v. 681 - 707

Hubert Steiner.

texte traduction universitaire traduction par groupe de mots commentaire

texte

"Dignane, cui grates ageret, cui turis honorem 
ferret, Adoni, fui? Nec grates inmemor egit, 
nec mihi tura dedit. Subitam convertor in iram, 
contemptuque dolens, ne sim spernenda futuris, 
exemplo caveo meque ipsa exhortor in ambos:                  685
templa, deum Matri quae quondam clarus Echion 
fecerat ex voto, nemorosis abdita silvis, 
transibant, et iter longum requiescere suasit; 
illic concubitus intempestiva cupido 
occupat Hippomenen a numine concita nostro.                     690   
Luminis exigui fuerat prope templa recessus, 
speluncae similis, nativo pumice tectus, 
religione sacer prisca, quo multa sacerdos 
lignea contulerat veterum simulacra deorum; 
hunc init et uetito temerat sacraria probro.                           695
sacra retorserunt oculos, turritaque Mater 
an Stygia sontes dubitauit mergeret unda: 
poena leuis uisa est; ergo modo leuia fuluae 
colla iubae uelant, digiti curuantur in ungues, 
ex umeris armi fiunt, in pectora totum                                    700
pondus abit, summae cauda uerruntur harenae; 
iram uultus habet, pro uerbis murmura reddunt, 
pro thalamis celebrant siluas aliisque timendi 
dente premunt domito Cybeleia frena leones. 
hos tu, care mihi, cumque his genus omne ferarum,              705
quod non terga fugae, sed pugnae pectora praebet, 
effuge, ne uirtus tua sit damnosa duobus!" 

traduction universitaire

Dis-moi, bel Adonis, ne méritais-je pas sa reconnaissance et son encens ? Oubliant mes bienfaits, l'ingrat négligea de m'offrir son encens et ses vœux. Indignée de ce mépris, voulant venger le droit de mes autels, et ne pas les voir, dans l'avenir, sans culte et oubliés, je vouai à ma vengeance les deux coupables époux. Ils passaient un jour près du temple qu'au fond d'un bois sacré, Échion fit bâtir à la puissante mère des dieux : la fatigue d'un long voyage les invitait au repos. J'allume dans leurs sens des feux hors de saison. Près du temple, taillé dans le roc, et recevant une faible lumière, est une grotte profonde, asile consacré, ou les prêtres ont déposé les simulacres en bois des dieux antiques. Hippomène pénètre dans cet antre avec son épouse. Ils le profanent, et les dieux détournent leurs regards. La déesse au front couronné de tours allait précipiter les coupables dans les ondes du Styx. Mais ce châtiment paraît trop doux à sa vengeance. Soudain l'ivoire de leur cou de crins fauves se hérisse. Leurs doigts s'arment d'ongles durs et tranchants. Leurs bras en pieds sont transformés. Le poids entier de leur corps sur leur sein tombe et se réunit. Une longue queue se traîne sur leur trace. La colère sur leur front imprime ses traits. Ils ne parlent plus, ils rugissent. Leurs palais sont les antres et les forêts. Lions terribles aux humains, ils mordent le frein de Cybèle, qui les soumet et les attelle à son char. Fuis-les, cher Adonis; fuis, avec eux, tous ces monstres sauvages, qui, sans craindre la poursuite du chasseur, lui présentent un front menaçant, et le défient au combat. Ah ! crains que ton courage ne nous perde tous deux."

traduction par groupe de mots

 

