C. SUETONI TRANQUILLI
DE VITA CAESARUM
NERO
XXVI-XXVII, défauts de Néron
XXVI. Petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam,
credulitatem sensim quidem primo et occulte et velut juvenili errore exercuit,
sed ut tunc quoque dubium nemini foret naturae illa vitia, non aetatis esse.
Post crepusculum statim adrepto pilleo vel galero popinas inibat circumque vicos
vagabatur ludibundus nec sine pernicie tamen, siquidem redeuntis a cena
verberare ac repugnantes vulnerare cloacisque demergere assuerat, tabernas etiam
effringere et expilare. Quintana domi constituta ubi partae et ad licitationem
dividendae praedae pretium absumeretur. Ac saepe in ejus modi rixis oculorum et
vitae periculum adiit, a quodam laticlavio, cujus uxorem adtrectaverat, prope ad
necem caesus. Quare numquam postea publico se illud horae sine tribunis commisit
procul et occulte subsequentibus. Interdiu quoque clam gestatoria sella delatus
in theatrum seditionibus pantomimorum e parte proscaeni superiore signifer simul
ac spectator aderat. Et cum ad manus ventum esset lapidibusque et subselliorum
fragminibus decerneretur, multa et ipse jecit in populum atque etiam praetoris
caput consauciavit.
XXVII. Paulatim vero invalescentibus vitiis jocularia
et latebras omisit nullaque dissimulandi cura ad majora palam erupit. Epulas a
medio die ad mediam noctem protrahebat, refotus saepius calidis piscinis ac
tempore aestivo nivatis; cenitabatque nonnumquam et in publico, naumachia
praeclusa vel Martio campo vel Circo Maximo, inter scortorum totius urbis et
ambubaiarum ministeria. Quotiens Ostiam Tiberi deflueret aut Baianum sinum
praeternavigaret, dispositae per litora et ripas deversoriae tabernae parabantur
insignes ganea et matronarum institorio copas imitantium atque hinc inde
hortantium ut appelleret. Indicebat et familiaribus cenas, quorum uni mitellita
quadragies sestertium constitit, alteri pluris aliquanto rosaria.
traduction universitaire (Ailloud, collection Budé)
XXVI.
Son libertinage, sa lubricité, sa profusion, sa cupidité et sa cruauté se
manifestèrent d'abord graduellement et d'une façon clandestine, comme dans l'égarement
de la jeunesse, et pourtant même alors, personne ne put douter que ces vices
n'appartinssent à son caractère plutôt qu'à son âge. Après la tombée de
la nuit, ayant saisi un bonnet ou une casquette, il pénétrait dans les
cabarets, vagabondait dans les divers quartiers, faisant des folies, qui
d'ailleurs n'étaient pas inoffensives, car elles consistaient d'ordinaire à
frapper les gens qui revenaient d'un dîner, à les blesser, à les jeter dans
les égouts, s'ils résistaient, et même à briser les portes des boutiques et
à les piller; il installa dans son palais une cantine où l'on dissipait le
produit du butin, qu'il dispersait aux enchères. Souvent, dans des rixes de ce
genre, il risqua de perdre les yeux ou même la vie, et certain (chevalier) de
l'ordre sénatorial, dont il avait pris la femme entre ses bras, faillit le
faire mourir de coups. Aussi, depuis cette aventure, il ne se hasarda plus en
ville à pareille heure, sans être discrètement suivi de loin par des tribuns.
De même, pendant le jour, il se transportait secrètement au théâtre en litière
et, du sommet de l'avant-scène, il assistait aux disputes qui s'élevaient
autour des pantomimes, et même en donnait le signal; un jour qu'on en était
venu aux mains, et qu'on se battait à coups de pierres et de banquettes brisées,
il jeta lui aussi force projectiles sur le peuple et blessa même grièvement un
préteur à la tête.
XXVII.
Mais peu à peu, à mesure que ses vices grandissaient, il renonça aux
fredaines et au mystère, et, sans plus prendre soin de dissimuler, se jeta
ouvertement dans de plus grands excès. Il faisait durer ses festins de midi à
minuit et bien des fois prenait entre temps des bains chauds ou, pendant la
saison d'été, rafraîchis avec de la neige; il lui arrivait aussi de dîner en
public, soit dans la naumachie, préalablement fermée, soit au Champ de Mars ou
dans le grand cirque, en se faisant servir par toutes les courtisanes et
joueuses de flûte de Rome. Chaque fois qu'il descendait le Tibre pour se rendre
à Ostie, ou qu'il longeait en bateau le golfe de Baïes, on installait de loin
en loin sur la côte ou sur les rives des auberges où l'on pouvait voir des
matrones, prêtes à la débauche et transformées en hôtesses, imiter les
cabaretières et, d'ici et de là, l'exhorter à aborder. Il s'invitait aussi à
dîner chez ses amis: l'un d'entre eux dépensa ainsi quatre millions de
sesterces pour un festin avec diadèmes et un autre encore davantage pour un
banquet avec roses.
XXVI. PETULANTIAM,
LIBIDINEM, LUXURIAM L'impudence, la
jouissance sexuelle, l'excès, AVARITIAM,
CRUDELITATEM la cupidité, la cruauté) :
EXERCUIT QUIDEM PRIMO SENSIM il en fit preuve certes
d'abord graduellement, ET OCCULTE ET VELUT
ERRORE JUVENILI en cachette et comme par un égarement
propre à la jeunesse SED UT FORET DUBIUM
NEMINI mais tel qu'il n'était douteux pour
personne, ILLA VITIA ESSE NATURAE, NON
AETATIS que ces vices relevaient de son caractère,
non de son âge. STATIM POST CREPUSCULUM Aussitôt
après le crépuscule ADREPTO PILLEO VEL
GALERO après avoir saisi un bonnet ou une
casquette INIBAT POPINAS il
entrait dans les cabarets VAGABATUR CIRCUMQUE
VICOS et vagabondait autour des quartiers LUDIBUNDUS
NEC TAMEN SINE PERNICIE en se jouant et
cependant non sans violence SIQUIDEM ASSUERAT
puisqu'il avait l'habitude VERBERARE
REDEUNTIS A CENA de frapper ceux qui revenaient
d'un dîner AC VULNERARE REPUGNANTES,
de blesser ceux qui se défendaient QUE
DEMERGERE CLOACIS et de les plonger dans les égouts,
ETIAM EFFRINGERE TABERNAS ET EXPILARE aussi
de forcer/fracturer les boutiques et de les piller. QUINTANA CONSTITUTA DOMI Une
cantine fut installée chez lui UBI
ABSUMERETUR PRETIUM PRAEDAE PARTAE où était
dissipé le prix du butin +ainsi+ acquis ET
DIVIDENDAE AD LICITATIONEM à
disperser aux enchères. AC SAEPE IN RIXIS
EJUS MODI Mais souvent dans des rixes de ce
genre ADIIT PERICULUM OCULORUM ET VITAE il
frôla la perte des yeux et de la vie, CAESUS
PROPE AD NECEM battu presque à mort A
QUODAM LATICLAVIO par le porteur d'une toge
laticlave, CUJUS ADTRECTAVERAT UXOREM dont
il avait étreint l'épouse. QUARE POSTEA
NUMQUAM C'est pourquoi plus jamais SE
COMMISIT PUBLICO il ne se risqua à l'extérieur
ILLUD HORAE à
pareille heure SINE TRIBUNIS SUBSEQUENTIBUS
PROCUL ET OCCULTE sans tribuns pour le
suivre au loin et en cachette. QUOQUE
INTERDIU DELATUS CLAM De même, pendant le
jour, transporté secrètement IN THEATRUM
SELLA GESTATORIA au théâtre dans une
chaise à porteurs ADERAT SEDITIONIBUS
PANTOMIMORUM il était présent aux disputes
+autour+ des pantomimes E PARTE SUPERIORE
PROSCAENI depuis la partie supérieure de
l'avant-scène SIGNIFER SIMUL AC SPECTATOR comme
instigateur autant que spectateur. ET CUM
VENTUM ESSET AD MANUS Et une fois qu'on en était
venu aux mains -QUE DECERNERETUR LAPIDIBUS ET
FRAGMINIBUS SUBSELLIORUM et qu'on en décousait
avec des pierres et des morceaux de bancs IPSE
ET JECIT MULTA IN POPULUM lui-même aussi
jeta beaucoup +de projectiles+ sur le peuple ATQUE
ETIAM CONSAUCIAVIT et il alla même jusqu'à
blesser grièvement CAPUT PRAETORIS la
tête d'un préteur.
