Le tout: Hubert Steiner

Merci, Sénèque: ce n'est que maintenant, vu mes tribulations, que je perçois, IN VIVO, l'a-propos de ta philosophie.

texte traduction universitaire  traduction par groupe de mots commentaires

texte

SENECA LUCILIO SUO SALUTEM 
(1) Intellego, Lucili, non emendari me tantum sed transfigurari; nec hoc promitto jam aut spero, nihil in me superesse quod mutandum sit. Quidni multa habeam quae debeant colligi, quae extenuari, quae attolli? Et hoc ipsum argumentum est in melius translati animi, quod vitia sua quae adhuc ignorabat videt; quibusdam aegris gratulatio fit cum ipsi aegros se esse senserunt. (2) Cuperem itaque tecum communicare tam subitam mutationem mei; tunc amicitiae nostrae certiorem fiduciam habere coepissem, illius verae quam non spes, non timor, non utilitatis suae cura divellit, illius cum qua homines moriuntur, pro qua moriuntur. (3) Multos tibi dabo qui non amico sed amicitia caruerint: hoc non potest accidere cum animos in societatem honesta cupiendi par voluntas trahit. Quidni non possit? Sciunt enim ipsos omnia habere communia, et quidem magis adversa. 
(4) Concipere animo non potes quantum momenti afferri mihi singulos dies videam. «Mitte» inquis «et nobis ista quae tam efficacia expertus es.» Ego vero omnia in te cupio transfundere, et in hoc aliquid gaudeo discere, ut doceam; nec me ulla res delectabit, licet sit eximia et salutaris, quam mihi uni sciturus sum. Si cum hac exceptione detur sapientia, ut illam inclusam teneam nec enuntiem, rejiciam: nullius boni sine socio jucunda possessio est. (5) Mittam itaque ipsos tibi libros, et ne multum operae impendas dum passim profutura sectaris, imponam notas, ut ad ipsa protinus quae probo et miror accedas. Plus tamen tibi et viva vox et convictus quam oratio proderit; in rem praesentem venias oportet, primum quia homines amplius oculis quam auribus credunt, deinde quia longum iter est per praecepta, breve et efficax per exempla. (6) Zenonem Cleanthes non expressisset, si tantummodo audisset: vitae eius interfuit, secreta perspexit, observavit illum, an ex formula sua viveret. Platon et Aristoteles et omnis in diversum itura sapientium turba plus ex moribus quam ex verbis Socratis traxit; Metrodorum et Hermarchum et Polyaenum magnos viros non schola Epicuri sed contubernium fecit. Nec in hoc te accerso tantum, ut proficias, sed ut prosis; plurimum enim alter alteri conferemus. 
(7) Interim quoniam diurnam tibi mercedulam debeo, quid me hodie apud Hecatonem delectaverit dicam. «Quaeris» inquit «quid profecerim? amicus esse mihi coepi.» Multum profecit: numquam erit solus. Scito esse hunc amicum omnibus. Vale.

traduction universitaire

Je sens, Lucilius, non seulement que je m’amende, mais que je me transforme. Je n’ose garantir ni espérer que je n’ai plus rien à changer en moi. Qui suis-je pour qu’il n’y reste, plus nombre de penchants à contenir, à affaiblir, à fortifier ? c’est même une preuve de son heureuse métamorphose que notre âme découvre en soi des défauts qu’elle ne se savait point encore. Il est des malades que l’on félicite de bien connaître leur mal. Que je voudrais faire passer en toi le changement subit que j’éprouve ! Alors je commencerais à prendre une confiance plus ferme en notre amitié, cette amitié vraie, que ni espoir, ni crainte, ni vue d’intérêt privé ne peuvent rompre, cette amitié qui ne meurt qu’avec l’homme et pour laquelle l’homme sait mourir. Je te citerais bien des gens chez qui les amis n’ont point manqué, mais bien l’amitié. Pareille chose ne peut arriver aux âmes qu’associe la passion de l’honnête et qu’un même vouloir entraîne. Comment n’en serait-il pas ainsi ? Elles savent qu’entre elles tout est commun, les malheurs plus que tout le reste. Tu ne peux mesurer en idée ce que chaque jour m’apporte de progrès visibles pour moi.
Tu vas me dire de t’envoyer aussi cette recette dont l’épreuve m’a été si efficace. Oui vraiment, j’aspire à verser mon trésor tout entier dans ton âme ; et si je me réjouis d’apprendre, c’est pour enseigner ; et nulle découverte ne me charmerait, quelque précieuse et salutaire qu’elle fût, si je devais la garder pour moi seul. Que la sagesse me soit donnée à condition de la renfermer en moi et de ne pas révéler ses oracles, je la refuserais. Toute jouissance qui n’est point partagée perd sa douceur. Je t’enverrai donc les livres mêmes ; et pour que tu n’aies pas trop de peine à y chercher çà et là ce qui doit te servir j’y ferai des remarques qui te mèneront incontinent aux endroits que j’approuve et que j’admire : Mais nous parler de vive voix et vivre ensemble te profitera plus qu’un discours écrit. Viens voir par toi-même, il le faut d’abord parce qu’on en croit bien plus ses yeux que ses oreilles ; ensuite la voie du précepte est longue, celle de l’exemple courte et efficace. Cléanthe n’eût pas si bien reproduit Zénon, s’il n’eût fait que l’entendre. Il fut le témoin de sa vie, il en pénétra les secrets détails, il observa si sa morale servait de règle à sa conduite. Platon, Aristote et tous ces chefs futurs de sectes opposées recueillirent plus de fruit des moeurs de Socrate que de ses discours.
Métrodore, Hermachus et Polyænos sortirent grands hommes moins de l’école d’Épicure que de son intimité. Mais si je te presse de venir, ce n’est pas pour tes progrès seuls, c’est aussi pour les miens : le profit sera grand et réciproque entre nous.
En attendant, comme je te dois mon petit tribut quotidien, voici ce qui m’a aujourd’hui charmé dans Hécaton : « Tu demandes quels progrès j’ai faits ? Je commence à être l’ami de moi-même. » C’est un grand pas : Hécaton ne sera plus seul. Un tel homme, sois-en sûr, est l’ami, de tous les hommes.

