Traduction et commentaire : Marie-Catherine Rolland
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'Murmura verborum fidas nutricis ad aures
pervenisse ferunt limen servantis alumnae.
Surgit anus reseratque fores mortisque paratae
instrumenta videns spatio conclamat eodem
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seque ferit scinditque sinus ereptaque collo
vincula dilaniat; tum denique flere vacavit,
tum dare conplexus laqueique requirere causam.
Muta silet uirgo terramque inmota tuetur
et deprensa dolet tardae conamina mortis.
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Instat anus canosque suos et inania nudans
ubera per cunas alimentaque prima precatur,
ut sibi committat, quicquid dolet. Illa rogantem
aversata gemit; certa est exquirere nutrix
nec solam spondere fidem. "dic" inquit "opemque
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me sine ferre tibi: non est mea pigra senectus.
Seu furor est, habeo, quae carmine sanet et herbis;
siue aliquis nocuit, magico lustrabere ritu;
ira deum sive est, sacris placabilis ira.
Quid rear ulterius? Certe fortuna domusque
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sospes et in cursu est: vivunt genetrixque paterque."
Myrrha patre audito suspiria duxit ab imo
pectore; nec nutrix etiamnum concipit ullum
mente nefas aliquemque tamen praesentit amorem;
propositique tenax, quodcumque est, orat, ut ipsi
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indicet, et gremio lacrimantem tollit anili
atque ita conplectens infirmis membra lacertis
"sensimus," inquit "amas! et in hoc mea (pone timorem)
sedulitas erit apta tibi, nec sentiet umquam
hoc pater." Exiluit gremio furibunda torumque
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ore premens "discede, precor, miseroque pudori
parce!" ait; instanti "discede, aut desine" dixit
"quaerere, quid doleam! scelus est, quod scire laboras."
Mais des murmures confus ont frappé les
oreilles de sa nourrice, qui repose près de son appartement. La vieille se lève,
ouvre la porte, voit les funèbres apprêts, s'écrie, meurtrit son sein,
arrache et déchire la ceinture fatale. Elle pleure ensuite, embrasse Myrrha, et
veut enfin connaître la cause de son désespoir. Myrrha se tait, immobile, et
les yeux baissés, accusant en secret le zèle pieux qui vient retarder son
trépas. La nourrice redouble ses prières, et découvrant sa tête blanchie par
les ans, son sein aride et flétri, elle la conjure par les soins qu'elle prit
d'elle au berceau, par ce sein dont le lait fut son premier aliment, de confier
son secret à son amour, à sa foi. Myrrha soupire, se détourne, et gémit. La
nourrice la presse encore de rompre le silence : "Parlez, dit-elle, et
souffrez que je vous sois utile.
Ma vieillesse, encore active, ne peut m'empêcher de vous servir. Si l'amour est
le mal qui fait votre tourment, je trouverai dans les plantes et dans des
paroles magiques un remède certain. Si par quelque maléfice vos esprits sont
troublés, j'emploierai pour vous guérir les charmes les plus puissants. Si la
colère des dieux s'est appesantie sur vous, on peut les apaiser par des
sacrifices.Que dois-je craindre encore, et qui peut vous affliger ? Tout vous
rit; la fortune de votre maison est à l'abri des revers. Votre mère vit, ainsi
que votre père heureux de votre amour ". Au nom de son père, Myrrha
pousse un profond soupir. La nourrice ne soupçonne encore aucun crime; mais
elle attribue ce soupir à l'amour. Elle insiste, elle conjure Myrrha de rompre
le silence. Elle la prend en pleurant sur ses genoux chancelants; elle la serre
dans ses bras par l'âge affaiblis. "Je le vois, dit-elle, vous aimez. Mes
services vous seront utiles; bannissez toute crainte. Je saurai vous cacher de
votre père". À ces mots, furieuse, égarée, Myrrha s'arrache des bras de
sa nourrice, et pressant son lit de son front : "Éloigne-toi,
s'écrie-t-elle, et respecte la honte qui m'accable. Éloigne-toi, ou cesse de
me demander la cause de ma douleur ! Ce que tu veux savoir est un crime
odieux".