XXVII.
VERO PAULATIM VITIIS INVALESCENTIBIS Mais
peu à peu, ses vices prenant des forces OMISIT
JOCULARIA ET LATEBRAS il oublia les
plaisanteries et les ténèbres NULLAQUE CURA
DISSIMULANDI et sans souci de dissimulation
ERUPIT PALAM AD MAJORA il
se jeta au vu et au su de tous dans de plus grands forfaits. PROTRAHEBAT
EPULAS A MEDIO DIE AD MEDIAM NOCTEM Il étirait
ses festins de midi à minuit SAEPIUS REFOTUS
PISCINIS CALIDIS trop souvent requinqué par des
bains chauds AC TEMPORE AESTIVO NIVATIS et
en période estivale rafraîchis avec de la neige; CENITABAT
SAEPIUS ET IN PUBLICO Il dînait
quelquefois aussi en public NAUMACHIA
PRAECLUSA dans la naumachie interdite,
VEL MARTIO CAMPO ou
au champ de Mars VEL CIRCO MAXIMO ou
dans le Cirque Maxime, INTER MINISTERIA
SCORTORUM au milieu du service des prostituées TOTIUS
URBIS ET AMBUBAIARUM de toute la ville
ainsi que des joueuses de flûte. QUOTIENS
DEFLUERET OSTIAM TIBERI A chaque fois qu'il
descendait vers Ostie par le Tibre AUT
PRAETERNAVIGARET SINUM BAIANUM ou qu'il dépassait
le golfe de Baies, DISPOSITAE PER LITORA ET
RIPAS disposées de par les côtes et les rives,
TABERNAE DEVERSORIAE PARABANTUR des
auberges étaient préparées INSIGNES GANEA remarquables
en bouge ET INSTITORIO MATRONARUM IMITANTIUM
COPAS et par le racolage de matrones imitant les
cabaretières ATQUE HORTANTIUM HINC INDE UT
APPELLERET et +le+ suppliant, d'ici et de là,
d'aborder. INDICEBAT ET CENAS FAMILIARIBUS Il
indiquait aussi la date des repas à ses amis, QUORUM
(CENA) MITELLITA CONSTITIT dont un repas avec
diadèmes coûta UNI QUADRAGIES SESTERTIUM à
l'un quatre millions de sesterces, ALTERI
ROSARIA ALIQUANTO PLURIS à un autre (un repas)
avec roses notablement plus.
XXVI. PETULANTIAM,
LIBIDINEM, LUXURIAM L'impudence, la
jouissance sexuelle, l'excès (cette accumulations d'accusatifs, suivis
des 2 autres, en asyndète, revient à une invective; PETO=cherche à atteindre,
avec donc un processus clair: l'approche, le coït et ses reprises, le tout sans
aucune retenue, en laissant libre court à ses instincts les plus bas),
AVARITIAM, CRUDELITATEM la cupidité, la cruauté
(en contraste, la restriction? ici, le besoin maladif de manipuler de
l'argent; CRUOR=le sang d'une blessure) :EXERCUIT
QUIDEM PRIMO SENSIM il en fit preuve certes
d'abord graduellement, (EXERCEO, cf. EXERCITUS, l'armée, là où l'on
s'entraîne, avec des résultats... effectifs (sic!); SENSIM=peu à peu,
insensiblement) ET OCCULTE ET VELUT ERRORE JUVENILI en
cachette et comme par l' égarement propre à la jeunesse (OCCULTUS en
adverbe; polysyndète) SED UT FORET DUBIUM NEMINI mais
tel qu'il n'était douteux pour personne (QUIDEM... SED en balancement;
UT=consécutif; NON HOMO=NEMO; l'infinitive avec ESSE est sujet de FORET,
subjonctif imparfait défectif de SUM, son attribut du sujet est: DUBIUM, au
neutre comme attendu),ILLA VITIA ESSE NATURAE, NON
AETATIS que ces vices relevaient de son caractère,
non de son âge (ILLA=Emphatique; au reste, les référents sont bien
loin devant: NATURA, ici=sa nature propre, donc son caractère inné! Relevé
par l'asyndète). STATIM POST CREPUSCULUM Aussitôt
après le crépuscule (=dès! Le côté honteux, voire sordide est évoqué
par les consonnes sourdes, y compris les séquences sifflantes +occlusive: P ST
C P SC SC) ADREPTO PILLEO VEL GALERO après
avoir saisi un bonnet ou une casquette (ablatif absolu < ABRIPIO, le
PILLEUS est en laine, le GALERUS en peau, avec ses poils; le GAFFIOT propose
casquette... «couvre-chef» serait trop vieux) INIBAT
POPINAS il entrait dans les cabarets
(INEO, aller dans) VAGABATUR CIRCUMQUE VICOS et
vagabondait autour des quartiers (VAGARI=déponent) LUDIBUNDUS
NEC TAMEN SINE PERNICIE en se jouant et
cependant non sans violence (PERNICIES EI a donné pernicieux, < NEX
NECIS, mort violente! La double négation - NEC SINE - renforce une affirmation.
Nous n'avons pas osé: «pas sans casse»! LUDIBUNDUS et PERNICIE sont en
opposition. On passe sans transition du ton allègre, cf. Marot dans son Adolescence
clémentine: «Du temps de ma jeunesse folle...» à la violence) SIQUIDEM
ASSUERAT puisqu'il avait l'habitude
(ASSUESCO, plus-que-parfait, -SC- suffixe ici itératif = de répétition, cf. réitération...)
VERBERARE REDEUNTIS A CENA de
frapper ceux qui revenaient d'un dîner (REDEUNS= participe substantivé
- comme en grec -, acc. pl. archaïque en -IS; la CENA a lieu le soir, bien sûr)
AC VULNERARE REPUGNANTES,
de blesser ceux qui se défendaient (AC= virgule, car plus loin,
enclitique -QUE, puis ETIAM!) QUE DEMERGERE CLOACIS et
de les plonger dans les égouts (cf. immerger! détail répugnant), ETIAM
EFFRINGERE TABERNAS ET EXPILARE aussi de
forcer/fracturer les boutiques et de les piller (cf. vol avec effraction!
Comme dans les souks, tout était verrouillé. Le manque de réaction des
vendeurs, censés dormir au-dessus, dans un CUBICULUM, laisse supposer qu'il
s'agissait d'esclaves?). QUINTANA CONSTITUTA DOMI
Une cantine fut installée chez lui
(QUINTANA, comme le note Ailloud, est un terme militaire désignant la partie du
camp où se tenaient les vivandiers et où les soldats vendaient leur butin; EST
n'est pas sous-entendu: il n'a pas besoin d'être exprimé!) UBI
ABSUMERETUR PRETIUM PRAEDAE PARTAE où était
dissipé le prix du butin +ainsi+ acquis (ABSUMO: prendre complètement;
«dilapider» n'irait pas, car il ne s'agit nullement d'un héritage! PARIO
PEPERI PARTUM enfanter, cf. parturiente; chez Cicéron: PRAEDA IMPROBE PARTA,
butin injustement procuré/acquis. Avec PARTAE, Suétone entend nous renvoyer
aux conditions de la prise de possession, d'autant plus choquantes qu'elles
s'attaquent aux biens, d'où l'adjonction de notre «ainsi»!)