NE FUI DIGNA, ADONI, N'ai-je pas été digne, Adonis, CUI AGERET GRATES qu'il me rendît (en hommage à une concordance des temps que s'acharne à respecter, avec une élégance de goitreux, un phanéro-fascisant) grâce (DIGNUS QUI IMPERET: digne de commander; ici, la construction est pour nous très concise, très ramassée, très resserrée, ce d'autant plus que SDF remplace SUI de l'édition Le Bonniec par: CUI en anaphore. Au reste, le sens en varie peu), FERRET HONOREM SUI TURIS qu'il m'apportât l'honneur de son encens? IMMEMOR NEC EGIT GRATES Sans mémoire ni il ne me rendit grâce NEC MIHI DEDIT TURA ni ne m'offrit/donna de l'encens (pl. poétique pour dégager la générosité... attendue, en un aller-retour du fidèle romain: DO UT DES). CONVERTOR IN IRAM SUBITAM Je suis transformée en une colère immédiate (à tourner par l'adverbe: immédiatement) QUE DOLENS CONTEMPTU et affligée de sa morgue, NE SIM SPERNANDA FUTURIS pour ne pas être méprisable pour les génération futures CAVEO EXEMPLO je prends mes garanties (terminologie juridique) par un exemple QUE IPSA ME EXHORTOR IN AMBOS et moi-même je m'exhorte contre les deux/le couple. TRANSIBANT TEMPLA Ils traversaient un espace (TEM-PLUM=espace découpé dans le ciel par le bâton augural, le LITUUS, et projeté au sol; là où le dieu parle, et non aux fidèles mais aux prêtres, est le FA-NUM, sur un PODIUM chez les romains comme pour mieux séparer le sacré du... pro-fane!) QUAE QUONDAM CLARUS ECHION qu'autrefois l'illustre Echion FECERAT MATRI DEUM EX VOTO avait fait/consacré à la mère des Dieux à la suite d'un voeu, ABDITA SILVIS NEMOROSIS caché par des forêts boisées/profondes, ET ITER LONGUM et le chemin long/la longueur de leur voyage +les+ SUASIT REQUIESCERE persuada de se reposer. ILLIC CUPIDO INTEMPESTIVA CONCUBITUS là un désir à contretemps d'union (de coucherie?) OCCUPAT HIPPOMENEN saisit Hippomène, CONCITA A NOSTRO NUMINE, désir excité par notre volonté (elle-même marquée par un signe de la tête). PROPE TEMPLA Près du temple, FUERAT RECESSUS EXIGUI LUMINIS il y avait (perfectum résultatif) un réduit d'une faible lumière/faiblement éclairé, SIMILIS SPELUNCAE semblable à une grotte, TECTUS PUMICE NATIVO couvert d'une pierre naturelle (non taillée par la main de l'homme), SACER PRISCA RELIGIONE sacré/vénéré à cause de son ancestrale sainteté QUO SACERDOS CONTULERAT où le prêtre avait apporté/déposé MULTA SIMULACRA LIGNEA de nombreuses statues en bois VETERUM DEORUM des anciens dieux (par hypallage: les deux expansions portent sur un terme différent = VETERA SIMULACRA MULTORUM DEORUM). INIT HUNC il entre là ET TEMERAT SACRARIA et il souille le sanctuaire (n. pl. emphatisant: endroit où sont déposés les SACRA) PROBRO VETITO par une souillure interdite (par ce quasi pléonasme, Vénus dénonce la profanation). SACRA RETORSUNT OCULOS Les images sacrées détournèrent les yeux; QUE MATER TURRITA DUBITAVIT aussi la mère couronnée de tours DUBITAVIT AN MERGERET SONTES hésita si elle ne noierait pas les coupables UNDA STYGIA avec l'eau du Styx; POENA VISA EST LEVIS La peine +lui+ sembla légère. ERGO FULVAE JUBAE VELANT Donc/alors de fauves crinières couvrent COLLA MODO LEVIA leur cou tout à l'heure lisse (DSF interprète MODO comme: à l'instant même, portant sur VELANT, pour souligner l'instantanéité de la métamorphose), DIGITI CURVANTUR IN UNGUES leurs doigts se courbent en griffes, ARMI FIUNT EX HUMERIS des pattes (plus précisément: des articulations des épaules, terme théoriquement réservé aux animaux, par opposition à UMERUS! distinction en fait mal respectée) se font à partir des épaules, TOTUM PONDUS ABIT IN PECTORA tout leur poids part sur leur poitrine, SUMMAE HARENAE VERRUNTUR CAUDA toute (pour marquer tant que faire se peut le pluriel!) la surface du sable est balayée par leur queue, VULTUS HABET IRAM leur physionomie présente la colère (lieu commun: pour un romain, un lion n'est concevable qu'irrité), REDDUNT MURMURA PRO VERBIS ils répondent des rugissements à la place de mots, CELEBRANT SILVAS PRO THALAMIS ils fréquentent les forêts au lieu de leur chambre; QUE LEONES TIMENDI ALIIS et lions devant être craints par les autres +sauf Cybèle+ PREMUNT FRENA CYBELEIA ils pressent les freins de Cybèle DENTE DOMITO avec leur+s+ dent+s+ domptée+s+. TU EFFUGE HOS, Toi, fuis-les, CARE MIHI, cher à mon coeur (ici, tout est possible; mon coeur? Mon p'tit coeur? Selon les effusions propres à chacun!) QUE CUM HIS et avec eux, OMNE GENUS FERARUM toute+s les+ espèce+s+ de bêtes sauvages QUOD PRAEBET qui présente+nt+ NON TERGA FUGAE non leur dos pour fuir (< pour la fuite) SED PECTORA PUGNAE mais leur poitrine pour combattre, NE TUA VIRTUS de peur que ton courage SIT DAMNOSA DUOBUS ne soit funeste pour nous deux.

