Le texte que nous présentons est issu de la numérisation par itinera electronica de l'édition Nisard (XIXe); cette dernière, fautive parfois, n'a pas été corrigée, volontairement, lors de sa bascule sur le net… d’où cette nouvelle édition, dûment amendée par le truchement d'une collation soigneuse sur celle de Henri Bornecque (Budé «Les Belles Lettres», 1923)

P. OVIDII NASONIS ARTIS AMATORIAE

LIBER SECUNDUS, v. 703 – 732

le texte

ses traductions

scansion

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commentaires

introduction: le texte (bac oral : dont nous allons vous lire les vers à traduire) est tiré du deuxième des trois livres qui composent L'Art d'aimer d'Ovide.

Notre auteur, né en 43 av. J.-C., est quadragénaire quand est é-dité son Traité de l'Amour (ou Manuel d'après Paul Veyne), stricto sensu, et, pour le PECUS, qu’il soit VULGUM, ou VULGUS, son Art d’Aimer, titre plus amène, transcription littérale d’Ars Amatoria ; de fait, cette appellation, vu la matière étudiée, ne manque pas d’humour : le terme Ars était utilisé pour les ouvrages techniques, à visée didactique, comme les traités de rhétorique (art de parler) ou de grammaire, donc de vrais pensa, rigoureux, stricts et… froids. Aux antipodes de cette œuvre, et particulièrement de ce passage torride, grâce aussi au brio, pour ne pas dire la verve de ses distiques élégiaques ; Publius Ovidius Naso a convié son lecteur néophyte au jeu et à la joie d’amour ; et nous en entendons, voire voyons l’accomplissement, la réalisation palpable : le disciple arrive à ses fins [les bronzés diraient : à conclure] après tous les conseils donnés dans les deux livres tant pour savoir où trouver sa maîtresse que pour faire durer le plaisir de la relation, qu’elle soit récente ou ancienne.

    Texte

    CONSCIUS ECCE DUOS ACCEPIT LECTUS AMANTES ;

         AD THALAMI CLAUSAS, MUSA, RESISTE FORES.

    SPONTE SUA SINE TE CELEBERRIMA VERBA LOQUENTUR,              

         NEC MANUS IN LECTO LAEVA JACEBIT INERS ;

    INVENIENT DIGITI QUOD AGANT IN PARTIBUS ILLIS,

         IN QUIBUS OCCULTE SPICULA TINGIT AMOR.

    FECIT IN ANDROMACHE PRIUS HOC FORTISSIMUS HECTOR,

         NEC SOLUM BELLIS UTILIS ILLE FUIT.                                                       710

    FECIT ET IN CAPTA LYRNESIDE MAGNUS ACHILLES,

         CUM PREMERET MOLLEM LASSUS AB HOSTE TORUM.

    ILLIS TE MANIBUS TANGI, BRISEI, SINEBAS,

         IMBUTAE PHRYGIA QUAE NECE SEMPER ERANT ;

    AN FUIT HOC IPSUM, QUOD TE, LASCIVA, JUVARET,              

         AD TUA VICTRICES MEMBRA VENIRE MANUS ?

    CREDE MIHI, NON EST VENERIS PROPERANDA VOLUPTAS,

         SED SENSIM TARDA PROLICIENDA MORA.

    CUM LOCA REPPERERIS, QUAE TANGI FEMINA GAUDET,

         NON OBSTET, TANGAS QUO MINUS ILLA, PUDOR.                                    720

    ASPICIES OCULOS TREMULO FULGORE MICANTES,

         UT SOL A LIQUIDA SAEPE REFULGET AQUA.

    ACCEDENT QUESTUS, ACCEDET AMABILE MURMUR

         ET DULCES GEMITUS APTAQUE VERBA JOCO.

    SED NEQUE TU DOMINAM VELIS MAJORIBUS USUS             

         DESINE, NEC CURSUS ANTEEAT ILLA TUOS ;      (desine :desere, anteeat :anteat)

    AD METAM PROPERATE SIMUL. TUM PLENA VOLUPTAS,

         CUM PARITER VICTI FEMINA VIRQUE JACENT.

    HIC TIBI VERSANDUS TENOR EST, CUM LIBERA DANTUR

         OTIA, FURTIVUM NEC TIMOR URGET OPUS ;                                                    730

    CUM MORA NON TUTA EST, TOTIS INCUMBERE REMIS

         UTILE ET ADMISSO SUBDERE CALCAR EQUO.

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Traductions

Henri Bornecque

Mais voici que, complice, un  lit a reçu deux amants : arrête-toi, Muse, à la porte de leur chambre. Tout seuls, sans ton concours, les mots viendront en foule, et, dans le lit, la main gauche ne restera pas inactive. Les doigts trouveront à s’occuper du côté où mystérieusement l’Amour plonge ses traits. C’est ainsi qu’à l’égard d’Andromaque en usait d’abord le très vaillant Hector, et ce n’est pas seulement dans les combats [guerriers] qu’il était bon. C’est ainsi que, lui aussi, à l’égard de sa captive de Lyrnesse en usait le grand Achille, lorsque, fatigué de la guerre, il reposait sur une couche moelleuse. Ces mains, Briséis, tu souffrais qu’elles te touchent, et pourtant elles étaient toujours teintes du sang phrygien. Ou bien, voluptueuse, ce qui te plaisait, n’était-ce pas justement de sentir sur tes membres ces mains victorieuses ?

