ERE MISI MISSUM, remettre, abandonner avec le datif attendu) SUMMAM
OMNIUM RERUM PRIVATARUM PUBLICARUMQUE l'ensemble
de toutes les affaires privées et publiques (SUMMA
AE, totalité, en fait le tout... de tout, cf. l'OMNIUM pléonastique, avec l'éclat
des pompeux homéotéleutes, fleurant ainsi la proclamation officielle. Le
contraste implicite avec la fin tragique d'Agrippine n'en est que plus
saisissant). ETIAM PRIMO DIE IMPERII D'ailleurs,
le premier jour de son pouvoir (IMPERIUM est
traduit par principat chez AILLOUD, terme qui convient surtout à Auguste) DEDIT
SIGNUM TRIBUNO EXCUBANTI il donna comme mot de
passe au tribun de garde (le SIGNUM permet de
se faire reconnaître, d'où ce mot pour les enseignes des légions: cela
permettait aux légionnaires de s'orienter sur le champ de bataille, cf. les
drapeaux; EXCUBARE: On est hors de son CUBICULUM, donc pour un soldat, c'est être
en sentinelle) «OPTIMAM MATREM» la
meilleure mère (on entend, avec la
postposition du COD, claquer le mot d'ordre!)
AC DEINCEPS EST SAEPE VECTUS et plus tard il fut
souvent transporté (VEHO IS ERE VEXI VECTUM,
cf. vecteur nucléaire!) LECTICA EJUSDEM
SIMUL par la litière de la même, ensemble
(SIMUL est une première allusion - sous la toge! -
aux relations incestueuses que Néron aurait entretenue avec sa mère; LECTICA:
instrumental, donc sans, bien sûr, la préposition A/AB propre au complément
d'agent - personnel, au passif!) PER PUBLICUM
en public (au
vu et au su de tout le monde!). DEDUXIT
ANTIUM COLONIAM il développa la colonie
d'Antium (DEDUCO IS ERE DUXI DUCTUM avec
COLONIAM=fonder une colonie; on pourrait croire qu'il fonda comme colonie
Antium, mais Antium existait déjà puisque Néron y était né. Il augmente
donc le nombre des colons) VETERANIS E
PRAETORIO ASCRIPTIS en y inscrivant des vétérans
du prétoire (mot-à-mot:
ablatif absolu, des vétérans - du corps des prétoriens, la garde rapprochée
de l'IMPERATOR - ayant été inscrits en sus) ET
ADDITIS DITISSIMIS PRIMIPILARIUM et en y
ajoutant les plus riches des primipiles (ADDO
IS ERE ADDIDI ADDITUM: ajouter, en ablatif absolu: ayant été ajoutés, en
parallélisme avec ASCRIPTIS, DIVES DIVITIS a un superlatif en DITISSIMUS où DI
< DI(V)I) PER TRANSLATIONEM
DOMICILII par changement de résidence
(DOMICILIUM < DOMUS, cf. DOMINUS. Est-ce à
dire qu'ils restaient astreints à (leur) demeure malgré leur libération après
leur service), UBI FECIT ET, où
il +fit+ construire aussi (UBI= adverbe
relatif, sans pause phono-sémantique de type ";". ET adverbial) PORTUM
OPERIS OPULENTISSIMI un port au prix d'un
travail très coûteux (génitif
de qualité. cf. les Grands Travaux de prestige...)