traduction par groupe de mots

SENECA LUCILIO SUO SALUTEM (DAT)Sénèque (donne son salut à) salue son +cher+ Lucilius

1 - INTELLEGO, LUCILI, ME NON TANTUM EMENDARI Je comprends, mon cher Lucilius, que je me suis non seulement corrigé SED TRANSFIGURARI mais transformé. NEC PROMITTO JAM Mais je ne promets pas dès maintenant AUT SPERO HOC ou je n'espère pas (cela= HOC sert de prolepse à l'infinitif qui suit) SUPERESSE IN ME qu'il ne subsiste en moi NIHIL QUOD SIT MUTANDUM rien qui ne doive être changé. QUIDNI HABEAM MULTA Pourquoi n'aurais-je pas de beaucoup de tendances (ici neutre pl. de sens positif et négatif, vu la structure verbale ternaire ultérieure!) QUAE DEBEANT COLLIGI qui devraient (ou tels qu'elles doivent?) être réunies, QUAE EXTENUARI, (qui devraient être) atténuées, QUAE ADTOLLI? poussées? (nous retrouvons là l'idée que le philosophe n'est pas un être désincarné, mais un vivant sur la voie du perfectionnement, une âme en marche: UT TE MELIOREM COTIDIE FACIAS disait, sans illusion idéaliste mais avec un optimisme tangible, le début de la lettre 5). ET ARGUMENTUM IPSUM ANIMI TRANSLATI IN MELIUS Aussi la preuve (en elle-même) indubitable (d'une âme transformée en mieux) du perfectionnement d'une âme EST HOC QUOD VIDET est ce fait qu'elle voit QUAE IGNORABAT ADHUC ce qu'elle ignorait jusqu'à maintenant. GRATULATIO FIT QUIBUSDAM AEGRIS (Le compliment est fait à) On complimente certains malades CUM IPSI SENSERUNT lorsqu'eux-mêmes se sont rendus compte SE ESSE AEGROS qu'ils étaient malades.

2 - ITAQUE CUPEREM COMMUNICARE CUM TE C'est pourquoi je voudrais partager avec toi MUTATIONEM TAM SUBITAM MEI mon changement si soudain (oserait-on le mot conversion, s'il ne fleurait pas le christianisme, cf. la tonalité religieuse du début de la lettre 4): COEPISSEM TUNC HABERE je commencerais alors à avoir FIDUCIAM CERTIOREM NOSTRAE AMICITICIAE une confiance plus assurée en notre amitié, ILLIUS VERAE de (celle) la véritable +amitié+ QUAM NON SPES NON TIMOR que ni l'espérance, ni la crainte, NON CURA SUAE UTILITATIS DEVELLIT ni le souci de son propre intérêt n'attaquent (en latin, l'accord a lieu avec le lus rapproché), ILLIUS CUM QUA HOMINES MORIUNTUR, de celle avec laquelle (les hommes) on meurt, PRO QUA MORIUNTUR, pour laquelle on meurt.

3 - TIBI DABO MULTOS je t'en (donnerai) citerai beaucoup QUI CARUERUNT NON AMICO qui ont manqué non d'un ami, SED AMICITIA mais d'amitié. HOC NON POTEST ACCIDERE Ceci ne peut pas arriver CUM PAR VOLUNTAS CUPIENDI HONESTA lorsqu'une égale volonté de désirer ce qui convient à l'honnête homme (au sens du XVIIè, bien sûr) TRAHIT ANIMOS IN SOCIETATEM +en+traîne les âmes (en association) pour qu'elle s'associent. QUIDNI POSSIT Pourquoi ceci serait-il possible? ENIM SCIUNT IPSOS HABERE C'est qu'ils savent qu'ils ont OMNIA COMMUNIA tout en commun, ET QUIDEM MAGIS ADVERSA et sans conteste principalement l'adversité. NON POTES CONCIPERE ANIMO Tu ne peux concevoir (dans ton âme - intellectuellement) QUANTUM MOMENTI VIDEAM (interrogative indirecte difficile à garder en fr. vu l'infinitive. Lâchement, nous passons par une incise) combien de mouvement/quelle amélioration, je le vois, SINGULOS DIES AFFERRE MIHI chaque jour occasionne en moi.

4 - MITTE NOBIS ET ISTA, INQUIS Envoie-nous aussi ce +dont tu viens de parler et+ QUAE ES EXPERTUS TAM EFFICACIA (que tu as essayé si efficace) dont tu as (toi-même si le ET, comme le disent chez Hatier Mmes Flobert et Zorlu, porte en fait sur EXPERTUS) éprouvé l'efficacité. EGO VERO CUPIO Moi-même, à la vérité, je désire TRANSFUNDERE OMNIA IN TE transvaser tout (ce que je possède) en toi ET GAUDEO DISCERE ALIQUID et je me réjouis d'apprendre quelque chose IN HOC UT DOCEAM (en vue de cela, à savoir que je l'enseigne) pour l'enseigner; NEC ULLA RES ME DELECTABIT Au reste, rien ne me charmera, LICET SIT EXIMIA (même s'il est) si extraordinaire ET SALUTARIS et salutaire +pour moi+ soit-il, QUAM SCITURUS SUM MIHI UNI que je saurai pour moi seul. SI SAPIENTIA DETUR Si la sagesse +m'+était donnée CUM HAC EXCEPTATIONE UT avec cette exception (à savoir) que TENEAM ILLAM INCLUSAM je tienne celle-ci enfermée NEC ENUNTIAM et que je ne l'annonce pas ailleurs, REJICIAM je la rejetterais: POSSESSIO NULLIUS BONI la possession d'aucun bien EST JUCUNDA SINE SOCIO n'est agréable sans (allié/partageur) partage.