FERUNT on dit que MURMURA VERBORUM le chuchotis de ces mots PERVENISSE parvint FIDAS NUTRICIS AD AURES aux fidèles oreilles de sa nourrice (l'expression ne signifie pas que la nourrice à l'oreille fine ! y voir un hendidadyn : les oreilles de la fidèle nourrice) SERVANTIS qui gardait LIMEN ALUMNAE la porte de son enfant (l'enfant +nourrie de son lait+) SURGIT ANUS la vieille saute sur ses pieds RESERATQUE FORES et ouvre la porte -QUE et VIDENS à la vue de (litt : voyant) MORTIS PARATAE INSTRUMENTA les préparatifs de mort (litt : l'outillage -INSTRUMENTA- de la mort préparée) SPATIO EODEM dans un même instant CONCLAMAT elle pousse un cri SEQUE FERIT et se frappe +la poitrine+ SCINDITQUE SINUS déchire ses vêtements -QUE et DILANIAT met en pièces EREPTA VINCULA COLLO le lien +qu'elle a +arraché du cou DENIQUE ensuite VACAVIT elle fut libre TUM FLERE et (je rends par et… et… le balancement TUM…TUM, c'est plus léger que l'automatique tantôt… tantôt…) de pleurer TUM DARE COMPLEXUS et de donner l'embrassade (embrasser : prendre dans les bras est vieilli en cette acception, mais c'est l'équivalent exact de COMPLEXUS) -QUE et (pure liaison, ici) LAQUEI REQUIRERE CAUSAM de s'enquérir de la cause du lacet (PLAUDITE CIVES : chacun de ces mots français dérive du mot latin qu'il traduit. Un tel parallélisme est assez rare) MUTA SILET VIRGO la jeune fille +reste+ coite +et+ se tait -QUE et IMMOTA immobile TERRAM TUETUR contemple le sol ET DOLET et elle déplore DEPRENSA CONAMINA la découverte de sa tentative (litt : sa tentative découverte ; inutile, ici, de supposer une infinitive. Tournure dite SICILIA AMISSA : la Sicile perdue, la perte de la Sicile) TARDAE MORTIS d'une mort lente +à venir+ (trop lente, puisque Myrrha a été surprise) INSTAT ANUS la vieille insiste -QUE et CANOS SUOS (NUDANS) +dévoilant+ ses cheveux blancs ET INANIA UBERA NUDANS et dénudant ses seins taris PRECATUR elle l'implore PER CUNAS au nom du berceau ALIMENTAQUE PRIMA et des +tout+ premiers soins +donnés+ UT SIBI COMMITAT de lui confier QUIDQUID DOLET les causes de son tourment (litt : ce dont elle souffre) ILLA mais elle (asyndète, donc forte opposition) ROGANTEM AVERSATA se détournant de la suppliante GEMIT gémit CERTA EST EXQUIRERE NUTRIX mais (toujours l'asyndète) la nourrice est déterminée à mener son enquête NEC et SOLAM FIDEM SPONDERE et à ne pas se contenter de jurer fidélité (litt : et à ne pas promettre le seul secret) DIC OPEM dis-moi ce qui te manque (litt : ton besoin) INQUIT dit-elle -QUE et ME SINE laisse-moi FERRE TIBI te le procurer NON EST PIGRA elle n'est pas inactive MEA SENECTUS ma vieillesse n'est pas inactive (traduction +très+ libre : ce n'est pas parce que je suis vieille que je suis bonne à rien) SEU FUROR EST si c'est de la folie HABEO QUAE SANET j'ai +une femme+ qui soigne CARMINE ET HERBIS par les incantations et par les plantes (tout rapprochement avec Rika Zaraï est purement fortuit… mais vous souvenez-vous, jeunes gens, de Rika Zaraï, chanteuse - CARMINE- et propagandiste de la médecine par les plantes -HERBIS ? ) SIVE (autre forme de SEU) ALIQUIS NOCUIT