X. ATQUE UT ADHUC CERTIOREM OSTENDERET INDOLEM En outre, pour
encore mieux montrer son penchant (ADHUC devant comparatif:
"encore"; CERTIOREM, attribut du COD, traduction par une tournure
adverbiale: +de façon+ encore plus avérée, crédible; UT+subj.= subordonnée
finale, ici conjonctive traduite par une infinitive, plus légère), PROFESSUS
SE IMPERATURUM après
avoir proclamé qu'il gouvernerait (PROFITEOR, au passé: le suffixe souligne
la solennité de la déclaration: infinitif futur avec ESSE non exprimé et SE
pronom sujet, comme attendu ici), EX AUGUSTI PRAESCRIPTO d'après les
principes d'Auguste (PRAESCRIBO, au participe passé passif substantivé = "en suivant ce
qu'Auguste avait prescrit"!) NEQUE OMISIT ULLAM OCCASIONEM il ne perdit
aucune occasion (OMITTO perdre, ULLUS=semi-négatif, toujours avec une négation syntaxique)
EXHIBENDAE
LIBERALITATIS NEQUE CLEMENTIAE NE QUIDEM COMITATIS de montrer
ostensiblement sa générosité, sa clémence, voire son ouverture à autrui (EXHIBEO a donné
"exhiber"; LIBER au sens où on libère des fonds! COMITAS est la
capacité à établir des liens avec autrui... Le mot "entregent" n'a
plus, hélas! l'aura escomptée; tournure classique à l'adjectif verbal, qui
permet ici une belle accumulation ternaire; QUIDEM: voire, alourdi du pléonastique
"même" chez Ailloud, dans l'édition Budé!!!). AUT
ABOLEVIT AUT MINUIT VECTIGALIA GRAVIORA Il abolit ou diminua les impôts trop lourds (ABOLEO; MINUO;
le comparatif seul se traduit pas: assez, passablement ou trop, selon le
contexte!). REDEGIT AD QUARTAS +PARTES+ Il réduisit au quart (REDIGO) PRAEMIA
DELATORUM LEGIS PAPIAE les
récompenses des dénonciateurs +des contrevenants à+ la loi Papia (PRAEMIUM: ce
que l'on prend avant les autres, d'où avantage, récompense. QUADRAGINTA
NUMMIS VIRITIM DIVISIS POPULO Quatre cents sesterces par tête ayant été distribués
au peuple par tête (DIVIDEO séparer, répartir, VIRITIM: distributif), CONSTITUIT
SALARIA ANNUA CUIQUE NOBILISSIMO SENATORUM il institua des appointements annuels pour
tous les sénateurs des meilleurs familles (QUISQUE+superlatif: répartitif, le français
considère l'ensemble, NOBILIS, étymologiquement: "connu"), SED
DESTITUTO A RE FAMILIARI, mais
privés de leur bien familial (DESTITUO mot-à-mot: abandonné par) ET QUIBUSDAM
QUINGENA et pour certains
cinq cents chacun (QUINGENI: distributif), ITEM FRUMENTUM MENSTRUUM GRATUITUM de même +une
distribution+ de blé mensuelle gratuite (MENSTRUUS A UM) COHORTIBUS
PRAETORIANIS pour
les cohortes prétoriennes. ET CUM ADMONERETUR Et comme on
l'engageait (ADMONEO
UT, passif traduit ici par "on") UT
SUBSCRIBERET DE SUPPLICIO à signer pour le
supplice CUJUSDAM DAMNATI CAPITE d'un
condamné à mort (QUIDAM=un;
DAMNARE au participe passé passif substantivé) EX
MORE conformément à la coutume,
INQUIT: "QUAM VELLEM NESCIRE LITTERAS" il
dit: comme je voudrais ne pas savoir écrire (LITTERA= la lettre de l'alphabet).
SALUTAVIT SUBINDE AC MEMORITER Il salua souvent
et avec sa mémoire seule (donc
sans l'aide d'un nomenclator, ô combien incontournable à l'époque) OMNES
ORDINES +les membres de+ tous les ordres
(donc sénateurs comme chevaliers; la science
qui s'occupe de la filiation et de la carrière des grands personnages s'appelle
la prosopographie). RESPONDIT SENATUI AGENTI
GRATIAS Il répondit au Sénat lui rendant grâces
(RESPONDEO):
"CUM MERUREO" lorsque je l'aurai mérité
(MEREO, au futur antérieur).
ADMISIT ET PLEBEM Il admit aussi la plèbe
(ADMITTO) AD
SUAS EXERCITATIONES CAMPESTRES à ses exercices
militaires DECLAMAVITQUE SAEPIUS PUBLICE et
il déclama assez souvent en public (SAEPE);
RECITAVIT ET CARMINA Il récita aussi des poésies
(CARMEN INIS n),
NON MODO DOMI SED ET IN THEATRO non seulement
chez lui mais aussi au théâtre (=NON
SOLUM... SED ETIAM; DOMI locatif), TANTA
LAETITIA UNIVERSORUM avec une si grande joie
d'absolument tous (TANTA...
UT) UT OB RECITATIONEM SUPPLICATIO DECRETA
SIT que pour cette lecture une action de grâce
fut décrétée (RECITATIO:
à Rome, l'édition - "donner à l'extérieur" - d'un texte est sa
lecture devant le public, dont ses propres clients. La claque est assurée!