5 - ITAQUE TIBI MITTAM LIBROS IPSOS C'est pourquoi je t'enverrai les livres eux-mêmes, ET NE INPENDAS et pour que tu ne dépenses pas MULTUM OPERAE beaucoup de travail DUM SECTARIS PASSIM PROFUTURA pendant que tu poursuis en tout sens ce qui te sera utile, INPONAM NOTAS je placerai des marques UT ACCEDAS PROTINUS AD IPSA pour que tu arrives directement à cela même QUAE PROBO ET MIROR que j'approuve et admire. TAMEN ET VIVA VOX Néanmoins, un rapport de vive-voix, ET CONVICTUS (ET... ET: syndèse) TIBI PRODERIT une vie en commun te sera plus utile QUAM ORATIO qu'un exposé oral: OPORTET VENIAS IN REM PRAESENTEM il faut que tu viennes sur les lieux (ici le NUNC rejoint le HIC), PRIMUM QUIA HOMINES CREDUNT AMPLIUS d'abord parce que les hommes accordent plus de créance OCULIS QUAM AURIBUS à leurs yeux qu'à leurs oreilles, DEINDE QUIA ITER PER PRAECEPTA ensuite parce que le chemin par les préceptes EST LONGUM est long, PER EXEMPLA BREVE ET EFFICAX +celui+ par les exemples, court et pertinent.

6 - CLEANTHES NON EXPRESSISSET ZENONEM Cléanthe n'aurait pas réincarné (au sens non bouddhiste du terme!) Zénon SI TANTUMMODO AUDISSET s'il (l'avait seulement écouté) s'était contenté de l'écouter: INTERFUIT VITAE EJUS il participa à la vie de ce dernier, PERSPEXIT SECRETA il en a pénétré les secrets, ILLUM (sens emphatique?) OBSERVAVIT il l'a observé de près AN VIVERET EX FORMULA SUA pour voir s'il vivait (d'après) en suivant la doctrine qu'il avait lui-même formulée. PLATON ET ARISTOTELES Platon, Aristote, ET OMNIS TURBA et toute la foule SAPIENTIUM ITURA IN DIVERSUM des sages qui devait (aller en des directions opposées) se séparer TRAHIT PLUS tire plus EX MORIBUS SOCRATIS des moeurs de Socrate QUAM EX VERBIS que de ses paroles; NON SCHOLA EPICURI +Ce+ n'+est+ pas l'école d'Epicure +qui+ a fait METRODORUM ET HEMARCHUM ET POLYAENUM de Métrodore, d'Hémarque et de Polyénus MAGNOS VIROS de grands hommes, SED CONTUBERNIUM mais le fait de vivre ensemble (en camarades de chambrée). NEC TE ACCERSO Au reste, je ne te fais pas venir TANTUM IN HOC seulement dans ce but UT PROFICIAS que tu (en profites) progresses, SED UT PROSIS mais pour que tu (me sois utile) me fasses progresser : ENIM ALTER CONFEREMUS en effet, chacun de nous apportera (on ne peut garder, hélas, cette 1ère personne du pl., qui évoque pourtant bien la communauté ainsi instaurée) ALTERI PLURIMUM à l'autre le maximum (sic!).

7 - INTERIM QUONIAM TIBI DEBEO En cette attente, puisque je te dois MERCEDULAM (dim. de MERCES, le salaire) DIURNAM ta piécette journalière (argent de poche?), DICAM QUID ME DELECTAVERIT je vais +te+ dire ce qui m'a charmé HODIE APUD HECATONEM aujourd'hui chez Hécaton: QUAERIS, INQUIT, QUID PROFECERIM Tu demandes, dit-il, en quoi j'ai progressé? COEPI ESSE AMICUS MIHI J'ai commencé à être ami de moi-même. PROFECIT MULTUM Il a progressé beaucoup: ERIT NUMQUAM SOLUS Il ne sera jamais seul. SCITO HUNC AMICUM ESSE OMNIBUS Sache que cet (avec HUNC marquant la proximité personnelle!) ami (appartient à tous) est accessible à chacun. («aime-toi toi-même» après le «connais-toi toi-même» cher à notre delphique Socrate?). VALE. Salut.

commentaire

un texte psychagogique travaillé au bénéfice du stoïcisme au détriment de l'épicurisme, et qui sait se faire le chantre de l'amitié... et convertir...

1) le maître semble prêcher par l'exemple, car tout repose sur le partage des mêmes valeurs ou références, même si elles sont implicites : Il commence par lui-même: ME; notre réaction est alors de penser qu'il ne manque pas d'orgueil, de se targuer ainsi, en soulignant la transformation: NON TANTEUM, SED TRANSFIGURARI; en fait, ceci s'opère sans outrecuidance: NEC... JAM... NIHIL. Ceci est conforté par le QUIDNI, et l'allusif MULTA, illustré par l'anaphore QUAE, avec un renforcement évident du sens, du plus négatif, mais le moins contraignant, à ce qui demande le plus de force d'âme, ce qui n'a rien de surprenant chez un stoïcien: COLLIGI, EXTENUARI, ADTOLLI. Et il termine par une leçon de modestie, en se cachant derrière une généralité: AEGROS; en effet, s'il s'évoque lui-même à mots couverts (EXEMPLA, fin de 5), ici, il semble mettre en avant un exemple concret: SENSERUNT. Il désire oeuvrer: TECUM COMMUNICARE, ce pour atteindre un résultat tangible: d'abord CERTIOREM, puis le positif: VERAE, lourd de sous-entendus du genre: suivez mon regard, ce terme se suffisant si bien à lui-même, étant si plein, si stable qu'il ne peut être explicité que par des effets contraires, en une énumération ternaire soulignée par l'anaphore de NON et le nombre de syllabes en multiplication... Il poursuit sur la même ligne, avec NON, CARUERUNT, pour mieux mettre au pinacle la véritable AMICITIA: il y a d'un côté les MULTOS, assez méprisables (pour le mépris envers le groupe, cf. 7), de l'autre côté, les ANIMOS, avec le laudatif PAR VOLUNTAS CUPIENDI HONESTA où le gérondif marque bien la démarche de Sénèque: rendre les choses concrètes, palpables. HONESTA est trop général? Mais qu'en aurait-il été d'un HONESTATIS, ici plus classique - car Sénèque n'a pas tourné par CUPIENDORUM HONESTORUM, comme attendu! OMNIA COMMUNIA reprend la même tournure (déjà rencontrée en 1: MULTA), avec le même effet. idem pour le ISTA... EFFICACIA. Le VIDEAM prouve l'évidence (fin de 3), cf. VIDET en 1; et la rend perceptible, ainsi qu'EXPERTUS ES: il ne peut être question, face à une démarche aussi essentielle, de se payer de mots: c'est bien pour cela que Lucilius est censé prendre la parole, pour justement réclamer du concret! DISCERE lui aussi n'est pas dans l'absolu: ALIQUID. Comme le ULLA RES, ou le NULLIUS BONI, voire SOCIUS, concret que nous avons dû traduire par l'équivalent abstrait.

