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'Quas quia Pygmalion aevum per crimen agentis 
viderat, offensus vitiis, quae plurima menti 
femineae natura dedit, sine coniuge caelebs                    245
vivebat thalamique diu consorte carebat. 
Interea niveum mira feliciter arte 
sculpsit ebur formamque dedit, qua femina nasci 
nulla potest, operisque sui concepit amorem. 
Virginis est verae facies, quam vivere credas,                   250
et, si non obstet reverentia, velle moveri: 
ars adeo latet arte sua. miratur et haurit 
pectore Pygmalion simulati corporis ignes. 
Saepe manus operi temptantes admovet, an sit 
corpus an illud ebur, nec adhuc ebur esse fatetur.             255
Oscula dat reddique putat loquiturque tenetque 
et credit tactis digitos insidere membris 
et metuit, pressos veniat ne livor in artus, 
et modo blanditias adhibet, modo grata puellis 
munera fert illi conchas teretesque lapillos                          260
et parvas volucres et flores mille colorum 
liliaque pictasque pilas et ab arbore lapsas 
Heliadum lacrimas; ornat quoque vestibus artus, 
Dat digitis gemmas, dat longa monilia collo, 
aure leves bacae, redimicula pectore pendent:                   265
cuncta decent; nec nuda minus formosa videtur. 
Conlocat hanc stratis concha Sidonide tinctis 
adpellatque tori sociam adclinataque colla 
mollibus in plumis, tamquam sensura, reponit. 
'Festa dies Veneris tota celeberrima Cypro                       270
venerat, et pandis inductae cornibus aurum 
conciderant ictae nivea cervice juvencae, 
turaque fumabant, cum munere functus ad aras 
constitit et timide "si, di, dare cuncta potestis, 
sit conjunx, opto," non ausus "eburnea virgo"                     275
dicere, Pygmalion "similis mea" dixit "eburnae." 
sensit, ut ipsa suis aderat Venus aurea festis, 
vota quid illa velint et, amici numinis omen, 
flamma ter accensa est apicemque per aera duxit. 
Ut rediit, simulacra suae petit ille puellae                            280
incumbensque toro dedit oscula: visa tepere est; 
admouet os iterum, manibus quoque pectora temptat: 
temptatum mollescit ebur positoque rigore 
subsidit digitis ceditque, ut Hymettia sole 
cera remollescit tractataque pollice multas                         285
flectitur in facies ipsoque fit utilis usu. 
Dum stupet et dubie gaudet fallique veretur, 
rursus amans rursusque manu sua vota retractat. 
Corpus erat! Saliunt temptatae pollice venae. 
Tum vero Paphius plenissima concipit heros                        290   
verba, quibus Veneri grates agat, oraque tandem 
ore suo non falsa premit, dataque oscula virgo 
sensit et erubuit timidumque ad lumina lumen 
attollens pariter cum caelo vidit amantem. 
Conjugio, quod fecit, adest dea, jamque coactis                   295
cornibus in plenum noviens lunaribus orbem 
illa Paphon genuit, de qua tenet insula nomen. 

traduction universitaire

Témoin du crime des Propétides, Pygmalion déteste et fuit un sexe enclin par sa nature au vice. Il rejette les lois de l'hymen, et n'a point de compagne qui partage sa couche. Cependant son ciseau forme une statue d'ivoire. Elle représente une femme si belle que nul objet créé ne saurait l'égaler. Bientôt il aime éperdument l'ouvrage de ses mains. C'est une vierge, on la croirait vivante. La pudeur seule semble l'empêcher de se mouvoir : tant sous un art admirable l'art lui-même est caché ! Pygmalion admire; il est épris des charmes qu'il a faits. Souvent il approche ses mains de la statue qu'il adore. Il doute si c'est un corps qui vit, ou l'ouvrage de son ciseau. Il touche, et doute encore. Il donne à la statue des baisers pleins d'amour, et croit que ces baisers lui sont rendus. Il lui parle, l'écoute, la touche légèrement, croit sentir la chair céder sous ses doigts, et tremble en les pressant de blesser ses membres délicats. Tantôt il lui prodigue de tendres caresses; tantôt il lui fait des présents qui flattent la beauté. Il lui donne des coquillages, des pierres brillantes, des oiseaux que couvre un léger duvet, des fleurs aux couleurs variées, des lis, des tablettes, et l'ambre qui naît des pleurs des Héliades. Il se plaît à la parer des plus riches habits. Il orne ses doigts de diamants; il attache à son cou de longs colliers; des perles pendent à ses oreilles; des chaînes d'or serpentent sur son sein. Tout lui sied; mais sans parure elle ne plaît pas moins. Il se place près d'elle sur des tapis de pourpre de Sidon. Il la nomme la fidèle compagne de son lit. Il l'étend mollement sur le duvet le plus léger, comme si des dieux elle eût reçu le sentiment et la vie. Cependant dans toute l'île de Chypre on célèbre la fête de Vénus. On venait d'immoler à la déesse de blanches génisses dont on avait doré les cornes. L'encens fumait sur ses autels; Pygmalion y porte ses offrandes; et, d'une voix timide, il fait cette prière : "Dieux puissants ! si tout vous est possible, accordez à mes vœux une épouse semblable à ma statue". Il n'ose pour épouse demander sa statue elle-même. Vénus, présente à cette fête, mais invisible aux mortels, connaît ce que Pygmalion désire, et pour présage heureux que le vœu qu'il forme va être exaucé, trois fois la flamme brille sur l'autel, et trois fois en flèche rapide elle s'élance dans les airs. Pygmalion retourne soudain auprès de sa statue. Il se place près d'elle; il l'embrasse, et croit sur ses lèvres respirer une douce haleine. Il interroge encore cette bouche qu'il idolâtre. Sous sa main fléchit l'ivoire de son sein. Telle, par le soleil amollie, ou pressée sous les doigts de l'ouvrier, la cire prend la forme qu'on veut lui donner. Tandis qu'il s'étonne; que, timide, il jouit, et craint de se tromper, il veut s'assurer encore si ses voeux sont exaucés. Ce n'est plus une illusion : c'est un corps qui respire, et dont les veines s'enflent mollement sous ses doigts. Il rend grâces à Vénus. Sa bouche ne presse plus une bouche insensible. Ses baisers sont sentis. La statue animée rougit, ouvre les yeux, et voit en même temps le ciel et son amant. La déesse préside à leur hymen; il était son ouvrage. Quand la lune eut rempli neuf fois son croissant, Paphus naquit de l'union de ces nouveaux époux; et c'est de Paphus que Chypre a reçu le nom de Paphos.