(présentation des trois aspects du texte qui nous ont particulièrement intéressé:)

il s'agit donc là (1) d'un texte bien mené, enlevé, (2) relevant du merveilleux, (3) et imprégné de religieux.

1) Ce passage présente des expressions très ramassées indicatrices des passions (au sens étymologique!) ressenties et des souffrances infligées, en un aller-retour prenant:

Vénus se montre pleine de ressentiments et l'attaque de son réquisitoire est forte: nous n'en voulons pour preuve que la très forte disjonction entre DIGNA au début de 681, et le FUI, à la césure p du vers suivant, juste après l'apostrophe brutale à un témoin objectif (qui ne peut qu'être partial vu sa position (sic!) d'amant), dont la réponse ne peut qu'être positive. En fait, après l'action de Vénus en faveur d'Hippomène, c'était à ce dernier de réagir: deux verbes d'action, AGERET, FERRET, en début de vers. Les dentales (sonores [d], sourdes [t] ou nasales [n]), comme les gutturales (ou vélaires) sonores [g] ou sourdes [k] avec la résonance des liquides [r], alliée au jeu subtil généré par les oppositions entre voyelles ouvertes [a] et fermées [i], [u], participent à l'indignité infligée à celle qui le méritait le moins. Les répétitions: GRATES deux fois en 681, puis 682, l'anaphore: NEC après la césure p en 682, puis en début de v. en 683, les phrases courtes, sèches, puis une plus longue (683 - 685), une interrogation brutale au début, suivie des déclaratives, d'abord en syndèse (NEC), puis en brutale asyndète, soulignée par le SUBITAM, l'abondance des sifflantes sourdes [s] en fin de 684 et 685, l'écho angoissant des [o] en 685, le passage brutal, sans transition, au récit anecdotique, voire le rythme de 685 avec ses deux élisions (sdssds), tout participe à l'éveil de notre intérêt, et à être en sym-pathie, au sens étymologique du terme, avec Vénus. Cette démarche affective n'empêche pas de sa part l'utilisation de la réflexion: n'oublions pas ses justifications... légales (cf. CAVEO, v. 685) comme pour se disculper de toute accusation de cruauté de la part d'Adonis, ce pauvre Chéri, pour paraphraser Colette. Ce passage donne en effet lieu à un plaidoyer PRO DOMO où Vénus se montre la meilleure avocate qui soit pour se justifier, elle, la déesse du bonheur et du nonchaloir amoureux: elle a subi une insulte indigne d'elle, comme l'exprime brutalement le DIGNA en début de vers, le jeu entre le CUI et le SUI, en une construction très ramassée (cf. le rythme enlevé: h - dsddds), l'apostrophe à ADONIS, au vers 682, en une question qui ne peut admettre qu'une réponse positive. Face à cette vérité indubitable, le coupable a persisté - IMMEMOR - dans son erreur, ce que démontre la reprise deux à deux de GRATES, puis de TURIS/TURA en variatio. Devant un tel comportement, alors qu'il n'y avait que peu de choses à faire avec les deux verbes d'action: EGIT en fin de vers, DEDIT en penthémimère, l'anacoluthe et la disjonction entre SUBITAM et le mot IRAM en fin de vers 683 montrent que le dépit ne peut qu'être irrépressible et immédiat, le CONVERTOR rappelant subtilement qu'une telle attitude n'est pas dans la bonne nature de la déesse de l'amour: CONVERTOR. Aussi réclame-t-elle haut et fort, au présent, comme revivant ce moment, toute sa responsabilité dans le traitement infligé aux deux sacrilèges, cf. fin de 683, 685; DOLENS surgit comme une