Le texte que nous présentons est issu de la numérisation par itinera electronica de l'édition Nisard (XIXe); cette dernière, fautive parfois, n'a pas été contrôlée lors de sa bascule sur le net, d'où des coquilles supplémentaires... et cette nouvelle édition, dûment corrigée par le truchement d'une collation soigneuse sur celle de Henri Bornecque (Budé «Les Belles Lettres», 1923)

P. OVIDII NASONIS ARTIS AMATORIAE

LIBER TERTIUS, v. 101 – 133

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LIBER TERTIVS

ORDIOR A CULTU; CULTIS BENE LIBER AB UVIS

        PROVENIT, ET CULTO STAT SEGES ALTA SOLO.

 FORMA DEI MUNUS: FORMA QUOTA QUAEQUE SUPERBIT?

        PARS VESTRUM TALI MUNERE MAGNA CARET.

 CURA DABIT FACIEM; FACIES NEGLECTA PERIBIT,               

        IDALIAE SIMILIS SIT LICET ILLA DEAE.

 CORPORA SI VETERES NON SIC COLUERE PUELLAE,

        NEC VETERES CULTOS SIC HABUERE VIROS;

 SI FUIT ANDROMACHE TUNICAS INDUTA VALENTES,

        QUID MIRUM? DURI MILITIS UXOR ERAT.                                                              110

 SCILICET AJACI CONJUNX ORNATA VENIRES,

        CUI TEGUMEN SEPTEM TERGA FUERE BOUM?

 SIMPLICITAS RUDIS ANTE FUIT: NUNC AUREA ROMA EST,

        ET DOMITI MAGNAS POSSIDET ORBIS OPES.

 ASPICE QUAE NUNC SUNT CAPITOLIA, QUAEQUE FUERUNT:               

        ALTERIUS DICES ILLA FUISSE JOVIS.

 CURIA, CONCILIO QUAE NUNC DIGNISSIMA TANTO,

        DE STIPULA TATIO REGNA TENENTE FUIT.

 QUAE NUNC SUB PHOEBO DUCIBUSQUE PALATIA FULGENT,

        QUID NISI ARATURIS PASCUA BUBUS ERANT?                                                      120

 PRISCA JUVENT ALIOS: EGO ME NUNC DENIQUE NATUM

        GRATULOR: HAEC AETAS MORIBUS APTA MEIS.

 NON QUIA NUNC TERRAE LENTUM SUBDUCITUR AURUM,

        LECTAQUE DIVERSO LITORE CONCHA VENIT:

 NEC QUIA DECRESCUNT EFFOSSO MARMORE MONTES,               

        NEC QUIA CAERULEAE MOLE FUGANTUR AQUAE:

 SED QUIA CULTUS ADEST, NEC NOSTROS MANSIT IN ANNOS

        RUSTICITAS, PRISCIS ILLA SUPERSTES AVIS.

 VOS QUOQUE NEC CARIS AURES ONERATE LAPILLIS,

        QUOS LEGIT IN VIRIDI DECOLOR INDUS AQUA,                                                      130

 NEC PRODITE GRAVES INSUTO VESTIBUS AURO,

        PER QUAS NOS PETITIS, SAEPE FUGATIS, OPES.

Traduction de Bornecque

Je commence par les soins de la personne : ce sont les vignes soignées qui donnent le vin en abondance ; sur un sol cultivé se dressent de hautes moissons. La beauté est un présent de la divinité ; mais combien peuvent s’enorgueillir de leur beauté ! La plupart de vous n’ont pas reçu ce présent. Des soins donneront un joli visage ; un joli visage négligé se perdra, fût-il semblable à celui de la déesse d’Idalie. Si les femmes, autrefois, n’ont pas donné tous ces soins à leur corps, c’est que, autrefois, leurs maris non plus ne prenaient pas tous ces soins. Si la tunique qui couvrait Andromaque était de toile grossière, faut-il s’en étonner ? Son époux n’était qu’un rude soldat. Voit-on la femme d’Ajax se présenter richement parée à un époux, dont le bouclier était formé de sept peaux de bœuf ? Jadis régnait une simplicité rustique ; maintenant Rome est resplendissante d’or et possède les immenses richesses du monde qu’elle a dompté. Vois le Capitole d’aujourd’hui et celui d’autrefois ; on dirait qu’il était consacré à un autre Jupiter. Aujourd’hui la Curie est vraiment digne d’une si noble assemblée : elle était de chaume, quand le roi Tatius exerçait le pouvoir. Le Palatin, où se dressent de brillants édifices, sous la protection d’Apollon et de nos chefs, qu’était-ce [alors] ? Un pâturage pour des bœufs de labour. Que d’autres donnent leurs sympathies au passé ! Moi je me félicite de n’être venu au monde que maintenant. Ce siècle convient à mes goûts. Est-ce parc que, de nos jours, on arrache de la terre l’or malléable, qu’on fait venir de divers rivages des coquillages choisis, que nous voyons décroître les montagnes  à force d’en extraire du marbre, et que nos môles mettent en fuite les flots bleus ? Non, c’est que l’on a soin de son corps, et notre temps ne connaît plus cette rusticité qui survécut [longtemps] à nos premiers aïeux. Mais n’allez pas non plus charger vos oreilles de ces pierres de grand prix, que le noir Indien recueille dans l’eau verte, et ne vous montrez pas alourdies par des vêtements tout cousus d’or. Ce faste, par lequel vous voulez nous séduire, souvent nous met en fuite.

Iskikian

Je commence par la toilette. Dûment, soignée, la vigne donne à profusion le fruit de Liber, et le champ se couvre d’épis élancés. La beauté est un présent divin ; mais qui peut se flatter d’être belle, et dans quelle mesure ? Vous êtes nombreuses à ne pas l’avoir reçue en don. Vous l’obtiendrez par des soins, mais beauté négligée périra, fût-elle semblable à celle de la déesse Idalienne. Si les femmes d’antan ne ses sont pas ainsi occupée d’elles-mêmes, c’est que les maris d’antan ne se soignaient pas davantage. Si Andromaque portait une tunique inusable, quoi d’étonnant ? Son époux n’était qu’un rude soldat. Apparemment, la femme d’Ajax serait venue en grande toilette retrouver un mari qui portait une cuirasse faite de sept peaux de bœuf ! Une rude simplicité régnait jadis.