si c'est quelqu'un qui t'a jeté un sort MAGICO LUSTRABERE RITU tu seras purifiée par un rite magique (les Antillais disent encore : un travail) SIVE si IRA DEUM EST c'est la colère des dieux (DEUM, forme concurrente de DEORUM) PLACABILIS IRA +cette+ colère +peut être+ apaisée SACRIS par des sacrifices QUID REAR ULTERIUS que trouverais-je de plus CERTE du moins FORTUNA ton rang DOMUSQUE et ta maison SOSPES EST sont hors de tout danger ET IN CURSU et tout va bien VIVIT ils sont vivants GENETRIXQUE et ta mère PATERQUE et ton père MYRRAH alors (je rends ainsi l'asyndète) Myrrha PATRE AUDITO entendant +le nom de+ son père (litt. une fois entendu, c'est bel et bien un ablatif absolu !) SUSPIRIA DUXIT pousse un soupir AB IMO PECTORE du fonds de la poitrine NEC mais NUTRIX la nourrice ETIAMNUM CONCIPIT ULLUM ne comprit rien encore (NEC + ULLUM = NULLUM) TAMEN pourtant MENTE PRAESENTIT elle devine par le cœur (ou : elle pressent en son cœur) NEFAS ALIQUEMQUE AMOREM quelque passion maudite -QUE et PROPOSITI TENAX ferme dans ses desseins (ou : obstinée dans ses projets) ORAT elle +l'+implore UT de (litt. que… UT introduit une conjonctive COD de ORAT) INDICET IPSI +le+ lui révéler, à elle, QUODCUMQUE EST quoi que ce soit ET et TOLLIT LACRIMANTEM elle prend +la jeune fille+ en larmes GREMIO ANILI dans son giron d'ancienne (giron : c'est le petit hamac qui se forme entre les cuisses d'une personne vêtue d'une robe longue quand elle est assise. Avant l'invention des tables à langer, mères et nourrices déposaient le nouveau-né dans leur giron pour lui donner leurs soins. Ne pas confondre sein et giron ! même si les deux symbolisent l'amour maternel. Bref, la nourrice a pris Myrrha sur ses genoux, comme du temps de sa toute petite enfance…Mais Myrrha ne peut avoir plus de quatorze ou quinze ans, l'âge du mariage pour les princesses…) ATQUE et ITA COMPLECTENS MEMBRA l'étreignant de la sorte (MEMBRA, ici, signifie le corps tout entier) INFIRMIS LACERTIS de ses bras affaiblis SENSIMUS j'ai compris INQUIT dit-elle AMAS tu aimes ET IN HOC et dans cette affaire PONE TIMOREM n'aie pas peur MEA SEDULITAS ma loyauté ERIT APTA TIBI te sera tout acquise NEC UNQUAM et jamais (NEC + UNQUAM = NUNQUAM) PATER ton père HOC SENTIET ne le saura FURIBUNDA hors d'elle EXSILUIT GREMIO elle saute des genoux +de sa nourrice+ -QUE et TORUM ORE PREMENS enfouissant son visage dans son matelas DISCEDE va-t-en PRECOR je t'en supplie -QUE et MISEROQUE PUDORI PARCE ménage une misérable pudeur (hypallage pour la pudeur d'une misérable, mais Ovide a écrit voulu une hypallage, laissons-lui son hypallage !) AIT dit-elle INSTANTI à +la nourrice qui+ reste là DISCEDE va-t-en AUT ou bien DIXIT dit-elle DESINE finis de QUAERERE demander QUID DOLEAM ce dont je souffre SCELUS EST c'est un crime QUOD SCIRE LABORAS ce que tu travailles à savoir. En guise de commentaire, tempus irreparabile fugit, quelques pistes de réflexion : Axer le commentaire sur le souci de mise en scène : précision des gestes Art du conteur : le lecteur partage le secret de Myrrha, il apprécie en connaisseur la stratégie de la nourrice