traduction par groupe de mots

QUAS QUIA PYGMALION VIDERAT Pygmalion, parce qu'il les avait vues (QUAS, relatif de liaison désigne les Propétides, prostituées sacrées que Vénus a changées en pierre, v.238-242) AEVUM PER CRIMEN AGENTES passer (litt. passant) leur vie dans le crime OFFENSUS VITIIS scandalisé par les tares QUAE PLURIMA NATURA DEDIT dont la nature a doué abondamment (litt. que la nature a données abondantes...) MENTI FEMINEA le cœur des femmes SINE CONJUGE CAELEBS VIVEBAT vivait sans épouse, célibataire THALAMIQUE CONSORTE DIU CAREBAT et depuis toujours n'avait personne pour partager le lit conjugal (litt. se passait de compagne de lit conjugal) INTEREA cependant NIVEUM SCULPSIT EBUR il sculpta un ivoire d'une blancheur de neige FELICITER avec bonheur MIRA ARTE par son étonnant savoir-faire FORMAMQUE DEDIT et il lui donna une beauté QUA FEMINA NASCI NULLA POTEST avec laquelle ne peut naître aucune femme OPERISQUE CONCEPIT AMOREM et il conçut de l'amour pour son ouvre VIRGINIS EST VERAE FACIES c'est l'apparence d'une véritable jeune fille QUAM VIVERE CREDAS dont on croirait qu'elle vit ET SI NON OBSTET REVERENTIA et, si sa réserve ( càd son sens de la dignité) ne s'y opposait pas VELLE MOVERI qu'elle veut danser (1) ARS ADEO LATET ARTE SUA tant le savoir-faire se cache à force de savoir-faire MIRATUR ... PYGMALION Pygmalion s'émerveille (trad. Chamonard) ET HAURIT PECTORE et s'emplit le cœur (2) SIMULATIS CORPORIS IGNES des splendeurs (3) de ce semblant de personne (litt. cette personne simulée) (4) SAEPE MANUS OPERI ADMOVET souvent, il pose sur son œuvre des mains TEMPTANTES AN SIT CORPUS AN ILLUD EBUR (construire : AN ILLUD SIT CORPUS AN EBUR. La tournure classique de l'interrogation double utrum ou ne...an évolue en an...an à l'époque impériale) qui palpent pour savoir si c'est de la chair (litt. de la personne) ou de l'ivoire NEC ADHUC EBUR ESSE FATETUR et il n'admet toujours pas que ce soit de l'ivoire OSCULA DAT il lui donne des baisers REDDIQUE PUTAT et s'imagine qu'ils lui sont rendus LOQUITURQUE il +lui+ parle TENETQUE il +la+ tient +dans ses bras+ ET CREDIT et il croit TACTIS DIGITOS INSIDERE MEMBRIS que ses doigts marquent (litt. se gravent sur) les bras (5) qu'il touche ET METUIT et +une fois+ il eut peur PRESSOS VENIAT NE LIVOR IN ARTUS (construire : NE ...VENIAT ) qu'une meurtrissure (litt. un bleu, ce qui manque de lyrisme !) ne vînt sur les membres +qu'il avait+ étreints ET et MODO BLANDITIAS ADHIBET tantôt il use de caresses MODO GRATA PUELLIS MUNERA FERT ILLI tantôt il lui apporte ces cadeaux chers aux jeunes filles CONCHAS coquillages TERETESQUE LAPILLOS cailloux polis ET PARVAS VOLUCRES et petits oiseaux ET FLORES MILLE COLORUM et des fleurs de mille couleurs LILIAQUE des lis PICTASQUE PILAS et des balles peintes ET AB ARBORE LAPSAS HELIADUM LACRIMAS et les larmes des Héliades coulées de l'arbre ORNAT QUOQUE VESTIBUS ARTUS il pare même ses membres de vêtements DAT DIGITIS GEMMAS il passe des pierres précieuses à ses doigts DAT LONGA MONILIA COLLO il passe à son cou de longues colliers PENDENT pendent AURE LEVES BACAE à son oreille des perles légères REDIMICULA PECTORE et des rubans (6) à sa poitrine CUNCTA DECENT tout lui va NEC NUDA MINUS FORMOSA VIDETUR et nue, elle ne semble pas moins belle COLLOCAT HANC il l'installe STATIS CONCHA SIDONIDE TINCTIS sur des couvertures teintes du coquillage sidonien (càd la pourpre) APPELLATQUE TORI SOCIAM : et il l'appelle sa compagne de lit ACCLINATAQUE COLLA MOLLIBUS IN PLUMIS ... REPONIT et il pose son col incliné‚ (pluriel pour le singulier : licence poétique) sur de tendres duvets (synecdoque : des coussins de duvet) TAMQUAM SENSURA comme si elle pouvait s'en rendre compte. FESTA DIES VENERIS TOTA CELEBERRIMA CYPRO VENERAT le jour de la fête de Vénus, célébrée en grand concours de peuple par Chypre tout entière (TOTA, A long, détermine CYPRO et non DIES) était venu ET PANDIS INDUCTAE CORNIBUS AURUM JUVENCAE et des génisses aux cornes recourbées recouvertes d'or (hypallage : l'accord de INDUCTAE se fait, non avec CORNIBUS, selon le sens, mais avec JUVENCAE) CONCIDERANT ICTAE NIVEA CERVICE : succombaient frappées sur leur nuque d'une blancheur de neige TURAQUE FUMABANT et l'encens fumait (TURA, pluriel poétique) CUM MUNERE FUNCTUS +EST+ AD ARAS CONSTITIT ET TIMIDE lorsqu'il eut accompli le rite (litt. se fut acquitté de ses obligations : Pygmalion est roi de Chypre, il lui revient de présider le sacrifice au nom de son peuple car en Grèce, il n'existe pas de sacerdoce organisé, c'est le chef de la cité qui en tient lieu) se tint debout devant les autels, et, tremblant (litt. timidement : il est paralysé par son respect de la divinité) " SI DI DARE CUNCTA POTESTIS Dieux, si vous pouvez tout accorder SIT CONJUX, OPTO je souhaite que mon épouse soit (construction avec le subjonctif seul, sans la conjonction ut, licence poétique) NON AUSUS +EST+ VIRGO EBURNEA DICERE mais il n'osa pas dire : la vierge d'ivoire (asyndète marquant une forte opposition) PYGMALION SIMILIS MEA DIXIT EBURNAE +et+ Pygmalion dit : comme celle d'ivoire (litt. semblable à celle d'ivoire (7). EBURNAE, génitif féminin singulier de l'adjectif EBURNUS, EBURNA, EBURNUM, variante et synonyme de EBURNEUS, EBURNEA, EBURNEUM. Le choix d'Ovide est dicté par des raisons métriques, EBURNEAE : u-u-, ne peut pas entrer dans un hexamètre. MEA détermine CONJUX. Ce détachement a une valeur hypocorisitque, impossible à rendre en français) UT IPSA SUIS ADERAT FESTIS : comme elle assistait en personne à sa fête VENUS AUREA SENSIT : Vénus la magnifique (8) comprit VOTA QUID ILLA VELINT (construire : QUID VELINT ILLA VOTA) ce que signifiait cette prière ET AMICI NUMINIS OMEN et, présage de l'amitié divine (litt. de la divinité amicale) FLAMMA TER ACCENSA EST la flamme se raviva trois fois APICEMQUE PER AERA DUXIT et traça dans l'air une langue de feu. UT REDIIT à son retour (litt. quand il rentra, +chez lui+) SIMULACRA SUAE PETIT ILLE PUELLAE cet homme (9) se rend (PETIT, I bref, est un présent) auprès de la statue de sa jeune fille chérie (SUAE précède le nom qu'il détermine: cette inversion de l'ordre normal a une valeur hypocoristique) INCUMBENSQUE TORO DEDIT OSCULA se penchant sur le lit (10), il donna un baiser VISA TEPERE EST elle lui sembla tiède ADMOVET OS ITERUM derechef il approche la bouche MANIBUS QUOQUE PECTORA TEMPTAT et mˆme il palpe la poitrine de ses mains TEMPTATUM MOLLESCIT EBUR l'ivoire palpé s'amollit POSITOQUE RIGORE et, toute rigidité abandonnée(ablatif absolu : ayant ddéposé sa rigidité) SUBSIDIT DIGITIS s'enfonce sous les doigts (litt. cède aux doigts) CEDITQUE et cède UT HYMETTIA SOLE CERA REMOLLESCIT comme la cire de l'Hymette ramollit au soleil TRACTATAQUE POLLICE MULTAS FLECTITUR IN FACIES et, travailléedu pouce, se change en maintes figures IPSOQUE FIT UTILIS USU et se fait plastique par la plastique (11) DUM STUPET alors qu'il s'étonne ET DUBIE GAUDET et hésite à se réjouir (litt. il se réjouit avec hésitation) FALLIQUE VERETUR et redoute de se tromper (litt. il craint de se tromper : valeur pronominale des passifs latins) RURSUS AMANS RURSUSQUE MANU SUA VOTA RETRACTAT l'amant encore et encore, touche à nouveau de la main +l'objet de+ ses vœux CORPUS ERAT c'était une personne SALIUNT VENAE TEMPTATAE POLLICE VENAE les veines, palpées du pouce, palpitent TUM VERO PAPHIUS PLENISSIMA CONCIPIT HEROS alors le maître (12) de Paphos prononce d'abondantes paroles QUIBUS VENERI GRATES AGAT dont il rend grâces à Vénus ORAQUE TANDEM ORE SUO NON FALSA PREMIT il presse enfin de ses lèvres des lèvres qui ne sont pas menteuses (13) DATAQUE OSCULA VIRGO SENSIT et la jeune fille sentit les baisers qu'il lui donnait (litt. donnés) ET ERUBUIT et elle +en+ rougit TIMIDUMQUE AD LUMINA LUMEN ATTOLLENS tournant vers la lumière la timide lumière +de ses yeux+ PARITER CUM CAELO VIDIT AMANTEM elle vit en même temps et le ciel et son amant(litt. en même temps que le ciel, elle vit son amant) CONJUGIO QUOD FECIT au mariage qu'elle a fait ADEST DEA assiste la déesse JAMQUE COACTIS CORNIBUS LUNARIBUS et enfin, les cornes de la lune s'étant rejointes IN PLENUM ORBEM en un cercle parfait NOVIENS neuf fois ILLA PAPHON GENUIT la belle (14) mit au monde Paphos DE QUA TENET INSULA NOMEN de qui l'île tient son nom.