Maintenant Rome est couverte d’or et possède les immenses richesses de l’univers qu’elle a conquis. Regarde le Capitole, ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il était hier : on dirait qu’il fut la demeure d’un autre Jupiter. La Curie est maintenant tout à fait digne d’une si imposante assemblée : sous le règne de Tatius, elle était en chaume. Le Palatin qui brille d’un si vif éclat sous l’égide (sic ! Note du Copiste…) de Phébus et de ceux qui nous gouvernent, était-il autre chose qu’une pâture pour les bœufs de labour ? Que l’antiquité en charment (sic, une belle coquille, NdC) d’autres : pour moi, je me félicite, en un  mot, d’être né de nos jours. Cette époque est toute faite pour mes mœurs. Ce n’est parce que l’on extrait de la terre l’or malléable, que de lointains rivages nous viennent des coquillages de choix, que les montagnes, à force d’en tirer le marbre, rapetissent, ni parce que des digues écartent au loin l’onde azurée, mais parce qu’il y a la civilisation, que cette rusticité qui subsistait jadis chez nos aïeux n’est pas venue jusqu’à nous.

               Mais n’allez pas non plus charger vos oreilles de ces coûteuses pierreries que l’Indien basané ramasse dans l’eau verte, ni défiler, pesantes, à cause des broderies d’or sur vos vêtements. Ce luxe par lequel vous essayez de nous captiver bien souvent nous fait fuir.

Scansion

Il s’agit de distiques (2 vers) élégiaques, donc le premier vers est un hexamètre dactylique, le second un pentamètre.

Le pentamètre est constant : deux mesures (soit dactyle, soit spondée), les seules que nous indiquerons puisque la suite est automatique : une longue avec sa césure, toujours à la penthémimère, deux dactyles, puis la syllabe finale de ce vers, qui est, comme ailleurs, longue ou brève ; cette syllabe finale longue, dite indifférente ou anceps quand elle est brève, par son addition avec la première longue, donne bien, mathématiquement, un cinquième mètre, d’où la justification pour nous de son nom de pentamètre. Pas pour les latins, pour un supplément d’informations, se reporter au traité de métrique latine de Nougaret. Ou envoyer un courriel au site ! (nous complèterons alors…)

abréviations utilisées ici : s=un spondée, deux syllabes longues, la première portant l’ictus – temps marqué, temps fort de la mesure, battu soit du doigt, soit d’une baguette, soit du pied (ictus=choc du pied sur le sol), d=un dactyle, une longue, deux brèves, la longue portant l’ictus, t=un trochée, une longue suivie d’une brève (ici, syllabe anceps), même ictus ; ensuite, séparées des abréviations du rythme par une virgule, les césures, t=trihémimère, p=penthémimère, h=hephthémimère ; quand il y a une ponctuation à cet endroit, cela correspond à une pause phono-sémantique, ce que vous pouvez signaler – sans en abuser et en présentant son impact, son effet. Ici, nous la mentionnerons si elle nous semble particulièrement signifiante…

Avec, dans le pentamètre, l pour la syllabe longue, a pour la «syllaba anceps» (indifférente).

Ainsi, le vers v. n se lit : dactyle premier, spondée deuxième, dactyle troisième, spondée quatrième, dactyle cinquième (quasi incontournable), spondée final, avec les trois césures, à la trihémimère, la penthémimère et l’hephthémimère.

dssdds, tp avec pause h     101

  ds, l

dssddt, p avec pause h

  ss, a

dddsdt, p avec pause           105

  dd, l

ddsdds, ph

  ds, l

dddsds, ph

 ss, a                                      110

dsssds, ph

  ds, l

dddsds, th avec pause + élision : ROM(a) EST

 ds, l

dsddds, tp                            115

  ds, a

ddsdds, ph

  dd, a

ssddds, (t)p

  dd, l                                    120

dddsdt, tp avec pause h

  ds, l

dsssdt, tph

  ds, a

dsssds, p                            125

  dd, l

ddssds, p

  ds, l

dssdds, tph

  dd, l                                      130

dsssds, l

  sd, l                       

Mot-à-mot

ORDIOR A CULTU Je commence par le soin +du corps+; LIBER PROVENIT BENE AB UVIS CULTIS Liber vient bien des raisins (bien) cultivés, ET SEGES STAT ALTA SOLO CULTO et la moisson se dresse haute sur le sol cultivé. FORMA DEI MUNUS La beauté, le présent d’un dieu. !): QUOTA QUAEQUE SUPERBIT FORMA? Quel petit nombre sort du lot par sa beauté ? MAGNA PARS VESTRUM CARET TALI MUNERE Une grande partie d’entre vous manque d’un tel don. CURA DABIT FACIEM Le soin donnera la tournure; FACIES NEGLECTA PERIBIT  tournure négligée périra, LICET ILLA SIT SIMILIS DEAE IDALIAE. même si celle-ci est semblable à la déesse d’Idalie; SI PUELLAE VETERES NON CORPORA VETERES NON SIC COLUERE CORPORA, Si les jeunes filles d’antan n’ont pas alors soigné leur physique, NEC HABUERE SIC VETERES VIROS CULTOS +c’est qu’+elles n’avaient pas alors des hommes soignés; SI FUIT ANDROMACHE INDUTA TUNICAS VALENTES, Si Andromaque s’est habillée de tuniques résistantes. QUID MIRUM? Quoi d’étonnant ?  ERAT UXOR DURI MILITIS elle était l’épouse d’un rude militaire 110. SCILICET VENIRES ORNATA CONJUX AJACI, Vraiment, tu viendrais sur ton trente et un, épouse d’Ajax CUI SEPTEM TERGA BOUM FUERE TEGUMEN? lui pour qui sept dos de bœufs furent un bouclier ? ANTE FUIT SIMPLICITAS RUDIS : Avant, il y eut une simplicité pleine de rudesse ; NUNC ROMA EST AUREA, maintenant Rome est en or ET POSSIDET  MAGNAS OPES ORBIS DOMITI et possède les grandes richesses du monde +qu’elle a+ dompté. ASPICE QUAE SUNT NUNC CAPITOLIA, QUAEQUE FUERUNT: Tourne tes regards sur ce qu’est maintenant l’ensemble du Capitole, et ce qu’il a été. DICES ILLA FUISSE ALTERIUS JOVIS. On dirait qu’il a été +celui+ d’un premier Jupiter ; NUNC CURIA EST DIGNISSIMA TANTO CONSILIO Maintenant la Curie est très digne/à l’avenant d’une si prestigieuse assemblée. FUIT  DE STIPULA TATIO TENENTE  REGNA Elle était de chaume, Tatius occupant le pouvoir. PALATIA QUAE FULGENT NUNC SUB PHOEBO DUCIBUSQUE Le Palatin qui brille maintenant sous +la protection de+ Phébus et de nos chefs, QUID ERANT NISI PASCUA BUBUS ARATURIS? Qu’était-ce, si ce n’est un pâturage pour les bœufs de labour 120 PRISCA JUVENT ALIOS: Que le passé plaise aux autres ;  EGO ME GRATULOR DENIQUE NATUM NUNC Moi, je me félicite de n’être né que maintenant: HAEC AETAS APTA MEIS MORIBUS. Cette époque +est+ adaptée à mes mœurs/goûts, NON QUIA AURUM LENTUM SUBDUCITUR NUNC TERRAE non (parce) que l’or ductile soit extrait maintenant de la terre -QUE CONCHA LECTA VENIT DIVERSO LITORE  (et) que le coquillage sélect vienne d’un rivage étranger NEC QUIA MONTES DECRESCUNT EFFOSSO MARMORE, ni que les montagnes s’abaissent, leur marbre +une fois+ creusé NEC QUIA AQUAE CAERULEAE FUGANTUR MOLE ni que les eaux céruléennes soient mises en fuite par une digue SED QUIA CULTUS ADEST mais que les soins du corps sont effectifs , NEC ILLA RUSTICITAS SUPERSTES PRISCIS AVIS MANSIT IN NOSTROS ANNOS et que cette grossièreté +qui était la+ survivance de nos lointains aïeux n’a pas perduré jusqu’aux années +qui sont les+ nôtres. VOS NEC ONERATE QUOQUE AURES CARIS LAPILLIS. +Mais+ vous, ne chargez pas non plus vos oreilles d’onéreuses pierreries, QUOS INDUS DECOLOR LEGIT IN AQUA VIRIDI , 130 que l’indien basané recueille dans l’eau verte NEC PRODITE GRAVES VESTIBUS AURO INSUTO, et ne vous montrez pas alourdies par des habits d’or cousu. OPES PER QUAS PETITIS NOS Les richesses avec lesquelles vous cherchez à nous +séduire+, SAEPE FUGATIS, OPES. +c’est+ souvent +avec elles+  +que+ vous +nous+ faites fuir.

