avant-propos: DSF ici = siglaison de Dubarry-Sodini et Flobert, éditrices et commentatrices du texte chez Hatier, les Belles Lettres.
par: Hubert Steiner
texte | traduction universitaire | traduction par groupe de mots | commentaire |
Non tamen eventu juvenis deterritus horum
constitit in medio vultuque in virgine fixo
'quid facilem titulum superando quaeris inertes?
mecum confer' ait. 'seu me fortuna potentem
fecerit, a tanto non indignabere vinci:
namque mihi genitor Megareus Onchestius, illi
605
est Neptunus avus, pronepos ego regis aquarum,
nec virtus citra genus est; seu uincar, habebis
Hippomene victo magnum et memorabile nomen.'
Talia dicentem molli Schoeneia vultu
aspicit et dubitat, superari an vincere malit,
610
atque ita 'quis deus hunc formosis' inquit 'iniquus
perdere vult caraeque jubet discrimine vitae
conjugium petere hoc? non sum, me judice, tanti.
nec forma tangor, (poteram tamen hac quoque tangi)
sed quod adhuc puer est; non me movet ipse, sed aetas.
615
Quid, quod inest virtus et mens interrita leti?
Quid, quod ab aequorea numeratur origine quartus?
Quid, quod amat tantique putat conubia nostra,
ut pereat, si me fors illi dura negarit?
Dum licet, hospes, abi thalamosque relinque cruentos.
620
Conjugium crudele meum est, tibi nubere nulla
nolet, et optari potes a sapiente puella.—
cur tamen est mihi cura tui tot jam ante peremptis?
Viderit! Intereat, quoniam tot caede procorum
admonitus non est agiturque in taedia vitae.—
625
Occidet hic igitur, voluit quia vivere mecum,
indignamque necem pretium patietur amoris?
Non erit invidiae victoria nostra ferendae.
Sed non culpa mea est! utinam desistere velles,
aut, quoniam es demens, utinam velocior esses!
630
At quam virgineus puerili vultus in ore est!
A! miser Hippomene, nollem tibi visa fuissem!
Vivere dignus eras. Quodsi felicior essem,
nec mihi conjugium fata inportuna negarent,
unus eras, cum quo sociare cubilia vellem.'
635
Dixerat, utque rudis primoque cupidine tacta,
quod facit, ignorans amat et non sentit amorem.
Cependant, sans être épouvanté du trépas
qu'ils reçoivent, Hippomène s'élance, s'arrête au milieu de la lice. Là,
tenant les yeux attachés sur les yeux d'Atalante : "Pourquoi, dit-il,
cherchez-vous une gloire facile contre des hommes sans vertu ? Courez avec moi
dans la carrière. Si je dois à la fortune la palme du combat, vous n'aurez à
rougir ni de votre défaite, ni de votre vainqueur. Je suis fils de Mégarée
qui règne à Oncheste, et petit-fils du dieu des mers. Mon courage n'est point
au-dessous de ma noble origine; et si je succombe, votre victoire sur Hippomène
vous assure une gloire immortelle " Il dit, et la fille de Schénée le
regarde, et son coeur est ému. Elle semble incertaine si elle doit désirer de
vaincre, ou d'être vaincue.
"Quel dieu cruel et jaloux l'oblige, disait-elle, à rechercher mon hymen
au péril du trépas ? Ah ! mon hymen est d'un moindre prix. Ce n'est pas la
beauté de ce jeune étranger qui me séduit; elle serait cependant digne de me
toucher. Mais il est encore dans un âge si tendre ! Ce n'est pas lui, c'est son
âge qui m'intéresse; c'est son audace intrépide et son courage que ne peut
effrayer l'aspect du trépas; c'est le sang des dieux qui coule dans ses veines;
c'est surtout son amour et ce généreux dessein de m'obtenir par la victoire,
ou de périr si le sort me refuse à ses vœux. Tandis que tu le peux encore,
jeune étranger, éloigne-toi. Fuis un hymen sanglant. La recherche de ma main
est funeste et terrible. Il n'est point de princesse qui, plus heureuse
qu'Atalante, refuse de s'unir à toi par les plus doux liens. Mais d'où naît
ce tendre intérêt que je prends à son sort, lorsque tant d'autres princes ont
déjà succombé ? Qu'il meure, s'il le veut, puisque ces tragiques exemples
n'ont pu l'épouvanter; qu'il meure, puisqu'il est si las de vivre.
Il mourra donc parce qu'il a voulu vivre pour moi ! un indigne trépas deviendra
le prix de son amour ! Ah ! ma victoire sera cruelle et peu digne d'envie. Mais
cependant qu'on n'accuse que lui ---. Puissent les dieux te faire renoncer au
danger où tu cours !ou si ta raison t'abandonne, que tes pieds soient donc plus
vites que les miens ! Malheureux Hippomène ! pourquoi m'as-tu connue ! Tu méritais
de vivre; et si, moins infortunée, les destins jaloux ne me défendaient
l'hymen, toi seul aurais fixé mon sort et fait ma destinée."
Elle dit, et déjà, par l'Amour d'un premier trait blessée, elle désire, et
ignore; elle aime, et ne sait pas encore ce que c'est que l'amour.