justification probante à la césure penthémimère du v. 684, les deux sifflantes et la fricative [f] incarnent bien ce mépris vipérin, sifflant que rejette avec hauteur Vénus: sa gloire est en cause, en une reprise avec FUTURIS de l'idée exprimée par DIGNA en début de passage. Elle renvoie à l'idée partagée par les romains - et les américains fiers de leur barbarie quand ils prônent la peine de mort - que les châtiments effroyables ont une valeur formatrice, exemplaire: EXEMPLO en début de vers 685, avec toujours cette réticence qui la rend... humaine et touchante: l'abondance des [o] incarne cet effort pour lutter contre sa douce nature: IPSA, le EX de EXHORTOR. Le parallélisme du rythme est éclairant: 684-685: p - sdssds. Vénus laisse la place à Cybèle, d'abord discrètement, par le truchement d'un récit anecdotique, comme le montre l'imparfait TRANSIBANT en début de 688, et le datif DEUM MATRI à la césure p. Pour mieux évoquer la réalité du sacrilège commis, les termes religieux abondent: TEMPLA au pl. en début de v. 686, puis en 691, EX VOTO à la césure p du v. 687, avec surenchérissement, vu l'accumulation des termes en 693, DEORUM en fin 694, SACRARIA en 695, une figue étymologique pour le SACRA suivant au début du v. 696. Vénus implique alors directement Cybèle, sans détour malgré la périphrase car cette représentation de Cybèle est si classique qu'elle figure sur les monnaies et que Du Bellay la reprendra dans un de ses sonnets des Antiquités de Rome: fin de 696 avec la responsable en fin d'hexamètre; notons qu'en fine avocate, Vénus oublie vite sa propre responsabilité pourtant évoquée en fin de v. 690 par: A NUMINE CONCITA NOSTRO, le nous de majesté (après le 685: ME!) rehaussant la divinité par rapport aux pauvres humains que nous sommes. Cybèle, puisqu'il nous faut bien l'appeler par son nom (cf. 704, comme si là se trouvait la solution d'une énigme, solution longtemps reportée vu les périphrases utilisées par Vénus/Ovide pour le nommer) envisage un châtiment classique: la noyade dans le Styx, l'hyperbate dans la construction syntaxique exprimant la violence de sa rancoeur, comme d'ailleurs l'allitération en dentales ainsi que le jeu d'opposition entre voyelles ouvertes et fermées, comme pour mieux donner écho à l'inimitié divine (697). POENA est la terme technique pour la peine infligée, après la condamnation. Tout comme Vénus, Cybèle ne tergiverse pas: ERGO MODO avec ses trois [o] et après la césure p et elle opère immédiatement, les images de ses actions s'accumulent en asyndète, au présent, - et Vénus semble ainsi se délecter au spectacle de cette punition - avec des verbes assez souvent hors de leur place canonique en fin de phrase. Pluriel et singulier alternent, comme actif et passif, comme l'hyperbate en 701, en 703, puis 704. Le jeu des voyelles est lui aussi évocateur et tout frémissant de mouvement... comme la reprise de la construction avec PRO en 702 - 703.. La rupture entre LEONES, repris immédiatement en asyndète avec HOS, surenchérit sur les effets affectifs, comme, de nouveau, la brutale apostrophe avec TU, CARE MIHI. Le EFFUGE est l'impératif qui clôt ce passage et en fait explique tout le récit d'Atalante et d'Hippomène: Vénus a un but pédagogique. Nous savons que son discours n'atteindra pas le but escompté: la réalité s'empressera dès les vers suivants de la détromper...

