Traduction et commentaire : Marie-Catherine Rolland,
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'Dixerat, at Cinyras, quem copia digna procorum,
quid faciat, dubitare facit, scitatur ab ipsa,
nominibus dictis, cujus uelit esse mariti;
illa silet primo patriisque in vultibus haerens
aestuat et tepido suffundit lumina rore.
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Virginei Cinyras haec credens esse timoris,
flere vetat siccatque genas atque oscula iungit;
Myrrha datis nimium gaudet consultaque, qualem
optet habere virum, "similem tibi" dixit; at ille
non intellectam vocem conlaudat et "esto
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tam pia semper" ait. Pietatis nomine dicto
demisit vultus sceleris sibi conscia virgo.
'Noctis erat medium, curasque et corpora somnus
solverat; at uirgo Cinyreia pervigil igni
carpitur indomito furiosaque vota retractat
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et modo desperat, modo vult temptare, pudetque
et cupit, et, quid agat, non invenit, utque securi
saucia trabs ingens, ubi plaga novissima restat,
quo cadat, in dubio est omnique a parte timetur,
sic animus vario labefactus vulnere nutat
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huc levis atque illuc momentaque sumit utroque,
nec modus et requies, nisi mors, reperitur amoris.
Mors placet. erigitur laqueoque innectere fauces
destinat et zona summo de poste revincta*
"care, uale, Cinyra, causamque intellege mortis!"
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dixit et aptabat pallenti vincula collo.
Ainsi parlait Myrrha. Cependant Cinyras, hésitant sur le choix qu'il doit faire dans le grand nombre d'illustres amants qui recherchent la main de sa fille, l'interroge elle-même, lui nomme ces amants, et consulte son cœur. Elle se tait, elle rougit en regardant son père, et ses yeux enflammés se remplissent de larmes. Cinyras croit que ces larmes et ce silence expriment la pudeur et l'embarras d'une vierge timide. Il lui défend de s'affliger, il essuie ses pleurs, il l'embrasse; et ce baiser paternel est pour elle plein de charmes. Il l'interroge encore sur le choix qu'elle doit faire : "Puisse mon époux, dit-elle, être semblable à vous" ! Cinyras loue cette réponse, qu'il est loin de comprendre : "Ô ma fille ! s'écrie-t-il, conserve toujours pour ton père la même piété" ! À ce saint nom, Myrrha baisse les yeux et reconnaît son crime. Le char de la Nuit roulait dans l'ombre et le silence. Le sommeil suspendait les travaux et les peines des mortels. La fille de Cinyras veille, et brûle d'un feu qu'elle ne peut dompter. En proie à cette passion fatale, tantôt elle désespère, et tantôt elle veut tout oser. Elle rougit, elle désire, et ne sait à quel parti s'arrêter. Comme, près de sa racine, profondément par la hache entamé, l'arbre qui n'attend plus qu'un dernier coup, gémit, chancelle, ne sait de quel côté son poids va l'entraîner, et de tous côtés fait craindre son immense ruine: telle, profondément blessée, Myrrha sent s'égarer son esprit agité de mouvements divers. Elle forme tantôt un dessein, tantôt un autre : enfin, elle ne voit plus de repos pour elle et de remède a son mal que dans la mort. Elle se lève, elle veut de ses propres mains terminer sa triste destinée; et soudain à une poutre attachant sa ceinture :"Adieu, dit-elle, cher Cinyras ! Puissiez-vous ne pas ignorer la cause de ma mort" ! Elle dit, et déjà elle attachait à son cou le funeste tissu.
DIXERAT elle +avait+ dit (plus que parfait, ou passé du perfectum : marque l'achèvement dans un contexte passé. Ici, Ovide reprend le procédé par lequel Homère clôt les discours de ses personnages, procédé qui permet à l'auditeur de bien se repérer dans le texte. On pourrait traduire : telles furent ses paroles ; ainsi parla-t-elle.) AT CYNIRAS quant à Cyniras (remarquable allitération : AT/AT, qui fait d'homonymie avec l'interjection ATTAT) QUEM que COPIA DIGNA PROCORUM la foule des prétendants digne +de lui, de son alliance+ (Budé comprend COPIA DIGNA comme un hypallage et traduit en conséquence : foule de prétendants tous dignes de son alliance. Je comprends littéralement que la foule tout entière est digne de son alliance. Ici, je pèse des œufs de mouche dans une balance de toile d'araignée !) DUBITARE FACIT rend hésit ant QUID FACIAT +sur+ ce qu'il +va+ faire SCITATUR AB IPSA : s'enquiert +directement +auprès d'elle (c'est IPSA que je rends par directement : il l'interroge en propre personne) NOMINIBUS DICTIS après avoir dit les noms (ablatif absolu) CUJUS VELIT ESSE MARITI de qui elle veut pour mari (litt. : duquel elle veut qu'il soit son mari. Mme Flobert traduit, mais ne fait pas remarquer l'attraction : MARITI est au génitif, par attraction de l'interrogatif, alors qu'il est logiquement le sujet de ESSE) ILLA +mais + elle (l'asyndète marque une forte opposition) SILET PRIMO se tait d'abord (commence par se taire) PATRIISQUE IN VULTIBUS HAERENS et, rivée aux traits paternels (VULTIBUS : les traits, je