            Crois-moi, il ne faut pas hâter le terme de la volupté, mais y arriver insensiblement après des retards qui diffèrent. Quand tu auras trouvé l‘endroit que la femme aime à sentir caressé, la pudeur ne doit pas t’empêcher de le caresser. Tu verras les yeux de ton amie briller d’un  feu tremblant, comme il arrive souvent aux rayons du soleil reflétés par une eau transparente. Puis viendront des plaintes, viendra un tendre murmure et de doux gémissements et les paroles qui conviennent à l’amour. Mais ne va pas, déployant plus de voiles [que ton amie], la laisser en arrière, ou lui permettre de te devancer dans ta marche. Le but, atteignez-le en même temps ; c’est le comble de la volupté, lorsque, vaincus tous deux, homme et femme demeurent étendus sans force. Voilà la conduite à suivre, lorsque le loisir te laisse toute liberté, et que la crainte ne te contraint pas à hâter le larcin d’amour. Lorsqu’il y aurait danger à tarder, il est utile de te pencher de toute ta forcer sur les rames et de donner l’éperon à ton coursier lancé à toute allure.

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Marie-Claude Iskikian (édition Nouvelle Librairie de France, 1982)

               Voici un lit qui a reçu en complice deux amants : arrête-toi, Muse, devant la porte close de leur chambre. D’eux-mêmes et sans ton aide ils trouveront en foule des mots pour s’exprimer, et dans le lit, la main gauche ne restera pas inactive. Les doigts trouveront leur usage dans ces endroits où en secret Amour plonge son  aiguillon. C’est ainsi qu’avec Andromaque le très vaillant Hector se comportait au préalable : son savoir-faire ne se bornait pas à la guerre. Achille en faisait autant avec sa Lyrnessienne lorsqu’il s’étendait, fatigué des combats, sur sa couche moelleuse. Toi, Briséis, tu te laissais toucher de ces mains qui pourtant étaient encore souillées du sang Phrygien qu’il avait fait couler : ou peut-être était-ce là ce qui te faisait jouir, lascive maîtresse, que ces mains victorieuses viennent toucher tes membres.

               Crois-moi, il ne faut pas hâter la volupté de Vénus, mais ralentir le rythme et faire durer, pour qu’elle vienne insensiblement. Une fois que tu auras découvert les zones où la femme se plaît à être caressée, que la pudeur ne t’empêche pas de la toucher. Lors , tu verras ses yeux briller d’une lueur tremblante, comme la surface d’une onde pure réfléchit le soleil. Viendront alors les plaintes, un murmure amoureux, de doux gémissements et ces mots qui accompagnent les ébats. Mais ne laisse pas ta maîtresse inassouvie pour avoir à l’excès augmenté ta voilure : mais qu’elle non plus ne te précède pas. Hâtez-vous d’une même allure vers la borne : la volupté parfaite, c’est lorsque l’homme et la femme », vaincus en même temps, demeurent étendus. Ainsi dois-tu mener l’affaire sans t’interrompre, lorsque loisir et liberté te sont donnés, et que la crainte n’oblige pas à presser une étreinte furtive. Lorsqu’il est périlleux de s’attarder, il est utile d’appuyer à force sur les rames et d’éperonner ta monture lancée à toute bride. 

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Scansion

Il s’agit de distiques (2 vers) élégiaques, donc le premier vers est un hexamètre dactylique, le second un pentamètre.

Le pentamètre est constant : deux mesures (soit dactyle, soit spondée), les seules que nous indiquerons puisque la suite est automatique : une longue avec sa césure, toujours à la penthémimère, deux dactyles, puis la syllabe finale de ce vers, qui est, comme ailleurs, longue ou brève ; cette syllabe finale longue, dite indifférente ou anceps quand elle est brève, par son addition avec la première longue, donne bien, mathématiquement, un cinquième mètre, d’où la justification pour nous de son nom de pentamètre. Pas pour les latins, pour un supplément d’informations, se reporter au traité de métrique latine de Nougaret. Ou envoyer un courriel au site ! (nous complèterons alors…)

abréviations utilisées ici : s=un spondée, deux syllabes longues, la première portant l’ictus – temps marqué, temps fort de la mesure, battu soit du doigt, soit d’une baguette, soit du pied (ictus=choc du pied sur le sol), d=un dactyle, une longue, deux brèves, la longue portant l’ictus, t=un trochée, une longue suivie d’une brève (ici, syllabe anceps), même ictus ; ensuite, séparées des abréviations du rythme par une virgule, les césures, t=trihémimère, p=penthémimère, h=hephthémimère ; quand il y a une ponctuation à cet endroit, cela correspond à une pause phono-sémantique, ce que vous pouvez signaler – sans en abuser et en présentant son impact, son effet. Ici, nous ne vous faisons pas l’affront  de le mentionner…

Avec, dans le pentamètre, l pour la syllabe longue, a pour la «syllaba anceps» (indifférente).