Il nous amène en fait à partager son point de vue par un ensemble bien enlevé qui repose sur un choix judicieux des termes utilisés:

* frappé par les verbes: E-MENDARI, TRANS-FIGURARI, PRO-MITTO (même s'il est nié, car le AUT SPERO vient nuancer, comme le NIHIL ultérieur), MUTANDUM, même les efforts à faire: COL-LIGIT, EX-TENUARI, AD-TOLLI, TRANS-LATI (malgré son passif;: c'est bien le résultat présent d'une action, même passée) ce que souligne d'ailleurs le c. de lieu en QUO: IN MELIUS, DI-VELLIT, TRAHIT IN SOCIETATEM, AF-FERRE, MITTE, CUPIO, TRANS-FUNDERE IN TE; cette impression de pensée vivante est confortée par ex. le IN HOC de mouvement, le jeu entre IN-LUSAM et E-NUNTIEM en 4, GAUDEO IN HOC en mouvement malgré le verbe de sentiment, DOCEAM (ô combien actif!), RE-JICIAM, MITTAM derechef (5), IN-PONAM, AC-CEDAS, OPORTET VENIAS avec subjonctif d'ordre en construction directe, la série des parfaits: INTER-FUIT, PER-SPEXIT, OB-SERVAVIT, impliquant bien l'activité d'une conscience vivante, impression confirmée par le VIVERET. Mouvement aussi que le ITURA IN DIVERSUM, comme le très fort TRAXIT EX, FECIT avec son attribut du COD MAGNOS VIROS. ARCESSO (ou ACCERSO!) induit lui aussi le déplacement - qui permettra le changement de point de vue. Ne pas chercher tant à se changer soi-même qu'à changer déjà son propre regard sur soi-même, comme l'indique la fin de la lettre)

* corroboré par les substantifs: GRATULATIO (1) avec son suffixe d'action, très évocateur, MOMENTI (3); POSSESSIO (4)

* conforté par les adjectifs : EFFICACIA 2 fois (4, 5)

* confirmé par les adverbes marquant l'aboutissement ou l'immédiateté: temporels: ADHUC en 1, spatio-temporel: PROTINUS

Y participent les effets d'harmonie: HOC NON POTEST (3), EGO VERO OMNIA avec le hiatus -O O-, comme pour montrer que Sénèque ne recule devant rien (4) ainsi que des séquences bien frappées: HOC renvoie à ce qui précède, CUM lace la temporelle; le PAR VOLUNTAS achève l'affirmation, présentée plus fortement par la tournure négative; la force de conviction perdure sur la reprise de POTEST par POSSIT, avec de nouveau une tournure pseudo négative, en double négation: NI... NON.

Les allitérations (S, labiales: M, P, B) liées à des harmonies ne sont pas de reste, en 5: hoMineS aMPlUiS ocUliS qU(mais: aM?) aUriBUS. de même les difficultés qui s'évoquent par les occlusives, souvent sourdes: DeiNDe Quia loNG(uM) iTer esT Per PraecePTa, avec les [e], comme la série suivante en E: brEvE Et Efficax pEr ExEmpla. C'est selon ce même principe stylistique qu'il plaide pour sa chapelle avec une légère paronomase: VIVa VoX, et la reprise conVICtuS en 5. Le tout, sans flagornerie ni orgueil: malgré le CONCIPERE ANIMO NON POTES (en fin de 3) qui est un clin d'oeil à son destinataire

Car tout cela est mâtiné par le sens de l'humour toujours affleurant chez Sénèque, ce qui n'entre pas pour peu dans la complicité instaurée avec son destinataire: 3 MULTOS TIBI DABO avec ses dentales et labiales fonctionne finalement comme une réticence plaisante: il y en a tant qu'il suffit de les évoquer comme en passant pour que l'allusion soit pertinente. Il en est de même avec le QUANTUM en fin de 3: l'exemple pourrait être précis (cf. le début de notre approche), mais échapperait à la compréhension de son destinataire! De même, la plaisanterie subtile d'ORATIO en 5: Sénèque écrit sur le ton de la conversation. Il n'en reste pas moins que cela présente parfois les affèteries de l'exposé oral, en fait théorique. Le mieux n'est-il pas un contact direct: VIVA VOX, sans apprêt ni distance: CON-VICTUS (sans éliminer son sens concret de banquet, ici plutôt agapes, au sens de repas entre frères spirituels), même si cette dernière est déniée par l'artifice épistolaire qui prétend justement réduite au max. l'écart géographique et temporel avec le destinataire. Au reste, n'oublions jamais que la lecture mentale n'existe pas pour un romain avant le Vè siècle après le Christ: c'est saint Augustin qui, dans ses Confessions, nous fait part de sa surprise quand, à son arrivée d'Hippone à Rome, il constate que les élèves lisent... sans lire à haute voix, en lecture mentale. ORATIO renvoie donc non seulement au ton de cette missive mais aussi à la lecture physique qu'en fait Lucilius. Notons que ceci ne va pas sans participer à l'entreprise de conversion (cf. notre 4)... par la conversation, comme le reprend AURIBUS plus loin. Encore un CUM GRANO SALIS? EXEMPLA clôt le 5, avec un ITER BREVE ET EFFICAX qui montre qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, et qu'il y a bien adéquation entre le support et le sujet: la lettre est brève. Sénèque semble rejeter les PRAECEPTA? Immédiatement, viennent en kyrielle, en début de phrase, avec inversion de la place canonique attendue: ZENONEM (cod, mais c'est le fondateur du stoïcisme, à tout seigneur, tout honneur) CLEANTHES (sujet), puis une longue théorie de philosophes, pour montrer justement que ce sont des exemples encore vivants (EX MORIBUS, CONTUBERNIUM) et non des purs esprits perdus dans leurs théories absconses étrangères aux mortels et sans lien avec notre vie (EX VERBIS, NON SCHOLA)