Mot-à-mot commenté

ORDIOR A CULTU Je commence par le soin +de son corps+ (avec les deux césures qui détachent CULTU comme un titre, la fierté du créateur – que l’on retrouvera plus loin, v. 122 avec MEIS -s’affiche au tout début, dans cette courte phrase) ; LIBER PROVENIT BENE AB UVIS CULTIS Liber vient bien des raisins/vigne (bien) cultivés/e (LIBER, dieu italique de la vigne, ici, par métonymie, le vin ; UVA : raisin, synecdoque aussi pour la vigne ; CULTUS, ppp de COLO ; BENE porte sur lui comme sur PROVENIT), ET SEGES STAT ALTA SOLO CULTO et la moisson se tient/dresse haute sur le sol/champ cultivé (CULTIS… UVIS//CULTO… SOLO ; ALTA car le blé versé est la malédiction du gai moissonneur !). FORMA DEI MUNUS La beauté, le don d’un dieu. (phrase nominale en adage, traditionnellement expliquée par un EST sous-entendu alors que, s’il n’est pas là, c’est qu’il n’est pas nécessaire ! Notre traduction se veut macaronique, vu le ton du passage, souvenir de : «Didon dina, dit-on, du dos d’un dodu dindon» !): QUOTA QUAEQUE SUPERBIT FORMA? Quel petit nombre sort du lot par sa beauté ? (QUOTUSQUISQUE, QUOTAQUAEQUE, QUOTUMQUODQUE, combien peu, donc au fém. =combien peu de femmes s’enorgueillit < SUPERBUS, cf. Tarquin ; le terme lot, surtout en compagnie (sic !) de petit, garde une connotation… féminine !) MAGNA PARS VESTRUM CARET TALI MUNERE Une grande partie d’entre vous manque d’un tel don (CAREO, cf. une carence). CURA DABIT FACIEM Le soin donnera la tournure (le bel air ?); FACIES NEGLECTA PERIBIT  tournure négligée périra (PEREO, cf. INTERFICIO, trépasser par euphémisme pour ne pas dire : mourir, crever ; NEC-LIGO, étymologiquement : ne pas trier, choisir), LICET ILLA SIT SIMILIS DEAE IDALIAE. même si celle-ci est semblable à la déesse d’Idalie (pour nous, ILLA renvoie, avec emphase, à une femme exceptionnelle, plutôt que : «cette dernière fût-elle semblable à celle de la déesse…» ; LICET avec subjonctif en parataxe fonctionne comme une conj. de subordination ; au reste : «il est permis qu’elle soit…» procède tout aussi bien) ; SI PUELLAE VETERES NON SIC COLUERE CORPORA, Si les jeunes filles d’antan n’ont pas ainsi soigné leur physique (en écho aux neiges d’antan de François Villon ; «soigner» à cause de CULTUS cf. début ; le terme légèrement trivial de «physique» est en lien avec le renvoi réaliste au CORPUS ; SIC renvoie aux circonstances ; PUELLA=femme est préféré par Bornecque, car VIROS=mâle ou mari… Par souci des conventions sociales, alors qu’Ovide prend plaisir à les transgresser, à mots couverts), NEC HABUERE VIROS VETERES SIC CULTOS +c’est qu’+elles n’avaient pas des hommes alors ainsi soignés  (traduction par l’imparfait, au rebours de la concordance stricte des temps en latin ici au PERFECTUM présent ; répéter «d’antan» serait du ressassement en français: le latin apprécie, lui, la répétition, très rhétorique, cf. l’anaphore de SIC et l’homéotéleute); SI FUIT ANDROMACHE INDUTA TUNICAS VALENTES, Si Andromaque s’est habillée de tuniques résistantes (INDUO au passif réfléchi avec acc. de relation ; le pl. pour ne pas donner une impression de pauvreté squalide, les anciennes ne superposaient pas les tuniques ! VALENTES = «grossières» chez Bornecque ; mais nous préférons notre façon de… voir (?), impliquant que l’accès n’est pas si facile, avec un vêtement mono-sexe - le terme VALENS semblant plutôt renvoyer à la force virile), QUID MIRUM? Quoi d’étonnant (ce qui sort de l’ordinaire, digne d’être regardé, cf. miroir) ;  ERAT UXOR DURI MILITIS elle était l’épouse d’un rude militaire 110. SCILICET VENIRES ORNATA, CONJUX AJACI, Sans doute, tu viendrais en tenue de gala/sur ton trente et un/pomponnée, épouse d’Ajax (SCILICET en antiphrase ! VENIRES=irréel du présent) CUI SEPTEM TERGA BOUM FUERE TEGUMEN? lui pour qui sept dos de bœufs furent un bouclier (avec l’impression amusante d’être couvert – TEGUMEN – de sept peaux… Hercule et sa peau de lion sont battus, vu le jeu de mot avec TEGUMEN, ici bouclier, concrètement : tout ce qui sert à couvrir, cf. TECTUM, le toit – l’archi-tecte étant celui qui dirige le toit, sa construction, car nul besoin d’aide pour édifier un mur, mais mettre un toit par-dessus n’est pas à la portée du premier venu…) ; ANTE FUIT SIMPLICITAS RUDIS: Avant, il y eut une simplicité pleine de rudesse (Bornecque opte pour rustique, en jeu de mot avec RU-S ; l’impression de pléonasme transforme la suite en évidence patente (trop ?) !) NUNC ROMA EST AUREA, maintenant Rome est pleine d’or/en or (opposition ANTE#NUNC corroborée par le PERFECTUM#INFECTUM, confirmée par les 3 dactyles du début confrontés aux spondées, le dernier alourdi par la crase ; pause phono-sémantique entre les deux, avec césure héphthémimère) ET POSSIDET  MAGNAS OPES ORBIS DOMITI et possède les grandes richesses du monde +qu’elle a+ dompté (ce qui compte : OPES, en fin de vers, et non la gloire militaire de la conquête. Ovide ne se fait-il pas ici l’avocat du diable ? Il prend ici le juste contre-pied de ses propres propos dans les Métamorphoses). ASPICE QUAE SUNT NUNC CAPITOLIA, -QUE QUAE FUERUNT: Tourne tes regards sur ce qu’est maintenant l’ensemble du Capitole, et ce qu’il a été (Neutre pl. par emphase. Ou le Capitole