ddssds, p       703

    ds, l P

dddddt, tp     705

   ds, l

dddsds, tPh

   ds, a P

dddsdt, pH

   ss, a            710

dssdds, tp

   ds, a P

sdssds, tpH

  sd, l

dsssdt, tPH    715

ds, l

dsddds, TPh

   dd, l

ddssdt, P

   ss, a          720

dddsds, tph

  ds, j

sssddt, tP

   sd

ddssds, tph  725

ds, l

sddsds, tH

   ds

dsdsdt, pH

ds, a              730

dsssds, tPh

ds, l

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Mot-à-mot

ECCE LECTUS CONSCIUS +Mais+ voici qu'un lit complice ACCEPIT DUOS AMANTES a reçu deux amants; MUSA, RESISTE Muse, arrête-toi AD FORES CLAUSAS THALAMI; aux portes fermées de la chambre; VERBA CELEBERRIMA Des paroles très nombreuses SPONTE SUA SINE TE LOQUENTUR d'elles-mêmes sans toi seront dites NEC MANUS LAEVA et la main gauche JACEBIT INERS IN LECTO ne restera pas inerte dans le lit; DIGITI INVENIENT Les doigts trouveront QUOD AGANT quoi faire IN ILLIS PARTIBUS, dans ces parties IN QUIBUS AMOR dans lesquelles l'Amour TINGIT OCCULTE SPICULA baigne secrètement ses dards. HECTOR FECIT HOC PRIUS IN ANDROMACHE Hector a fait cela d'abord en Andromaque NEC ILLE FUIT SOLUM UTILIS BELLIS et ce dernier n'a pas seulement été utile/efficace aux combats; 710 MAGNUS ACHILLES FECIT ET Le grand Achille +l'+a fait aussi IN CAPTA LYRNESIDE en sa captive de Lyrnesse CUM PREMERET MOLLEM TORUM lorsqu'il pressait une souple rondeur LASSUS AB HOSTE fatigué par/de l'ennemi; SINEBAS TE TANGI Tu permettais que tu sois touchée ILLIS MANIBUS, BRISEI, par ces fameuses mains, Briséis QUAE ERANT SEMPER IMBUTAE elles qui étaient toujours teintées NECE PHRYGIA du meurtre phrygien; AN FUIT HOC IPSUM N'est-ce pas cela même, QUOD TE JUVARET, LASCIVA, qui te donnait du plaisir, lascive, MANUS VICTRICES VENIRE le fait que ses mains victorieuses viennent AD TUA MEMBRA sur tes membres. CREDE MIHI, Crois-moi, VOLUPTAS VENERIS NON EST PROPERANDA le plaisir de Vénus/vénérien ne doit pas être hâté SED PROLICIENDA SENSIM mais il doit être pris peu à peu/ insensiblement MORA TARDA grâce à une attente qui retarde. CUM REPPERERIS LOCA Quand tu aura retrouvé la région, QUAE FEMINA GAUDET TANGI, que la femme jouit d'être touchée NON PUDOR OBSTET que la pudeur ne t'empêche pas QUO MINUS TANGAS ILLA de la toucher. 720 ADSPICIES OCULOS MICANTES Tu verras +ses+ yeux briller FULGORE TREMULO d'un éclat tremblant UT SAEPE SOL REFULGET comme souvent le soleil prend un nouvel éclat A LIQUIDA AQUA depuis la transparence de l'eau; ACCEDENT QUESTUS S'approcheront S'approcheront les lamentations (faute d'oser: «monteront»), ACCEDET MURMUR AMABILE s'approchera le murmure d'amour ET DULCES GEMITUS puis les doux gémissements QUE VERBA APTA JOCO ainsi que les mots propres au jeu. SED TU NEQUE DESINE DOMINAM Mais toi, n'abandonne pas ta maîtresse USUS MAJORIBUS VELIS en carguant de trop grandes voiles NEC ILLA ANTEEAT TUOS CURSUS ni que celle-ci ne dépasse ton parcours; PROPERATE SIMUL AD METAM Hâtez-vous ensemble vers le but. TUM VOLUPTAS PLENA +C'est+ alors le plaisir absolu, CUM PARITER VICTI FEMINA VIRQUE JACENT quand, également vaincus, femme et homme sont étendus; HIC TENOR EST VERSANDUS TIBI Ce comportement doit être le tien, CUM DANTUR OTIA LIBERA lorsqu'on dispose de temps libres NEC TIMOR URGET OPUS FURTIVUM et que la crainte n'accélère pas le travail luxurieux; 730 CUM MORA NON EST TUTA +Mais+ lorsque le temps plein n'est pas garanti, UTILE (EST) INCUMBERE Il est utile de peser TOTIS REMIS sur toutes ses rames ET SUBDERE CALCAR et piquer d'un éperon EQUO ADMISSO ton cheval lancé au galop