DECERNO: décider) QUE EA PARS CARMINUM et
que la partie des vers +lue+ DICATA
LITTERIS AUREIS fut dédiée en lettres d'or (DICO DICARE!) JOVI
CAPITOLINO à
Jupiter Capitolin (datif, bien sûr).
Ce
texte est, comme tous ceux de ces monographies, très étudié,
fondé sur une documentation
précise, mais qui n'évoque les qualités de Néron que pour mieux en fait le
critiquer... Ceci pouvant finalement se
retourner contre notre auteur (partie esquissée à gros traits, avis
aux amateurs)
-
la démarche est très précise:
Le chapitre
IX évoque la promotion par Néron de sa famille, puis en fait de lui-même:
sa
famille: son père adoptif, CLAUDIUM, est expédié
en 2 lignes, DOMITIUS en une, sa mère a droit à
un développement plus conséquent: c'est qu'elle jouera un rôle important par
la suite! De plus, elle est essentielle dans la validation de la succession.
le
X
donne des preuves tangibles de ses qualités humaines:
* LIBERALITAS:
d'abord en deux courtes phrases, puis une période travaillée
* CLEMENTIA:
"ET", la MISERICORDIA affichée pour le condamné à mort
* COMITAS
avec
la récompense finale pour ces 3 qualités: l'immortalité... littéraire!
-
elle développe en fait une hyperbole fondée sur l'utilisation, non sans
subtilité, du superlatif et du comparatif, en commençant, de façon
surprenante, par le premier; pour inattendue qu'elle soit, cette démarche
permet en fait un dépassement paradoxal: "du plus" APPARATISSO,
au début du IX, conclu par SUMPTUOSISSIMI
(fin du chapitre) à... "l'encore plus": CERTIOREM
ADHUC au début du X... avec SAEPIUS
vers la fin ! Et, comme en conclusion, RECITAVIT ET
CARMINA; l'effet obtenu est asséné, de façon indéniable: TANTA
UNIVERSORUM LAETITIA. Les deux degrés de comparaison se succèdent
d'ailleurs dans ces deux chapitres, avec, sans reprendre les termes déjà cités:
IX,
(HONORES) MAXIMOS, SUMMAM OMNIUM RERUM et,
dans le désir de ne rien exclure: PRIVATARUM PUBLICORUMQUE (rien n'est ainsi
exclu, l'ensemble est complet, comme le confirme l'homéotéleute), OPTIMAM
(MATREM), DITISSIMIS PRIMIPILIARIUM
(n'oublions pas que PRI-MUS, comme SUM-MUS a le suffixe du superlatif;
l'intensité est corroborée par la multiplication des [i]);
X: GRAVIORA
en début de phrase; certes, il y a le superlatif NOBILISSIMO, mais le texte établit
une différence, donc une comparaison, entre
les sénateurs ruinés et les autres. Par ailleurs, parmi les premiers,
certains, QUIBUSDAM, ont plus que d'autres!
De même, les PRAETORIANIS COHORTIBUS ont une
faveur mensuelle supplémentaire.
-
elle s'appuie aussi sur un subtil travail stylistique qui n'a rien de
gratuit:
*
des allitérations, par exemple en dentales: pieTaTis osTeNTaTioNe à la forte
tonalité méprisante, en labiales/dentales: MeMoriae DoMiTii PaTris hoNores
MaxiMos haBuiT avec ainsi la mise en exergue de: MAXIMOS,
en labiales: Matri suMM(aM) oMniuM reruM PrivataruM PublicaruMque PerMisit en dénonciation
de l'omnipotence d'Agrippine - surtout une femme!, des sifflantes: operiS
SumptuoSiSSimi car ces dépenses ne sont que de prestige, en dentales: aTque uT
cerTiorem aDhuc inDolem osTeNDereT, où apparaît clairement la volonté de
manipuler.