2) une critique plus ou moins voilée de l'épicurisme alliée à une promotion efficace du stoïcisme nous semble aussi perceptible dans cette lettre et nous y sommes sensible (je charge volontairement ma barque ici, ce pour vous rappeler, candidat(e), de ne pas oublier de montrer aussi que le texte vit pour vous, qu'il a un impact (je n'ose écrire: qu'il vous interpelle au niveau de ton vécu quotidien!), et qu'il est donc de bon aloi de tenter de faire partager tout ceci au correcteur, sans se lancer bien sûr dans des effusions artificielles empâtées de promiscuité: ménagez la pudeur morale de celle/celui qui vous juge!) D'emblée, le verbe qui éclate au début est pertinent: INTELLEGO: c'est la RATIO qui compte, comme le confirme le SENSERUNT de fin de 1, un faux ami. de fait, dès le départ, la notion de travail sur soi, cet ANIMI TRANSLATI IN MELIUS est prônée et s'avère étrangère à l'épicurisme: certes, par ex. chez Lucrèce avec son image du miel qui sert à adoucir la rigueur de la potion philosophique à avaler, l'idée d'effort pour accéder au Souverain Bien - en fait, l'absence d'angoisse et de douleur - concerne aussi le disciple d'Epicure: n'est pas ascète qui veut! Chez le stoïcien comme chez l'épicurien, il y a toute une propédeutique à établir, mais dans un cas, il s'agit d'une pédagogie (car, pour Epicure, nos craintes sont celles d'un enfant, et Sénèque n'a pas hésité à se servir de cet argument dans sa lettre 4), alors que Zénon engage plutôt une psychagogie (conduire l'âme), ce qui correspond exactement à l'ARGUMENTUM évoqué supra! La notion d'effort est illustrée par MUTANDUM et l'accumulation des 3 infinitifs passifs, comme pour mieux souligner implicitement la responsabilité du complément d'agent: soi-même; ce que chacun doit à l'égard de soi était évoqué par la première personne, celle-ci revient d'abord par DEBEAM puis, paradoxalement, mais de façon très efficace, par son ellipse. Après la plaisanterie du CUPEREM (un clin d'oeil à l'épicurisme ainsi qu'à son destinataire, avec l'avantage que ceci rend Sénèque très proche (cf. notre approche 1)), nous retrouvons MUTARE sous forme nominale, avec un suffixe d'action: MUTA-TION-EM: il s'agit pour notre stoïcien d'amener à ses vues, ou plutôt à lui, car cette démarche est passée ici d'intellectuelle à affective: AMICITIAE NOSTRAE, un épicurien, avec une approche digne du renard de saint-Exupéry: CERTIOREM FIDUCIAM (avec l'apparition d'une notion essentielle à Rome: la FIDES, sur laquelle repose le rapport entre CLIENS et PATRONUS, cf. FIDES PUNICA!.). Et sans avoir l'air d'y toucher, en une simple allusion, Sénèque évoque les fondements de l'amitié pour un épicurien: UTILITAS, bien gérée, cf. CURA, dont il dénonce l'égocentrisme: SUAE, avec ses deux versants, positif et négatif: SPES, TIMOR: l'énumération ternaire était plus subtile que ce qui en apparaissait de prime abord. Aussi évoque-t-il, en un contraste brutal, comme pour souligner la différence de nature entre l'amitié calculée par un épicurien et celle ressentie: CUM QUA, voulue: PRO QUA, avec son anaphore claironnante, comme pour une affirmation qui n'accepte aucun déni, par un stoïcien: MORIUNTUR. Car c'est là où l'épicurien ne peut pas suivre: pour lui, comme tout s'arrête à la mort, ces deux prépositions sont dénuées de sens, d'après Sénèque - car les stoïciens sont mieux armés que les épicuriens par rapport au problème du mal, et des moyens de lutter contre lui (Une vison prémonitoire de l'entropie?). Il a beau jeu de tourner en dérision les illusions de ceux qui, croyant s'appuyer sur des amis de nom, n'en ont eu aucun retour de fait; ainsi, l'AMICITIA, de notion abstraite qu'elle était, se concrétise sous nos yeux... et ce n'est pas un hasard si, en étudiant l'amitié, nous retrouvons notre approche 1: pour Sénèque, ce sentiment, pour reprendre la terminologie chrétienne, s'incarne - car pour Sénèque comme pour nous ANIMOS n'est pas abstrait et renvoie à une réalité - : TRAHIT ANIMOS IN SOCIETATEM, avec un acc. de mouvement bien venu. Certes, comme pour les épicuriens - ainsi, pour eux, la vie est... vivable! - tout est commun entre amis: OMMNIA EST COMMUNIA, mais c'est pour mieux asséner, par la syndèse (ET QUIDEM), la différence dont se targue le stoïcien: MAGIS: les difficultés sont affrontées ensemble. Et, comme si Sénèque pensait que la leçon - dure - suffisait, pour cette fois, à son apprenti - car ses réflexions sur l'amitié ont déjà été abordées dans sa lettre 3 - ex-épicurien, il passe à lui-même (MIHI), avec une reprise d'ANIMO qui n'est pas gratuite, puisque renvoyant à VOLUNTAS : il appâte son ami car à peine un projet est-il proposé (CONCIPERE ANIMO) qu'il est confisqué: NON POTES, pour mieux le contraindre à considérer ce qu'il vit (QUANTUM MOMENTI, SINGULOS DIES), de toute évidence: VIDEAM. Son disciple est déjà convaincu et sait que ceci ne peut être gardé pour soi, en une jouissance égoïste (suivez mon regard: l'épicurisme), avec les I soulignant l'intensité de la demande, instante (impératif, TAM, la référence à l'expérience: EXPERTUS ES). Nous retrouvons alors la solidarité stoïcienne: chacun ayant en soi une partie du feu qui est le composant de la Raison, de l'âme organisatrice du monde, quoi de plus naturel que de désirer TRANSFUNDERE OMNIA, avec derechef un clin d'oeil ironique à l'épicurisme avec: CUPIO; n'est-ce point une effusion de plaisir? GAUDEO, DELECTABIT (cf. DELECTAVERIT en polyptote en 7), plus loin: JUCUNDA (et oui! Le stoïcisme n'est pas triste!), aussi en fin de 6: PROFICIAS, en étant loin de la satisfaction des plaisirs naturels et nécessaires: il est question de partager (NEC ULLA RES... MIHI UNI) la connaissance (le SALUTARIS évoquant peut-être à mots couverts l'utilitarisme - cf. l'astucieux PROSIS en fin de 6: l'utilisateur, encore récemment épicurien, est utilisé par un stoïcien!