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Mot-à-mot commenté

  ECCE LECTUS CONSCIUS +Mais+ voici qu'un lit complice (en fait en toute connaissance de cause: Ovide entend donc procéder sans fard; apprécions la personnification) ACCEPIT DUOS AMANTES a reçu deux amants (ACCIPIO, prendre vers/sur soi! AMANS avec son participe présent rend les deux partenaires plus actifs; impact évocateur des sifflantes finales) ; MUSA, RESISTE Muse, arrête-toi (avec l'intéressante - au sens sadien du terme - ambiguïté de RESISTERE, résister - aussi! - au désir d'assister à... la scène primitive? mais ce serait alors... freudien!) AD FORES CLAUSAS THALAMI; aux portes fermées de la chambre (CLAUDO, pour préserver l'intimité; FORES au pluriel=porte à double battant; THALAMUS, cf. l'épithalame, le chant du mariage, de l'union); VERBA CELEBERRIMA Des paroles très nombreuses (avec le double sens de cet adjectif au superlatif, signifiant aussi «connu», car les mots sont, en cette occurrence, rarement originaux - et à ce titre d'ailleurs ne rélèvent pas de l'inspiration de la Muse) SPONTE SUA SINE TE LOQUENTUR d'elles-mêmes sans toi seront dites (pléonasme (SPONTE SUA + SINE TE) puis truisme (VERBA LOQUENTUR), pour mieux souligner la commune union des amants sans tiers, à l'état de nature, cf. les liquides abondantes) NEC MANUS LAEVA et la main gauche (NEC en coordination: la parole en lien avec l'action) JACEBIT INERS IN LECTO ne restera pas inerte dans le lit (LECTUS en répétition, JACEO, terme adéquat ici, annonçant l'état physiologique post coitum, cf. 728; IN-ERS < IN-ARS, - X - = +, dans cette ARS AMATORIA!); DIGITI INVENIENT Les doigts trouveront (Ovide s'amuse: INVENIO retrouve aussi son sens étymologique, «venir dedans», cf. plus loin, les IN) QUOD AGANT quoi faire (toujours l'action!)  IN ILLIS PARTIBUS, dans ces parties (ILLIS emphatique, cf. les I d'intensité) IN QUIBUS AMOR dans lesquelles l'Amour (-IBUS en homéotéleute par persistance insistante! AMOR, le désir/plaisir et le dieu qui le personnifie) TINGIT OCCULTE SPICULA baigne secrètement ses dards (TINGIT: présent de la permanence, le sens évoquant les échanges d'humeur qui lubrifient les rapports, cf. les gutturales; dard pour garder le jeu de mots: fléche de l'amour et phallus, cf. JACULUM) HECTOR FECIT HOC PRIUS IN ANDROMACHE Hector a fait cela d'abord en Andromaque (PRIUS, adv. comparatif=préliminaire; le mot-à-mot est direct; cf. supra pour les traductions élégantes; PERFECTUM car l'auteur s'appuie sur les exemples du passé, comme toujours) NEC ILLE FUIT SOLUM UTILIS BELLIS et ce dernier n'a pas seulement été utile/efficace aux combats (donc il ne s'est pas arrêté là, vu la coordination! UTILE sera repris en début de 732, pour conclure!) 710 MAGNUS ACHILLES FECIT ET Le grand Achille +l'+a fait aussi (MAGNUS au double sens!) IN CAPTA LYRNESIDE en sa captive de Lyrnesse (CAPTA au double sens, PPP) CUM PREMERET MOLLEM TORUM lorsqu'il pressait une souple rondeur  (TORUM=une forme ronde, donc aussi bien un coussin d'où par synecdoque le lit, qu'une partie du corps, ronde, muscle ou appendice mammaire; vu le contexte, la seconde interprétation semble plus piquante, ce d'autant plus que la couche sous une tente militaire est plutôt dure, au sol ou avec sangles) LASSUS AB HOSTE fatigué par/de l'ennemi (mais pas d'autre chose!); SINEBAS TE TANGI Tu permettais que tu sois touchée (SINERE se veut pudique) ILLIS MANIBUS, BRISEI, par ces fameuses mains, Briséis (ILLIS emphatique, et c'est bien le thème du passage, cf. TANGI) QUAE ERANT SEMPER IMBUTAE elles qui étaient toujours teintées (cf. être imbu de, imprégné) NECE PHRYGIA du meurtre phrygien (NEX, NECIS f., en fait, du sang des troyens); AN FUIT HOC IPSUM N'est-ce pas cela même (le HOC antécédent de QUOD est l'attribut de la proposition infinitive, elle-même en sujet postposé: la proposition (sic!) un peu forte est ainsi subtilement amenée, comme avec réticence. Pensons à Corneille - nonobstant son kakemphaton - dans Polyeucte: «Et le désir s'accroît quand l'effet se recule»), QUOD TE JUVARET, LASCIVA, qui te donnait du plaisir, lascive (l'apostrophe est brutale! et la paronomase avec LASSUS supra libidineuse) MANUS VICTRICES VENIRE le fait que ses mains victorieuses viennent (VICTOR au double sens; VENIRE en redite, en réitération comme les caresses) AD TUA MEMBRA sur tes membres (réalisme, cf. pl.; AD souligne le contact, sans plus). CREDE MIHI, Crois-moi (rupture dans l'interpellation, retour à l'élève) VOLUPTAS VENERIS NON EST PROPERANDA le plaisir de Vénus/vénérien ne doit pas être hâté (=l'orgasme, avec une expressive inversion du sujet propre à étirer l'instant) SED PROLICIENDA SENSIM mais il doit être pris peu à peu/ insensiblement (PRO-LACIO, attirer dans un piège, idée de circon-venir - ce dernier terme s'avère vraiment obsessionnel! SENSIM, graduellement, lentement, cf.SENTIO, percevoir par les sens) MORA TARDA grâce à une attente qui retarde (ablatif de cause, cf. scansion; le champ lexical recouvert par la fin des vers est remarquable ici; la reprise de ce terme avec NON clôrera l'acte en 731, vu l'urgence évoquée). CUM REPPERERIS LOCA Quand tu aura retrouvé la région (LOCA au pl. bien venu! REPERIO: trouver après recherche), QUAE FEMINA GAUDET TANGI, que la femme jouit d'être touchée (QUAE sujet de TANGI) NON PUDOR OBSTET que la pudeur ne t'empêche pas (OBSTARE=s'opposer à, faire obstacle) QUO MINUS TANGAS ILLA de la toucher (la=ILLA=les fameux LOCA; QUO MINUS, conj. de sub. complétive après verbe d'empéchement; l'effet de double négation accentue en fait l'ordre) 720 ADSPICIES OCULOS MICANTES Tu verras +ses+ yeux briller (Verbe de sensation + participe présent=tournure grecque=complétive; encore un AD) FULGORE TREMULO d'un éclat tremblant (processus physiologique judicieusement relevé par Flaubert dans Madame Bovary) UT SAEPE SOL REFULGET comme souvent le soleil prend un nouvel éclat (RE-FULGEO) A LIQUIDA AQUA depuis la transparence de l'eau (pour ne pas dire miroir! LIQUIDUS: clair, limpide, transparent: l'idée est claire, l'image difficile à rendre!); ACCEDENT QUESTUS S'approcheront S'approcheront les lamentations (faute d'oser: «monteront»), ACCEDET MURMUR AMABILE montera le murmure d'amour (plutôt que l'adjectif) ET DULCES GEMITUS puis les doux gémissements (sur tous ces points latin et français sont en accord...) QUE VERBA APTA JOCO ainsi que les mots propres au jeu (joy d'amor) SED TU NEQUE DESINE DOMINAM Mais toi, n'abandonne pas ta maîtresse (en fait, double négation; recherche de l'orgasme commun) USUS MAJORIBUS VELIS en carguant de trop grandes voiles (UTOR + abl. la métaphore de la voile, avec le vent qui la gonfle, est banale dans ce texte; sens intensif du comparatif de MAGNUS) NEC ILLA ANTEEAT TUOS CURSUS ni que celle-ci ne dépasse ton parcours (curieuse accumulation de défenses); PROPERATE SIMUL AD METAM Hâtez-vous ensemble vers le but (AD, encore et toujours!). TUM VOLUPTAS PLENA +C'est+ alors le plaisir absolu (ad libitum: le plein plaisir - total trip?), CUM PARITER VICTI FEMINA VIRQUE JACENT quand, également vaincus, femme et homme sont étendus (PARITER prend un sens goûtu à notre époque! VICTI au masc. car grammaticalement vainqueur! VIR=le surmâle de Jarry ? Avec suppression de l'article pour généralisation absolue; CUM+ présent de l'indicatif=temporel) HIC TENOR EST VERSANDUS TIBI Ce comportement doit être le tien (TENOR est le mot, vu le contexte; TIBI=datif avec adjectif verbal, renforcé en fait par le démonstratif de première personne HIC), CUM DANTUR OTIA LIBERA lorsqu'on dispose de temps libres (OTIA=sujet! temps libre: en cette époque de RTT - pour combien de temps? - temps libre s'impose; cf. NEG-OTIUM, le commerce, en fait la loi du marché) NEC TIMOR URGET OPUS FURTIVUM et que la crainte (de l'autre mâle) n'accélère pas le travail luxurieux (cf. I, 33; FURTIVUM: cf. OCCULTE; en fait, l'activité sexuelle. En arrière-plan, la main reste leste); 730 CUM MORA NON EST TUTA +Mais+ lorsque le temps plein n'est pas garanti (ou: tarder serait dangereux), UTILE (EST) INCUMBERE Il est utile de peser (UTILE=performant? INCUMBERE,  cf. l'idée de s'allonger sur un lit + IN, cf. les préfixes SUB- et AD- ensuite; ici, «forcer de»?) TOTIS REMIS sur toutes ses rames (le symbole phallique est évident) ET SUBDERE CALCAR et piquer d'un éperon (mot-à-mot: donner l'éperon sous - sic!) EQUO ADMISSO ton cheval lancé au galop (emballé???)