et ses environs). DICES ILLA FUISSE ALTERIUS JOVIS. On dirait qu’il a été +celui+ d’un premier Jupiter (DICES, § 267 de la Syntaxe latine d’Ernout-Thomas : le futur=potentiel de probabilité, avec une deuxième personne du sg impersonnelle en fait ! ILLA renvoie à un passé révolu ; le FUISSE implique que la mémoire du passé est vivace ! ALTER=premier, comme le premier embranchement d’une alternative qui, par définition n’en a que deux) NUNC CURIA EST DIGNISSIMA TANTO CONSILIO Maintenant la Curie est très digne/à l’avenant d’une si prestigieuse assemblée (ceci ne fleure-t-il pas la flagornerie trop outrée ? avec le renvoi à la DIGNITAS ; Nisard propose CONCILIO, mais il semble que la confusion est fréquente dans les manuscrits… L’apparat critique de Bornecque n’en dit mot, on était moins pointilleux en 1924 : il fallait rapidement occuper le terrain de l’édition classique après la grande-guerre, une fois l’ennemi battu, ce sans la lourdeur pédante des germaniques), FUIT  DE STIPULA TATIO TENENTE REGNA Elle était de chaume, Tatius occupant le pouvoir (ablatif absolu, temporel ; REGNUM au pl.).PALATIA QUAE FULGENT NUNC SUB PHOEBO DUCIBUSQUE Le Palatin (au pl. même jeu que pour CAPITOLIA et REGNA) qui brille maintenant sous +la protection de+ Phébus et de nos chefs, QUID ERANT NISI PASCUA BUBUS ARATURIS? qu’était-ce, si ce n’est un pâturage pour les bœufs de labour (ARO participe futur) 120 PRISCA JUVENT ALIOS: Que le passé plaise aux autres (adj substantivé au neutre pl. ; subjonctif d’ordre) EGO ME GRATULOR DENIQUE NATUM NUNC Moi, je me félicite de n’être né que maintenant (déponent : dépose son sens passif en en gardant la forme ; DENIQUE=finalement, d’où le sens restrictif!): HAEC AETAS APTA MEIS MORIBUS. Cette époque +est+ adaptée à mes mœurs/goûts (HAEC renvoie à NUNC et est le démonstratif de première personne), NON QUIA AURUM LENTUM SUBDUCITUR NUNC TERRAE non que l’or ductile soit extrait maintenant de la terre (on peut tourner par «on» ; avec un  v. composé, le c. peut être au datif – ou alors reprise du préfixe en préposition ! Ductile en clin d’œil à : SUB-DUCITUR ; «extrait» est peut-être trop minéralogique ?)  -QUE CONCHA LECTA VENIT  (et) que le coquillage choisi/sélect vienne d’un rivage étranger (CONCHA=la pourpre ou la perle – où l’on aurait le tout pour… la partie ;  en forçant le sens de DIVERSUS ?) NEC QUIA MONTES DECRESCUNT EFFOSSO MARMORE, ni que les montagnes s’abaissent, leur marbre +une fois+ creusé (EFFODIO, abl. dit absolu) NEC QUIA AQUAE CAERULEAE FUGANTUR MOLE ni que les eaux céruléennes (d’un bleu sombre, donc tempêtueuses) soient mises en fuite par une digue (FERIOR PETRO#FERIOR A PATRE !) SED QUIA CULTUS ADEST mais que les soins du corps sont effectifs  (la traduction de CULTUS n’est pas simple !), NEC ILLA RUSTICITAS SUPERSTES PRISCIS AVIS MANSIT IN NOSTROS ANNOS et que cette grossièreté +qui était la+ survivance de nos lointains aïeux (AVUS est précieux ; le pléonasme pour faire remonter ceci à… Mathusalem !) n’a pas perduré/ ne s’est pas manifestée jusqu’aux années +qui sont les+ nôtres (IN + acc !). VOS NEC ONERATE QUOQUE AURES CARIS LAPILLIS. +Mais+ vous, ne chargez pas non plus vos oreilles d’onéreuses pierreries (ici, la morale rejoint l’économie et Ovide emprunte ici non sans humour la toge de pourpre du censeur - annoncé par CONCHA ? - pour entamer une antienne – qui serait inattendue de sa part si les plis de sa toge n’étaient pas concernés - contre les dépenses somptuaires!), QUOS INDUS DECOLOR LEGIT IN AQUA VIRIDI , 130 que l’indien basané recueille dans l’eau verte (ou plutôt l’éthiopien, noir – DECOLOR, qui a perdu sa couleur naturelle - car brûlé par le soleil comme l’indique l’étymologie grecque de sa dénomination ; la malachite ? ) NEC PRODITE GRAVES VESTIBUS AURO INSUTO, et ne vous montrez pas alourdies par des habits d’or cousu (ablatif de qualité, cf. suture, le manque de souplesse afférant – le light, déjà – se retrouvant dans la pesanteur des spondées de ce vers, les deux césures t et p, l’allitération en sifflantes, la séquence phonique doublée E/I/U/O,  lui-même en écho final ; au reste, n’y a-t-il pas l’interdiction d’afficher sa grossesse= ne vous montrez pas alourdies par un cousu dedans/enfermé=le foetus, peut-on comprendre avant de passer à la suite. Ce serait bien dans la veine d’Ovide ). OPES PER QUAS PETITIS NOS Les richesses avec lesquelles vous cherchez à nous +séduire+ (la traduction directe : «nous chercher» est d’une brutalité trop moderne, nonobstant un féminisme assumé et assuré !), SAEPE FUGATIS, OPES. +c’est+ souvent +avec elles+  +que+ vous +nous+ faites fuir (le texte est très ramassé, cf. nos compléments nécessaires à seule fin de ne pas être hermétique, pour signifier la fuite, voire la débandade (sic !) de l’amoureux devant un tel étalage ! La disjonction entre le relatif QUAS et son «postcédent» OPES (OPS – IS), le PER en facteur commun pour ces deux termes, les sifflantes finales, le OPES en fin qui joue sur l’ambiguïté d’une apostrophe, induisant une fusion fort peu sentimentale entre femmes et argent, tout concourt, après l’interdit somptuaire et solennel du vers précédent, au côté et proverbial et éminemment paradoxal du v. 132).