*
La place des mots se montre très maîtrisée: Suétone commence avec un respect total de l'ordre canonique de la phrase
latine: sujet, compléments divers, COD, verbe: il le rompt pour faire claquer
le mot d'ordre: DEDIT OPTIMAM MATREM; de même, DEDUXIT
est suivi des deux groupes humains qui permettent d'augmenter la taille de la
colonie d'Antium, ASCRIPTIS et ADDITIS étant placés en parallèle et en
premier, avec une reprise sur ANTIUM via la
relative locative UBI, cet endroit encadrant ainsi le verbe principal. Tout étudier
serait trop astreignant. Nous nous contenterons de mentionner l'accusatif FRUMENTUM
MENSTRUUM GRATUITUM qui fonctionne, vu sa place, comme une réclamation,
une exclamative des cohortes prétoriennes (Le FRUMENTUM est stratégique: On
connaît l'importance pour Rome (donc sa plèbe!) de son ravitaillement en blé,
d'où l'enjeu que représente l'Egypte et la maîtrise des routes maritimes). De
même, la place du PLEBEM avec un ET
adverbial montre combien Néron se veut à la portée de tout un chacun; ainsi
le DECLAMAVIT, nonobstant sa coordination par
l'enclitique QUE, claque-t-il, comme attendu, avec ses deux adverbes: SAEPIUS,
PUBLICE. Quasi performatif est le RECITAVIT
en début de phrase suivante, avec la répétition CARMINA/CARMINUM, conformes
à l'impact: TANTA... UT (les dentales sont ici
remarquables) de ces vers...
*
les structures binaires abondent, comme pour nous indiquer que ce texte est
BIFRONS, en faux-semblants: LAUDAVIT ET CONSECRAVIT,
PRIVATUS/PUBLICUS, en un duo dans un ordre inattendu, ASCRIPTIS/ADDITIS,
AUT ABOLEVIT AUT MINUIT, SUBINDE AC (en fait, en surenchérissement! car
le second adverbe est inattendu) MEMORITER, ADMISIT
DECLAMAVITQUE, NON MODO DOMI SED ET IN THEATRO, DECRETA/DICATA. Avec
quelques rares (car trop relevées pour un être tel que Néron?) séquences
ternaires, dont l'annonce du plan suivi en X, d'ailleurs en décalage: -ITATIS
fonctionne en homéotéleute d'encadrement, mais ce pseudo-équilibre est rompu
par la série neQue... neQue C(lementaie), NE C(ominatis) Quidem. Notons, après
l'ablatif absolu DIVISIS POPULO (collectif) NUMMIS, un NOBILISSIMO CUISQUE
(distributif), repris par un restrictif QUIBUSDAM, suivi de COHORTIBUS
(pluriel!). Une structure binaire ou ternaire? cf. ailleurs
les
REALIA:
Les
funérailles sont rapidement évoquées, sans précision anecdotique: le FUNUS
sert à la propagande familiale (cf. la sortie des IMAGINES des ancêtres), à
faire étalage de sa richesse (via un tombeau munificent; celui de Claude n'est
pas évoqué ici) et de sa puissance, en convoquant tous ses clients. Il est
donc de facto APPARATUS, d'où le -ISSIMO: il
s'agit de frapper les esprits
il
est essentiel pour Néron, d'affirmer haut et fort sa filiation avec Auguste: il
est dans le droit fil de ses prédécesseurs! Marie-Catherine Rolland m'a fait ce rappel, que je prends la liberté de
citer:
"Des
historiens ont signalé que la succession chez les julio-claudiens se faisait
par le sang d'Auguste, très exactement par les filles d'Auguste. C'est pourquoi
Tibère n'a jamais divorcé de Julie, qu'il a choisi pour héritier Caligula,
petit-fils de Julie, cela explique que Caligula ait épousé sa sœur, pour être
gendre d'Auguste, et que Claude ait épousé sa nièce, toujours pour être
gendre d'Auguste. Selon cette analyse, Néron est l'héritier légitime, bien
plus légitime que Britannicus qui est mort d'une crise d'épilepsie."
Elle
a rajouté: "Un historien moderne s'est posé la bête question : de quel
poison foudroyant les Romains disposaient-ils ? Réponse des chimistes et
toxicologues : aucun. Cette mauvaise langue de Suétone qui travaille pour les
Flaviens met au débit de Néron le fait que les soldats du feu aient détruit
des maisons intactes, et il accuse Néron d'avoir médité de sombres spéculations
immobilières. Détruire des maisons intactes, c'est un moyen de juguler les
incendies : le feu s'éteint, s'il ne trouve rien devant lui. Soit Suétone
l'ignore, ce qui n'est pas futefute, soit il le sait et il ment pour charger Néron."