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une prétérition d'une sensualité raffinée accordée à la musique poétique

1)     une prétérition: Ovide poste devant le seuil (le LIMEN, cf. le terme préliminaires, cela ne s’invente pas !)) la Muse en une interdiction absolue de par le préfixe RE, le redoublement contenu dans SI-STO, la césure penthémimère de CLAUSAS, refus corroboré par SINE TE encadré des césures t et p. En fait, c’est que l’amour donne de l’esprit et les mots, VERBA, pour le dire, sans avoir à invoquer l’inspiration traditionnelle chère aux poètes. Au reste, si notre poète la dénie, elle est bien là, au rebours de ce qui lui est intimé, avec les distiques élégiaques, la musique du rythme qui accompagne le propos (cf. le thème 3), inspirant de fait un auteur bien présent : certes implicite en tant que rapporteur d’une scène: ECCE puis émetteur d’une défense : RESISTE, impliqué ensuite en tant que «je» par le TE, méritant son titre plusieurs fois proclamé de VATES  (cf. plus loin, en 739) vu l’abondance des futurs : INVENIENT en début de v. 707, puis témoin-voyeur avec les parfaits doublés: FECIT, voire moraliste ambigu, avec sa question perverse ? Pour imposer ensuite sa personne : CREDE MIHI, en reprenant son rôle de MAGISTER ou de PRAECEPTOR affiché au début des son Manuel (cf. notre réflexion finale), conseiller et donneur d’ordre. Cette contradiction entre l’effet d’annonce et le comportement effectivement tenu est un trait d’humour ovidien dont nous trouvons de multiples traces dans ce passage : VERBA fonctionne en encadrement, avec sa reprise APTA VERBA JOCO en 724. Entre les deux, les préliminaires physiques pour atteindre le but commun en 727, puis son effet 728: il faut voir ici un entrelacement qui renvoie au comportement des amants. Le début présente deux «hystera-protera» (ce qui est plus tardif est présenté en premier) : ACCEPIT, s’il n’est pas sur la même ligne temporelle que les FECIT ultérieurs, est bien du passé ; or, nous reprenons la chose, avec SPONTE SUA VERBA. Les préliminaires physiques eux-mêmes commencent au v. 706, avec succès : INVENIENT DIGITI. Notons que la Muse n’est pas très obéissante : si la main gauche est occupée, ce qui d’ailleurs est de bon augure (sic !), que fait donc la droite ? Ne tient-elle pas le calame de l’ARTIFICEM (I, 7) ? De toute façon, vu le traité écrit, la double négation : NEC… IN-ERS est pertinente… Et la Muse n’a-t-elle pas inspiré la délicatesse de la périphrase 708 ? Après la poésie érotique, nous passons à l’épopée. Rappelons - faut-il le dire ? - que la muse a été congédiée ; pourtant, un distique pour le couple troyen, trois pour le couple hybride Achille#Briseis. C’est donc en flagrant délit de contradiction interne que nous retrouvons le couple emblématique Andromaque#Hector, plus usité dans l’ordre inverse. Avec une évocation peu traditionnelle de leurs relations ; certes, elle est épouse – d’ailleurs, Dieu sait si, trop souvent, les romains affichaient, à l’instar de Caton de Censeur, leur indifférence au plaisir conjugal : le coït est un devoir, dans un but procréatif. Pour la bagatelle ? Les AMICAE, au mieux…- mais surtout mère dans l’Iliade, et Hector (au courage plus évident que le colérique Achille, ce dernier protégé par son bain, tout bébé, dans le Styx) n’est pas le parangon du jouisseur, malgré la litote suggestive du v. 710 ; ne le cachons pas : nous attendions en une telle occurrence la Belle Hélène et son pâtre ! Mais Achille, direz-vous ! Il aime dans l’Iliade Briséis… Si cette dernière semble désolée de quitter son beau soldat (et cet épisode ne dure pas plus longtemps que celui de la belle Aude, désespérée de la mort de Roland à Roncevaux, car l’épopée n’est pas le roman), l’ami de Patrocle (n’oublions pas ce copain, voire plus si affinités : c’est cela le compagnonnage qui donnera le bataillon sacré de Thèbes !), Achille donc, est surtout ulcéré de se voir privé ainsi de sa part de butin, la reconnaissance par tous de ses exploits, sa TIMH… Et Ovide se permet ensuite une question rhétorique en style direct pour mieux proclamer, en fait, la perversité de la donzelle, soulignée par l’harmonie imitative des [w]. Mais ceci n’est que bavardage, qui laisse les mains courir. Ovide revient aux choses sérieuses et à son lecteur, sans doute pas plus sceptique que nous : CREDI MIHI. En fait cette demande concerne la suite et non ce qui précède, ainsi accepté comme indubitable. C’est qu’Ovide entend se remettre sous l’obédience de Vénus à la césure h de 717, après Amor en fin de v. 708. En fait, c’est elle sa vraie muse… Le futur antérieur REPPERERIS en césure P au v. 719 montre que l’INVENIENT a eu lieu pendant ces digressions culturelles déconcertantes. Ovide s’assume : NON… PUDOR. Vient un oxymore au sein d’un chiasme: TREMULO… MICANTES, l’alliance des contraires, en une CONJUNCTIO OPPOSITIORUM, SOL d’un côté, AQUA de l’autre (masculin#féminin ?). Et le texte d’assumer ses propres contradictions : ces LIBERA OTIA sont exprimés par des négations, NON veut dire OUI (un simple relevé montrerait l’abondance du premier : laissons de côté les CLAUSAS et SINE, une coquetterie d’Ovide. NEC en début de vers, repris en 710, NON en 712, 720, 731, en début de vers, NEQUE.. NEC en 725, 6… Et l’éviction de la Muse correspond à la fin de l’ouvrage, ACTA EST FABULA traduit par le vers FINIS ADEST OPERI, 733; tout ceci nous prouve d’ailleurs que l'ouvrage a bien été écrit en deux volets: il y a eu l'invocation déniée à Apollon en début d'oeuvre, la muse est licenciée comme de juste à la fin de l'ouvrage : Ovide ne peut se priver de ces clins d’oeil qui lui sont chers...