TAMEN JUVENIS Cependant +notre+ jeune homme, NON DETERRITUS EVENTU HORUM (non effrayé) sans être effrayé (de l'issue: ce qui est arrivé) du sort de ces derniers (ici, les vaincus évoqués au v. précédent, 599), CONSTITIT IN MEDIO s'est dressé (sens perfectum) au milieu +du cirque, cf. META, v. 597+ QUE AIT (v. 603) et dit, VULTU FIXO IN VIRGINE (le visage) le regard fixé sur la jeune fille: QUID QUAERIS TITULUM FACILEM Pourquoi cherches-tu un (titre) honneur facile SUPERANDO INERTES en vainquant des +personnes+ sans ressort (IN négatif + ARS)? CONFER CUM ME Rivalise avec moi. SEU FORTUNA ME FECERIT POTENTEM Si le destin me fait (sens perfectum) (puissant) gagnant (attribut du cod ME), NON INDIGNABERE (pour -RIS, INDIGNOR déponent; remarque la classique concordance des temps entre la conditionnelle antérieure - futur antérieur - et la principale - futur simple) tu ne trouveras pas révoltant VINCI A TANTO d'être vaincue par +un homme de+ ma qualité. NAMQUE GENITOR +EST+ MIHI MEGAREUS ONCHESTIUS De fait, (le géniteur est à moi, datif de possession) mon père est Mégarée, +fils+ d'Onchestos, NEPTUNUS EST ILLI AVUS Neptune est (à lui) son grand-père, EGO +SUM+ PRONEPOS REGIS AQUARUM moi, je suis l'arrière-petit-fils (cf. népotisme, un processus de promotion familiale ô combien actuel!) du roi des eaux. NEC VIRTUS EST CITRA GENUS et mon courage n'est pas (en deçà de) inférieur à ma race. SEU VINCAR, HABEBIS Si je suis (au futur, bien sûr, par concordance des temps avec la principale, au rebours du français) vaincu, tu auras NOMEN MAGNUM ET MEMORABILE (un nom) une réputation immense et (mémorable) immortelle, HIPPOMENE VICTO, Hippomène (ayant été) vaincu. SCHOENEIA ASPICIT MOLLI VULTU La fille de Schénée observe avec un doux regard DICENTEM TALIA (le disant de telles choses) celui qui tient de tels propos ET DUBITAT AN MALIT et hésite si elle préfère SUPERARI VINCERE être vaincue, +ou+ vaincre ATQUE INQUIT ITA et parle ainsi: QUIS DEUS INIQUUS FORMOSIS Quel dieu hostile (aux gens beaux) à la beauté (le latin privilégie le concret là où le français opte plutôt pour l'abstraction, la généralisation) VULT PERDERE HUNC veut perdre (celui-ci) ce jeune homme QUE JUBET PETERE et ordonne qu'il recherche HOC CONJUGIUM cette union DISCRIMINE CARAE VITAE par la mise en enjeu d'une précieuse vie? NON SUM TANTI Je ne suis pas d'un si grand prix (gén. de prix), ME JUDICE à mon +humble+ avis (abl. absolu, en fait régulier ici: le juge a une position objective, donc détachée). NEC TANGOR FORMA D'ailleurs, je ne suis pas touchée de sa beauté - TAMEN POTERAM QUOQUE cependant, je pourrais aussi TANGI HAC être touchée par cette dernière - , SED QUOD EST ADHUC PUER mais parce qu'il est encore maintenant un enfant ; IPSE NON ME MOVET, Lui-même ne m'émeut pas, SED AETAS mais son +jeune+ âge. QUID QUOD VIRTUS INEST Et puis (QUID est ici adjonctif d'insistance, les QUOD étant sur le même plan que celui, causal, de 615; on trouve, chez Cicéron, un autre QUID QUOD: que dire encore de ceci que...) (parce que) le courage est en lui ET MENS INTERRITA LETI ainsi qu'un esprit non effrayé de la mort (IN+TERRITUS + gén.). QUID QUOD NUMERATUR QUARTUS Et puis (parce qu') il est compté le quatrième AB ORIGINE AEQUOREA à partir d'une origine maritime (métaphore pour son arrière grand-père Neptune) QUID QUOD AMAT Et puis (parce qu') il aime QUE PUTAT TANTI et estime à si grand prix NOSTRA CONUBIA notre mariage UT PEREAT qu'il périt (TANTI, corrélatif de UT) SI FORS DURA si une destinée rigoureuse ME NEGA(VE)RIT ILLI me refuse à lui (au sens emphatique?). DUM LICET, HOSPES, Pendant qu'il est (permis) possible, étranger (celui qui est accueilli, comme venant de l'extérieur; la même racine a donné, en positif l'hôte, hôpital, hôtel, en négatif, HOSTES, l'ennemi car hostile), ABI QUE RELINQUE retire-toi (sic?) et abandonne THALAMOS CRUENTOS (des, pl. poétique) une chambre ruisselante de sang (y aurait-il ici une allusion inconsciente au flux menstruel? Voilà qui plairait à l'historien Michelet, cf. son texte sur Jeanne d'Arc et ses relations avec sa femme). MEUM CONJUGIUM EST CRUDELE (Mon) L'union avec moi est cruelle; NULLA NOLET (Aucune ne voudra pas; - X - = + ) Toute femme voudra TIBI NUBERE t'épouser ET POTES OPTARI et tu peux être souhaité A PUELLA SAPIENTE par toute jeune fille bien élevée (raisonnable? En fait, qui ne soit pas nymphomane, la sagesse, d'essence philosophique, n'étant pas une qualité recherchée à l'époque chez une épouse). TAMEN CUR CURA TUI EST MIHI Cependant pourquoi (le souci de toi est à moi) me soucié-je de toi TOT PEREMPTIS JAM ANTE tant +de jeunes gens+ ayant été déjà enlevés auparavant? VIDERIT (au futur antérieur: par ex. VIDERIS: tu verras) (il verra) A lui de voir; INTEREAT QUONIAM NON EST ADMONITUS Qu'il meure puisqu'il n'a pas été averti CAEDE TOT PROCORUM par le massacre de tant de prétendants QUE AGITUR IN TAEDIA VITAE et est conduit (vers les) au dégoût de la vie. IGITUR HIC OCCIDET Donc celui-ci mourra QUIA VOLUIT VIVERE CUM ME parce qu'il a voulu vivre avec moi QUE PATIETUR NECEM INDIGNAM et il souffrira une mort indigne +de lui+ PRETIUM AMORIS comme prix de +son+ amour? NOSTRA VICTORIA ERIT Notre victoire sera INVIDIAE NON FERENDAE d'une haine (non) insupportable (génitif de qualité). SED CULPA NON EST MEA Mais (la faute n'est pas mienne) ce n'est pas ma faute. UTINAM VELLES DESISTERE Si seulement tu voulais renoncer AUT, QUONIAM ES DEMENS ou, puisque tu es fou, UTINAM ESSES VELOCIOR si seulement tu étais plus rapide! AT QUAM VULTUS VIRGINEUS Mais à quel point un air virginal EST IN ORE PUERILI se trouve sur +ce+ visage (puéril) d'enfant! A! MISER HIPPOMENE, Ah, malheureux Hippomène, NOLLEM FUISSEM VISA TIBI j'aurais voulu ne pas avoir été vue de toi. ERAS DIGNUS VIVERE Tu étais digne de vivre; QUOD SI ESSEM FELICIOR (QUOD renforçateur de la conjonction conditionnelle) Si j'étais plus heureuse NEC FATA IMPORTUNA et que les destins défavorables MIHI NEGARENT CONJUGIUM ne me refusaient pas le mariage, ERAS UNUS tu serais le seul CUM QUO VELLEM avec lequel je voudrais SOCIARE CUBILIA unir +nos+ couches. DIXERAT +Ainsi+ (pour marquer la forte asyndète) avait-elle parlé QUE UT RUDIS et en tant qu'inexpérimentée (UT comparatif, fonctionnant comme un atténuatif, vu le tranchant de l'expression; autre possibilité: UT causal - DSF - parce qu'elle était inexpérimentée) QUE TACTA PRIMO CUPIDINE et touchée (par un premier Amour) pour la première fois par l'Amour (DSF préfère une leçon sans majuscule), IGNORANS QUID FACIT ignorant ce qu'elle fait (ici, interrogative indirecte, par exception, à l'indicatif: ainsi, Vénus insiste sur la distorsion évidente entre les actes d'Atalante et la conscience qu'elle en a: les deux coexistent en même temps, sans que l'héroïne en perçoive l'antinomie dirimante; certes, la grammaire scolaire classique indique que l'interrogative indirecte est toujours suivie d'un subjonctif, mais ceci n'est vrai ni dans la vieille langue, ni, parfois, même si c'est rarement, chez Cicéron, et de façon plus convaincante pour nous, face à un poète tel qu'Ovide, chez Virgile: la Syntaxe Latine d'Ernout-Thomas propose en effet l'exemple: VIDEN UT... STANT), AMAT ET NON SENTIT AMOREM elle aime et elle ne se rend pas compte de son amour.
Ce passage a pour nous,(rouennais d'adoption, même si ébroïcien de cœur!), une forte tonalité cornélienne: il y a une volonté certaine de mettre en exergue (1) l'héroïsme des deux protagonistes (sic!). Ces derniers font preuve aussi d'une réelle (2) ardeur juvénile, ce qui ne va pas ici, dans la bouche de Vénus, sans une mise en place quelque peu... humoristique (3)...
1) un texte cornélien avant la lettre? Ceci souligne bien qu'Ovide a plusieurs facettes à son art, avec des stances dignes de notre poète rouennais, basochien sans la confrontation au terrain!
Il y a d'abord l'affirmation héroïque de soi par Hippomène avec le rythme alterné du v. 600: dsdsds qui est aux antipodes de la réaction du vulgum pecus: NON TAMEN en début de vers... DETERRITUS. Un euphémisme: EVENTU et le rejet d'HORUM en fin de vers souligne son indifférence au destin des autres prétendants, puisqu'ils ne sont pas de même niveau (cf. 604: TANTO); Fièrement, sans hésiter: CONSTITIT en début de vers suivant, IN MEDIO à la césure p, sans ciller: harmonie en [U] et FIXO en fin de vers. L'absence d'hésitation de notre héros se marque par le rythme rapide du v. 602: dddsds, et il veut donner une leçon de dépassement de soi à son adversaire: FACILEM, INERTES en fin de vers qui est ici d'une ironie cruelle, marque d'indifférence, puisqu'ils sont morts! Le défi, après la dépréciation du FACILEM TITULUM à la césure p du v. 602) est lancé sans tergiverser, en asyndète dès le début du vers suivant et souligné par la césure p correspondant à une pause phono-sémantique après AIT; le face-à-face est impliqué par la reprise de CUM en préposition, puis en préfixe. L'alternative est proposée sans fard: SEU après la césure p au même vers, dont les spondées (sdssds) soulignent l'importance de l'enjeu: POTENTEM aussi en fin de vers, comme les 3 dentales sourdes [T], SEU au vers au vers 607 après la césure h, lui aussi appesanti par les spondées: ssdsds, avec la polyptote de l'enjeu: VINCI En fin de 604, VINCAR en 607, VICTO en 608 à la césure p (repris en VINCERE en 610 en toute logique, dans le for intérieur d'Atalante); l'intervention orale directe d'Hippomène débutait par le gérondif SUPERANDO en 602 après la césure p, Atalante reprend ce terme à son compte avec SUPERAR(I) après la césure p en 610, avec l'apostrophe du I, comme pour éluder cette éventualité... (nous aurions pu faire ici le relevé des termes relevant du sport, de la course) La superstition d'une sportive? Notons que le défi lancé par Hippomène est respectueux, sans rodomontades ni vantardise: FORTUNA avec le rejet au vers suivant de FECERIT, la double négation syntaxique: NON et lexicale IN-DIGNABERE. Il s'empresse d'expliquer, sans s'imposer avec le rythme rapide des deux vers: 605 (dddsds), 606 (sddsds), ce que son TANTO pourrait avoir d'outrecuidant et de blessant pour son interlocutrice: NAMQUE en début de vers suivant, puis NEC en début de 607 montrant que la logique est respectée. Lui-même se met d'abord en retrait MIHI, pour terminer sur EGO, mais ce, avec le plus grand respect pour le REGIS AQUARUM; le prestige des ancêtres de notre héros - bon sang ne saurait mentir! - est efficacement relevé: GENITOR à la césure p du vers 605, ILLI emphatique en contre-rejet en fin de vers, EST au présent de vérité historique éclatant en début de vers suivant, AVUS à la césure p en 606, les sifflantes abondantes participant à cet effet. Tout ceci est rapidement résumé, en surenchérissement: VIRTUS par le début du vers 607, avec les mêmes sifflantes. Froidement, Hippomène envisage frontalement l'autre hypothèse, en rapprochant les deux verbes au futur en fin de vers: VINCAR HABEBIS, et nous terminons sur une structure binaire propre au langage héroïque, ce que corroborent les nasales: MAGN(UM) ET MEMORABILE NOMEN. Notons que, non sans un orgueil bien caché, Hippomène s'affiche comme la cause de cette réputation avec l'ablatif absolu du début du vers, mis en valeur par la césure p.