Néron
n'oublie pas son père biologique Domitius; certes, adopté par Claude, il
abandonnait théoriquement tout lien - au moins religieux, cf. les dieux Lares
et Pénates - avec sa famille d'origine, mais c'est pour rappeler qu'il
est du sang d'Auguste, car le père renvoie implicitement à la mère. d'où le HONORES
souligné par la postposition de MAXIMOS. Et l'on
s'explique mieux pourquoi il couvre celle-ci d'honneur en lui remettant tous les
pouvoirs.
LECTICA: Il marque sa confiance et sa proximité avec elle en montant avec elle dans sa litière.
PER
PUBLICUM, car la litière peut être ouverte comme ici; notons que s'y
installer à deux réduit singulièrement l'espace disponible pour chacun...
Elle se prête à l'installation de rideaux - possibilité qu'élimine ici notre
expression; elle peut même être entièrement fermée; allongé, le porté peut
alors y travailler, voire y dormir. C'est aussi un moyen pour sortir incognito,
voire observer sans être vu le monde extérieur, ce à travers des sortes de
carreaux de pierre transparente, LAPIS SPECULARIS.
ANTIUM:
c'est une colonie de citoyens romains, fondée en -338. Néron, qui en est
originaire, pour la mettre en valeur et augmenter sa population citoyenne, lui
ajoute la fine fleur de l'armée romaine: 1) VETERANI E PRAETORIO. C'est Séjan qui a réuni dans un seul camp cette garde
de l'IMPERATOR; 12 cohortes à l'époque de Claude (une cohorte fait 600 hommes,
le dixième d'une légion). L'importance des prétoriens est bien marquée au
chapitre VIII, car ce sont eux qui saluent Néron empereur, ce que le Sénat, à
la Curie, avalise ensuite. Les VETERANI sont ceux qui sont à la retraite. 2) Le
primipiles était, lui, d'après le Daremberg et Sangli, le premier des
centurions légionnaires: il occupait dans la légion la place d'honneur, avait
la garde de l'aigle; sa solde était considérable; à la retraite, il s'appelle
PRIMIPILARIS, de rang équestre, car sa pension lui en assurait largement le
cens... Le DITISSIMUS indique donc une sélection supplémentaire...
VECTIGAL:
il s'agit ici des impôts indirects. Mais cette mesure, pour populaire qu'elle
aurait été si elle avait été suivie d'effet, est restée au rang de simple
velléité, à lire Tacite, Annales, XIII, 50-51 (je ferai la recherche quand
j'aurai plus de temps!)
La
lex PAPIA est évoquée aussi dans le livre Claude (XIX): une note d'Ailloud y
précise, à propos de la loi Papi Poppée, qu'elle fut «portée en 9 Ap. J.-C.
sur la proposition des consuls M. Papius Mutilus et Q. Poppaeus Secundus, qui prévoyait
des sanctions contre les célibataires et les gens mariés sans enfants». Une
loi nataliste (d'inspiration spartiate? :=)) pour lutter, tant que faire se
peut, contre l'oliganthropie... Mais une autre note d'Ailloud au chapitre XV, évoque
une loi Papia de 65 av. J.-C. en vertu de laquelle un étranger est accusé
d'avoir usurpé le droit de cité... Mais une récompense allouée aux
sycophantes, délateurs, dénonciateurs, balances (choisissez le terme ici selon
votre niveau socioculturel, mais faites le bon choix au bac!) se prête plus au
premier cas... Nonobstant l'évidence que je ne suis pas spécialiste du droit
romain, il aurait été mal venu au Ier siècle de s'accommoder ainsi d'une
augmentation délictueuse du nombre des citoyens... C'e n'eût pas été un bon
moyen pour Néron de se faire bien voir de la plèbe, au rebours de tout ce que
montre son règne! Au surplus, l'édit de Caracalla, en 212, 2 siècles plus
tard, qui étend le droit de cité à toutes les provinces de l'empire,
permettait seulement d'étendre l'assiette de l'impôt à tous les provinciaux
de l'empire!!!
les
dons: l'énormité des chiffres annoncés renvoie au fait que c'est un acte
fondateur du principat de Néron. Suétone critiquera ces largesses de XXX à
XXXII. Apparemment, les finances publiques étaient en capacité de subir un tel
contre-choc fiscal (nous en sommes aux antipodes... Certes! Mais n'oublions
jamais qu'un citoyen digne de ce nom est heureux et fier de payer des impôts:
ceci marque sa richesse et son empreinte, cf. la société athénienne, et le
nom des dédicataires sur les monuments)
AGERE/HABERE
GRATIAS, au pl. car il s'agit d'actions de grâce,
de remerciement.