En préambule, cet extrait du Mondain, en 1737, de Voltaire

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Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
O le bon temps que ce siècle de fer!
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître? ils n’avaient rien,
Ils étaient nus; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah! je le crois encor :
Martialo  n’est point du siècle d’or.
D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;
La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu? c’était pure ignorance.

commentaire

alacrité

humour

Réflexion critique

Un texte

1)     d’une alacrité avérée : Ovide s’amuse.

§  Ce plaisir d’écrire, les répétitions le marquent, elles abondent : passons sur la polyptote – pédante ? - des deux premiers vers (CULTU/CULTIS/CULTO) ; ensuite : FORMA au nom, puis à l’ablatif à la césure h, en 103 ; 103-104 : MUNUS/MUNERE ; PRISCA (120), PRISCIS (128), OPES (fin de 114 et 132), une thématique bien connue ! AUREA (113), AURUM (123), AURO (131) cf. ORNATA (11), FULGENT (121) ;  AQUAE (126), AQUA (130), en fin de vers. Le reflet… Avec un effet donc de miroitement, voire de miroir, cf. 105 : FACIES (sic !) césure p, FACIEM césure h, SIMILIS 106, puis entre 107 et 108, avec un parallélisme total entre PUELLAE et VIROS ; Ce miroir s’avère n’être qu’une illusion et se brise parfois : Andromaque est aux antipodes de son image mythique et figée d’épouse parfaite ; certes, on obtient un reflet plus fidèle, QUID MIRUM ? Mais la brutalité légendaire d’Ajax permet le retour à la réalité, non, le présent n’est pas le reflet du passé : ANTE#NUNC (113), cf. QUAE SUNT#QUAE FUERUNT et toute la suite s’enchaîne sur une série de ruptures judicieusement agencées…

§  Ovide se complaît en même temps dans la multiplication de visions rapides, dont l’apparition est concomitante à leur dissolution, en toute évanescence : celle des vendanges (101), de la moisson (102), la beauté féminine (103), disparue à peine évoquée (104), le maquillage (105), une épiphanie de Vénus vite occultée (106) ; PUELLAE et VIROS d’antan (107-8), Andromaque (109), Hector (110), la femme d’Ajax (111), des personnes idéales ne sont mentionnées que pour mieux les déprécier (NON - 107, NEC – 108, TUNICAS VALENTES – 109, DURI MILITIS – 110, BOUM – 112, RUDIS - 113) ; Ensuite, un tour express dans la superbe capitale du monde, une simple esquisse, certes, mais ô combien impressionnante : ROMA - 113, CAPITOLIA - 115, CURIA -117, PALATIA – 119 (Notons en passant l’encadrement par BOUM en 112 et BUBUS en 120, cf. E -) sans oublier l’ostentation des signes extérieurs de richesse, marques évidentes de pouvoir, malgré les dénégations successives qui les affectent: l’or en 123, la pourpre en 124, le marbre en 125, le port en 126. Derechef, pierres précieuses en 129-130 et tenue de prestige en 131-132 attirent le regard, mais elles sont rejetées (NON, NEC, un leitmotiv) avant même leur mention.

§  Ovide multiplie en kaléidoscope la variation des phrases que ce soit par

·        leurs sujets : je, puis 3ème sg de la description, une interpellation artificielle avec CONJUX VENIRES, un tu généralisant en 115, pour arriver à l'affirmation de l'EGO en 121; l'utilisation de NOSTROS permet le passage au VOS/NOS de la fin, alors que le troisème livre était destiné, à en croire l'auteur, uniquement aus PUELLAE...

·        leurs types: déclaratives, interrogatives de pure forme, rhétoriques: QUOTA QUAEQUE en 103, QUID MIRUM en 110, QUID en 120, jussives, soit au mode impératif (ADSPICE début 115), ONERATE en 129, soit au subjonctif (JUVENT en 121).

·        leurs formes, positive/négative, leurs temps: présent de l'infectum (ORDIOR, PROVENIT), du perfectum (COLUERE) en jouant sur les oppositions (FUIT#EST en 113, SUNT#FUERUNT en 115 en chiasme, 113 étant repris en inversion en 117-118, un plaisant ADEST#NON MANSIT en 127), du futur (DABIT, DICES), des imparfaits de l'indicatif (ERAT en fin 110, ERANT en fin 120), du subjonctif (VENIRES)

·        leurs structures, avec quelques phrases nominales, propres, ne l'oublions pas, à un traité didactique, donc à une vérité générale, en dehors du temps anecdotique: FORMA DEI MUNUS en 103, 110, HAEC AETAS MORIBUS APTA pour mieux s'achever sur le claironnant: MEIS en 122;  en fait, on relève une oscillation répétée entre complexité assénée, aux fortes articulations, aux subordonants marqués (cf. 122 à 128, avec sa cascade de causales d'abord déniées) et simplicité affectée, avec ses asyndètes, cf. 105.

§  Avec la maîtrise de la démarche logique : CULTU/CULTIS en titre, souligné par l’entame en début de vers : ORDIOR (cf. la fin, l’ex-orde), avec un jeu d’opposition, qui sert aussi de transition, entre le PRO-VEHAT du v. 100, un déplacement dans un cadre fixe : IN PORTU, et les deux prépositions A(B), les deux seules voyelles ouvertes dans ce vers 101 ; ce début est contrebalancé derechef, cela ne s’invente pas, par un PRO-VENIT au début du pentamètre suivant! le rythme initial [d s s] avec césure p se retrouvant au v. 104, puis 3 dactyles en 106 ; en fait, ceci sert d’annonce du plan : la part des dieux, LIBER, celle des hommes, SEGES. Mais Ovide n’est pas un mystique, malgré son érudition pointilleuse d’antiquisant (cf. les Héroïdes, les Fastes, les Métamorphoses) [même si IN CAUDA VENENUM : qui sait qu’Ajax, non content de son bouclier à 7 peaux, avait droit à une huitième couche, en bronze, celle-là ?]. Après la féminité mythologique, d’abord divine (Vénus au début du v. 105 , IDALIAE), puis mythique, avec deux incarnations, l’une avérée, Andromaque, l’autre implicite - comment imaginer un héros sans femme ? donc, la femme d’Ajax a existé ! Sans laisser de traces dans la légende -, Ovide en revient rapidement au temps présent, NUNC en 113, avec les succès d’Auguste (113-120), puis ce qui l’intéresse au premier chef, lui-même, 121-122, avec une autosatisfaction affichée que reprendra Voltaire dans Le Mondain ; il rejette les activités, le NEG-OTIUM, TERRA (123, puis 125) MARIQUE (124, puis 126), pour reprendre l’expression militaire, et se targue du CULTUS initial, avec le même rythme pour opposer les LAUDATORES TEMPORIS ACTI (PRISCA JUVENT ALIOS) et le présent qui fait son bonheur: SED QUIA CULTUS ADEST, en dd, longue, césure penthémimère + pause phono-sémantique, 121 et 127. Il ferme le ban par son exigence : une mode et une mise… modestes (peu attendues chez les femmes, au vu des deux distiques nécessaires pour ce faire, avec les amants mis en déroute… Une chute amusante)!