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2)    Elle procède de son raffinement extrême, qui répugne aussi à la pornographique : le vocabulaire est choisi sans rien qui puisse choquer la pudeur. Nous n'en voulons pour preuve que le texte, en le prenant par la fin (une nouvelle position!): glissons sans insister sur INCUMBERE et SUBDERE puisque les métaphores REMIS ET EQUO, tous deux en fin de vers, en atténuent la crudité, nonobstant le mouvement répétitif des pales sur l’écume et le balancement du galop effréné, comme un écho d’ailleurs des vers 3 et 4 du livre I – à chaque fois, chez Ovide, ce souci constant du reflet, des effets de miroir ; apprécions le terme TENOR (que NEC TIMOR semble commenter !) à sa juste valeur, sachant ce dont il est question dans le texte, et à quoi nous en tenir! En 728, l'état du couple après l'acte d'amour est exprimé très clairement, sans rien qui puisse choquer les bonnes âmes... Le but? METAM, une métaphore (ce terme signifiant lui-même, étymologiquement, transport!) comme les allusifs: VELIS (césure h de 725) MAJORIBUS et le CURSUS (césure p de 726), mer et terre convoqués, TERRA MARIQUE en arrière-plan. Nous avons droit à une étude quasi clinique du processus orgasmique féminin: QUESTUS en sujet inversé, AMABILE MURMUR (structure binaire aux labiales et liquides évocatrices, avec ses voyelles en échos, comme la reprise de la même syllabe), DULCES GEMITUS (on repasse au pl.), APTA VERBA (structures binaires, avec jeu d’opposition des voyelles fermées puis ouvertes), avec reprise du même verbe aCCeDe(N)T en gutturales-dentales (cf. QuesTus)... Cet état est amené par la manipulation des LOCA (neutre pluriel!) QUAE TANGI FEMINA GAUDET, 719 que nous avions rencontrés plus haut: IN PARTIBUS ILLIS (emphatique) IN (répétition de la préposition) QUIBUS OCCULTE (toujours cette pudeur affectée !) SPICULA TINGIT AMOR (donc l’objet avant le sujet !), 707-8. Car il s'agit bien de trouver la joie d'amour, en reprenant le texte depuis le début:

·       le lieu: LECTUS (703, IN LECTO à la penthémimère du pentamètre 706, l’ambigu TORUM en fin 712, JACENT en fin 728), THALAMI (lit romain, pièce grecque ?)

·       les partenaires: DUOS AMANTES (qui s'avèreront hétérosexuels, conformément à la sexualité affichée d'Ovide qui, s'il ne répugne pas à l'homosexualité, voire la pédophilie avec un PUER DELICATUS, juge plus satisfaisant le plaisir d'une relation classique, car il s'agit d'un rapport qui n'est pas interchangeable; en fait, les (ef)fusions et masculine et féminine sont plus jouissives car double et différentes, c’est la PLENA VOLUPTAS) où la présence des amants, appuyée par les deux disjonctions et le report en fin de verbe des sujet et COD, s'affirme par le truchement des 5 gutturales et sifflantes au v. 703 (ConSCiuS duoS aCCepit leCtuS amanteS), le présentatif ECCE.