Comme d'habitude donc, Ovide fait tout, de façon expressive, peut-être trop pour ceux qui sont insensibles aux affres d'un certains romantisme, pour mieux nous toucher...

2) ce texte est donc enlevé, avec des aspects que l'on qualifie communément de fantastiques, mais qui semblent plus proche du merveilleux, si, d'après les travaux de Todorov, on oscille dans le fantastique, entre l'étrange (bizarre, bizarre! mais tout s'explique à la fin) et le merveilleux (le surnaturel existe bien); ce merveilleux qui n'aurait pas déplu au Cocteau de la Belle et le Bête!

Le processus d'animalisation, la métamorphose en fait (bien marquée au centre du récit par les constructions IN+ACC ou EX + abl, voire PRO + abl.), cela est subtilement mené, puisque ce récit se veut performatif: ll s'agit, ne l'oublions pas, de convaincre Adonis de ne pas se prendre pour un Nemrod, cf. la fin en fin de 703: ALIIS TIMENDI; Vénus s'affirme l'instigatrice de tout, sans fard et sans état d'âme: CONVERTOR, la colère justifie tout: IRAM en fin de vers (683). Nous avons donc au départ une sorte de furie rentrée, où la haine suinte à chaque détour de vers, en exacte proportion avec la déception ressentie. Puis vient le lieu, sauvage, avec la punition qui tombe brutalement, au moment où l'on s'y attend le moins: TRANSIBANT en début de vers (688), REQUIESCERE, sans oublier le détail trivial, qui fait vrai: INTEMPESTIVA CUPIDO en 699, présenté sans fard: OCCUPAT en début de vers. Tout favorise le processus physiologique évoqué: LUMINIS EXIGUI, RECESSUS, un p'tit nid d'amour SPELUNCAE SIMILIS, même si tout ceci nous est présenté de façon allusive, comme censuré: VETITO... PROBRO en fin de vers 695. Ce brouillard sémantique, ce flou volontairement mis (par fausse pudeur?) permet au lecteur d'entrer progressivement dans le cadre du merveilleux: ce qui le favorise est bien sûr un lieu à l'écart dans un endroit déjà écarté, et la présence matérielle, physique, tangible, comme dans la Vénus d'Ille, par ex., du surnaturel, ici, des statues, en 694: LIGNEA SIMULACRA. Celles-ci sont d'autant plus impressionnantes qu'elles sont la marque d'un long passé: RELIGIONE PRISCA, VETERUM et que l'on souligne combien elles sont - ou plutôt devraient- être respectées: SACER, ainsi que SACERDOS, DEORUM à chaque fois en fin de vers. Nous entrons de plain pied dans le surnaturel, de façon immédiate, par le truchement d'un seul vers (695) avec son verbe révélateur INIT qui n'est pas sans cruauté: Il renvoie implicitement à l'initiation propre aux Mystères, comme ceux d'Eleusis, il souligne la responsabilité d'Hippomène présenté comme un profanateur, ce verbe relève aussi de la littérature érotique. Cette accumulation subtile de multiples référents, ou d'échos dans le réel, sur un seul terme - procédé qui sera repris, avec combien d'efficacité, par l'école symboliste et Mallarmé - permet de passer à l'animation au sens étymologique du terme des statues: elles se montrent douées de mouvement et de sentiments, en une seul courte phrase, soulignée par la césure h (696); l'opposition entre voyelles [a] ouvertes et les suivantes, fermées, les sifflantes, du début, les dentales sur tout le vers participent à notre acceptation de cette scène où, comme avec Pygmalion, des statues s'animent. Ovide achève d'ébranler