§  Tout un jeu d’opposition s’instaure : mouvement#stabilité : PROVENIT ET (sic !) STAT, vertical#horizontal : ALTA SOLO; don#disparition : DABIT…PERIBIT en 105, PUELLAE opposées en théorie aux VIROS en fin des vers 127-128, d’où les deux volets antagonistes de cet ouvrage, en fait complémentaires, car ceci est contrecarré – ce qui n’est pas fait pour nous surprendre : Ovide manie à loisir l’art de la contradiction interne -  par l’adjectif VETERES deux fois, l’homéotéleute COLUERE et HABUERE ainsi que la structure en partie anaphorique NON SIC… NEC SIT : en fait, c’est que tout ceci relève de la psychologie humaine, en dehors de toute différenciation sexuelle – n’en déplaise aux studies qui font florès actuellement

§  Autre antinomie constante dans le texte, celle entre le passé et le présent : VETERES, COLUERE, HABUERE, FUIT, ERAT FUERE, FUIT, FUERUNT, FUISSE, FUIT, ERANT, MANSIT, en face, les verbes, d’état le plus souvent, au présent : CARET (n’oublions pas que la beauté n’existe pas HIC et NUNC, hélas, elle n’est que promesse, comme nous l’indiquent clairement, sans fard, les deux futurs du v. 125) ; heureusement, AUREA ROMA EST (est-ce bien une consolation ???), SUNT, EST, FULGENT, GRATULOR (verbe de sentiment) ; en fait, les actions, négatives, SUBDUCITUR, DECRESCUNT, FUGANTUR, ou déniées, NON ONERATE… NEC PRODITE, sont rejetées au profit d’un ADEST qui fleure bon son hédonisme bon teint, en a-taraxie (cf. NON, NEC). Ce que confirment tous les adverbes NUNC (113, 115, 117, 119, 121, 123, avec une régularité de métronome !), l’expression HAEC AETAS (122) où le HAEC tangible est corroboré par le MEIS final, le présent lui-même étant en dichotomie : 123 à 126 (NON, NEC, NEC en début de vers), SED… ADEST à la césure p + pause phono-sémantique suivi d’un PERFECTUM nié, NEC MANSIT IN ANNOS (127-8). Oui, le présent se déguste, et il est relevé par les oppositions, par ex. lexicales : NECLECTA (105), LECTA (124) avec la reprise LEGIT en 130… Ce texte est donc marqué par une esthétique du contraste en se moquant de nos préjugés. Par ex. la rupture entre notre représentation mentale d’Andromaque, mythique, et sa réalité «historique»…

§  Paradoxalement, comme pour mieux nous fasciner, des reprises de voyelles, trop fréquentes pour qu’elles ne soient pas voulues : OrdiOr/cUltU cUl/tis bEnE lIbEr/ en 101, , sEgEs AltA sOlO / mUnUs, la série remarquable sImIlIs sIt lIcet en 106, tout en voyelles d’avant, vEtErEs en 107, QuId MIrum ? (sic !) on a envie de répondre : les 4 i suivants, avec durI mIlItIs au v. 110 ; tEgumEn sEptEm tErga fuErE en 112, sImplIcItas rudIs. les exemples sont multiples aussi pour l’allitération, par ex. en [t] en 102, les gutturales en 115, sifflantes [s] en 116, dentales [d, t] en 118. Plus subtil, les axes de symétrie : PrOUE/nIt/Et cUlTO où le ET est justement exclusif ; des échos : dOmIti…pOssIdet OrbIs en 114 pour souligner l’hyperbole ? des paronomases : CARET#CURA, CURIA entre 104 et 105, une contrepèterie, DURI en 110 avec RUDIS en 113…

2)     Tout ceci est empreint d’humour :

Il n’est que de se confronter à ses métaphores éculées (UVIS, SEGES, le vin et le pain !) : NIHIL NOVI SUB SOLE ; ce qui compte est l’INVENTIO, une présentation nouvelle. Ovide appliquerait avant la terre les ordres de Cocteau dans son Rappel à l’ordre (1926) : «Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète»Ce procédé est éclairant ici: n’avons-nous pas une palinodie de LOCI COMMUNES, où Ovide se complaît à prendre le contre-pied des laudatores temporis acti ; un simple relevé lexical permet de prendre conscience de l’écart, du décalage entre la légèreté des propos tenus et le vocabulaire que les sous-tend, historico-épique, de la haute littérature : DEI MUNUS, TALI MUNERE, DEAE, VETERES, DURI MILITIS, DOMITI ORBIS, CAPITOLIA, JOVIS, CURIA DIGNISSIMA, TANTO CONSILIO, REGNA, PRISCA, AETAS, MORIBUS, PRISCIS AVIS, OPES (2 occurrences). Ce vocabulaire est de haute teneur idéologique et ne déparerait aucunement dans une épopée, il est d’autant plus plaisant de le voir mobilisé dans l’objectif de la séduction: le MUNUS est aussi la charge du magistrat, rapproché de FORMA, dont la polyvalence permet tous les jeux… dont les appâts (encore un clin d’œil d’Ovide). CURA (105) en début de vers, comme CURIA (en figure étymologique en 117?), nonobstant la chute inattendue avec DABIT… FACIEM ; l’IDALIAE… DEAE, alias Vénus, en disjonction (début et fin du v. 106) est chère au cœur de tout Romain. La référence aux ancêtres (VETERES, plus loin PRISCIS AVIS), pourtant tournés en dérision, est chère à tout romain digne de ce nom, comme l’AETAS MORIBUS APTA, romain qui se retrouve blessé dans son attente par la chute inattendue pour ce lecteur peu soucieux d’individualisme : MEIS. La Curie est au pinacle de sa DIGNITAS, paradoxalement nuancée par le quantitatif – et non qualitatif ! – TANTO en suspens allusif en fin de vers… Les DUCIBUS impressionnent, certes, un peu moins avec l’homéotéleute BUBUS au vers suivant (cf. plus haut, CONJUX et BOUM, comme l’oxymore TUNICAS… VALENTES, imposé comme normal, par la question rhétorique : QUID MIRUM). Tout est ambigu, marqué au sceau de l’ambivalence : il n’est que de continuer : qu’entendre par LENTUM… AURUM ? Certes, il est physiquement malléable mais il permet aussi tous les arrangements. Le coquillage choisi, est-ce une perle comme le croit Bornecque ou le MUREX de la pourpre impériale, IMPERIUM dont l’origine est bien DIVERSO LITORE. Nous sommes d’ailleurs dans un monde absurde, avec des adynatons (ou adynata ?) : depuis quand les montagnes ne s’érigent-elles plus, et le marbre, matière du tombeau, devient-il tombeau de lui-même, cf. EFFOSSO ? Que dire d’un port qui mettrait la mer en fuite ? Il doit se contenter de contenir les flots sombres (CAERULAE) de la tempête Ce monde à l’envers, cet antipode, c’est celui de la société… augustéenne ; Et l’édiction d’interdiction dénonce bien que les lois somptuaires sont loin d’être respectées ; glissons pour finir sur le douteux GRAVES (enceintes ?). Car plaisante, cette obsession du corps (CORPORA en début de 107), alors que c’est le vêtement qui est visible dans le texte (TUNICAS INDUTA VALENTES en 109, ORNATA, 111, INSUTO VESTIBUS AURO). Et l’animal le plus connu pour sa lourdeur : le bœuf, que l’on suit deux fois, en quasi onomatopées : BOUM, BUBUS… Au reste, au sein de ce passage censé consacré aux soins de la personne, au raffinement, les termes péjoratifs et négatifs abondent : CARET en fin de v. 104, FACIES NECLECTA (boeaurk !), 105, NON, NEC, (107-108), DURI MILITIS (où est le sable chaud du légionnaire cher à Edith Piaf ?), RUDIS (113), QUAEQUE FUERUNT (donc innommables…), NISI (120), la série des NON… NEC jusqu’à la fin du passage étudié, DESCRESCUNT, FUGANTUR, DECOLOR, FUGATIS – BIS REPETITA PLACENT !