Le dilemme auquel se trouve alors confronté Atalante est fermement et clairement annoncé d'entrée en 610 avec 3 verbes personnels encadrant les deux termes de l'alternative à l'infinitif, comme pour montrer que l'enjeu relève de l'absolu... Notons la concision du passage: le choix est si exclusif entre les deux termes qu'ils ne sont même pas reliés par une coordination; ici fleurit l'asyndète brutale, frontale... Foin des tergiversations, semble annoncer un tel procédé, ce qui est une prétérition en fait, puisque Atalante va nous faire part de ses affres sur 25 vers...
La réaction à cette tirade de SCHOENEIA - d'autant plus présente qu'elle est sujet de 4 verbes personnels en deux vers, le vers 610 commençant et finissant par un verbe - est d'abord sans expression directe, vu l'utilisation de la troisième personne du singulier: en 611, HUNC, 615: PUER EST à la césure p, IPSE au même vers, au point de ne plus considérer que les qualités de la personne: VIRTUS (acceptant donc le VIRTUS hautement revendiqué en 607) ET MENS (à la césure h), NUMERATUR, AMAT, PUTAT, PEREAT, ILLI où les évocations sont de plus en plus fréquentes et permettent de passer à la première d'interlocution directe au v. 620 avec les impératifs: ABI, RELINQUE, puis le pronom personnel TIBI, puis l'indicatif POTES; Atalante, non nommée - rappelons-le - en tant que telle revient, dans ses affres, à la troisième, brutalement, au début du vers 624: VIDERIT, encore plus brutalement - en un comportement dont la psychanalyse fait ses choux gras: INTEREAT en asyndète avec la césure p et le rythme rapide dddsds. En fin de vers 629, elle repasse, après avoir proclamé haut et fort son innocence à la césure p, à la première personne: elle réinterpelle le candidat à la confrontation en fin de vers, en un rythme assez enlevé: sddsds, avec l'accentuation du regret par l'alternance au vers 630: dsdsds, et elle poursuit sur cette personne jusqu'à la fin de sa propre tirade, avec le jeu de la deuxième personne et la fin sur la première: VELLEM.
Ces alternances de personne soulignant le dilemme au cœur duquel se débat Atalante sont confirmées par le rythme varié de cet ensemble: la contemplation d'Hippomène (avec un jeu subtil de reflet, le VULTU final rappelle le VULTU du vers 601, après la césure p - encart de DSF, guide pédagogique chez Hatier: l'expressivité du regard est soulignée par les emplois de VULTUS [les anciens connaissaient l'étymologie par VOLO, cf. VOLO, NOLO, MALO en 610, 612, 621, 625, 628, 631, 634]): a été marquée par des spondées: 609 (dsssds), le problème auquel elle est confrontée par une série de dactyles: 610 (dddsds), comme l'opposition entre les voyelles ouvertes [A] et fermées [I] et [U]. Le ASPICIT en début de vers amène naturellement le jugement général: FORMOSIS: Hippomène en fait partie; le rapprochement entre INIQUUS accusateur en fin de vers 611 et PERDERE en début de vers suivant est révélateur. Atalante, dans le droit fil de l'oracle (564-566), se disculpe d'emblée: QUIS DEUS... VULT à la césure t, avec le JUBET qui surenchérit à la césure h du vers 612 en rythme alternant dsdsds. Le terme CONJUGIUM en début de 613 la ramène à elle-même, en une dénégation brutale: NON SUM après la césure p, dénégation renforcée par le NEC du début du vers suivant, que la parenthèse suivante transforme en antiphrase: FORMA reprend le FORMOSIS, HAC insiste sur l'impact en Atalante de la tournure d'Hippomène, et la répétition dans le même vers de TANGOR, TANGI en fin de vers montre bien que ces stances ne sont pas de l'ordre de la réflexion purement intellectuelle. La fausse excuse: AETAS jaillit en fin de vers 615 (ddsdds): le personnage cherche, en ces 5 premiers vers, à justifier en lui, l'impression ressentie, et tout lui est bon, même l'auto-justification: POTERAM TAMEN... QUOQUE. La série des anaphores sur 3 vers: QUID QUOD accumule justement les raisons d'aimer: idéologique: VIRTUS avec les spondées: dsssds, généalogique: ddddds, où le ton semble plus amusé, malgré l'épithète épique AEQUORA et QUARTUS montrant que le couplet (605-606), le message - quasi obligé à l'époque - d'Hippomène sur ses origines connues (donc nobles au sens étymologique, ceux qui ne sont pas connus étant ignobles!) a été bien reçu: QUARTUS en fin de vers. Atalante sait se montrer raisonnable: la seule issue ne peut être que le mariage, la troisième raison d'aimer étant qu'elle est aimée: AMAT en césure t, et la réflexion a progressé: CONJUGIUM HOC en 613, CONUBIA NOSTRA en fin de 618 après la césure h, ultérieurement CONJUGIUM MEUM en 621, le TANTI reprenant celui de fin 613. Après ces interrogatives, Atalante passe à l'ordre brutal, un peu atténué par le DUM LICET à la césure t. Elle s'accuse violemment: CRUENTOS en fin de vers, auto-flagellation renforcée par les 3 labio-vélaires [QU], ce que corrobore l'adjectif CRUDELE au vers suivant et les courtes phrase indépendantes en asyndète. Les dactyles s'accumulent, en opposition avec les spondées funèbres de 619 (dsssds, cf. 616 sur la même idée): 620 (ddddds avec césure t), 621 (dsdddt avec césure t), 622 (dsdddt avec césure p). Elle continue ses phrases déclaratives pour tester la crédibilité de ce coup de foudre jouant l'entremetteuse, en proposant au jeune homme d'envisager d'autres partis. La fin se termine d'ailleurs sur une acceptation implicite, puisqu' a priori, Atalante ne se prend pas pour une vierge folle, pour paraphraser une des paraboles évangéliques (et oui! Je suis catho!!!). Aussitôt, le déni réapparaît (cf. NEC FORMA TANGOR): TAMEN, souligné par les monosyllabes très vifs, ainsi que