mets un point d'honneur à rendre un pluriel par un pluriel) AESTUAT elle frémit (elle frémit comme de l'eau qui va bouillir…, ou encore : elle brûle, telle la Phèdre de Racine, je sentis tout mon corps et transir et brûler.) ET et SUFFUNDIT LUMINA elle baigne ses yeux TEPIDO RORE d'une tiède rosée (tout le monde comprend qu'il s'agit de larmes, il est bien inutile de sous-entendre ce mot) CYNIRAS +à son tour+ Cyniras (faible tentative pour marquer l'asyndète) CREDENS s'imaginant VIRGINEI HAEC ESSE TIMORIS que c'est là pudeur virginale (bien voir que l'adjectif, premier mot du vers s'accorde avec TIMORIS, le dernier) FLERE VETAT lui défend de pleurer SICCATQUE GENAS et lui essuie les joues ATQUE et aussi OSCULA JUNGIT il échange des baisers +avec elle+ (litt : il joint ses lèvres +aux siennes+, ce que les traducteurs rendent par embrasser, feignant pudiquement de ne pas voir que si OSCULUM, OS-CULUM, c'est la petite bouche, la bouche plissée dans le mouvement du baiser, OSCULA est un pluriel : deux bouches se joignent, à la russe…J'ai suivi la suggestion de Gaffiot) MYRRHA DATIS NIMIUM GAUDET Myrrha se réjouit trop de ceux qui lui ont été donnés CONSULTAQUE et, interrogée QUALEM OPTET HABERE VIRUM sur celui qu'elle souhaite avoir pour mari SIMILEM TIBI +un qui soit+ comme toi DIXIT répondit-elle AT ILLE alors lui CONLAUDAT applaudit hautement NON INTELLECTAM VOCEM cette parole +qu'il n'a pas+ comprise ET et ESTO TAM PIA SEMPER sois toujours aussi affectueuse AIT dit-il PIETATIS NOMINE DICTO au prononcé de ce mot d'affection +filiale+ (si, si, au prononcé d'un mot est une tournure correcte ! un peu archaïque seulement et cantonnée dans l'usage juridique : au prononcé de l'arrêt… C'est ce qui rend le mieux l'ablatif absolu NOMINE DICTO) VIRGO la jeune fille DEMISIT VULTUS baissa la tête SCELERIS SIBI CONSCIA consciente de son crime NOCTIS ERAT MEDIUM il était minuit (litt. c'était le milieu de la nuit) -QUE et SOMNUS le sommeil CURAS ET CORPORA SOLVERAT avait délivré les soucis et les corps (on peut aussi dédoubler SOLVERAT : allégé les soucis et délivré les corps, on peut voir un hendyadis : avait soulagé les corps de leurs soucis) AT mais cependant VIRGO CINYREIA PERVIGIL la fille de Cinyras, éveillée, IGNI CARPITUR INDOMITO est la proie d'un feu invincible (litt; : invaincu) -QUE et FURIOSA VOTA RETRACTAT : et elle ressasse ses désirs délirants ET et MODO DESPERAT : tantôt elle désespère MODO VULT TEMPTARE tantôt elle décide de risquer +le tout pour le tout+ PUDETQUE et elle éprouve de la honte ET CUPIT et elle éprouve du désir (tournure éloignée du mot-à-mot litt.: elle a honte, elle désire, mais qui permet d'établir un parallélisme) ET et QUI AGAT que faire NON INVENIT : elle ne le trouve pas UT QUE et, tel (UT de comparaison) TRABS INGENS un grand arbre (TRABS signifie arbre) SECURI SAUCIA frappé de la hache UBI PLAGA NOVISSIMA quand le dernier coup RESTAT reste +à donner+(Mme Flobert suggère ici un faux sens voisin du contre-sens) IN DUBIO EST on ne sait pas QUO CADAT où il tombera -QUE TIMETUR et +cela+ est redouté OMNI A PARTE de toute part (AB ici marque l'origine, ne pas prendre A PARTE pour le complément d'agent de TIMETUR !) SIC tel (le parallélisme tel… tel… rend le balancement SIC… UT) ANIMUS LABEFACTUS son cœur ébranlé VARIO VULNERE par des coups divers (le singulier est impossible en français) NUTAT oscille LEVIS sans force HUC ATQUE ILLUC puis çà, puis là (Hommage à François Villon en son Épitaphe) -QUE et MOMENTA SUMIT il reçoit ses impulsions UTROQUE de l'un et l'autre côté (comprendre que chaque parti l'emporte à son tour. Myrrha est la proie d'un dilemme) NEC MODUS AMORIS et aucune limite à son amour ET REQUIES ni aucune relâche (de cet amour, AMORIS est complément commun de MODUS et REQUIES) REPERITUR ne se trouve NISI MORS sauf la mort MORS PLACET la mort +lui+ agrée ERIGITUR elle se lève -QUE et DESTINAT elle décide LAQUEO INNECTERE FAUCES de lier sa gorge d'un lacet (un nœud coulant, si on veut, mais le lacet est l'arme des étrangleurs, en bonne littérature) ET et ZONA REVINCTA après avoir noué sa ceinture (j'en demande bien pardon à Mme Flobert, mais ZONA REVINCTA est un ablatif absolu ! Ceux qui en douteraient n'ont qu'à scander : DESTINAT est un dactyle, ET ZO- un spondée, NA SUM-, un spondée ; le A long est la marque de l'ablatif) DE POSTE au chambranle (tel est le nom exact, en français, de ce que Mme Flobert appelle un tour de porte) CARE, VALE, CINYRA adieu, bien-aimé Cinyras -QUE et CAUSAM INTELLEG MORTIS comprends la cause de ma mort DIXIT dit-elle ET et APTABAT elle noue VINCULA le lien PALLENTI COLLO à sa gorge pâlissante En guise de commentaire, tempus irreparabile fugit, quelques pistes de réflexion : L'art du conteur : nous surprendre avec le connu. Tout le monde sait que Myrrha n'est pas morte pendue, mais comment échappera-t-elle à la mort ? Présent de narration : nous lisons un scénario de pièce. Passage à la narration au vers 364 similem tibi… L'ironie tragique