l'esprit critique de son auditeur-lecteur - cartésien avant la lettre? Mais c'est bien ce qu'il convient d'opérer pour faire participer ce dernier au plaisir donné par le merveilleux: il faut y adhérer directement, de bonne foi - en évoquant le Styx. La suite est donc... logique! ERGO, sans suspens ni retard, car la réalité merveilleuse est bien là, ne serait-ce qu'en un seul rapprochement de mots: LEVIA (COLLA) FULVAE (JUBAE); certes on passe du tactile au visuel, mais ce n'est pas, au départ du moins, changement de nature comme l'indique le terme: VELANT; on passe donc de l'homme (DIGITI, UMERIS, VERBIS, THALAMIS) à l'animal (UNGUES, ARMI, CAUDA, MURMURA, SILVAS), en balancement, en terminant sur le lieu de vie de chacun: la chambre pour l'un, la forêt pour l'autre; la dichotomie est ainsi réelle mais nous sommes passé de l'un à l'autre, comme naturellement, en un processus certes quasi immédiat, mais qui s'opère sans difficulté. Les verbes le soulignent: CURVANTUR, puis: FIUNT en césure h au v. 700, ils deviennent... eux-mêmes, en action, après le ABIT en césure t, au v. 701, avec ses spondées: dsssds (où la bête fauve s'impose physiquement, corporellement: PECTORA, CAUDA); ils sont... massifs, d'où le pl HARENAE renforcé par le SUMMAE, conforme à l'image traditionnelle: un lion ne peut ne pas être furieux, en césure p au v. 702 (sdssds), avec l'antéposition de IRAM qui éclate en début de vers. la suite semble on ne peut plus normale, ils agissent en animaux, la transformation une fois opérée: parallélisme PRO + ablatif, en anaphore, suivi d'un chiasme COD-verbe, verbe COD, ce dernier en césure h (ddsddt)., ils n'ont plus rien à voir avec nous, comme semble vouloir l'exprimer l'opposition entre les occlusives et les liquides dans les v. 702-704. Ovide nous le rend sensible, en des vers très expressifs: allitération en R et opposition marquée entre voyelles fermées et ouvertes, pour donner tout leur écho aux feulements des fauves en 702; ainsi, la métamorphose se veut ici particulièrement travaillée, avec un luxe de détails dignes d'un ouvrage de sciences naturelles: Ovide commence par ce que les lions ont de plus remarquable extérieurement: leur crinière pour terminer par leur mâchoire, DENTE en début de 704. De même, il est passé des doigts aux épaules, puis au thorax, pour continuer par la queue et revenir pour finir à la tête: VULTUS, puis MURMURA, avec l'endroit où ceux-ci résonne, en une belle... ouverture: SILVAS. Il achève l'ensemble sur la présentation du char de Cybèle traînée par ces fameux lions. Ainsi, la précision des termes corrobore le côté merveilleux du texte: ces lions existent, ils nous sont présentés, avec le terme qui les désigne, comme la solution de l'énigme en fin de vers et d'anecdote: LEONES (704), en présentant ce qui les caractérise: la mâchoire (DENTE) avec l'angoisse du gibier virtuel que nous sommes pour eux: TIMENDI en fin de 703, sans oublier le DENTE en un singulier collectif surprenant, DOMITO, en un jeu de nasales-dentales angoissant. Derrière chaque lion se cacherait donc un des deux du couple indigne, et même derrière chaque bête sauvage, on peut soupçonner une telle punition: CUM HIS GENUS OMNE FERARUM. Le surnaturel déborde là totalement dans le réel, ce qui est bien la définition du merveilleux...