NOTES SUR LA TRADUCTION :

(1) MOVERI, danser, sens donné par Gaffiot avec un exemple tiré d'Horace, Art poétique, vers 232 : Ut festis matrona moveri jussa diebus, ...comme une dame contrainte à danser par aux jours de fête.Ce passage prouve que pour une dame romaine (matrona), et à plus forte raison une jeune fille, danser est inconvenant. La danse est à Rome affaire de danseuse, ou de courtisane (on peut cumuler les deux fonctions...) Ainsi s'explique que la reverentia semble retenir la jeune fille dont on voit mal quel sens de sa dignité‚ pourrait l'empêcher de bouger.(2) HAURIRE, saisir par les sens ou la pensée, sens donné par Gaffiot et Bornecque, avec l'exemple suivant : hausit caelum, il s'emplit les regards de la vue du ciel.(3) IGNIS, éclat est donné par Gaffiot et Bornecque. On peut suivre Mme Flobert et comprendre ignes au sens des feux de l'amour : il dévore en son cœur sa passion pour ce semblant de personne. (En ce cas, simili corporis est un génitif objectif : les feux inspirés par ce semblant de personne.)Raffinement d'expression par renversement de l'usage poétique courant qui veut que les feux dévorent les amants. Il ne s'agit de toutes façons pas de la naissance de cet amour, qui s'est produite au vers 249, operis sui concepit amorem. Les présents miratur, haurit et suivants indiquent u'il s'agit de la description de l'attitude de Pygmalion. Cf aux vers 257/ 258 l'opposition entre le présent credit et le parfait timuit.(4) CORPUS a également le sens de personne, individu. (Encore aujourd'hui, en français des Antilles, un vieux corps, c'est une personne âgée.) On pourrait aller jusqu'à rendre par femme : ce semblant de femme/ si c'est de la femme ou de l'ivoire...(5) MEMBRA signifie littéralement membres, mot qui n'a pas de synonyme en français. Plus bas, Ovide use deux fois du synonyme ARTUS. Pour rendre ces deux mots latins différents par deux mots français différents, il faut renoncer à une stricte synonymie.(6) On peut comprendre aussi qu'elle a le front ceint d'un bandeau fait de rubans tressés dont les pans flottent sur sa poitrine, car pendere signifie aussi être pendant. (7) Il ne me semble pas utile ici de préciser vierge : non ausus virgo eburnea dicere, nous dit Ovide. Terrorisé par l'audace de son souhait, Pygmalion ne peut prononcer le mot virgo. La forte pause avant eburneae autorise . rendre par : " comme la... en ivoire. "(8) En dépit de Budé je prends aurea au sens figuré, toujours vivant en français contemporain : un cœur d'or, des doigts d'or... Gaffiot traduit Venus aurea, (Énéide, I, 492), par : rayonnante Vénus. Je préfère magnifique, pour sa polysémie connotant et la beauté physique et la générosité.(9) Faible tentative de rendre l'emphase de ille. Un simple il suffira à l'examinateur, le jour du baccalauréat.(10) Effet de sens impossible à rendre en français : torus signifiant lit et lit nuptial. Ovide joue savamment de cette polysémie.(11) Jeu de mots d'Ovide que l'on se doit de rendre par un jeu de mot français. Le nom plastique est un synonyme soutenu de sculpture, l'adjectif plastique signifie malléable. Dernière précision : cet effet de style porte le nom de polyptote.(12) Maître, chef militaire, tel est le sens premier du mot grec emprunté par Ovide. Le sens habituel, demi-dieu, ne convient pas à Pygmalion, sans ascendants divins. Le français maître enrichit le texte par la connotation de maîtrise artistique, étrangère au mot grec. Il eût été dommage de s'en priver !(13) Emprunt à Baudelaire, qui dans Le Cygne rend le falsus Simoeis de Virgile par Simois menteur. (14) Faible tentative de rendre l'emphase de illa. Un simple elle suffira à l'examinateur, le jour du baccalauréat.

COMMENTAIRE :

Note préliminaire : ce passage forme un tout indissociable, mais il excède largement les douze à quinze vers réglementaires de l'oral (Et même les quarante vers de l'écrit). Ainsi, après un commentaire d'ensemble, je procèderai au prix de quelque redite, à une étude paragraphe par paragraphe.