- , dont est taxé l'épicurisme? En fait, pour un véritable épicurien, l'important est moins la vérité objective que de rechercher dans la réalité ce qui permet d'échapper à l'angoisse: c'est pour raison d'efficacité pratique qu'Epicure s'appuie sur Démocrite, et non pas parce que sa physique lui paraît indubitable; ici, nous sommes aux antipodes de cette démarche: nous avons bien l'impression d'un appel à la connaissance pure, celle qui oppose en fait la recherche fondamentale aux applications qu'on peut en faire), en un rapport dialectique enrichissant: DISCERE UT DOCEAM, où l'identité des initiales permet un retournement convaincant et enthousiasmant: en fait, tout ce passage est empreint du désir de convaincre: EGO VERO, les interpellations au destinataire (INQUIS, IN TE), puis le retour sur soi-même: ME, pour arriver à la réflexion personnelle - en action, pour reprendre le vieux classement en philosophie entre la Pensée et l'Action, vu ici l'abondance remarquable des verbes: CUPIO, TRANSFUNDERE, GAUDEO, DISCERE, DOCEAM, puis, après un nom d'action: EXCEPTIONE: DETUR, certes au passif, mais de nouveau un nom d'action: SAPIENTIA, puis derechef, des verbes: INCLUSAM, certes participe passé passif, mais résultat présent d'une action passée, TENEAM, ENUNTIEM, REJICIAM - ME ULLA RES etc., et finir sur un adage conclusif, fortement frappé aux coins de la conviction et de l'amitié, l'avers et le revers de la même pièce: NULLIUS BONI... fortement disjoint de POSSESSIO, avec les sifflantes et les voyelles fermées abondantes, ne s'ouvrant que sur le A de JUCUNDA. Nous avons parlé d'action? Comme par plaisanterie, mais aussi pour montrer que pensée et action concourent au même projet de vie, Sénèque évoque les LIBROS. On retrouve le même souci d'une gestion efficace et rentable - pour retrouver l'utilitarisme épicurien? cf. PROFUTURA, plus loin PRODERIT! - du temps, comme dans la lettre 1: NE MULTUM OPERAE IMPENDAS. Et le directeur de conscience stoïcien s'affirme, sans fausse modestie: QUAE PROBO ET MIROR, toujours cette recherche chez Sénèque de cette concordance entre la Raison et le Sentiment. Il retrouve l'aboutissement de la formation supérieure chez les romains: la rhétorique directe: VI-VA V-O-X avec son allitération évocatrice, le rapport avec ses concitoyens: CON-VI-C-TUS, comme l'indiquait déjà Cicéron dans son DE ORATORE ou dans son livre II, XXIV, 56, des Tusculanes quand il évoque le fait que les orateurs parlent TOTO CORPORE, car l'ORATIO (comme dans ses lettres: belle mise en abîme!) s'avère trop intellectuelle cf. PER PRAECEPTA, le terme OCULIS, cf. PER EXEMPLA - comme conseillé d'ailleurs dans les discours pour emporter la conviction des HOMINES!!!, promu par rapport à AURIBUS venant confirmer notre interprétation. Aussi ne sommes-nous pas surpris de voir entrer en lice Zénon, en tête, comme attendu: VITAE, VIVERET, bien au-delà des mots (AUDISSET, EX FORMULA), en fait une philosophie en mouvement, comme l'indique le terme péripatéticien qui ne renvoie pas qu'à la manière d'enseigner (mettre en signe!) Zénon. Les descendants de Socrate, fidèles à leur maître, ont pratiqué comme lui cette démarche: Socrate n'est-il pas souvent présenté comme déambulant avec ses interlocuteurs, quitte à s'asseoir (cf. Phédon)? C'est plutôt la tenue des disciples d'Epicure, dans son jardin, puisque le paradis sur terre pour un épicurien est du gazon, un arbre pour l'ombre, un cours d'eau, et la présence d'amis pour échanger. Est-ce la raison pour laquelle cette dernière philosophie est évoquée en dernier? D'où aussi la plaisanterie que nous avons déjà éventée en la relevant: NEC TANTUM PROFICIAS (cf. plus loin: PROFECERIM, PROFECIT), avec la volonté altruiste du maître, SED UT PROSIS: il y a un échange en fait de bons procédés, et chacun apporte à l'autre, comme le souligne notre auteur en un court adage concis: PLURIM(UM) (superlatif neutre singulier globalisant) puis le -MUS évoquant la communauté amicale après ALTER ALTERI où l'un renvoie à l'autre et Lycée de Versailles. Et, pour achever sa série de pirouettes qui ont aussi pour rôle de nous faire perdre nos préventions et de nous ouvrir à la philosophie stoïcienne, la lettre s'achève sur la présentation plaisante de sa citation attendue: MERCEDULAM, à côté de DEBEO: n'est-ce pas ici une allusion au devoir du stoïcien? Il s'agit aussi de se regarder sans fard, sans faux-fuyant, mais sans sévérité inutile, car il s'agit d'être humain, tout simplement: OMNIBUS, en présentant une société ouverte, par la négative, certes, car, malgré tout, malgré les phrases courtes, sèches, qui désirent emporter notre conviction, ce n'est pas simple, d'où le solennel SCITO, comme un dernier conseil! Ce dernier verbe est révélateur: le stoïcien est un débusqueur d'ignorance, fidèle à la Raison...