ET DIVIDENDAE AD LICITATIONEM, à
disperser aux enchères (notre virgule traduit le ET, «et» serait bien
lourd. DIVIDENDAE=adjectif verbal de PRAEDAE, destiné à. le butin est le résultat
(PRAEDAE PARTAE) des effractions; il est destiné à être dispersé, en fait
par lots, lors d'une vente aux enchères; celles-ci réalisées, l'argent ainsi
accumulé est immédiatement dépensé; c'est ce processus que souligne l'ordre
des mots chez Suétone). AC SAEPE IN RIXIS EJUS MODI
Mais souvent dans des rixes de ce genre
(RIXA: péjoratif - cf. son opposition avec PUGNA - comme EJUS MODI; aux
antipodes donc du MILES/IMPERATOR) ADIIT
PERICULUM OCULORUM ET VITAE il frôla la perte
des yeux et de la vie (=risquer; traduire ET par: voire?; «de la vue»
pour faire une paronomase avec «vie», vu le ...CULUM OCULORUM?), CAESUS
PROPE AD NECEM battu presque à mort (ou
«quasi»; CAEDO: frapper, abattre puis: tuer, mais pas ici: AD NECEM serait,
avec sa préposition et son sens, mal venu) A QUODAM
LATICLAVIO par le porteur d'une toge laticlave,
(QUIDAM: Suétone connaîtrait son nom. Tacite est plus précis dans ses Annales,
XIII, 25: il mentionne Julius Montanus, un chevalier de l'ordre sénatorial qui
mourut questeur désigné. Tacite évoque seulement une attaque de Néron, sans
évoquer une présence féminine. Le résultat fut, de toute façon, pour
Montanus, qu'il dût se tuer, nonobstant ses excuses!)
CUJUS ADTRECTAVERAT UXOREM dont il avait
étreint l'épouse (ADTRECTO, le verbe est suffisamment évocateur, par
son fréquentatif de TRAHO, pour ne pas le commenter plus outre!). QUARE
POSTEA NUMQUAM C'est pourquoi plus jamais (POSTEA=après
ces choses, expression adverbialisée: plus tard) SE
COMMISIT PUBLICO il ne se risqua à l'extérieur
(SE COMMITTO: se risquer - PUBLICO: en dehors de son palais certes, mais
ceci sous-entend aussi une défiance à l'encontre du peuple!) ILLUD
HORAE à pareille heure (accusatif
de relation: quant à cela de l'heure, en ce qui concerne cela de l'heure!) SINE
TRIBUNIS SUBSEQUENTIBUS PROCUL ET OCCULTE sans
tribuns pour le suivre au loin et en cachette (SUBSEQUOR, déponent; nous
avons préféré traduire par une infinitive finale ce participe... à la
grecque. Le OCCULTE est un écho cruel du début du chapitre!). QUOQUE
INTERDIU DELATUS CLAM De même, pendant le
jour, transporté secrètement (QUOQUE=aussi; INTERDIU, CLAM =adverbes;
DEFERO avec ablatif de moyen) IN THEATRUM SELLA
GESTATORIA au théâtre dans une chaise à
porteurs (un doublon en mirage de la LECTICA mentionnée lors de l'évocation
des qualités?) ADERAT SEDITIONIBUS PANTOMIMORUM il
était présent aux disputes +autour+ des pantomimes (ADSUM : tout verbe
préfixé en latin peut être suivi du datif; cf. une sédition. Les acteurs -
il n'y a pas d'actrices! - étaient l'occasion de nombreuses querelles, parfois
très violentes. Et les pantomimes ne se gênaient pas pour avoir des gestes...
même pas ambigus, à l'encontre de spectateurs) E
PARTE SUPERIORE PROSCAENI depuis la partie
supérieure de l'avant-scène (PROSCAENIUM: la scène en fait - la (sic!)
FRONS SCENAE, mur de scène, est, en plus haut, l'équivalent de la SKHNH
grecque. Il m'est difficile de dire où Néron se trouvait exactement, surtout
pour assister incognito, comme soutenu, à ces présentations) SIGNIFER
SIMUL AC SPECTATOR comme instigateur autant
que spectateur (cf. LUCIFER; chef, guide). ET
CUM VENTUM ESSET AD MANUS Et une fois qu'on en
était venu aux mains (passif neutre de VENIO - sic! - donc, avec sa
traduction classique par «on») -QUE DECERNERETUR
LAPIDIBUS ET FRAGMINIBUS SUBSELLIORUM et qu'on
en décousait avec des pierres et des morceaux de bancs (DECERNO: décider,
trancher une question; LAPIS IDIS, cf. lapider; SUBSELLIUM: certes, propre au théâtre,
mais aussi aux sénateurs, à la justice! Suétone ne jetterait-il pas ainsi à
Néron une dernière pierre?) IPSE ET JECIT MULTA IN
POPULUM lui-même aussi jeta beaucoup +de
projectiles+ sur le peuple (ET adverbial; le IN + acc prend tout son sel
ici!) ATQUE ETIAM CONSAUCIAVIT et
il alla même jusqu'à blesser grièvement (ETIAM=le comble!) CAPUT
PRAETORIS la tête d'un préteur. (Mais
que diable allait-il faire dans cette galère? Notons que Néron est à
l'opposite d'un PRINCEPS!).
XXVII.
VERO PAULATIM VITIIS INVALESCENTIBIS Mais
peu à peu, ses vices prenant des forces (VALEO + suffixe inchoatif ici
-SCO; ablatif absolu) OMISIT JOCULARIA ET LATEBRAS il
oublia les plaisanteries et les ténèbres (omitto, cf. omission; JOCUS
I=plaisanterie, chère à Kundera! d'où l'adjectif, ici substantivé: JOCULARIS
E; latent=caché) NULLAQUE CURA DISSIMULANDI et
sans souci de dissimulation (gérondif; NULLA CURA=avec aucun souci)
ERUPIT PALAM AD MAJORA il se jeta au vu et au su
de tous dans de plus grands forfaits (insistance dans notre traduction,
vu celle de Suétone, avec NULLA et PALAM; ERUMPO). PROTRAHEBAT
EPULAS A MEDIO DIE AD MEDIAM NOCTEM Il étirait
ses festins de midi à minuit (du milieu du jour au milieu de la nuit,
cf. SUMMA ARBOR, le sommet de l'arbre), SAEPIUS
REFOTUS PISCINIS CALIDIS trop souvent requinqué
par des bains chauds (REFOVEO, réchauffer, ranimer; le terme «requinqué»
est familier, mais la tentation était trop forte!) AC
TEMPORE AESTIVO NIVATIS et en période
estivale rafraîchis avec de la neige (NIX NIVIS f. neige); CENITABAT
SAEPIUS ET IN PUBLICO Il dînait
quelquefois aussi en public (le fréquentatif en-ITARE augmente les
occurrences induites par le NONNUMQUAM, cf. SAEPIUS deux fois dans ce passage!), NAUMACHIA
PRAECLUSA dans la naumachie interdite (PRAECLUDO
SI: fermée devant, ici avant, donc = préalablement fermée), VEL
MARTIO CAMPO ou au champ de Mars VEL
CIRCO MAXIMO ou dans le Cirque Maxime (VEL...
VEL), INTER MINISTERIA SCORTORUM au milieu du service des prostituées (SCORTUM i n: peau, cuir, d'où
prostitué(e), cf. notre expression: vieille peau! péjoratif bien sûr; donc,
le terme courtisane nous paraît ici controuvé car mélioratif; le terme
MINISTERIUM - les ministres sont les serviteurs de l'Etat, cf. aussi ministre du
culte!- est d'une cruauté féroce) TOTIUS URBIS ET
AMBUBAIARUM de toute la ville ainsi que des
joueuses de flûte (ET=ainsi que, pour garder, tant que faire se peut,
l'ordre des mots). QUOTIENS DEFLUERET OSTIAM TIBERI A
chaque fois qu'il descendait vers Ostie par le Tibre (DEFLUERE FLUXI,
intransitif; ici, descendre le Tibre jusqu'à Ostie!) AUT
PRAETERNAVIGARET SINUM BAIANUM ou qu'il dépassait
le golfe de Baies, (donc en le longeant! SINUS US, la courbure, permet
toutes les métaphores, cf. la voile déployée), DISPOSITAE
PER LITORA ET RIPAS disposées de par les côtes
et les rives (DISPONO), TABERNAE DEVERSORIAE
PARABANTUR des auberges étaient préparées
(les deux mots pour évoquer un seul bâtiment, puisque l'on peut s'installer
dans une auberge pour y loger; nous optons ici pour une traduction concise, le
texte est suffisamment compliqué comme cela, puisque la critique verbale n'a
pas réussi, de toute évidence, à rédimer ce passage) INSIGNES
GANEA remarquables en bouge ET
INSTITORIO MATRONARUM IMITANTIUM COPAS et
par le racolage de matrones imitant les cabaretières (LOCUS DESPERATUS?