1 INSERTION DANS LE TEXTE

1.1) UN HAPAX ...Cet épisode est unique dans le livre X (sans préjuger de l'ensemble des Métamorphoses) en ce qu'il inverse la démarche générale de la métamorphose : au lieu d'un passage de l'humain à l'animal (ici, Hippomène et Atalante changés en lion), au végétal (ici, Myrrha changée en gommier) ou au minéral (ici, hors programme, les Propétides changées en pierre), nous avons un passage de l'inanimé à l'animé, plus même, à l'humain. Autre particularité, c'est une histoire d'amour au dénouement heureux : ils furent heureux et ils eurent une petite fille...

1.2)... BIEN RELIÉ À LA THÉMATIQUE D'ENSEMBLE...L'épisode s'inscrit bien dans le cadre général : cadre grec, assuré par la toponymie (Cypro, Paphius, Hymetta), l'onomastique (Pygmalion, Heliadum, Paphon) et l'usage de mots empruntés au grec : thalamos, concha, tus, aer, heros. récit mythologique et étiologique : de qua tenet insula nomen, explication d'un toponyme. conte d'amour intervention divine réflexion sur la création artistique, thème récurrent dans les Métamorphoses : Pallas et Arachné font de la tapisserie, tel notre contemporain Lurçat (livre VI), Marsyas et Pan sont musiciens (livres VI et XI), et, surtout, Phébus-Apollon, les Muses, et Orphée, narrateur homodiégétique de l'épisode, pratiquent la poésie... comme Ovide lui-même.

1.3)... ET MIS EN ABYME Par une sorte d'effet Vache qui rit (la vache porte des boucles d'oreille décorées d'une tête de vache qui porte des boucles d'oreille décorées d'une tête de vache... et ainsi de suite à l'infini...), le poète Ovide met en scène le poète Orphée qui met en scène le sculpteur Pygmalion. N'oublions pas que poésie vient du verbe grec qui signifie fabriquer, et que ce verbe s'applique tout autant aux statues qu'aux poèmes. Pygmalion dont la création parfaite prend vie est une métaphore d'Ovide, dont la création est immortelle :Quaque patet domitis Romana potentia terrisore legar populi, perque omnia saecula famasiquid habent veri vatum praesagia, vivam.Derniers vers des Métamorphoses : Partout où la puissance romaine s'étend sur les terres soumises, je serai chanté par la voix des hommes, (litt. : lu par la bouche du peuple, du temps d'Ovide on ne pratiquait pas la lecture mentale) et, par ma gloire, à travers tous les siècles, s'il est du vrai dans les prophéties des poètes, je vivrai. (XV, 877-879).

2 CONSTRUCTION

2.1) UN TRIPTYQUE Tout récit retrace le passage d'un état initial à un état final, selon la constatation de Tzvetan Todorov. On distingue cinq étapes qui peuvent se ramener à trois, comme ici : phase descriptive (verbes majoritairement au présent) : solitude de Pygmalion, v. 243-269 phase narrative (verbes majoritairement au parfait/pr‚sent du perfectum) : intervention de Vénus, v. 270-280 phase descriptive (verbes majoritairement au présent) : animation de la statue, vers 281-297

La phase initiale et la phase finale se font écho :sine conjuge/conjugio adest dea (245/295)thalami consorte carebat/tori sociam/incumbens toro (246/268/281)concepit amorem/vidit amantem (249/294)simulati corporis ignes/simulacrae suae puellae (253/280)manus temptantes admovet/manibus pectore temptat/temptatum ebur/temptatae venae (254/282/281/289)manus temptantes admovet/admovet os (254/282)an sit corpus an illud ebur/corpus erat (254/289)oscula dat/dedit oscula /dataque oscula (256/281/292)credit tactis digitos insidere membris/ebur...subsidit digitis (257/284)tamquam sensura/virgo sensit (269/292)La différence entre la phase initiale et la phase finale se marque par la disparition des modalisateurs : dans la première phase, tout est doute et illusion, marqués par l'interrogation : an sit corpus an illud ebur ; le champ lexical du doute : credas, putat, credit et de l'illusion : tamquam sensura.dans la seconde phase, le doute fait place à la certitude : ora non falsa et tous les verbes sont à l'idicatif.

La phase centrale contraste nettement :de l'intérieur du palais au plein air de la solitude et de l'intimité à la foule : tota Cyprodes occupations privées à la cérémonie publique de la vie imitée, à la mort; intervention d'un nouvel acteur, Vénus, la dea ex machina, c'est le cas où jamais d'employer l'expression. Ovide y trace un croquis rapide du sacrifice, en écho aux Fastes, ce poème inachevé qui décrit une par une les fêtes de la religion romaine et leur rituel. Mais loin de constituer un hors d'œuvre, la scène est nettement reliée à ce qui précède et ce qui suit. Les génisses, dont la mort donnera la vie à la statue, pour ainsi dire, ont en commun avec elle cette blancheur de neige : niveum ebur/nivea cervice de rigueur pour les victimes des sacrifices. Les cornes dorées sont un détail réaliste, et un topos obligé depuis Homère. Comme on ne peut se retenir de remarquer que la corne et l'ivoire sont des matières analogues, ce point, loin d'être convenu, rappelle ce qui précède tandis que la courbure de ces cornes, pandis cornibus, annonce celle des cornes de la lune : coactis cornibus. La crainte révérencieuse de Pygmalion : timide (274) annonce celle de la jeune fille, timidum lumen.(293) La présence protectrice de Vénus se marque par la reprise du verbe adesse : aderat Venus, adest dea.