EXERCITATIONES
CAMPESTRES: le champ de Mars était l'endroit où l'armée se réunissait,
en dehors du POMOERIUM; cf. aussi champ de bataille. Néron devait s'entraîner
sur Palatin, le palais de Tibère devait s'y prêter car le stade date de
Septime-Sévère: la DOMUS AUREA est encore... utopique!
Certes,
c'est un exercice de louange. La meilleure preuve (mais il y a en a d'autres, il
n'est que de reprendre le texte, si l'on est atteint de mutisme suite au stress
étranglant tout candidat! Faut-il rappeler (belle prétérition!) la
PIETAS dont fait preuve Néron au début du IX? Etc. etc.) en est les
propos tenus par Néron qui fait montre, de façon avérée, indiscutable, d'un
profond humaniste quand il déclare (non pas à un quelconque magistrat comme le
laisserait penser le passif indéfini ADMONERETUR, mais
à BURRHUS, le préfet du prétoire et, avec Sénèque, formateur - avec un résultat
fort décevant! - de Néron) qu'il voudrait ne pas savoir écrire: QUAM
VELLEM NESCIRE LITTERAS, quand on lui demande
d'avaliser une peine de mort. Sénèque (-4/+65, conjuration de Pison)
avait montré le chemin à notre monographe quand le premier, contre toute
attente écrit-on quand on veut être gentil avec lui et voiler pudiquement, à
l'instar des fils de Noé, sa flagornerie évidente et choquante, dans son essai
De la clémence, au livre II, se répand à l'envi, sans mesure ni réflexion
quelconque, enivré par les effluves de l'encens ainsi dispersé à tous vents,
en louanges dithyrambiques, indignes des meilleurs panégyriques à l'égard de
Néron (m'avez-vous suivi jusqu'ici?). Cela vaut le «Rien de ce qui est humain
ne m'est étranger», de Térence...
Mais,
à bien y regarder, tout ceci n'est pas gratuit, des accusations sont portées...
sous la toge. En fait, IN CAUDA VENENUM car une grande partie des louanges que nous avons rencontrées peuvent être
retournées et se transformer en critiques virulentes: quoi de plus estimable
que la PIETAS, surtout après l'Enéide
de Virgile et son PIUS AENEAS? Mais elle est suivie immédiatement du dépréciatif
OSTENTATIONE qui, autant par son sens que par
sa longueur, efface l'effet positif induit par ce terme, le désir de faire bon
effet, par bonne mesure, étant souligné par l'homéotéleute: LAUDAVIT...
CONSECRAVIT. Et il faut avouer que l'honneur
(au pluriel s'il vous plaît, et avec un superlatif pour mieux le mettre au
pinacle) conféré à son propre géniteur ne peut que retomber sur... soi. En
outre, l'accumulation - en trois courtes phrases, sans lien de liaison, avec les
4 parfaits en fin de phrase en toute régularité syntaxique - des signes extérieurs
de déférence, entend souligner, nous semble-t-il, l'artifice de cette démarche,
donc la volonté de propagande, dans laquelle n'entre aucun sentiment personnel,
au contraire de ce qui serait attendu. Au détriment de ce qu'il y a de plus
sacré pour un Romain: Ce n'est pas un hasard si le mot MEMORIAE
éclate en début de phrase, comme un appel sans effet. The last, but not the
least pour Néron, MATRI, soulignée par le
passage du génitif antérieur PATRIS
à ce datif initial, sera reprise, en toute ambiguïté sexuelle, dans la phrase
suivante... Entretemps, son omnipotence est dénoncée par l'homéotéleute
PRIVATARUM PUBLICARUM,
et la mise en avant du premier terme, au rebours de l'ordre attendu, est une
accusation cinglante de procéder au détriment de l'intérêt public. En fait,
Néron inverse la PIETAS, vu ses relations avec sa mère. Aux antipodes des
Gracques, c'est un incestueux car, hélas! le SIMUL
est sans ambiguïté, annoncé qu'il est par le SAEPE,
avec l'identité (une commune union?) soulignée par EJUSDEM.