terme utilisé par la critique verbale pour identifier un endroit que l'éditeur
du texte n'arrive pas à corriger. Ici, non marqué comme tel par différents
éditeurs alors que leurs textes semblent peu satisfaisants... Soit INSTITORIUS A
UM=de colporteur, en fait qui (ici se) vend; dans le cadre de la LECTIO
DIFFICILIOR, nous en faisons un adjectif substantivé neutre coordonné par ET
à GANEA, abl. lui aussi, tous deux c. de l'adjectif INSIGNES. Nous notons, avec
un plaisir non dissimulé que c'est ce que propose aussi la Vita Néronis,
L'Edition indispensable par Lakshmanan et Raphel, aux éditions du Relief, dans
une note constatant la difficulté du passage. Avec une proposition décente -
désolé, c'est irrépressible! - «commerce», terme ô combien délectable...; Hatier, via Mmes
Alizon et Tardiveau, trahit sans pudeur Budé et opte, lui, pour : INSIGNES GANEAE ET
MATRONARUM INSTITORIAS OPERAS IMITANTIUM, donc: 1) (étaient préparées)
remarquables en (fait de) bouge et de matrones imitant le comportement des
colporteuses (=femmes qui vendent, ici qui se vendent) ; ces corrections se font
au prix d'INSIGNIS + génitif (GANEAE est donné par tous les manuscrits, alors
que GANEA est une correction de Saumaise...), mais il est plus inattendu qu'un ablatif, et INSTITORIAS OPERAS est une correction de différents éditeurs...
2) ou alors: en remarquables bouges aussi de matrones, ce qui est franchement
artificiel (mais ressemble aux traductions acceptées lors de certaines
formations universitaires - datées ? - où le mot-à-mot insensé était accepté);
bref, tout ceci pour déplorer que, malgré nos conjectures, le détail n'est
pas clair, même si le sens global l'est. Mais est-il besoin de préciser que
vous pouvez vous fendre d'une solution plus élégante? Nous sommes preneur!!!)
ATQUE HORTANTIUM HINC INDE UT APPELLERET et
+le+ suppliant, d'ici et de là, d'aborder (HINC INDE structure binaire,
comme LITORA et RIPAS. Il s'agit de racolage actif; HORTARI=déponent construit
avec UT + subj, traduit par une infinitive; notons le jeu verbal sur
l'exhortation/appel: à une voyelle près (appellaret), nous aurions eu: le
suppliant qu'il les appelle). INDICEBAT ET CENAS
FAMILIARIBUS Il indiquait aussi la date des
repas à ses amis (ET=adverbe ici), QUORUM
(CENA) MITELLITA CONSTITIT dont un repas avec
diadèmes coûta (CENA sous-entendu; MITELLA=diminutif de MITRA, bandeau,
turban, qui donnera mitre en fr. Ce nom donne lui-même un adjectif, non attesté
dans le Gaffiot) UNI QUADRAGIES SESTERTIUM à
l'un quatre millions de sesterces, (UNI... ALTERI, qui permet de ne pas répéter
CONSTITIT - CONSTO AS ARE) ALTERI ROSARIA ALIQUANTO PLURIS à un
autre (un repas) avec roses notablement plus (ALIQUANTO avec un
comparatif -ici au gén. de prix - pour montrer un dépassement conséquent).
Ce texte éveille notre intérêt car il s'agit d'un réquisitoire contre un fantoche,
fondé sur des anecdotes qui s'inscrivent dans les réalités
du temps.
(Notre premier point a pris des proportions...
colossales, cf. le Colisée! Il est licite de le tronçonner...)
I) un
réquisitoire bien mené, empreint de vivacité,
ciselé, au demeurant paradoxal,
- bien
mené; la démarche est réfléchie, structurée: l'accumulation initiale en
asyndète, comme autant de chefs d'accusation revient en fait à une annonce du
plan de cette mise en coupe réglée de Néron qui s'opère jusqu'au chapitre
XXXVIII. Nous en resterons, nous à la PETULANTIAM car ce qui concerne nos deux
chapitres n'est que broutille par rapport à la suite: la violence est là, les
voies de fait sont indéniables et le comportement hautement condamnable;
nonobstant, il n'y a pas mort d'homme. Il y a, certes, de la LIBIDINEM, mais elle
se donnera plutôt libre cours aux chapitres XXVIII et XXIX; la LUXURIAM se développe,
elle aussi, sur deux chapitres, XXX-XXXI, l'AVARITIAM la suit, en toute logique,
en XXXII, pour terminer sur la
CRUDELITATEM à partir de XXXIII - en fait, à bien lire, le principal défaut
de Néron - et qui s'étendra, elle, en passant par la SAEVITIA en XXXVI,
jusqu'au chapitre XXXVIII. Cette attaque en règle laissera la place en XXXIX
aux catastrophes qui ne relèvent pas de la responsabilité de Néron, ce qui
sert de transition pour la relation de sa disparition, à partir de XL jusqu'à
L, la fin du texte se présentant comme un «éloge funèbre». Ces chefs d'accusation fonctionnent aussi pour nos deux
chapitres et sont prouvés par les forfaits exposés pour mieux les dénoncer, en commençant par le dernier: la CRUDELITAS illustrée par tous
les verbes accumulés, d'abord en structure ternaire, puis binaire. Si
l'AVARITIAM annonce la QUINTANA, LIBIDINEM, la relative
CUJUS UXOREM ADTRECTAVERAT, ce chapitre se clôt derechef sur la CRUDELITATEM qui en est bien
le sujet même, comme le confirme un rapide relevé du champ lexical de la
violence physique (ADREPTO? INIBAT? De toute façon,
PERNICIE, les verbes à
l'infinitif en accumulation, PRAEDAE, RIXIS, VITAE PERICULUM, AD NECEM CAESUS,
AD MANUS VENTUM, LAPIDIBUS, DECERNERETUR, JECIT, CONSAUCIAVIT. Ensuite la
LUXURIAM, l'étalage éhonté, le manque de tenue, en fait une tare de parvenu
à la Trimalcion, comme dans le Satiricon de Pétrone - cet affranchi nouveau
riche, un avatar de Néron? NULLA CURA DISSIMULANDI, en histrion
exhibitionniste... Les repas s'éternisent, avec un effet de répétition,
de persistance dans ce comportement de jour comme de nuit, dénoncé par l'allitération
en DENTALES et LABIALES : MeDio Die aD MeDiaM NocTeM, ProTraheBaT à
profusion ensuite, hiver comme été, avec les sifflantes: -tuS SaepiuS calidiS
piSciniS, et les [i] en harmonie imitative par leur fermeture. Mais le sujet
central - et l'obsession de tout un chacun - reste LIBIDINEM, satisfaire les désirs
du ventre et du bas-ventre, pour en venir au fait, sans fard: c'est bien là
le sujet du chapitre XXVII (cf. le vocabulaire évoquant les activités
sexuelles tarifiées, le repas y est une invitation à l'amour, un préliminaire.
La CENA est le point commun aux deux chapitres en fait: la sortie du dîner amène
un passage à tabac en XXVI, et des dépenses somptuaires en XXVII, car ce
dernier se termine en point d'orgue par deux grandes bouffes, pour citer un film
mémorable, et rappeler aussi le Satiricon de Fellini... la dernière si
extravagante que le coût n'en est même pas évoqué...
Nonobstant,
quoi que nous en ayons dit, à la réflexion, cette même rigueur
logique ne se retrouve pas vraiment à l'intérieur de nos deux chapitres. Mais
c'est bien, justement, en correspondance avec cette PETULANTIAM, ce premier chef
d'accusation, cette absence en fait de mesure, ce manque de maîtrise de soi (STATIM) cher à l'immédiateté de la réalisation de ses désirs: le propre de
celui qui se laisse aller (ERRORE) à la satisfaction de ses pulsions les plus
basses (ILLA VITIA avec l'emphase du démonstratif que reprendra
VITIIS au début
de XXVII), comme un enfant (JUVENILI... appelé, hélas, à grandir:
INVALESCENTIBUS au début de XXVII), qui n'est pas éduqué, donc n'a pas été
conduit en dehors de son état de nature car c'est en fait sa nature: NATURAE.