3) Tout en promouvant le stoïcisme au détriment de l'épicurisme, Sénèque nous donne aussi une des belles pages de la littérature latine sur ce sentiment si divers mais si fréquemment évoqué à Rome: l'amitié, (cf. Cicéron, avec son traité DE AMICITIA) ce qui l'amène naturellement à parler des relations affectives entretenues avec la connaissance: elle est destinée à être partagée, sinon elle est stérile... un mot revient dans cette lettre:

SOCIUS, qu'il soit affectif ou intellectuel: SOCIETATEM en 3, SOCIO, 4). Ne faut-il pas d'ailleurs le rapprocher, par le jeu des homophonies, de SCIUNT (3), SCITURUS (4), le champ sémantique de la connaissance, avec, comme en écho: SAPIENTIA (4), CREDUNT (5), derechef SCITO en fin de 7, cf. les synonymes: peut-être INTELLEGO, SENSERUNT (1), voire un antonyme: IGNORABAT (1)sans oublier la présence constance du préfixe de la communauté: CUM: déjà annoncé dans l'accumulation ternaire des 3 relatives en 1, avec COL-LIGI, nous le rencontrons pleinement avec TECUM COMMUNICARE en début de 2; naturellement le TE, suivi de MEI amène à NOSTRAE; nous retrouvons CUM avec QUA, COMMUNIA en 3 (cf. pour mémoire,, CON-CIPERE). Humour que le CUM d'accompagnement, pour exprimer une exception: CUM HAC EXCEPTIONE en 4; CONVICTUS est un écho à cette thématique de la communauté; le CON-TUBERNIUM en fin de 6 est concret, et le CONFEREMUS plein d'optimisme et d'enthousiasme... Il y a bien complicité: au MITTE du début de 4 répond en écho le MITTAM de début de 5, avec son ITAQUE qui montre que ISTA (démonstratif de deuxième personne) QUAE TAM (intensif) EFFICIA (avec le EX concret) EXPERTUS ES (donc prouvé car éprouvé) a pour répondant LIBROS...

C'est que le raisonnement est aux antipodes de l'utilitarisme plat; nous avons déjà évoqué l'adage du païen romain: DO UT DES, lors des sacrifices; ici, le don est gratuit. Cette notion de don est annoncée par le datif: QUIBUSDAM AEGRIS en 1, confortée par le MITTE ET NOBIS en début de 4 (cf. ALTERI en fin de 7). Il implique bien sûr possession: les SUPERESSE et le HABEAM du début, négatifs, permettent d'aborder le volet positif, par le truchement du ESSE: une fois conscience prise de ce que l'on est en son for intérieur - ce qui préfigure la fin de la lettre - l'ouverture aux autres semble s'ensuivre naturellement: HABERE, NON DIVELLIT, HABERE derechef, AFFERRE MIHI, d'où immédiatement le partage demandé par Lucilius: NOBIS. IL n'est pas question de marchander ni de calculer: OMNIA, RES, TENEAM utilisé à rebrousse-poil pour confirmer ce désir de partage: POSSESSIO est ici révélateur, ainsi que le transfert: ACCEDAS AD IPSA etc. avec le final CONFEREMUS PLURIMUM ALTER ALTERI.. D'où un effet plaisant de retournement, par insistance: DEBEO en 8.

C'est que cette notion de don a été développée antérieurement par: CUPEREM (le don est issu de la générosité, de l'altruisme, cf. plus loin: CUPIENDI HONESTA, puis CUPIO) et Tout cela ne demande qu'à se renforcer: CERTIOREM FIDUCIAM HABERE, malgré une prudente amorce: COEPISSEM, car nous débouchons sur: ILLIUS VERAE, ILLIUS en anaphore, avec son sens laudatif, amitié (AMICITIAE, repris plus loin par AMICO, AMICITIA) emphatisée par ses 3 revers, eux-mêmes avec l'anaphore NON et l'augmentation du nombre de syllabe dans cette accumulation: SPES, TIMOR, UTILITATIS SUAE CURA, puis son avers double et positif, avec les deux relatives binaires, en écho martelant, avec la seule variation de la préposition: CUM puis PRO, encore une fois le don, jusqu'à la mort: ce qu'il y a de plus négatif est ainsi retourné, cf. notre 4ème approche. PRODERIT avec son datif TIBI vient soutenir a fortiori la pertinence de notre analyse.

Mieux: c'est DISCO UT DAM. Nous retrouvons en fait la philosophie humaniste de Sénèque: non pour lui - comme actuellement, trop souvent - mais pour les autres. Et le final préfigure les effusions de Montaigne envers La Béotie, sans oublier Horace et son ALTER EGO à l'égard de Virgile, PARS DIMEDIA MEI...