2.2) UN TRIO Trois personnages sont en scène, dont deux nommément cités :

Pygmalion : Pygmalion, vers 243 : entrée en scène du personnage principal, nominatif sujet de viderat, vivebat et carebat.Pygmalion, vers 253, nominatif, sujet de miratur et haurit : verbes au présent de l'indicatif, à valeur descriptive.Pygmalion, vers 276, nominatif, sujet de constitit, non ausus est dicere et dixit, parfaits de l'indicatif à valeur narrative.ille, vers 280, désignation par un substitut à valeur méliorative, sujet de petit et dedit.heros, vers 290, nominatif grec, sujet de concipit, parfait de l'indicatif, à valeur narrative.Pygmalion est nommé cinq fois, dont trois par son nom toujours au nominatif : cela l'installe bien en position de créateur.

Vénus : festa dies Veneris, vers 270, génitif complément du nom festa dies : le personnage entre en scène dans une position accessoire.Venus, vers 277, nominatif, sujet de deux verbes aderat et sensit.Veneri, vers 291, datif, complément d'objet second de grates agat.dea, vers 295, nominatif sujet de adest. Vénus est nommée quatre fois, mais apparemment moins valorisée : une occurrence au génitif, une occurrence au datif, un substitut de sens général. Les verbes dont elle est sujet ne dénotent pas l'action : adesse, être là, sentire, percevoir, comprendre.

Qui est Vénus ? Je tire ma réponse de La Religion romaine, de Jacqueline Champeaux (Livre de Poche, références). À l'origine, elle n'a rien à voir avec l'Aphrodite grecque. Son nom est un ancien neutre, *uenus, de même racine que uenia, la grâce divine, grâce au sens chrétien du mot. (Même racine pour l'anglais wish). Mme Champeaux ajoute : " R. Schilling (l'éditeur d'Ovide aux CUF) insiste volontiers sur la prière vénusienne, effort pour plaire au dieu, gagner sa bienveillance, le séduire en quelque sorte, si différente de l'ancienne prière contractuelle, donnant-donnant. " Telle est bien la prière de Pygmalion, émouvante dans sa maladresse même. En réponse, Vénus reste discrète : ni éclairs, ni tonnerre. Le mode de son intervention n'est pas précisé, seuls sont visibles les résultats : corpus erat. Elle exauce le vœu de Pygmalion au double titre d'Aphrodite, la déesse de Chypre, déesse du plaisir amoureux, et de Vénus, déesse " médiatrice entre les hommes et le plus grand des dieux. " (Mme Champeaux) Être là, comprendre, c'est exactement ce que le fidèle en attend.

Galatéa : tel est le nom que lui a donné la postérité dans les dictionnaires de mythologie, mais dans le texte d'Ovide, cet objet de la quête du héros est totalement anonyme :ebur, vers 247 : accusatif, complément d'objet direct de sculpsit, elle n'est que matière brute.operis sui, vers 259 : génitif, complément du nom amorem : la matière a pris forme, mais elle est toujours accessoire, dépendante.facies, vers 250 : nominatif, sujet du verbe copule est.simulati corporis, vers 253 : génitif, complément du nom ignes. Double dépendance, lexicale (vocabulaire de l'illusion) et syntaxique.operi, vers 254 : datif, complément d'objet second de admovet : toujours la double dépendance.hanc : vers 267, complément d'objet direct de collocat : toujours la double dépendance, désignation par un substitut, le pronom démonstratif, dépendance par rapport à un verbe dont le patient ne peut être qu'un inanimé.tori sociam : vers 268, attribut du complément hanc : le terme socia relève de la catégorie de l'animé, mais il ne s'agit que d'une désignation fallacieuse dont Pygmalion n'est pas dupe. eburnea virgo, vers 275 : nominatif, attribut de conjux. L'expression constitue un oxymore, un nom animé déterminé par un adjectif dénotant l'inanimé.eburnae : datif, complément de l'adjectif similis. Double dépendance lexicale et syntaxique : cet adjectif substantivé fait de Galatée une pure matière.simulacra suae puellae : vers 280, accusatif complément d'objet direct de petit. Le terme puella dénote un animé, mais il est temps de rappeler que ce mot n'est pas le pendant du masculin puer. Moins pudibond que Bornecque, Gaffiot donne le sens " maîtresse ", en français moderne " petite amie ". (Oui, je sais, vous dites maintenant copine !) virgo, vers 292 : nominatif, sujet de sensit, erubuit et vidit. Occurrence unique : désignée par un terme connotant l'animation ET sujet ; MAIS sujet de verbe de perception (sensit, vidit) ou dénotant le réflexe involontaire (erubuit). La métamorphose est accomplie, la dépendance syntaxique a pris fin, mais non la dépendance lexicale.illa, vers 297 (et dernier) : nominatif d'un pronom (de valeur méliorative), sujet de genuit. La puella est assez humaine pour mettre un enfant au monde, pas assez pour porter un nom ou être désignée par un substantif ! Galatée est mentionnée onze fois, contre cinq pour Pygmalion et quatre pour Vénus : 5 + 4 = 9, son poids dans le texte est supérieur à celui des deux autres personnages. Mais cette domination quantitative ne lui donne pas une importance qualitative. Elle est objet : objet grammatical, objet de la quête, peut-être même objet tout court.