C'est apparemment sans méchanceté (LUDIBUNDUS, lui-même conforté au chapitre
suivant par JOCULARIA) qu'il se comporte en voyou - et Suétone nous en donne de
multiples exemples, sans apparemment, une cohérence perceptible, comme dans une
succession d'actes infantiles - mais la litote (NEC SINE
PERNICIE) et la
concession TAMEN viennent battre en brèche cette impression fallacieuse. Il
accumule, en fait en adulte responsable, les actes délictueux: la violence aux
personnes en 3 verbes (VERBERARE, VULNERARE, DEMERGERE), puis aux biens: vols
avec effraction en 2 verbes (EFFRINGERE, EXPILARE; 3+2: est-ce un clin d'œil
aux 5 noms initiaux?), dont le butin est rapidement dispersé, puisque
l'ensemble est encadré par QUINTANA... ABSUMERETUR. Néron préfigure-t-il l'«acte
gratuit», avant la lettre? Car il n'a aucunement besoin du bénéfice de la
vente, et que tout ceci s'opère, comme le dit Suétone, en pure perte: ABSUMERETUR... A tout le moins, on rentre de nouveau dans le cadre du jeu, de sa
gratuité. Même si l'enjeu n'est nul ni pour les autres, vu la violence essuyée
avant, ni pour lui-même vu les conséquences encourues, car ceci s'opère au
risque d'être l'objet soi-même de coups et blessures! AT en liaison
SAEPE CAESUS. La conséquence est évidente, QUARE; Néron s'avère alors plus que
prudent: lâche comme un gamin vicieux (NUMQUAM POSTEA SINE
TRIBUNIS). Et ceci
se marque par ses embuscades insidieuses: INTERDIU QUOQUE E PARTE PROSCAENI
SUPERIORE, sans respect pour les représentants de l'Etat: PRAETORIS CAPUT
CONSAUCIAVIT. Le chapitre suivant n'est pas plus aimable, ni plus cohérent - même
si son désordre se veut en fait dénonciateur et voulu: VITIIS, AD
MAJORA. Il
s’assume certes en contraste avec le précédent, VERO, mais c'est que les
forfaits ne sont plus cachés: PALAM résume (pour finir sur le verbe
ERUPIT) à
lui seul : LATEBRAS OMISIT, NULLA DISSIMULANDI CURA... Festins
(EPULAS) et
repas se succèdent (CENITABAT, fréquentatif!), peu importe l'endroit (d'abord
non précisé, ensuite en accumulation ternaire, mais indifférenciée: VEL...
VEL), au vu et au su de tous (IN PUBLICO), comme ses fredaines sexuelles, qui débordent
même de la ville (TOTIUS URBIS), jusqu'à Ostie et le golfe raffiné de Baïes,
comme dans le Satiricon. Curieusement, ce passage n'est donc pas ici plus
cohérent que les errances des 3 héros dans ce roman picaresque avant la
lettre. Il y a au moins un point commun entre ces deux textes: les matrones n'y
sont pas plus chastes (suivez mon regard, et saluez !). Sans plus de logique,
comme entraîné lui aussi par la PETULANTIAM dont Suétone accuse Néron, notre
extrait se termine sur la mention de deux repas... à la Trimalcion!
- C'est
que les actions s'enchaînent avec vivacité, comme Néron s'attaquant aux
personnes et aux biens... Le texte est très enlevé, les verbes d'action
s'accumulent à l'envi: EXERCUIT, en mouvement: INIBAT,
VAGABATUR, en se répétant
(comme l'indique les imparfaits, en variation de voix, active, puis déponente):
ASSUERAT, comportement confirmé par une kyrielle d'adverbes:
SAEPE, NUMQUAM
POSTEA (repris plus loin en XXVII par
NONNUMQUAM), QUOQUE, avec un événement plus marquant, qui se détache de
l'ensemble en un EXEMPLUM révélateur, une preuve indiscutable, comme avérée,
puisque, après l'allusif IN PUBLICUM à l'expression locative agressive (cf. IT
IN HOSTES!), nous avons ce témoignage - Historia en grec! - dont le titre du
blessé (PRAETOR) permettrait à un sceptique de tester la crédibilité: aTqu(e)
eTiam praeToris CapuT ConsauCiaviT. Notons l'exutoire final de ces
turpitudes: ERUPIT au début de XXVII, en annonce claironnante, MAJORA. Allongé
dans un festin, Néron relève d'un verbe de mouvement:
PROTRAHERAT, donc non
sans humour, puis, derechef paradoxalement, un participe passé passif de
sensation alors qu'il a à se mouvoir pour passer au bain. Et, de nouveau, la réitération:
SAEPIUS, avec toujours la subtilité des manipulations verbales:
REFOTUS CALIDIS
en quasi pléonasme, puis le quasi oxymore:
AESTIVO NIVATIS, en une conjonction des contraires dont Suétone taxe fréquemment
Néron C'est une série d'anecdotes, de vilenies attribuées à ce dernier
sans que d'ailleurs les sources en soient données, ce qui est fâcheux pour
l'objectivité historique. Mais ce qui n'est pas le problème de Suétone, de
toute évidence. Néron, de sujet des verbes
qu'il était - car même avec un verbe d'état, ADERAT, il agit par l'intermédiaire de noms d'action:
SIGNI-FER et SPECTA-TOR
en fin de XXVI! - laisse alors la place aux DEVERSORIAE (ce terme implique un
arrêt) TABERNAE PARABANTUR: comme par contamination, ce n'est plus Néron qui
agit, mais, par le truchement de la conjonction temporelle de réitération:
QUOTIENS, ce sont les occasions de satisfaire ses vices qui sont à sa
disposition, d'elles-mêmes, vu la multiplication des
structures binaires, si bien que même les matrones deviennent des
tentatrices et à l'initiative de son comportement: horTanTium
uT aPPeLLereT. L'infection est générale. Suétone joue avec une paronomase
implicite APPELLERET/APPELLARET puisqu'immédiatement après se trouve en début
de phase, comme en proclamation officielle: INDICEBAT. Ceci lui permet, en toute
innocence, d'établir en fait le budget de deux banquets... pharaoniques - ou
gargantuesques, dignes
de Trimalcion, aux antipodes de la frugalité horatienne, avec une
balance entre les deux hôtes successifs (UNI...
ALTERI) dont le fléau
tombe sur le second, en une indéfinition
(PLURIS ALIQUANTO) qui souligne que le nombre de sesterces dépensées est...
incalculable!
- tout
ceci est travaillé, ciselé avec subtilité: les 5 premiers noms ont des nasales qui se
poursuivent sur les deux mots suivants, en invective, et cette énumération a
comme écho, d'abord une structure ternaire (PRIMO, OCCULTE,
ERRORE), puis
binaire (NATURAE, AETATIS), et les figures de style abondent: il n'est que de
les relever... comme nous faisons en bleu dans
le paragraphe précédent! (Ce travail de... romain peut s'opérer aussi sur
l'ensemble de notre commentaire, puisque les tropes abondent (ce d'autant plus
que les textes latins sont très... rhétoriques!))
- Mais
cette mise en cause pour le moins surprenante, voire paradoxale: en effet, pour un moderne, les
actions de Néron dénoncées dans le chapitre XXVI semblent d'autant plus
condamnables qu'elles agressent autrui; à côté, la goinfrerie et la luxure du
chapitre XXVII paraissent des plaisanteries de carabin alors que, très
clairement, pour Suétone, Néron va ici de mal (ILLA
VITIA) en pis (MAJORA).