Suétone reprendra ceci plus clairement au chapitre XXVIIl... Il termine par la
promotion de son lieu de naissance, en usant de son pouvoir: VETERANIS
E PRAETORIO, en se permettant de choisir les meilleurs: DITISSIMIS
PRIMIPILARIUM, sans regarder à la dépense: SUMPTUOSISSIMI...
Après
le substantif d'action au début du chapitre IX (OSTENTATIO), nous retrouvons le
verbe au début du chapitre X: OSTENDERET.
Cette volonté de propagande est confirmée par EXHIBENDAE..
Suivent en énumération les diverses actions: ABOLEVIT/MINUIT,
REDEGIT, CONSTITUIT, puis les propos: INQUIT,
SALUTAVIT, RESPONDIT, (le romain est aussi un homme de parole, et la
fonction phatique du langage est essentielle dans les rapports sociaux, compte
non tenu du NOBILIS/IGNOBILIS) le tout en structures
ternaires, qui s'avère une accumulation de preuves qui se veulent
indiscutables. Mais cette multiplication est telle qu'elle induit chez le
lecteur un certain scepticisme. Il s'agit pour Néron, d'après Suétone, de
soigner son image de marque auprès du peuple, voire d'acquérir sa faveur, X: POPULO
cf. IX: PER PUBLICUM, OMNIS ORDINES,
donc sénateurs (SENATORUM NOBILISSIMO CUIQUE),
chevaliers et plébéiens (PLEBEM) - PUBLICE,
UNIVERSORUM. Suétone reprend l'action et la pensée, IN CORPORE SANO
MENS SANA, pour inverser l'adage: c'est dans ce droit fil que nous voyons Néron
inviter la plèbe à ses exercices militaires, ADMISIT
(racine déjà rencontrée avec OMISIT), puis
s'exprimer en public: DECLAMAVIT, avec, en
acmé, la consécration des propos, éternisés: AUREIS
JOVI.
Car la conclusion est révélatrice: RECITAVIT ET CARMINA. Notre empereur ne serait donc qu'un poète...
Notre restrictive peut blesser ceux qui mettent la création poétique au-dessus
de tout, mais elle est dans le droit fil du jugement que tout romain digne de ce
nom porte en fait sur la littérature: il préfèrera toujours les actes aux
mots. Il n'est que d'analyser plus en détail combien le compliment est ici à
double tranchant: le balancement NON MODO... SED ET
permet de souligner IN THEATRO, endroit a
priori peu propice pour permettre à un IMPERATOR de donner toute sa mesure, à
moins d'être un histrion, cf. la suite... au chapitre suivant! Au reste, les
acteurs ont piètre réputation. Le TANTA UNIVERSORUM sonne comme un effet
d'annonce? Cet englobement avorte ridiculement sur LAETITIA,
en fait un banal sentiment de bien-être là où l'on attendait... LAUS! Le
rapprochement entre RECITATIO (en polyptote
avec le RECITAVIT initial, action curieusement soulignée, détachée par la
place inattendue de ce verbe car c'est en fait un banal exercice quasi d'école)
et la SUPPLICATIO solennelle qui se réfère
aux SACRA, aux Dieux, fleure l'oxymore, et la sanctification de la production néronienne
a tout du sacrilège, comme le sous-entend la répartition entre: EA
PARS CARMINUM et AUREIS (métal inaltérable,
symbole d'immortalité) LITTERIS (comme si c'étaient
les caractères alphabétiques eux-mêmes qui resteraient, et non la teneur même
du texte produit!) IOVI CAPITOLINO, le temple
le plus sacré de toute la romanité. La dénonciation de la flagornerie est évidente.
L'écho DECRETA... DICATA claque alors comme
une condamnation...
D) en
fait limitée: Suétone se veut sensible à l'homme privé et non à
l'IMPERATOR; il en reste à l'anecdotique, non révélateur, car on pourrait
avoir une vision plus politique, moins étroitement pseudo-moraliste, du règne
néronien: son histoire est écrite par ses ennemis. Il y aurait place ici à
une forme de palinodie: régler son compte à Suétone après qu'il ait fait de
même pour Néron?