Cet humour auquel ne répugne pas, tant s’en faut, le réalisme romain et son refus du paraître. Ceux qui en douteraient, au vu du front marmoréen des IMPERATOR(UM), n’ont qu’à se rappeler le bon mot de Cicéron selon lequel deux augures ne peuvent se croiser sans éclater de rire, ou le plongeon fatal infligé aux poulets sacrés embarqués qui, victimes du mal de mer, se refusaient à prédire la victoire en consommant leur blé, avec «l’oraison funèbre» suivante : puisqu’ils ne veulent pas manger, qu’ils trinquent. Les Dieux, eux, ne rigolent pas : malgré cet effort pour conjurer le mauvais sort, ce fut une défaite mémorable !

3)     Mais la critique affleure :

Derrière le sourire amusé (1), en fait supérieur (2), se cache un esprit plus sceptique au sens étymologique du terme, et contempteur désabusé de son temps, même si Ovide n’est pas le dernier à risquer le reproche d’hypocrisie vu son ancrage social dans les hautes sphères de la NOBILITAS (cf. les richissimes Cicéron, puis Suétone, puis Sénèque, etc.), comme l’atteste d’ailleurs, paradoxalement, son exil définitif.

§  Ainsi, dans sa première ligne de mire, en fin de vers, le terme OPES, v. 114, s’avère à l’analyse pour le moins ambigu: l’ORBIS DOMITI, bilan d’un demi-millénaire de conquêtes, est moins le siège de l’IMPERIUM que du LUCRUM, avec OPES, annoncées par AUREA, et dépréciées par l’utilisation excessive qu’en font les femmes en fin du v. 132. En fait, il y a la partie de l’humanité qui place son intérêt dans son développement personnel, physique et mental, son raffinement sans artifice outrancier ni étalage ostentatoire, et l’autre, violente, rustaude, qui se complaît dans l’expansion territoriale, l’exercice de sa force, une satisfaction brute de ses pulsions – et Ovide s’en voudrait d’en faire partie. Un simple relevé lexical prouvera la pertinence de notre proposition ; la culture, positive, est propre au présent: CULTU, UVIS, SEGES, FORMA, TALI MUNERE, non sans effort : CURA, ce n’est pas… gratuit ! Mais le négatif s’impose actuellement, voire dans le futur: CARET, PERIBIT ; une rétrospective n’a rien d’enthousiasmant : NON COLUERE, NEC CULTOS, DURI MILITIS, SEPTEM TERGA BOUM, SIMPLICITAS RUDIS ANTE ; en fait, si le présent (NUNC, 113, 115, 117, 119, 121) semble de beaucoup préférable, ce n’est pas pour son luxe effréné, même si Ovide y est sensible, d’un point de vue esthétique (ADSPICE… CAPITOLIA, dit-il à son lecteur bénévole, qui n’est plus la lectrice ou plutôt, les. Mais Ovide ne se targue pas d’une cohérence qui serait trop contraignante pour lui): OPES (disjonction, COD après le verbe, en fin de vers), ALTERIUS JOVIS, saut qualitatif évoqué par la disjonction, FULGENT en fin de vers, DIGNISSIMA au superlatif avec l’hyperbolique TANTO en fin de vers ; En fait, Ovide affirme alors haut et fort la primauté de la culture, pour lui bien sûr, avec le sous-entendu qu’il doit être l’un des seuls (cf. pause phono-sémantique en césure p entre ALIOS et EGO (121) et ME en césure h) : GRATULOR en début de v. suivant : elle est sa propre pierre de touche, en cette époque de (re)naissance (NATUM en fin de v. 122), d’abord par le rejet réitéré de tout ce qui est, un refus justifié à quatre reprises : en début de vers, NON QUIA, NEC QUI, NEC QUIA en anaphore. Non, il n’est vraiment pas partie prenante d’un consumérisme délirant, voire, dirions-nous maintenant, d’un développement non durable au point que les montagnes s’aplanissent et que la terre gagne sur la mer - Ovide, écolo ? -, ensuite par son adhésion permanente : CULTUS ADEST, et si RUSTICITAS NON MANSIT (avec son aspect PERFECTUM, c’est bien le résultat d’une action passée !), c’est donc que son antonyme, l’URBANITAS règne, au moins IN NOSTROS ANNOS. Pensons aux efforts d’Auguste, souligné dans ses RES GESTAE, pour embellir, voire refonder Rome. Mais certaines femmes n’y participent pas : VOS NON… ONERATE. Pour Ovide, foin de tout décorum outrancier. La marque des parvenus, des nouveaux riches issus des troubles civils du ce 1er siècle (adieu, Rollex, une obsession dans ce passage !)… L’opposition n’est donc pas entre un passé primitif et un présent civilisé, comme pourrait le faire croire une lecture rapide, mais entre les gens cultivés et… les autres, les femmes ont du travail pour ne pas en être infectées ! Oui, La Bruyère et son caractère du riche : CURIA DIGNISSIMA (cf. DIGNITAS !). Ovide n’est-il pas ici Lorenzaccio ? Ainsi – et le sérieux du propos est évident - le souci de la permanence, garantie par la simplicité, trouve paradoxalement sa carrière au sein de la profusion proclamée. Ce qu’il rejette : la SIMPLICITAS RUDIS, un pléonasme qu’il réussit à transformer, a posteriori, en oxymore. Du grand art ! il faut être E-RUDITUS… A tout le moins, si Ovide ne boude pas son plaisir à apprécier l’exubérance luxueuse, il prêche une modération de bon aloi, nous aurions ainsi une AUREA MEDIOCRITAS ou plutôt URBANITAS qui s’inscrit en creux derrière RUSTICITAS (128) ; ce terme reprend SIMPLICITAS d’ailleurs, vu l’identité d’idée et de place en début de vers. Serait-ce que HAEC AETAS (132), concernant à fortiori Ovide vu le démonstratif de première personne, est bien celui où Ovide tient, sinon à pratiquer, du moins à proclamer (encore Lorenzaccio) cette valeur profondément romaine qu’est la DIGNITAS, cf. DIGNISSIMA ?