Pourtant, c'est en XXVII qu'il n'y a pas de personnes grièvement blessées. Même
en passant sur le risque encouru par Néron, l'immersion dans un cloaque à l'époque
pouvait se révéler dangereuse pour la santé, nous semble-t-il, nonobstant la
sélection naturelle qui faisait que ce n'était que les plus résistants qui
arrivaient à l'âge adulte. On frôle de toute façon la mort d'homme; ce qui
n'est pas le cas, tant s'en faut, en XXVII, où il n'y a que, sinon viol sous la
contrainte, du moins profanation de matrones transformées en COPAS, dans le
pire des cas. Ce propos peut actuellement sembler choquant, Politiquement
Incorrect; malgré tout, les forfaits dans les deux chapitres ne relèvent pas
du même ordre... De fait, et ceci
est révélateur de la psychologie romaine (la constatation de ce type de décalage
suffirait à lui seul à justifier l'étude des textes anciens car, en cette période
de globalisation féroce, la seule différence qui subsistera bientôt sera non
géographique mais... temporelle, vie notre confrontation avec l'antiquité), il
est plus choquant de se permettre de tels agissements en public que d'en
commettre de plus graves, certes, mais sous le manteau. Cette éthique de
l'apparence - dont le christianisme dénoncera l'hypocrisie, car le Seigneur
sonde les reins et les cœurs - se retrouve d'ailleurs dans la pratique du
sacrifice où il suffit qu'un parricide se soit nettoyé physiquement des taches
du sang paternel qui le maculent pour être purifié et que son don soit
recevable: la notion de pureté morale échappe. C'est ainsi qu'il suffit que
les prêtres fétiaux lancent leur lance symboliquement sur le sol de
l'ennemi pour que la guerre soit officiellement déclarée, et pieuse! Respecter
à la lettre les règles, la forme, suffit pour rendre un homme vertueux: son
nom doit rester vierge de toute salissure, sinon, il est... ignoble! (cf. l'importance
de la MEMORIA, avec l'ambiguïté, bien sûr, d'Erostrate! On retrouve là
l'attention du romain à la FAMA)
C'est
bien à cela, ne nous en déplaise, que nous amène un examen précis du texte.
Certes, le texte dénonce de façon virulente les turpitudes néroniennes (rien
ne nous sera d'ailleurs épargné ultérieurement, car la suite, qui ne fait pas
partie de notre commentaire, est plus vile et plus répugnante encore), elles
lui sont même propres: NATURAE; l'excuse de la jeunesse ne tient que le temps
de sa mention: l'accumulation des adverbes le souligne bien (SED TUNC
QUOQUE,
renforcé par le DUBIUM que dénie immédiatement le
NEMINI), et confirme de
fait le QUIDEM et le VELUT. Nonobstant, le
OCCULTE est au centre du débat,
souligné qu'il est par la polysyndète ET. Il sera pour cette raison repris
ensuite, par arriver à son antonyme PALAM au début de XXVII. Tout, en effet,
indique, dans le chapitre XXVI, la discrétion avec laquelle opère notre
blouson doré: c'est en catimini, sous la tunique? (la toge n'est que l'habit
d'apparat, arboré sur le forum, fort peu pratique au demeurant. Il est vrai
qu'elle met en valeur, de par ses plis, les envolées lyriques, et se prête peu
au corps à corps, d'où des mœurs plus policées - même si, à lire les
textes, les poignards soient fréquemment sous la toge) qu'il exerce ses mauvais
procédés, sous le couvert de l'obscurité: POST
CREPUSCULUM, incognito (PILLEO
AUT GALERO), apparemment en toute impunité. Ce qui laisse rêveur sur la sécurité
à Rome, la nuit.(Les convives rentrent chez eux à la lueur de torches portées
par leur esclave, pour voir le sol, alerter de leur présence les habitants des
insulae qui s'abstiendront ainsi de vidanges impromptues, nauséabondes et
salissantes, éviter les mauvaises rencontres). En l'occurrence, ce n'est pas le
cas ici. Nous ne reviendrons pas sur les forfaits opérés: violences contre les
personnes, avec tentative de meurtre, vol avec effraction, recel et vente prohibée,
tentative de viol, ni sur l'utilisation de la force publique (SINE
TRIBUNIS)
pour se protéger de la juste vindicte des agressés. Le problème est toujours
ces OCCULTE, CLAM, cette discrétion: GESTATORIA SELLA, E PARTE PROSCAENI
SUPERIORE, échappant ainsi aux regards de tous, ce qui lui garantit l'impunité.
Est-ce celle-ci (PAULATIM) qui explique la suite, assumer ses vices au grand
jour? Le rapprochement des termes MAJORA et EPULAS est paradoxal, comme plaisant,
finalement, celui entre MINISTERIA et SCORTORUM,
AMBUBAIARUM. L'image d'une
guirlande de matrones jouant les gourgandines en chaleur est amusante, blessante
peut-être pour les maris - mais est-elle avérée? - mais uniquement
moralement. Non, les actes exposés en XXVII ne sont pas du même ordre que ceux
dénoncés en XXVI; ils nous (qui est ce «nous»?) choquent moins, mais Néron
ne les cache pas, il les assume, semble les proclamer comme siens: c'est que, là
où nous verrions un progrès, le rejet enfin de l'hypocrisie et la capacité à
assumer ses actes, un romain ne perçoit que proclamation de ses propres
valeurs, affirmation de ses désirs, au détriment de celles et de ceux du
groupe social; il faut méditer leur adage: malheur à l'homme seul (pour mieux
comprendre une telle position, pensons, mutatis mutandis, aux Etats-Unis où il
est tout aussi choquant, voire plus, de harceler sa secrétaire plus ou moins
consentante que de faire une tuerie collective: cela occupe tout autant les médias.
Est-ce une dérive puritaine?)
2) La
contrefaçon d'un romain digne de ce nom, marqué du sceau de l'humour,
si le terme n'était pas anachronique.
Suétone
présente Néron comme l’envers du romain respectueux du MOS MAJORUM. Peu lui
chaut de l’AUREA MEDIOCRITAS, le juste milieu. Ainsi, il est aux antipodes du
comportement attendu, non seulement de la sagesse antique dont un des adages les
plus connus est : LAJE BIQSAS (cache ta vie, une leçon de modestie!), mais aussi
d’un IMPERATOR, d’un maître de guerre, voire du PRINCEPS; ainsi, comme il est au rebours
de ce dernier, nous procéderons de même dans cette partie de notre commentaire
et commencerons… par la fin: INDICEBAT FAMILIARIBUS CENAS alors que ce
terme s'emploie chez César avec CONCILIUM: fixer la date d'une assemblée, donc
la convoquer; et ceci est employé juste après le verbe: EXHORTOR, lui même
pertinent dans un contexte glorieux (militaire ou vertueux). En fait, puisque Néron
fonctionne au rebours du comportement attendu d'un IMPERATOR digne de ce nom,
nous pouvons procéder de même dans notre étude (NDC
-=Note Du Commentateur; voilà donc une CAPTATIO BENEVOLENTIAE envers la/le
correctrice/tuer: un clin d'œil à la méthode ainsi retournée mais le premier
point abordé vous a amené à la fin du XXVII, d'où ce point de départ, à
l'envers!); il n'est que de reprendre le vocabulaire du chapitre XXVII:
certains fleurent bon le MOS MAJORUM, l'ascétisme romain: INVALESCENTIBUS, AD
MAJORA, ERUPIT, langage ô combien héroïque... PROTRAHERAT, un bel effort vu
le préfixe. Et quels lieux pour s'évertuer: NAUMACHIA, MARTIO CAMPO, CIRCO
MAXIMO. N'oublions pas les activités: MINISTERIA. Derechef, d'autres endroits
dignes d'un meilleur destin: OSTIAM, TIBERI. INSIGNES, MATRONARUM viennent
conforter cette impression positive! Mais méditons en passant (PRAETERNAVIGARET...
la possibilité de ce clin d'œil en mise en abyme confirme la pertinence de
notre démarche) le méchant: DISPOSITAE PER LITORA ET
RIPAS: car on
attend de pied ferme l'ennemi venant de la mer. Au reste, si la guerre a lieu
TERRA MARIQUE, c'est dans le premier terme de cette expression que les romains
ont donné toute leur mesure: ce ne sont pas des marins (cf. NAUMACHIA en
premier certes, mais ensuite: MARTIO CAMPO, Puis CIRCO MAXIMO). Les AMBUBAIARUM
ne font-elles pas référence à la musique militaire dont on connaît
l'importance sur le champ de bataille? Ici, il s'agit d'une autre joute....
Car quels rapprochements contre nature! Les contrastes sont violents, l'impéritie
de Néron est violemment dénoncée: VITIIS, NULLA CURA avec une acmé au milieu
du passage: SCORTORUM, AMBUBAIARUM. A croire que tous les synonymes pour désigner
les LUPAE sont convoqués: les TABERNAE deviennent des
GANEA, les MATRONARUM des
COPAS... N’oublions pas que Caton l’Ancien félicitait chaleureusement un
jeune homme de jeter sa gourme dans un lupanar, évitant ainsi de s’attaquer
aux femmes mariées. Comme si nous avions changé de monde…
Il
n'est que de revenir au chapitre précédent: le procédé est le même, pour dénoncer
les mauvais procédés de Néron: positif=EXERCUIT. Le Romain n'a pas peur de la
violence: ADREPTO, VERBERARE REPUGNANTES, VULNERARE, même
DEMERGERE. La volupté
du pillage partagée par tout soldat: EFFRINGERE, EXPILARE, QUINTANA,
PRAEDA.