2.3) FEMME OBJET, ou : SOIS BELLE ET TAIS-TOI Dans la première phase la statue est un simple objet. Ce fait est dénoté par les mots et connoté par la syntaxe, on pourrait d'ailleurs dire, dénoté par la syntaxe et connoté par les mots. Dans la seconde phase, l'insistance sur la matière (eburna virgo, eburnae) fait le lien avec les deux autres phases : ebur figure au vers 248 et au vers 283, sorte de fil rouge de la narration. Dans la troisième phase, la statue prend vie (dénotation) mais n'en devient pas pour autant un être libre et maître de son destin (connotation). Le comportement de Pygmalion envers elle ne se modifie que sur un point : il prenait la peine de parler à la statue (loquitur, vers 256), il ne dit pas un mot à la femme. Les seules paroles qu'il prononce, dans la troisième phase (concipit verba) ne s'adressent pas à elle : quibus Veneri grates agat, Vénus déjà destinataire de la prière au style direct (vers 274-276). Quand elle accède enfin au statut de sujet, c'est pour sentir, rougir, voir et donner naissance, toutes actions indépendantes de la volonté consciente. Elle n'use ni du toucher (privilège de Pygmalion), ni du goût (totalement absent de l'épisode), ni du flair (même remarque, la mention de l'encens est visuelle : fumabant), ni de l'ouïe, et elle ne parle pas.

Pourquoi ne parle-t-elle pas ?Un proverbe latin dit : SILENTIUM MULIEREM ORNAT, sois belle et tais-toi. On peut donc attribuer ce fait à la misogynie de principe des hommes de l'Antiquité, et remarquer qu'il s'inscrit bien dans la thématique de ce livre X où Orphée :... etiam Thracum populis fuit auctor amoremin teneros transferre mares... (vers 83-84) Ce peut être un effet de réel : pour parler le langage humain, il faut l'avoir entendu. Plus avisé que le créateur de Tarzan, Ovide assimile la création de Pygmalion à une sourde-muette de naissance : elle ne pourra parler qu'à l'issue d'un long apprentissage. De toutes façons, ce ne sont pas les joies de la conversation que Pygmalion attend d'elle ! Unir l'hyper-réalisme au fantastique, transcender les catégories, c'est une des marques du génie. Autre explication, complémentaire, Ovide met ici en scène un trait de psychologie bien connu : c'est l'obstacle qui suscite l'amour, et ôter l'obstacle, c'est tuer l'amour (cf. L'Amour et l'Occident, de Denis de Rougemont, éditions 10/18), thèse qu'Ovide a ainsi formulée :Fugio sequentem, fugientem sequor (Cité de mémoire : je fuis qui me poursuit, je poursuis qui me fuit.) Animée, capable de s'exprimer, Galatée perd tout intérêt aux yeux de Pygmalion, qui n'aimait en elle que le mystère de son silence et de son insensibilité. En ne lui parlant pas, il sauvegarde une partie de ce mystère, il sauvegarde son amour. Ce qu'exprime fort bien ce poème tiré de Charmes, " Les Pas " :Si de tes lèvres avancées, Tu prépares pour l'apaiser, À l'habitant de mes pensées, La nourriture d'un baiser,

Ne hâte pas cet acte tendre, Douceur d'être et n'être pas, Car j'ai vécu de vous attendre, Et mon cœur n'était que vos pas.

" Et voilà pourquoi votre fille est muette ! "

3 LE COIN DE L'EXAMINATEUR

Le cahier des charges de l'examinateur (un passage de douze à quinze vers), et la logique du texte se contredisent :Séquence initiale, vers 243 à 269, 27 vers, trop long. Séquence centrale, vers 270 à 279, 10 vers, trop court. Séquence finale, vers 280 à 297, 18 vers, trop long.

Je vais donc procéder à un commentaire phase par phase, respectant la logique du texte, sans chercher à anticiper les choix de mes collègues.

3.1) SÉQUENCE INITIALE Dégager les traits caractéristiques de tout incipit : mise en place du personnage principal, description de l'état initial (verbes au plus que parfait et à l'imparfait), rupture de ce premier équilibre (247-248-249) par deux actions successives et lourdes de conséquences : niveum ...sculpsit ebur, amorem concipit, rupture marquée par le passage au parfait .Cette rupture d'équilibre n'ouvre pas une phase de réaction (action destinée à rétablir l'équilibre rompu) mais une seconde phase descriptive où tous les verbes sont au présent, sauf un : ... metuit pressos veniat ne livor in artus (258). Le temps ainsi est suspendu, immobile comme la statue. Ce temps suspendu est un temps du malaise et de la frustration, l'attente d'un salut.

Mettre en évidence les champs lexicaux :le toucher ( signaler que presque tous les verbes en sont repris dans la phase finale)la création artistique : mira arte, operis sui, ars, arte sua, simulati corporis, operil'illusion(Signaler les échos sonores : mir(a a)rte/ miratur ; formam/formosa ; corporis/operi ainsi que les répétitions : ebur, digitos/digitis)

Réfléchir sur ebur : pourquoi précisément de l'ivoire ?

Le noble (heros) Pygmalion ne peut travailler qu'un matériau noble, ce qui élimine l'argile, juste assez bon à faire des pots !Le bois est périssable, le marbre est froid, le bronze réclame tout un atelier de fondeurs. L'or, trop ductile, ne peut servir qu'à recouvrir une surface.Reste l'ivoire, dont la couleur est celle même de la peau. De la peau des grandes dames grecques, qui ne quittent jamais le gynécée et ne s'exposent donc pas aux rayons du soleil... D'autre part, l'ivoire participe du règne animal, c'est déjà un matériau vivant qui peut sembler tiède au toucher : effet de réel qui rend moins improbable le passage de l'animal à l'animé.Ne nous demandons pas quelle peut être la taille de l'éléphant dont les défenses permettent de sculpter une femme en grandeur nature : nous sommes dans le domaine du fantastique. Cependant, rappelons-nous que depuis l'Antiquité, les éléphants pourchassés, dont la niche écologique a été saccagée par les hommes, ont plutôt rapetissé, tandis que la race humaine a prodigieusement grandi. Pour Hérodote, une femme d'un mètre soixante dix est une géante, pour nous, elle est trop petite pour faire un mannequin...La création de Pygmalion dépasse à peine le mètre quarante, si tant est qu'elle l'atteigne. Cependant, tributaire de la forme courbée de la défense, elle accuse un léger déhanchement. Ainsi s'explique acclinata colla (vers 268) : cette tête penchée, d'une exquise modestie, est due aux contraintes du matériau.