§   Elle se marque par le lustre de la civilité, étranger à l’affranchi, au parvenu tel que le Trimalcion de Pétrone, à tous ceux qui étalent leur… luxe ostentatoire. Ce qu’exprime le second volet de notre texte, avec l’or en 113, OPES en 114, CAPITOLIA, dont l’ancien propriétaire a le même nom, mais une réalité totalement différente : ALTERIUS JOVIS (116). Le même jeu d’opposition contrastée entre DIGNISSIMA (117) et STIPULA (118), repris par : PHOEBO, DUCIBUS par rapport aux ARATURIS BUBUS (le ciel/le sol !), corroboré par ALIOS accusatif, versus EGO (121)… La proclamation centrale du pentamètre du v. 122 pourrait laisser croire à une adhésion pleine et entière à ces LUXURIOSI, mais que non pas, à l’audition martelée des 4 dénégations accumulées sur 4 vers : AURUM en fin de 123, la pourpre impliquée par CONCHA en 124, le blanc éclatant du marbre en 125, le bleu sombre de l’eau en 126 laissent, par leur rejet même, toute sa place au CULTUS, le souci, le soin de son propre corps, celui du romain attaché à la vie urbaine. La marque de la civilisation romaine. Les gaulois connaissaient le savon, plus hygiénique que le strigile, mais plus abrasif aussi… En fait, il ne s’agit pas de s’afficher sans raffinement, en confondant son être et son avoir. Foin des signes extérieurs de richesse : NON CARIS LAPILLIS, importées de loin, exotiques (DECOLOR INDUS, une allusion à l’ambassade venue d’Inde en -28 ? cf. l’impact en France de celle de Perse auprès de Louis XIV atteint par la limite d’âge et à l’origine des Lettres Persanes de Montesquieu), les vêtements somptueux avec en fin de vers AURO (131). De toute évidence, les OPES ont été ici convoquées pour être mieux repoussées, un poncif chez les poètes élégiaques, mais auquel Ovide, fidèle à l’esthétique de son temps, redonne un nouveau… lustre !

§   En se permettant une leçon de politique, de distique en distique formant une frise chronologique, privilégiant les rapports entre l’architecture et le pouvoir :

·        ROMA en exergue en – 113 mise au pinacle comme maîtresse du monde en 114 (cd. I, 177, DOMITO… ORBI), d’autant plus AUREA que le PRINCEPS l’a fait restaurer, comme il s’en targue dans ses RES GESTAE, Cf. http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/empereurs_1siecle/auguste/chronologie.html avec sa deuxième colonne: «Métamorphoses d'une ville, de la brique au marbre, urbanisme et propagande» très éclairante pour notre propos. Nous vous laissons le soin du recensement ici exhaustif!

·        CAPITOLIA (115) avec le premier de la triade capitoline, JOVIS en fin de 116, en fait le centre religieux issu de la monarchie. En -31,  Octave restaure le temple de Jupiter Feretrius.

·        CURIA -117, la CURIA JULIA car commencée par Jules C, la première année du triumvirat. , qu’Octave fit achever après l’assassinat, aux Ides de mars 44 – piqûre de rappel ! - de celui qui devint son père après l’acceptation de son héritage ; il l’inaugura en -29, en y installant une statue de la Victoire en or ; c’est le centre politique de la république. Le Sénat, par l’expression TANTO CONSILIO, nous laisse dans l’aporie : il aurait gagné en qualité ce qu’il a perdu à l’époque d’Auguste en quantité, passant de 900 sénateurs à la fin de la République à 600 à la fin du principat d’Auguste, en 3 réductions successives, et LECTIONES de l’ALBUM.

·        PALATIA (119), le site d’Apollon, cher à Auguste depuis sa victoire au promontoire Apollinien d’Actium contre Antoine-Hercule ; l’érection de ce temple avait été décrétée après la bataille de Nauloque en -36, remportée par Agrippa pour le compte d’Octave contre le fils du grand Pompée, Sextus Pompée ; c’est le lieu aussi de la demeure d’Auguste, donc le centre du pouvoir du principat. Tout ceci avec une ambiguïté parfaite : le passé ne déborde-t-il pas sur le présent en impliquant une constante, ce serait toujours l’endroit où les bovins se gobergent, en stabulation contrainte ? (cf. STIPULA, confirmé par l’insistance due à ARATURIS PASCUA BUBUS). Il est difficile de trancher, mais tout ceci fleure, sinon la critique acerbe, du moins la distanciation ironique : les hyperboles sont trop fortes !

§   Quoi qu’il en soit, Ovide rejette bien toute démarche triomphale. Passons sur TATIO (118), roi de Cures, devenu roi avec Romulus après l’enlèvement des Sabines, même si son nom n’est pas sans ressemblance avec M. Titius, qui mit à mort Sextus Pompée alors que ce dernier lui avait sauvé la vie quelques années avant. Sa félonie lui valu l’affront public de devoir quitter sa place alors qu’il présidait les jeux dans le Théâtre de Pompée… Ce type de clin d’œil semble se retrouver ailleurs ; ainsi les 4 ornements du triomphe ne sont pas sans écho dans ce passage ; en synecdoque par la matière, on retrouve l’AUREA CORONA en 123, la TOGA PICTA soit avec, en 131, VESTIBUS AURO (d’autant plus ridiculisée que c’est pour les femmes), soit avec CONCHA, donc la pourpre impériale au vers suivant (124), le SCIPIO (bâton) EBURNEUS d’ivoire derechef par la couleur blanche du marbre au v. 125, puis la SELLA CURULIS par une paronomase : CAERULEAE en 126. Ceci est très artificiel ? Nous ne défendrons pas la pertinence de ce paragraphe… Mais celle du précédent, oui !