Oui, la juste récompense du vainqueur. Et non sans risque: VITAE PERICULUM. AD
NECEM CAESUS, en des situations périlleuses: SEDITIONIBUS, lui-même
SIGNIFER,
AD MANUS VENTUM, LAPIDIBUS DECERNERETUR, CONSAUCIAVIT... Mais s'il évoque en
XXVIII le repos du guerrier, à quelle bataille participe-t-il, pour quels
enjeux? Ceux d'un engagé dans la luxure. Ses mots d'ordre sont donnés d'emblée
au début de XXVI, et résumés en deux mots: ILLA VITIA. Tout s'inverse:
INIBAT
POPINAS en attaque de nuit, les plus risquées - ou en embuscade, à l'instar de
Dolon chez Homère, qui le paiera de sa vie. Comme lui, il se déguise: ADREPTO
PILLEO VEL GALERO, en bénéficiant de la protection de l'obscurité: POST
CREPUSCULUM. On tombe en fait de Charybde en Scylla, encore que ces deux termes
soient ici, de par leur référence épique, mal venus - mais c'est en cette
occurrence l'esthétique de Suétone: VICOS VAGABATUR, CLOACIS, TABERNAS,
PRAEDAE PRETIUM ABSUMERETUR, RIXIS, UXOREM ADTRECTAVERAT, NUMQUAM SINE TRIBUNIS
- quelle lâcheté! -, SEDITIONIBUS PANTOMIMORUM, en soi un beau casus
belli, digne d'un tel chef de troupe qui, au lieu de mener des hommes, se démène.
D'abord, tout ceci a eu lieu sous le manteau, POST CREPUSCULUM, ILLUD
HORAE, en
toute discrétion (relevons la subtile pique en passant, tel un picador:
SE COMMITTERE PUBLICO est le calque de l'expression estimable: POPULO, SENATUI
chez Cicéron dans le Pro Milone, 61: se représenter devant le peuple,
au Sénat; et Suétone d'enfoncer le clou: SINE TRIBUNIS - quelle honte! à
cacher bien sûr), OCCULTE 2 fois, en début et fin de
XXVI, sans que la honte soit évoquée; mais il finit par prendre ses aises:
certes, il se rend CLAM
(4 occurrences dans la Vita Néronis, comme, en toute logique, pour son
antonyme: PALAM, 5. En fait, ainsi, par ce jeu d'opposition, Suétone dénonce
l'hypocrisie de Néron, au sens étymologique du terme: il fait semblant, un
acteur; chez lui, il ne faut pas se fier aux apparences, le roi est bien nu - et
nul!) au théâtre; nonobstant, le PROSCAENI laisse mal
augurer de la suite... Et c'est le cas: LATEBRAS
OMISIT, NULLA DISSIMULANDI CURA, PALAM, IN PUBLICO, INTER MINISTERIA SCORTORUM;
en multipliant les occasions d'étaler ses turpitudes sexuelles: QUOTIENS OSTIAM
TIBERI DEFLUERET AUT BAIANUM SINUM... INSIGNES (XXVII). Car tout n'est que
faux-semblant: il s'avère n'être qu'un piètre combattant: certes, VERBERARE,
VULNERARE, DEMERGERE, en une montée de violence extrême, renforcée par l'homéotéleute
en -ARE, puis le dernier verbe sordide; après les hommes, les biens:
EFFRINGERE, EXPILARE, où la volonté d'extraire est judicieusement exprimée
par le préfixe EX, derechef, alors que chacun des verbes existe au simple. De
pillard, il passe à soldat romain (mais c'est parfois un peu la même chose!)
qui monnaie son butin, comme il était de coutume dans les camps: QUINTANA,
PARTAE PRAEDAE (la cantine chère à tout militaire); en fait, ce sont les
marchands qui s'enrichissent: ABSUMERETUR dans leurs
TABERNAS, cf. plus haut,
aussi bien sur le forum que dans le camp romain. On revient à la bagarre (le
EJUS MODI renvoie encore plus haut). Néron semble vouloir assumer les risques
pris: ADIIT PERICULUM OCULORUM ET VITAE; Suétone insiste: il frôle la mort:
PROPE AD NECEM CAESUS; en fait, le lecteur bénévole en conclut que ce sont de
bien piètres péripéties, une piteuse occasion, un risque disproportionné et
digne d'un meilleur destin. Mais cette dernière expérience est de trop:
TRIBUNIS SEQUENTIBUS PROCUL ET OCCULTE, Néron n'est pas un héros, ses armes
sont celles de la populace - quelle dérision! - LAPIDIBUS, SUBSELLIORUM
FRAGMENTIBUS. Suétone accentue encore, s'il est possible, sa charge critique:
après le matamore, le goinfre: EPULAS en début de phrase, comme
CENITABAT
ensuite, au même endroit, avec son fréquentatif renforcé par la litote NONNUMQUAM. Qui dit ripaille dit aussi tripaille, avec le plaisir de rompre un
interdit: MATRONARUM IMITANTIUM COPAS, HORTANTIUM UT
APPELLERET, aussi bien au
sens propre qu'au sens figuré. En fait, Néron réalise une inversion des
valeurs: Hors de ce contexte, l'expression INDICEBAT FAMILARIBUS fait attendre
un événement, une action importants (cf. ET); or, ceci avorte ridiculement
sur: CENAS et l'obscénité finale est la dépense somptuaire opérée par ses
FAMILIARIBUS, alors que ceux-ci devraient être la garde rapprochée de
l'IMPERATOR : ils font assaut de flagorneries et montrent à quel niveau se
situe leur générosité : ce n’est pas leur sang qu’ils prodiguent,
mais leur fortune!
Et les clins d’œil accusateurs de confirmer cet effet de miroir négatif, cette inversion des valeurs : Suétone procède par mise en cause implicite (car nous avons des accusatifs d'emblée, comme en exclamation choquée vu l'accusatif, soulignés par les asyndètes); par opposition, ces termes nous renvoient aux antonymes qui sont les qualités du VIR, qui a donné VIRTUS: PETULANTIA a pour avers positif FRUGALITAS (la modération), LIBIDO pour recto (sic!) TEMPERANTIA (ou AMOR, le palindrome de ROMA?), LUXURIA s'oppose à MODESTIA, l'AVARITIA contredit la DIGNITAS et CRUDELITAS est l'exact opposé de JUSTITIA. Nous avons en fait un portrait en creux du Romain, et Néron trahit l'idéal de Rome, il manque d'AUCTORITAS, même si on lui obéit. Au reste, il manque de toute façon d'esprit de suite, et semble un adepte de la palinodie: à la fin du chapitre XVI, parmi les décisions dignes d'estime, surtout au début du principat (cf. fin de XIX, en conclusion de sa première partie de la VIe de Néron: HAEC PARTIM NULLA REPREHENSIONE, PARTIM ETIAM NON MEDIOCRI LAUDE DIGNA IN UNUM CONTULI, «Tous ces actes, dont les uns ne méritent aucun blâme, et les autres sont mêmes dignes des grands éloges, je les ai groupés en un seul développement»), Suétone relève: PANTOMIMORUM FACTIONES CUM IPSIS SIMUL RELEGATAE: «On relégua tout à la fois les pantomimes et leurs faction». Ils sont donc revenus, et la volonté de Néron a, au mieux, cessé d'être respectée... Et s'il fait preuve de constance, c'est dans sa préférence pour ... le PROSCAENIUM: au début de XII, HOS LUDOS SPECTAVIT E PROSCAENI FASTIGIO. On le retrouve ici au même endroit. Ces reprises, même s’elles sont amusantes, relèvent de l'humour noir, malgré l'anachronisme évident, et nous ne pouvons pas croire que c'est par hasard que des échos entre les deux chapitres sont perceptibles: la nuit (POST CREPUSCULUM), une demi-journée entière, ce que souligne la redite (MEDIO/ MEDIAM), POPINAS d'un côté, EPULAS de l'autre: on change d'échelle, de lieu, et de niveau social; les uns plongés dans un cloaque, l'autre dans une piscine, CALIDIS ou NIVATIS selon ses besoins; ceux qui reviennent d'un repas (A CENA), lui qui s'y consacre: CENITABAT, à de multiples reprises; SCORTORUM versus MATRONARUM, voire AMBUBAIARUM avec leur flûte face aux HORTANTIUM avec leurs voix, et leurs génitifs communs corroborent notre remarque; EXERCUIT au départ en XXVI, ERUPIT comme une montée en puissance en XXVII, avec le déchaînement sexuel qui s'ensuit en XXVIII, en commençant par un sacrilège (à l'instar de Tarquin le Superbe!): VESTALI VIM INTULIT...