3) Ce dernier terme n'est jamais loin du religieux, puisque le surnaturel y devient tangible et s'incarne dans le réel; de fait, le sacré est ici très présent:

d'abord, lexicalement:

AGERE GRATES (681), FERRE HONOREM TURIS (n'oublions jamais que les dieux de l'Olympe vivent et sont immortels non seulement dans la mesure où ils se nourrissent de nectar et s'abreuvent d'ambroisie, mais aussi parce qu'ils vivent des sacrifices (encens, victimes) que l'on célèbre en leur honneur; privé de ces derniers, Dionysos n'a-t-il pas manqué mourir au fond de son tonneau?). Cela même semble une obsession (compréhensible maintenant, vu ce que nous venons d'expliquer) chez Vénus: NEC GRATES EGIT une deuxième fois, NEC TURA DEDIT, l'ensemble étant subtilement en parallèle... Le désir de ne pas être un objet de mépris FUTURIS, avec son ambiguïté: masculin ou neutre pl., pour les générations à venir relève de la même démarche psychologique - plus compréhensible chez un être humain que chez un dieu. On comprend mieux alors l'évhémérisme - Le TEMPLA a son sens étymologique: un espace découpé dans le ciel, projeté sur le sol, donc sacré, puisque le couple (AMBOS) nous est présenté en train de le traverser: TRANSIBANT. L'origine de cette fondation nous est donnée, de façon allusive, avec EX VOTO à la césure p. Tout ceci renvoie aux dédicaces officielles orant le fronton des temples romains - et dont Voltaire s'inspira pour son église du château de Fernet: VOLTAIRIUS DEO EREXIT. D'emblée est mis en valeur l'aspect sacré, donc séparé du monde des vivants, du lieu (pensons au SACER ESTO, le formule du Tribun du peuple pour faire expédier AD PATRES celui qui a violé sa sacralité): ABDITA, avec sa sauvagerie ambiante (disjonction NEMOROSIS... SILVIS aux sifflantes et opposition de voyelles ouvertes-fermées inquiétantes), rendue plus sensible par l'opposition avec FECERAT - action humaine - du début du vers (687). Nous sommes pourtant dans le cadre du quotidien: TRANSIBANT... ITER LONGUM. mais le religieux fait intimement partie de la vie quotidienne de chaque romain. Au reste, il ne s'agit pas de disculper le couple: les dieux aveuglent ceux qu'ils veulent perdre et Hippomène choisit mal son moment: INTEMPESTIVA, et son lieu, certes trompeur puisque SPELUNCAE SIMILIS mais en fait un RECESSUS... SACER avec le surenchérissement RELIGIONE PRISCA déjà annoncé par le QUONDAM du v. 684: il s'agit d'un lieu de culte ancien à Thèbes. Les circonstances rendent le passage à l'acte d'Hippomène sacrilège: TEMERAT, même si le mot PROBRUM est laïc et désigne un acte répréhensible tombant sous le coup de la loi (Nous nous inspirons ici librement de Mmes Dubarry-Sodini et Flobert, les éditrices et commentatrices du texte chez Hatier, les Belles Lettres). Le SACERDOS est étymologiquement celui qui donne le sacré et désigne le prêtre affecté à une divinité particulière... Ici, Cybèle, même si nous ne savons pas qui sont ces anciens dieux dont les statues (SIMULACRA) ont été déposée (CONTUELRAT) ici; des Xoana ? Les anciennes représentations des dieux en Grèce étaient des statues grossières en bois, LIGNEA en début de 694. Notons de toute façon que les endroits de culte dédiés aux déesses-mères telle que Cybèle en Asie mineure se trouvaient dans des endroits reculés: les rocs (PUMICE NATIVO), les montagnes et les bois; elles étaient protectrices des morts que la terre résorbe en son sein, d'où aussi ce RECESSUS qui sert certes de SACRARIA, lieu où l'on a déposé les SACRA, mais est aussi une image du tombeau... Cybèle a d'abord été désignée par une périphrase en 686 DEUM MATRI, puis par TURRITA MATER en fin de 696; ces désignations débouchent sur STYGIA, le fleuve des Enfers par lequel jurer est absolument contraignant pour les dieux. La métamorphose opérée sur 5 vers, Cybèle est explicitement nommée, par son adjectif: CYBELEIA. Une fois l'attelage présenté, puisque ce qui est sacré n'est pas vraiment fait pour être vu par un oeil humain - sauf, bien sûr, les appâts de Vénus par Adonis - le texte se termine sur un EFFUGE en début de 707. Mais il est bien connu que les interdictions, même sacrées, sont transgressées...