le rythme et les césures: dddsds, t et h, comme par le martèlement des occlusives très sèches et le passage à l'interrogative. Le passé rejoint notre héroïne, comme un aveu, en forme de regret, de son indignité: TOT I(AM) ANTE PEREMPTIS. Mais fuse ensuite le rejet impitoyable, en début de vers 624, avec VIDERIT d'une indifférence évidente par le passage brutal à la 3ème du singulier et le retour donc au monologue intérieur, une indifférence proclamée, réclamée avec la mise à mort (subjonctif d'ordre) symbolique immédiate: INTEREAT, confortée par l'asyndète entre les deux verbes et la césure p, sans ce rythme enlevé: dddsds en 624. Et notre prétendant est condamné avec violence (cf. les occlusives sourdes de ce passage, comme les dentales du v. 625 et début de 626, comme d'ailleurs dans les deux vers suivants) pour passivité évidente: ADMONITUS en début de vers, EST à la césure p, avec AGITUR derrière, face à l'évidence de la multiplicité (rappelons que faire exception, sortir du cadre, ne pas tenir compte de la réalité est, pour un romain, le comble de la sottise; d'ailleurs, la révolution ne se dit-elle pas: RES NOVAE?): TOT disjoint de PROCORUM en fin de vers encadrant CAEDE. Mais le VITAE final fonctionne comme une sorte de rappel de sa responsabilité: Atalante se confronte au futur inéluctable au début du vers suivant: OCCIDET, avec sa responsabilité: MECUM en fin de vers 626. En fait, le QUIA annule le QUONIAM du v. 624, et le retournement du point de vue de la jeune fille est conforté par les [U] du vers, conversion confirmée par le passif, ici plus positif, PATIETUR. Nous retrouvons le thème cher à Corneille, de l'honneur par l'adjectif INDIGNAM en début de vers, rendu positif lui aussi par l'interrogative à laquelle la réponse sera négative. Notons d'ailleurs le dépréciatif NECEM à la césure p, l'indignation rentrée étant marquée par le rythme sdddds. Le vers 628 reprend cette notion d'honneur, vu le sens étymologique d'INVIDIAE à la césure p, au point d'éluder la gloire de la victoire qui s'efface entre l'encadrement du vers: NON... FERENDAE. Mais immédiatement la réaction ne se fait pas attendre: nous repassons du futur ERIT au présent EST, à la césure p et de responsable (responsabilité certes atténuée par le NOSTRA), Atalante, pour reprendre une expression qui a eu son heure de gloire, devient non coupable; sa culpabilité personnelle est encore atténuée (cf. plus bas, en 634, FATA) par l'élision du A de MEA sur le E d'EST (cf. scansion); sddsds. Les regrets s'accumulent, après les césures p (629, 630): UTINAM¨+ subjonctif imparfait (rappel grammatical: UTINAM + subj. pr. = souhait, du type: puisses-tu X à l'infinitif, UTINAM + subj. imp. = regret dans le présent, du type: si seulement X à l'imp. de l'indicatif, UTINAM + subj. plus que parfait, du type: si seulement X au plus que parfait de l'indicatif), confortant l'impossibilité d'une issue, ce que renforce le rythme alternant des dactyles et des spondées en 630: dsdsds avec l'élision du AM de QUONIAM. La souffrance d'Atalante est exprimée par les 3 A en début des vers 630 - 633, marquée par l'homophonie: AUT, QUONIAM et AT QUAM, son intensité est accrue par l'adjectif dépréciatif: DEMENS à la césure p; mais ce qui est en cause est ce qu'il est: interpellation ES, ou plutôt ce qui lui manque VELOCIOR ESSES, avec reprise du même verbe d'existence, pour mieux souligner, paradoxalement, une absence. La pitié (MISER au vers 632) est confirmée par l'âge, donc l'innocence (car la psychanalyse est bien postérieure à notre texte!) du concurrent, avec un hystéron-protéron qui inverse la relation de cause à effet: VIRGINEUS en césure p, puis PUERILI, avec une structure en parallèle: VIRGINEUS a, PUERILI b, VULTUS a, OR(E) b. La compassion vire à l'attendrissement avec le plus que parfait FUISSEM en fin de vers, avec le retour au discours: HIPPOMENE au vocatif à la césure p, avec la bienveillance: TIBI. L'apitoiement, une des marques du tragique, se marque par le passage d'ESSE à l'imparfait à la césure p, et la reprise de VIVERE (cf. 626), voire d'INDIGNAM (627) par DIGNUS. De l'opposition sémantique entre FELICIOR (cf. VELOCIOR en 630 concernant, lui, Hippomène) et INPORTUNA surgit le héros exceptionnel: UNUS en début de v. 635, repris par QUO à la césure p, avec une certaine alacrité finale due au rythme: dsddds. Mais (QUOD) notre héroïne subit le tragique de sa situation, état mis en évidence par le renforçateur QUOD SI immédiatement après la césure p et le ESSEM final et elle le subit, malgré ses sursauts de dénégation (NEC IN-PORTUNA, NEGERENT en fin de vers), ainsi que le parallélisme métrique qui évoque cette emprise des FATA (cf. 564 - 566, puis 611: DEUS INIQUUS, 619: FORS DURA) : v. 633: ddssds, v. 634: ddssds, même si cette contrainte est quelque peu atténué par l'élision du A: FAT(A) sur le I initial. Le regret est appuyé par l'évocation de l'union: CONJUGIUM à la césure p, CUM et SOCIARE au v. suivant, pour terminer sur CUBILIA au pl. Vénus clôt brutalement cette longue tirade alternant discours direct et monologue intérieur en aparté par DIXERAT, avec une explication des réactions de notre héroïne: si Hippomène est VIRGINEUS pour elle, elle aussi - comme l'indique la syndèse QUE deux fois - l'est: RUDIS, PRIMO, IGNORANS à la césure p du v. 637, avec le jeu entre AMAT et l'inconscience qu'elle en a: NON, relevée par l'alternance rythmique: dsdsds. Rappelons que l'ignorance des personnages est en rapport inverse avec la connaissance qu'en a le spectateur dans une œuvre tragique et en est même un des ressorts les plus profonds...