·       les moyens utilisés, en fait les préliminaires: le premier abordé, VERBA (705), en toute liberté SPONTE SUA d’emblée – comme si l’ARS était alors seconde ! – mots (doux ?) si essentiels qu'ils sont la marque même de l'apogée orgasmique en fin d’énumération en 724. Ils vont de pair avec les caresses (MANUS), fortement conseillées par les futurs : LOQUENTUR, JACEBIT, comme un ordre, avec une double négation: NON... INERS encadrant le vers 706: cet ARS d'aimer se doit de nous rendre performant, cf. AGANT, à l'instar d'HECTOR et d'ACHILLES tous deux en fin de vers, comme les deux FECIT (sic !) en début de vers! Et Ovide d’insister sur ce dont nous devons nous servir: MANUS (706, DIGITI en césure p de 707, MANIBUS TANGI en 714 avec césure pH, MANUS, fin 716, TANGI en 719, TANGAS  à la césure du pentamètre 720), ce au service du plaisir: avec le début, NON JACEBIT, puis la fin, JACENT en 729…

·       pour effleurer le vif du sujet, en approches successives, par anaphore: IN PARTIBUS ILLIS (aux sens et pluriel évocateurs), IN QUIBUS, fin et début de vers avec l’homéotéleute, dans ce distique ; en finale AMOR, avec lequel HECTOR rimera... Après le direct IN ANDROMACHE en p, le texte reprend sa transparence allusive: HOC en h, avec le mâle en voyelles fermées, et le FORTISSIMUS qui change de référent et passe, vu le contexte, du courage attribué classiquement à Hector à sa capacité virile parfaitement maîtrisée (cf. PRIUS), Ovide terminant l’évocation des amours troyennes déconcertantes – car en une telle occurrence on attendrait plutôt ici la torride Hélène, mais Ovide se prétend ainsi fidèle au moralisme augustéen - par un sous-entendu obscène en 710, cf. les liquides du v.710, avec ses voyelles fermées : le terme UTILIS évoque que c’est le plaisir féminin qui prime et qu’il faut savoir se montrer performant (cf. UTILE en début de v. 732). La suite est tout aussi éclairante, en reprenant la même structure : IN + abl, un MAGNUS polyvalent, avec une insistance perverse due à l’ambiguïté de l’expression CAPTA, ambivalence que confirment les termes LAS-sus (malgré AB HOSTE : il n’est pas fatigué par/de Briséis ! elle-même LAS-civa) et TORUM qui signifie certes le coussin mais aussi la courbure, le corps, auquel MOLLEM convient mieux qu’à un lit militaire, avec ses sangles ou la dureté du sol, ce qu’induisent aussi les 5 labiales du début et le suspens dû à la disjonction… La présence de Briséis s’incarne par son interpellation… Toute dénégation de sa part lui est déniée par l’interrogative ainsi que par la qualification de LASCIVA, juste à côté de JUVARET en fin de v. 715, le terme «mains» encadrant les deux distiques.

·       au reste, tout est bon en amour : d’un côté, Ovide conseille la lenteur : NON… PROPERANDA VOLUPTAS en 717, mais il n’hésite pas à reprendre la même expression au v. 727, cette fois-ci à l’impératif : PROPERATE… VOLUPTAS. Il frôle même la palinodie. 718 : TARDA MORA que contredit un CUM MORA NON au v. 731 ; certes, les circonstances ne sont pas les mêmes, mais c’est bien indiquer que, par-delà les conseils instants donnés (via les adjectifs verbaux d’obligation, d’abord en défense: PROPERANDA, puis en ordre : PROLICIENDA, précédés de l’appel pressant du CREDI MIHI ; le surprenant NON OBSTET, là où l’on attendrait grammaticalement un NE avec le subjonctif mais la négation objective inscrit mieux dans le réel combien la PUDOR est ici mal venue, sans que l’on s’enfonce dans l’IMPUDICITIA, le futur : ADSPICIES en début de vers, la reprise pl./sg du même verbe ACCEDE(N)T souligné par les inversions des sujets accumulés ; deux négations successives : NEQUE… NEC, avec un impératif 2ème S en début de v. 726, puis subjonctif avec inversion du sujet ; un autre impératif 2ème P, un adjectif verbal, pour finir une constatation attributive, le conseil étant lexicalisé via UTILE en début de v. 732), Ovide privilégie l’effet obtenu, la satisfaction (UTILIS, LASSUS, LASCIVA, JUVARET, VOLUPTAS, GAUDET, le distique 720-1, AMABILE, DULCES, JOCO, PLENA, UTILE, encadrant ainsi ce relevé) des deux partenaires : DUO AMANTES, d’abord, lui, avec ses VERBA, 705, puis sa main, 706-708 (auxquels laisseront place ses VERBA à elle , dans l’orgasme, en 724), les deux couples mythiques (709-716) formés par Andromaque et Hector, Briséis et Achille ; une leçon de technique amoureuse : comment caresser (717-724) ; ceci conduit aux deux partenaires en action (725-728) : TU DOMINAM en 725, ILLA TUOS en fin de v. 726, puis le couple : AD METAM (césure t) PROPERATE SIMUL (h, pause phono-sémantique) en 727, PARITER FEMINA VIRQUE en 728, le résultat étant en césure p : VICTI ; en conclusion : 729-732, lui derechef, l’homme apparemment dispose, mais UTILE après le PARITER permet en fait d’amener le dernier livre…