3.2) SÉQUENCE CENTRALEIci se produit la réaction qui va mettre fin au déséquilibre précédent.Elle instaure cependant un déséquilibre de la composition : elle ne compte que 10 vers, à peine le tiers de la longueur de la séquence précédente. C'est une phase narrative dont tous les verbes sont au parfait de l'indicatif (sauf venerat, qui constitue une analepse, et les imparfaits descriptifs de la cérémonie religieuse).

Qui agit ? Quis fecit ?Pygmalion, et Pygmalion seul. Vénus dont la présence se concrétise par deux mentions en 8 vers, ne fait rien d'autre qu'écouter : sensit. Un signe (omen) manifeste sa bienveillance, mais les choses se font d'elles-mêmes : flamma ...accensa est apicemque ...duxit. L'intervention de Vénus reste implicite : nous en voyons le résultat dans la troisième phase, Ovide ne nous dit ni quand ni comment cette intervention s'est faite.

Que fait-il ? Quid fecit ?Il parle, et non sans hésitation : timide, non ausus est dicere, mais enfin dixit.Ici, parler c'est agir, comme dans le genre dramatique. Ovide rappelle par là à son auditoire (toute lecture est orale dans l'Antiquité, ce qui permet de dire que le latin écrit, c'est du latin parlé deux fois, dicté à un secrétaire et oralisé par le destinataire) quelle peut être la puissance de cette parole dont il est un maître, à l'instar de son récitant Orphée.Cette parole de Pygmalion est embarrassée : si Pygmalion est un artiste, il n'est pas artiste en mots. Ovide traduit cette hésitation en torturant la syntaxe et en multipliant les incises. (Lors de la traduction, il faut bien se garder de rétablir l'ordre des mots habituel, ce serait détruire l'effet.) Ovide fait preuve également de réalisme psychologique : une prière si extravagante est en effet difficile à formuler ! La reprise eburnea/eburnae souligne l'impossibilité du vœu, tout en permettant au mot ebur de figurer dans les trois parties du récit.

Mettre en évidence le champ lexical du culte religieux.Mettre en évidence les reprises de termes qui assurent la cohésion de l'ensemble tels conjux ou eburnea.

Souligner l'effet d'annonce : sensit, omen. La suite du texte confirmera-t-elle ces promesses ?

S'interroger sur la mention de la nuque des génisses : ictae nivea cervice juvencae, quatre vers plus bas que acclinata colla mollibus in plumis... reponit. Le contraste entre les tendres ménagements de la nuque d'une statue, inanimée par définition, et la brutalité du traitement réservé à la nuque d'êtres vivants a-t-il été voulu par Ovide, ou ne nous frappe-t-il que parce que vingt siècles de christianisme ont familiarisé l'Occident avec le respect de la vie sous toutes ses formes ? À tout le moins, il y a là comme un échange magique : les blanches génisses perdent une vie qui sera donnée à la blanche statue.

3.3) SÉQUENCE FINALEC'est le dénouement, en langage théâtral, la création d'un nouvel équilibre.Elle participe à l'équilibre de la composition : si l'on ajoute ses 18 vers au 10 vers de la séquence précédente, on obtient 28 vers, c'est à dire une longueur identique à celle de la séquence initiale. Force est donc de constater que si le récit se découpe en trois séquences, le texte, lui, se découpe en deux parties, avant et après.

Dans cette séquence, le narratif (verbes au parfait : rediit, dedit, visa est, sensit, erubuit, vidit, genuit) se mêle au descriptif (verbes au présent), selon une répartition très simple : parfait pour les actes uniques, présent pour les actions répétées.

Mettre en évidence le champ lexical du toucher, et souligner le parallélisme avec la première séquence. Ces reprises de terme constituent un effet de clôture.

Souligner le parallélisme : cera tracta pollice flectitur, saliunt temptatae pollice venae, qui laisse entendre que le pouce de Pygmalion a la puissance de donner la vie.

Mentionner l'absence de communication orale entre les deux amants, absence de communication paradoxale dans un texte qui exalte la puissance de la parole.

ENVOI EN MISSION :Je vous ai cependant laissé une tâche importante : scander. C'est utile pour la grammaire (distinction des nominatifs et des ablatifs en -a, distinction entre le présent fugit [uu] et le parfait fugit [-u]), c'est indispensable à l'étude littéraire : tout mot isolé par une coupe (précédé ou suivi d'une coupe) est un mot important. Conseil technique : procéder à l'envers. Repérer les mots importants, et prouver que la scansion les met en relief. À l'oral, pensez à effectuer cette démonstration pour un ou deux des mots du passage qui vous sera soumis : scandez deux vers choisis par vous-mêmes, sinon l'examinateur vous fera scander un vers choisi par lui !