2) un échange amoureux marqué par la vivacité juvénile: L'engagement se fait brutalement, en rupture: TAMEN, sans ambages et sans hésitation: NON DETERRITUS, sous la pulsion de la passion subite, comme le marque le parfait en début de v. 601: CONSTITIT au point que la réalité est évacuée par un euphémisme encore atténué par la disjonction: EVENTU HORUM, EVENTU étant à la césure p (dsdsds) en un rythme régulier alternant incarnant la tension, comme l'harmonie imitative des U fermés. La décision d'agir est donc immédiate: MEDIO en raccourci, à la césure p, avec le rythme rapide du mouvement, puis ralenti par les spondées (ddssds); le regard est insistant, en une fine notation physico-psychique: on sait la place que tient le regard dans la relation, cf. MOLLI VULTU en fin de vers 609 qui évoque la réaction d'Atalante à la déclaration tranchée d'Hippomène; notons aussi les deux voyelles très fermées (U voyelle comme consonne, puis I) comme pour en évoquer l'intensité... la vigueur de l'interpellation, marquée par les occlusives sourdes (602), voire les gutturales sourdes [K] en 602 et 603, l'insistance avec l'encadrement du v. 602 par FACILEM et INERTES, les asyndètes: 602-603, 605-606, soulignant l'orgueil, hautement affiché du jeune homme, la rigueur des parallélismes: SEU 603, SEU 607, les allitération en nasales: 608.
Les hésitations de notre héroïne, sur 25 vers, relèvent de la naissance de l'amour et ceci est conforté par la reprise de [u], parfois soutenu par la fricative [f] et dans le voisinage des labiales [m] ou [b] ou p (cf. 621 et 626) comme aux vers 601, 607, 611-612, 625, avec sa reprise aux initiales en 630: VIRGINEUS-VULTUS, puis VISA, VIVERE, FELICIOR; ceci ne nous renvoie-t-il pas aux sonorités du baiser, aussi cher à Vénus d'emblée qu'il peut être refoulé, mais profondément désiré par Atalante? (ce § est fortement inspiré de DSF)
Les stances d'Atalante sont marquées par le trouble (cf. DSF), à son insu: DUBITAT (610) et elle ne cessera de développer ce point de vue; sûre de vaincre, elle fait ensuite preuve de lucidité: ME JUDICE; elle alterne, par ses interrogations multiples, les négations, voire les dénégations, affirmation de soi et hésitations contradictoires, ce qui souligne son aporie. Sa raison oscille, revient, bascule de nouveau dans le refus hautain, entre prise de conscience et délire non sublimé...De fait, Atalante commence par une généralité, qui frôle déjà l'aveu: FORMOSIS, avec la sensibilité à la situation potentielle: HOC CONJUGIUM, et tangible: HUNC; de même la vie est CARAE certes à Hippomène, mais ne l'est-elle pas déjà à Atalante?
Faut-il voir une litote, la dénégation confirmant, en bonne psychanalyse, le désir? NON FORMA TANGOR au début du v., avec le besoin d'objectiviser (déjà impliqué par l'ablatif absolu du v. précédent: ME JUDICE, où le ME ne se veut pas au même niveau que le sujet de SUM, le second concernant la personne, le premier relevant seulement de l'intellect) le rapport pour tenter d'échapper au fantasme, fin du v. 614. La reprise du verbe TANGOR est trop vive pour ne pas laisser filtrer le désir, avec TANGI en fin de v. Le jeu du rythme est aussi révélateur de ce refus extérieur qui implique une acceptation profonde: ssddds, ce que vient confirmer l'anacoluthe entre FORMA (ablatif de moyen) et QUOD (causale), soulignée en fait par les syndèses NEC et SED en début de v. 614 et 615. Le ADHUC fonctionne comme une sorte d'appel à dépasser le stade de l'enfance de la part d'Hippomène, mais c'est aussi un rappel au fait qu'elle-même se doit de ne rien tenter face à sa supposée innocence. Nabokov, avec Lolita, a bien montré ce qu'il fallait en penser! Et le terme AETAS en fin de v. vient le confirmer, ce qu'infirme pourtant la forme même du texte avec ses labiales évocatrices qui abondent, ainsi que le rythme saccadé par les dactyles: ddsdds, avec le rappel à la réalité en césure p, ce que corroborent et les sifflantes finales et les E (fermés).
Toute une stratégie amoureuse qui se retrouvera dans la Clélie de Mlle de Scudéry, avec sa carte du Tendre s'ébauche: Le Tendre sur Inclination est apparemment dénié: NEC FORMA TANGOR (614, avec son aparté ambigu!). Mais notons tout de même qu'Hippomène dépasse la Nouvelle Amitié par sa sincérité et son grand cœur, ainsi que sa générosité, la probité étant peut-être AETAS en fin de vers. Le Tendre sur Reconnaissance ne pourrait s'opérer, en levant apparemment la malédiction, qu'une fois la compétition faite, ce qui n'est pas le cas; reste donc le Tendre sur Estime, et là, les raisons abondent: l'indifférence face à la mort, MENS INTERRITA LETI, la noble extraction: ORIGINE QUARTUS, en insistance par le rythme: ddddds en 617, vu l'ignominie d'une mésalliance. Mais la victoire finalement revient, ce que laissait supposer le martèlement des gutturales sourdes initiales sur toutes les interrogatives de 616 à 618, au Tendre sur Inclination: QUOD AMAT en césure t avec son rythme alternant dsdsdt, ses dentales, PUTAT étant en césure h. Ceci se marque aussi par le passage à l'apostrophe, et l'auto-accusation: CRUENTOS en fin de v. 620, avec son rythme rapide: ddddds, suivi de CRUDELE, lui aussi essentiellement dactylique: dsdddt. Mais le mot CONJUGIUM est tout de même lancé audacieusement, en début de vers 621: l'esquive, la mise en garde n'est-elle pas le meilleur moyen d'éveiller la convoitise par la transgression de l'interdit?