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3) la musique poétique est en accord avec une sensualité expressive: l'accomplissement du désir ne passe-t-il pas par les gutturales du v. 703 ? Comme la demande d'intimité par les sifflantes du v. 704, reprises à l'initiale des 3 mots suivant, SpontE Sua SinE pour mieux convoquer l'échange verbal induit par l'homophonie des E: cElEbErrima, l'allitération des liquides abondantes (ceLebeRRima veRba LoquentuR), le rythme en dactyle de ce vers 705... la succession dental(s)+gutturale (NT DiGiti QuoD aGaNT iN, les 3 césures, le jeu des voyelles fermées et ouvertes incarnent la caresse intime, pour finir, sans obscénité - OCCULTE à la césure du pentamètre - sur AMOR en fin de distique, avec le délicat SPICULA TINGIT, en paronomase avec TANGI au v. 713, à l'hephthémimère. Le vers 709 reprend le rythme du v. 707, du général à la particulière, avec la traditionnelle Andromaque, inattendue en une telle occurrence vu son image d'épouse et surtout de mère, en une tension expressive (FECIT en début de vers repris en anaphore 2 vers plus loin, IN+abl sans fard avec la question UBI, cf. 711, PRIUS pour les préliminaires, HOC en une allusion pseudo-pudibonde, le superlatif FORTISSIMUS, cf. MAGNUS plus loin, NEC SOLUM évocateur, ILLE qui met au pinacle) que confirme la fermeture des voyelles au v. 710. A lieu ensuite une CONJUNCTIO OPPOSITIORUM: ennemis de toujours, HECTOR et ACHILLES, tous deux en fin de vers se retrouvent adeptes de la même technique (ET), sans qu'Ovide puisse s'empêcher d'un PREMERET MOLLEM LASSUS dont les termes s'expliquent par d'abord AB HOSTE - alors que l'on s'attendait à POST COITUM ANIMAL TRISTE EST - ensuite la synecdoque TORUM - s'il s'agit bien du coussin > couche et non de la courbure féminine que laisserait supposer le PREMERE MOLLEM TORUM. Naturellement, la présence de la partenaire d'Achille s'impose (TE césure t, SINEBAS fin de vers, TE césure hephthémimère, TUA en disjonction), physiquement: LASCIVA, MEMBRA. Les quatre vers sont encadrés en polyptote par MANIBUS entre deux césures et MANUS en fin de vers, avec le contraste absolu de NECE SEMPER. Avec une question perverse: AN FUIT HOC IPSUM, en un hystéron-proteron pour mieux mettre sous nos yeux l'action: VENIRE MANUS, en passant du IN d'ailleurs au AD... La lourdeur de la jouissance passant par les spondées et sa montée par les trois césures, dans ce v. 715. Il s'agit bien de préliminaires, comme l'attestent l'interdiction du v. 717, le rythme en dactyles et les 3 césures: rien ne presse, avec les deux a longs dans le pentamètre: TARDA... MORA. Une fois l'endroit trouvé - et la périphrase pour le désigner reprend le verbe du v. 713, car il s'agit toujours de la même chose, cf. TANGAS - il est mis en valeur par la césure penthémimère; en fait la PUDOR empêche de le nommer, sous-entend non sans humour Ovide, mais pas de le toucher. Avec derechef le regard convoqué en début de vers: ADSPICIES. Les 3 césures, les dactyles, le chiasme, l'opposition sg#pl., tout concourt à la montée de l'orgasme, alliance du feu et de l'eau encadrant le pentamètre (SOL, AQUA), avec la même racine sur les deux vers: FULGORE, REFULGET... Montée, oui, avec la répétition d'ACCEDO, l'accumulation ternaire des noms en structure binaire, pour évoquer le jeu d'amour (JOCO en fin de vers) où le plaisir finit par s'assumer, du QUESTUS à la césure penthémimère  (cf. le rythme 3 spondées, 2 dactyles puis trochée en 723) jusqu'à sa formulation expresse et sans fard: APTA VERBA en passant par le MURMUR en fin de vers et les GEMITUS à la césure penthémimère du pentamètre... l'égalité entre les partenaires se marque par le chiasme: TU DOMINAM... ILLA TUOS, paradoxalement par deux doubles négations: NEQUE... DESINE, NEC... ANTEEAT... Il s'agit d'être SIMUL, à la césure hephthemimère fortement marquée, ce que conforte le TUM... CUM, PARITER, FEMINA VIRQUE, pour obtenir l'état attendu: PLENA intense, VICTI au perfectum, JACENT verbe d'état final. Il faut en profiter, avec les contrastes LIBERA#FURTIVUM (pl.#sg), OTIA en début de v., OPUS à la fin, deux distiques s'opposant d'ailleurs aussi, via le EST à la césure l'une H (729), l'autre P (731)! Le dernier est plus pressant, comme son sens: TuT(a) esT, ToTis, avec ses voyelles fermées. On retrouve les REMIS et l'EQUO en fin de vers, les deux moyens de transport (sic!) fréquemment convoqués par Ovide, toujours en quête d'un sens ambigu, comme le confirment les deux infinitifs INCUMBERE et SUBDERE...

Le tout AD MAJOREM AMORIS GLORIAM.

Mais nous restons sensible à un paradoxe : déconcertante, cette apostrophe à la Muse - ainsi congédiée ! - alors que nous nous trouvons à la fin du second livre – du moins au départ, s’il est exact que le troisième livre est venu après-coup ; Une telle interpellation est plutôt la marque de l’entame, dont Apollon s’est retrouvé exclu… Est-ce pour indiquer que tout ceci n’est qu’un éternel recommencement ? Le refus de la présence de la Muse inspiratrice souligne au reste que l’amour donne de l’esprit…

Curieusement, nous avons comme un écho ici du début : On retrouve la borne, comme au v. 40, I ! Conceptuellement, les conseils, les ordres, ultimes mais essentiels ; lexicalement, la reprise du même vocabulaire (nous avons relevé : USUS, OPUS, ADMISSA, PREMERE, PUDOR qui n’a pas lieu d’être, VENUS, TUTUS, FURTA/FURTIVUM, MOLLIS, la racine de faire, HOSTIS, HECTOR, ACHILLE, MANUS avec son utilisation, d’un côté, militaire, de l’autre, en fin d’ouvrage, une double prise en main, AMOR, REPERIRE, APTA ; il serait intéressant de creuser la chose : la simple coïncidence, connaissant Ovide, paraît peu probable ! et les mêmes images : voilure, rame, monture… un anneau de Moebius, l’Art d’aimer ?

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