4) cette lettre est précise et nous rend tangible la conversion déjà évoquée dans la lettre 4:

EMENDARI prend le EMENDATO du début. Le verbe TRANSFIGURARI est emphatisé par le NON TANTUM SED qui le met en exergue, ce TRANS qui apparaît aussi dans TRANSLATI. Mais c'est pour nuancer le propos: ceci reste à taille humaine, avec les déficiences, les manques conformes à la réalité: MULTA QUAE DEBEANT, avec l'accumulation ternaire et l'anaphore QUAE. Le progrès, indubitable, comme le souligne la syndèse ET, et l'insistance IMPSUM avec le démonstratif HOC: HOC IPSUM ARGUMENTUM, est celui de la conscience de soi: VIDET SUA VITIA. N'est-ce pas un écho du HABEMUS VITIA PUERORUM de la lettre 4? Il insiste malgré tout sur le côté inattendu, brutal de son changement: TAM SUITAM MUTATIONEM, avec le MEI, comme s'il avait du mal à se reconnaître lui-même. Et celui-ci se transforme en prosélytisme chaleureux: CUPEREM: la conversion de son destinataire rendrait leur amitié digne de ce nom, comme l'évoque le jeu des deux relatives qui ferment le deuxième paragraphe. Elle semble s'opérer d'elle-même par le truchement du texte, avec ANIMOS IN SOCIETATEM: il s'agit bien d'une communauté d'esprit, d'un partage des mêmes valeurs, à égalité:¨PAR VOLUNTAS HONESTA. Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le présent de l'indicatif évoque et conforte la réalité de cette mutation: TRAHIT par ex. certes de vérité générale, d'expérience attestée, après un définitif POTEST, qui exprime en fait sous la forme négative une idée positive en fait et dans les faits, vu la phrase négative qui précède. Le sens d'HABERE, avec le global OMNIA et le partage COMMUNIA corrobore combien cette existence est tangible. Mais le (ANIMI) SCIUNT expose en fait un espoir, certes accessible, comme nous l'avons vu, mais qui ne s'est pas encore incarné, vu la généralité du pluriel. C'est pour le réaliser que Sénèque appâte son destinataire, en le défiant par jeu: CONCIPERE ANIMO, un bien noble but suivi du brutal NON POTEST... La complicité entre les deux amis, pour ne pas dire la communion intellectuelle se marque par le service rendu, ici, l'envoi de ce que l'ami (ISTA) a essayé pour son compte (EXPERTUS ES) avec son sens perfectum, et dont il a testé l'efficacité: EFFICACIA. Et nous retrouvons notre préfixe TRANS dans TRANSFUNDERE, selon un processus qui est aussi affectif: CUPIO IN TE. Ce que souligne, par antithèse les sifflantes de la sentence gnomique en fin de 4: SINE SOCIO... POSSESSIO EST. Ce processus de conversion s'opérera aussi par l'étude d'oeuvres: LIBROS, mais sans que cela devienne un pensum imbuvable: Sénèque est là pour débroussailler le terrain (NE MULTUM OPERAE IMPENDAS) et sélectionner. Pour reprendre les Evangiles, séparer le bon grain de l'ivraie (INPONAM NOTAS), ce afin de ne pas perdre un temps (PROTIUS) qu'il faut consacrer pleinement à ce qui est utile à l'âme. Nous retrouvons la présence du maître qui soutient le néophyte de ses approbations et de son admiration (PROBO ET MIROR). Ainsi la révélation aura lieu: ACCEDAS. Ce grâce à sa présence, comme nous venons de le voir, certes intellectuelle (ORATIO, avec une mise en abyme) mais bientôt physique, avec l'allitération VIVA VOX et la syndèse: ET VOX ET CONVICTUS). Ce par souci d'efficacité: AMPLIUS OCULIS QUAM AURIBUS, corroborée par l'impact des EXEMPLA. Sénèque réussit ainsi à faire oublier: la difficulté de son entreprise de conversion (BREVE ET EFFICAX), et s'il y a des problèmes, ils sont dû non au projet lui-même mais aux contingences d'une absence: il s'agit d'une philosophie de vie, comme le prouvent les exemples canoniques: celui de Cléanthe, successeur de Zénon à la tête de l'école du portique: VITAE EJUS INTERFUIT, SECRETA PERSPEXIT, avec les deux préfixes de mouvement, celui des disciples de Socrate (qu'il s'agisse du Lycée - Aristote, ou de l'Académie - Platon): il ne s'agit pas d'opérations intellectuelles (VERBIS), mais de comportement: MORIBUS, avec cette fois-ci une préposition d'extraction, EX: ceci indique l'impulsion de départ, du point d'appui qui permet de s'élever en dehors (relevons tout de même que l'insistance du TRAXIT semble taxer de dérive phraséologique ou idéologique ces deux socratiques, a fortiori tous ceux qui font partie de la : OMNIS IN DIVERSUM ITURA SAPIENTUM TURBA, avec sans doute en ligne de mire implicite, les cyniques, les seuls à ne pas figurer dans cette liste canonique; notons cette insistance de Sénèque sur l'importance du chemin, du mouvement: IN + acc, et le participe futur), celui de l'école du Jardin - et ainsi aucune des écoles philosophiques essentielles du temps n'est oubliée: l'important est bien la communauté de vie: CONTUBERNIUM, avec son préfixe, un acte profitable concrètement: PRO-FICIA, PRO-SIS, avec derechef CON-FEREMUS. La petite leçon (MERCEDULAM) pratique intervient grâce à la cheville: PRO-FECERIM, en polyptote: PROFECIT. Sénèque s'amuse même à retourner de l'intérieur la sociabilité romaine: malheur à l'homme seul, dit la Bible: elle n'est pas originale à Rome sur ce point. Comme aux USA, il faut être PC et savoir accueillir autrui: en fait, Sénèque affirme hautement que le philosophe n'est jamais seul en semblant reformuler le précepte delphico-socratique (connais-toi toi-même) en aime-toi toi-même. La vie est ainsi transformée, avec le rapprochement du SOLUS/OMNIBUS. Nous comprenons mieux ici pourquoi Sénèque nous touche encore: il vient de demander, en insistant fortement, à son ami de venir le voir, et il termine en affirmant, non sans prudence matoise, car se cachant derrière Hécaton, qu'en fait, il n'est pas seul, car ouvert à tous, donc aussi à lui-même - comme à son ami: n'oublions pas le ALTER ALERI.

                                                                                                             HS

PS


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