De fait, le désir se marque par les nasales initiales en 621, avec la double négation très affirmative NULLA NOLET et le rejet très fort de ce dernier vers, ainsi que par le martèlement des labiales sourdes [P], avec l'évocation de la concurrence: NULLA, et les rythmes dactyliques: 621, dsdddt, 622:dsdddt, 623: t h dddsds, 624: dddsds. N'y-a-t-il pas de meilleur appât que de dire qu'elle n'est pas une femme pour toi, le SAPIENTE annonçant le DEMENS de 630, certes concernant Hippomène, mais qui se ressemble s'assemble... Le rapprochement MIHI, TUI, à peine évoqué, est immédiatement annulé d'entrée par le TAMEN de 623; suit donc la mise à mort verbale de l'amoureux, et non amant donc, au sens du XVIIème, par sa faute, comme le montrent les gutturales sourdes [k] du v. 624. Loin de nous noyer dans le Lac d'Indifférence, nous sommes plongés en pleine mer d'Inimitié, de par l'orgueil dont fait preuve Hippomène qui se refuse à tenir compte de la réalité: ADMONITUS NON EST, ce que confirme la fin du même vers: il est par trop outrecuidant. L'attaque est trop vive, trop outrancière, pour que le fléau de la balance ne revienne pas brutalement, vu l'asyndète, à 618.
L'idée de couple revient donc, composé de ses deux partenaires: HIC relevé par le IGITUR à la césure p, MECUM en fin de vers; ce que ceci a de paradoxal, et en même temps désiré par l'inconscient, est appuyé par le rythme dactylique: ddddds de 626. La fin du vers suivant est sans ambiguïté: AMORIS (627). Le souci de la réputation intervient (628, ddsdds). Aussitôt, elle proclame son innocence, avec SED NON en début de vers. Tout est dans les mains d'Hippomène: VELLES, ou plutôt dans ses pieds: VELOCIOR! Avec, après l'apostrophe, la complaisance à contempler le visage (ORE) en face de soi, ce que partage Hippomène: TIBI VISA en 632, appuyé par le rythme, avec ses dactyles: ddsdds. Faut-il voir ensuite avec DIGNUS un retour à Tendre sur Estime? C'est pour mieux revenir à Tendre sur Inclination, en une alternance qui ne nous surprend plus, par le chemin le plus direct, sans approche ni préliminaire de quelque ordre que ce soit: en effet, l'union des corps est évoquée sans fard par l'insistance sur la communauté: CON-JUGIUM, CUM, SOCIARE, CUBILIA (634 - 635) au pl. évocateur sur les multiples activités impliquées. La focalisation amoureuse s'opère: UNUS en début de vers en début de 635, et son rythme dactylique: dsddds...
Après cette longue tirade, Atalante n'a trompé qu'elle -même, et surtout pas Vénus qui lui a donné parole. Elle pêche par inexpérience, avec la duplication en structure ternaire de ce... manque? RUDIS, TACTA PRIMO CUPIDINE, IGNORANS, car AMAT, sans ambiguïté à la césure p; il s'agit d'un bilan objectif, quasi clinique, par rapport à ce que croit ressentir la jeune fille elle-même dont l'entendement est faussé. ce qui ne va pas sans un certain trait d'humour final de la part de notre narratrice, après cette longue déclaration...
3) car celle-ci, aussi paradoxal que cela puisse sembler, vu nos commentaires précédents, est marquée aussi du sceau de l'humour: Vénus force ici le trait comme à plaisir, semble comme rechercher la caricature et pastiche le comportement héroïque aussi bien d'Hippomène que d'Atalante en une parodie qui ne manque pas du sel de la finesse, ce qui ne nous surprendra pas de la part de la déesse de l'amour.
Notons d'abord que les éléments négatifs ambigus abondent, car le jeune homme s'affiche avec une ardeur juvénile outrée qui fleure la volonté de Vénus de lui donner un côté quelque affecté pour mieux convaincre Adonis, par cet exemple, de ne pas se laisser entraîner à un tel comportement ridicule (suivez mon regard, les machos et autres excités de service). Pour Atalante, touchée malgré elle et ses dénégations, par l'amour, elle prouve la puissance de ce sentiment, sans risquer d'intéresser Adonis que Vénus reçoit dans ses bras, sans complication, pendant ce récit. Face à une telle réalité, Atalante n'éveille qu'un intérêt dont Vénus peut profiter. De plus, la mention de l'oracle est trop répétée pour ne pas montrer à son auditeur que, certes, Atalante se ment à elle-même - ce qui ne peut que déconcerter Adonis dont les relations sexuelles avec Vénus sont directes - mais qu'elle reste aussi une femme fatale, ce que Vénus se refuse absolument à être - mais qu'elle - et nous seul lecteur le savons - ne pourra éviter cf. fin du livre X. Il y a là des effets d'emboîtement subtils qui prêtent à sourire. Quoiqu'il en soit, les négations syntaxiques abondent dans ce passage: NON ou NEC, par ex. NON en début de vers 600, NON après la césure p en 604, NEC début de 607, NON après césure p en 613, NEC au début du v. suivant, après césure p: NON au v. 615, NULLA en fin de 621 en fait en double négation, NON en 625, NON en début de 628, NON de nouveau en 629, NEC au début de 634, NON en 637.
les négations lexicales sont fréquentes elles aussi: INERTES, INDIGNABERE en 604, INIQUUS en fin de 611, INTERRITA en 616, NEGARIT en fin de 619, voire ABI en 620. NOLET en début de 622, en fait PEREMPTIS en 623, INDIGNAM en début de 627, INVIDIAE en césure p de 628, DESISTERE en 629, DEMENS en césure p de 630, NOLLEM en 632 après césure p, INPORTUNA, NEGARENT en 634, IGNORANS à la césure p en 637.ainsi que les termes dépréciatifs: FACILEM TITULUM en césure p au v. 602, TAEDIA en 625, MISER en 632, ou flagorneurs: TANTO avec outrecuidance à la césure p du v. 604, MAGNUM ET MEMORABILE NOMEN en fin 608...