Bien
évidemment, des éléments de cette mise en coupe réglée ont déjà été évoqués
dans la première partie!
3) les
REALIA: (une obsession de Lutèce?)
Vous
n’avez rien à dire ? Mais si : Suétone nous renvoie à un grand
nombre d’éléments concrets propres à la civilisation romaine, ce qui
accentue la crédibilité accordée à ses propos ; ainsi :
PIL(L)EUS :
C’est le fameux bonnet phrygien en laine dont on coiffait les esclaves que
l’on affranchissait (d’où son succès lors de la Révolution française).
Il est arboré par les citoyens en signe de liberté, comme lors des Saturnales
où l’on s’affranchit des contraintes sociales ! On le porte aussi lors
des festins. Ici, Néron afficherait son jeu
– ou c’est plutôt le premier couvre-chef qui lui tombe sous la main, ce qui
serait révélateur de ses activités «domestiques»… Dans les deux cas,
c’est piquant !
GALERUS :
désigne une calotte en cuir servant à protéger la tête, puis une perruque,
ce qui est peut-être le cas ici : Néron sortirait ainsi déguisé pour
garantir son incognito
POPINAS : étymologiquement, un endroit où l’on boit. L’équivalent actuel est notre bistroT. cf. GANEA, plus péjoratif.
VICOS :
le quartier, dont l’espace est délimité par un chemin… vicinal.
CENA ROSARIA, MITELLITA : d’après le Daremberg et Saglio, Les ROSARIA ou ROSALIA sont un repas qui avait lieu pour honorer les morts, au mois de Mai. La rose est en fait un symbole efficace de la fragilité et du peu de durée de la vie (cf. Ronsard ! Ce n'est que plus tard que les horticulteurs ont réussi à produire des roses non éphémères), et ce festin avait lieu après décoration des tombes avec ces fleurs… Est-ce ici le cas ou plutôt un repas où les commensaux étaient couronnés de roses, alors que, lors de la CENA MITELLITA, leurs cheveux auraient été tressés de rubans de soie… (si j’ai bien compris une note en anglais, ne le pratiquant que grâce aux VO…). Hatier traduit par : diadèmes, sans se poser de questions.... Fréquemment, les gens portent des couronnes lors des banquets…
CLOACIS :
le premier égout romain, la CLOACA MAXIMA, dont la voûte superbe donnant sur
le Tibre a, pendant longtemps, été attribuée aux Tarquins, est en fait dû à
Agrippa, au temps d’Auguste. Les 3 grands égouts de Rome étaient couverts,
ce qui n’était pas toujours le cas des branches secondaires, assez peu
nombreuses au demeurant. Donc, la circulation des eaux de pluie et des
immondices se faisait dans la rue même, le long d’un caniveau central. Les
latrines publiques se trouvaient dans les Thermes et auprès des places. Les
maisons particulières, particulièrement les INSULAE, pratiquaient l’évacuation
aussi par les… fenêtres… Néron n’a donc que l’embarras du choix !
(ce qui précède est tiré de la
Civilisation romaine, Grimal)
TABERNAE :
ce terme générique désigne une boutique, par exemple sur le devant des DOMUS
qui donne sur la rue, ou le rez-de-chaussée des INSULAE. Sur le FORUM, les
basiques sont bordées de boutiques, fréquemment occupées par les
changeurs/banquiers… cf. le CLIVUS ARGENTARIUS (plus petit qu’un VICUS !).
Parfois en enfilade ou groupées comme dans les souks, elles étaient protégées
le soir par des panneaux de bois et fermées (d'où le EFFRINGERE). La sécurité
était assurée par les vigiles…
QUINTANA :
la cantine. La dépense pour les écoliers, l’économat pour l’armée de
l’air, à en croire un de ses colonels à la retraite (un de mes
beaux-frères), la cambuse pour les marins ! Elle
était tenue dans les camps (qui avaient aussi leur TABERNAE !) par les
vivandiers (marchands) qui suivaient les armées et leurs pillages… C’est
cet aspect assez sordide de la vie militaire romaine, par delà ses exploits héroïques
affichés, qui remonte ici…
LATICLAVIO :
la bordure laticlave (large, par rapport à l’angusticlave) était réservée
à la toge des membres de l’ordre sénatorial, donc non seulement les sénateurs
eux-mêmes, mais aussi des chevaliers de l’ordre sénatorial ; ici,
d’après les érudits, il s’agit de JULIUS MONTANUS. Il semblerait que la défense
de l’honneur de sa femme lui coutât ensuite la vie…
TRIBUNUS :
6 tribuns MILITUM par légion (au départ au nombre de 4) ; ici, il
s’agit sans doute d’officiers de la garde prétorienne, chargée de la sécurité
de l’IMPERATOR à Rome, et qui ont fini par faire et défaire les empereurs…
SELLA
GESTATORIA, soit l’une, incognito : il suffit de dérouler le voile à la
verticale, soit l’autre : moins discrète, plus confortable…
THEATRUM :
celui de Marcellus, de Pompée… ?
PARTE
PROSCAENI SUPERIORE : même si l’encyclopédie wikipédia n’est pas
totalement sûre… les photos ne trompent pas, et le fléchage est juste.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Architecture_du_th%C3%A9%C3%A2tre_romain#Sc.C3.A8ne
Néron étant un VIP (sic !), il a certainement ses entrées ; aussi peut-il se trouver à un endroit d’où il surplombe les spectateurs. Je l’imagine en appui sur une balustrade au fond du PROSCAENIUM, en hauteur dans le FRONS SCENAE – n’y a-t-il pas des escaliers – même en bois – par derrière ? En accès discret ? (je pense au verso des Iwans dans les mosquées de ce type en Iran, voire aux statues chryséléphantines)
SIGNIFER :
Le terme militaire est virulent ici !
SUBSELLIUM :
autre terme ambigu, mais ravageur : il s’agit certes de bancs de théâtre
mis en miettes pour servir de projectiles, mais ce terme est usité aussi au
tribunal ; le fait qu’un préteur en soit blessé est d’une ironie…
sanglante !
PRAETOR :
au premier rang, dû au sien ! Et premier servi…
EPULAS :
au départ, l’EPULUM est un terme de rituel désignant un repas de sacrifice,
un festin d’ordre religieux, d’après Ernout, Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Suétone
utilise-t-il ceci en toute connaissance de cause ? Encore une pique ?
NAUMACHIA,
creusée sur l’ordre d’Auguste, CAMPO MARTIO, CIRCO MAXIMO, trois endroits
bien connus, lieu de rassemblement et de rencontre pour le peuple, donc lieu de
monstrance… PRAECLUSA : accord du PPP avec le nom le plus proche ?
De toute façon, on n’imagine pas Néron sans protection rapprochée.
BAIANUS :
ville de villégiature de la NOBILITAS, comme POMPEI, en Campanie (à 200 kms de
Rome, vers le Sud, plaine côtière au microclimat agréable), avec des eaux
thermales, et pour cause…
FAMILIARIS :
le SERVUS renvoie à la condition juridique de l’esclave. FAMULUS est le
serviteur vivant dans la maison, la FAMILIA désigne au départ l’ensemble des
esclaves et des serviteurs vivant sous un même toit, par opposition à la GENS;
FAMILIARIS correspond ici au premier cercle de nos hommes politiques…
Ainsi, sous des dehors de prime abord amènes, Suétone s'avère un redoutable satiriste... si sait s'appuyer sur le réel... (NDE: ce, pour... conclure?)