Ensuite, de faon subtile, implicitement: ce passage renvoie aussi, sans jamais l'évoquer directement, à un épisode de la légende de Vénus: pourquoi en fait Vénus instille-t-elle en Hippomène le désir (de titiller?) d'Atalante dans cet enclos sacré? Ce n'est pas par hasard que cette profanation a lieu dans le temple de Cybèle-Déméter, Cérès: en fait, Vénus-Aphrodite a un contentieux avec la fille de cette dernière, Perséphone: celle-ci, fille d'ailleurs selon une partie de la tradition de Déméter/Zeus, mais selon une autre, fille de Styx, la nymphe du fleuve infernal et de Zeus (d'où peut-être aussi l'évocation de ce fleuve?) se serait vu en effet confier Adonis, par Aphrodite/Vénus qui l'avait recueilli après sa naissance. Vu le charme de ce dernier - car issu lui-même des sulfureuses amours incestueuses de Myrrha - Perséphone voulut le garder pour elle; mandé, Zeus se déchargea sur la muse Calliope, mère d'Orphée, de la décision; cette dernière, en un jugement encore plus subtil que celui de Salomon, décida que le jeune homme passerait 1/3 de son temps avec la déesse infernale (car épouse d'Hadès-Pluton), 1/3 avec la déesse de Chypre, puisque, après sa naissance du sperme de Chronos châtré par Zeus, les Zéphyrs emportèrent d'abord la déesse à Cythère puis à Chypre (De même, après ses amours publiques avec Arès-Mars dans les lacs de son mari Héphaïstos-Vulcain, c'est à Chypre que notre déesse se réfugia, tout honteuse), l'autre 1/3 où il voudrait. Le choix d'Adonis fut, bien sûr... Aphrodite-Vénus; est-ce parce qu'elle est aussi déesse des jardins et qu'Adonis est fils de Myrrha, devenus un arbre? Nous penchons plutôt pour la fascination qu'elle exerce (raaahh lovely, Gotlieb! ou le loup de Tex Avery?). Nous voyons donc qu'un épisode n'existe jamais en soi: il a toujours des échos subtils. Notons de plus qu'Aphrodite-Vénus en voulut à Calliope de son jugement et se vengea sur son fils Orphée en le faisant déchirer vivant par des femmes de Thrace que notre poète, après la mort d'Eurydice, a dédaignée... pour se rattraper sur les hommes, d'après une tradition soucieuse de justifier l'homosexualité... Quoiqu'il en soit, avant sa mort évoquée au chant suivant, Orphée annonce en quelque sorte - et ceci nous renvoie à la conception qu'avaient les anciens du tragique: accomplir sa destinée, d'abord sans le savoir, puis en l'assumant et en le faisant sien, en assumant sa liberté d'homme - le sort qu'il y subira, en nous montrant ici une Vénus vindicative, affamée de vengeance, impitoyable. Pour finir, remarquons que, dans le texte suivant, Ovide le vengera en quelque sorte avant sa mort, en lui faisant décrire sans fard la mort physique d'Adonis, et les affres de Vénus face à ce deuil... annoncé! Il y a là tout un effet esthético-affectif de rappels ou d'annonces implicites où Ovide s'affiche clairement comme un érudit à qui rien n'échappe, un subtil connaisseur des légendes romaines; nous n'en voulons pour preuve que Les Fastes, marqué eux aussi par la recherche du merveilleux (cf. 2); vu les circonstances, certes le religieux (cf. 3) y est plus présent. mais c'est toujours avec le souci de la vivacité (cf.... 1!) de ses récits qu'Ovide nous fascine...

Pour clore ton commentaire, résume très brièvement ce que tes approches, tes éclairages personnels en 1, 2, 3 t'ont permis de poser indubitablement...Vale!


l'ex-prologue, repoussé dans les bas-fonds: «Quand verrai-je, hélas! de mon petit modem apparaître un autre nom que le mien ou celui de Marie Rolland, attachée comme moi au même banc de nage, à ramer, sans rien voir venir à l'horizon, pas le moindre soutien, ni intellectuel ni financier, pas le moindre fifrelin sous la forme d'une contribution financière à l'ordre de FAI, notre chère association? A moins que vous n'ayez cliqué sur notre morceau de pub, en préliminaire? Quel bazar!

Place au texte!

(En le lisant, je saisis d'ailleurs le sel de notre situation de traducteur bénévole!)»