Tu auras noté, cher(e) internaute, que nous nous piquons de précision... De façon assez amusante, relevons qu'à notre encontre et à notre grande confusion, Vénus ne se targue pas, elle, de véracité historique: le TALIA de début 609 implique que les propos tenus ne sont pas strictement rapportés, ce qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs le vers 586... Autre clin d'œil d'Ovide...
Le dilemme dans lequel se trouve écartelé Atalante est lui-même présenté de façon trop directe pour ne pas nous amuser par son sous-entendu érotique: DUBITAT MALIT (avec sa parataxe rapide!) SUPERARI AN VINCERE. Après une telle annonce, les propos de cette jeune femme ne peuvent plus que fonctionner à double sens, ou du moins nous amener à cette distance exacte de l'objet que l'on appelle humour. Le rapport (sic!) entre HUNC et HOC ne peut être innocent, avec le passage d'un HUNC individuel à un CONJUGIUM... dual!, mis en valeur d'ailleurs par la césure p du v. 613. CARAE après la césure p en 612 fonctionne comme un aveu. Atalante continue, comme en minaudant: je ne suis pas telle que vous croyez!; elle continue ses ronds de jambe, ses facéties amusantes: POTERAM TAMEN... en 614), avec son obsession du toucher, du tangible: TANGOR en césure p de 614 malgré la dénégation de début de vers, QUOQUE (bis repetita placent!) TANGI en fin de vers... Atalante serait-elle pédophile? (mais cette marque d'humour est sans doute anachronique!): PUER, AETAS. A-t-elle alors une âme maternelle? Curieux rôle pour une épouse potentielle! Ce qui la touche: l'abstrait VIRTUS! Ne serait-il pas plus clair de dire: VIR? Elle se cache sans vergogne, avec un désir évident, et comique, de se leurrer: MENS... Mais notre fine mouche n'a pas oublié la généalogie de son prétendant, et elle a fait le calcul: QUARTUS en fin de 617... Elle reprend TANTI (cf. fin de 613), mais c'est pour mieux évoquer CONUBIA NOSTRA en fin de 618, avec l'union des deux que cela implique. L'aveu affleure d'ailleurs, avec la forte résistance à son destin qu'induit l'adjectif DURA (sic!). Comme à plaisir, Atalante accumule tout ce qui pourrait décourager un jeune... puceau? Que penser des THALAMOS CRUENTOS dont l'effet est accentué par l'homophonie finale - ou homéotéleute - , avec la peur castratrice du CONJUGIUM CRUDELE. heureusement, Freud n'est pas encore là, et toutes les vierges, présentées d'ailleurs par la négative (je n'invente rien: NULLA NOLET en fort rejet en 622) puis par un singulier sont... disponibles: OPTARI. Puis Atalante se rabat, ultime défense, sur ses morts (avec ce que ce terme a d'ambigu quand il s'agit d'amour!): PEREMPTIS, PROCORUM, TOT deux fois, comme une femme d'expérience, ce que Vénus lui déniera au dernier vers du passage en 637... Mais le désir, à peine chassé, revient: VIVERE MECUM en fin de vers 626, sans fard ni faux-fuyant: les termes sont directs, ce qui est amusant dans la bouche de celle qui, de fait, chasse ses amoureux. Notre vierge est bien chaleureuse! Si bien qu'AMORIS fonctionne comme un aveu implicite, malgré l'absence de MEI, avec le vocabulaire le plus classique de l'amour courtois, ici avant la lettre. Le NOSTRA alors du vers 628 devient un écho incongru, révélateur du trouble profond de notre VIRGO, du vers 618: CONUBIA NOSTRA. Cela est si vrai qu'elle revint immédiatement à MEA au vers suivant, se rendant sans doute compte que sa victoire ne serait pas celle ici de son... amoureux ou amant? Le sens de DESISTERE en devient ambigu (comme d'habitude d'ailleurs quand nous entrons dans ce type d'analyse!), ainsi que DEMENS, comme en écho du MENS de 616 (Nous forçons le trait? Mais n'est-ce pas le propre d'une œuvre littéraire que de s'ouvrir à de multiples lectures, comme se créant d'elles-mêmes, de par la richesse vivante du contenu?). Oui, le vers 630 ne manque pas de sel: Hippomène est fou d'amour (DEMENS, c'est bien la LIBIDO qui a pris le dessus sur la RATIO), mais que penser du VELOCIOR, quand il s'agit de rapports amoureux. Nous avons mauvais esprit? Nous sommes obsédé? Mais c'est Ovide (!) qui fait parler Vénus (!!). Le vers suivant est à cet égard révélateur, avec VIRGINEUS PUERULI. Le 632 est amusant aussi, vu le vers 578. FELICIOR a de même un sens érotique, et ce double sens est conforté par le terme CONJUGIUM (on en revient toujours là, mais n'est-ce pas de la répétition que jaillit le rire, à en croire Bergson dans son essai Le rire?) et les FATA s'opposent bien au désir secret d'Atalante puisqu'ils sont qualifiés d'INPORTUNA!!!. L'aveu final est sans fausse pudeur et relève bien de l'humour si c'est présenter la réalité sans... voiles, même si c'est avec distance... Pour que le doute ne soit pas permis, Ovide force quelque peu le trait - ne ferait-il pas confiance à notre subtilité? - et souligne combien ce passage doit être considéré avec le regard de l'expérience propre aux adultes: AMAT ET NON SENTIT AMOREM. N'est-ce point là un des ressorts les plus secrets non plus de la tragédie, comme nous l'avons vu dans notre première partie, mais de la comédie... humaine, même s'il s'agit ici de récits... ô combien humains!