le tout: Hubert Steiner

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texte

Namque sacer nymphis Carthaea tenentibus arva 
ingens cervus erat lateque patentibus altas                                    110
ipse suo capiti praebebat cornibus umbras. 
Cornua fulgebant auro demissaque in armos 
pendebant tereti gemmata monilia collo. 
Bulla super frontem parvis argentea loris 
vincta movebatur parilique aetate; nitebant                                   115
auribus e geminis circum cava tempora bacae; 
isque metu vacuus naturalique pavore 
deposito celebrare domos mulcendaque colla 
quamlibet ignotis manibus praebere solebat. 
Sed tamen ante alios, Ceae pulcherrime gentis,                             120
gratus erat, Cyparisse, tibi: tu pabula cervum 
ad nova, tu liquidi ducebas fontis ad undam; 
tu modo texebas varios per cornua flores, 
nunc eques in tergo residens huc laetus et illuc 
mollia purpureis frenabas ora capistris.                                             125
Aestus erat mediusque dies solisque vapore 
concava litorei fervebant bracchia Cancri: 
fessus in herbosa posuit sua corpora terra 
cervus et arborea frigus ducebat ab umbra. 
Hunc puer imprudens jaculo Cyparissus acuto                                     130
fixit et, ut saevo morientem vulnere vidit, 
velle mori statuit. Quae non solacia Phoebus 
dixit et ut leviter pro materiaque doleret 
admonuit! Gemit ille tamen munusque supremum 
hoc petit a superis, ut tempore lugeat omni.                                       135
Jamque per immensos egesto sanguine fletus, 
in viridem verti coeperunt membra colorem
et modo qui nivea pendebant fronte capilli, 
horrida caesaries fieri sumptoque rigore 
sidereum gracili spectare cacumine caelum.                                      140
Ingemuit tristisque deus: «lugebere nobis 
lugebisque alios aderisque dolentibus» inquit

(texte avec l'aide de l'édition Hatier/les Belles Lettres)

traduction universitaire

Dans les champs de Carthée errait un cerf fameux consacré aux Nymphes de ces contrées. Un bois spacieux et doré orne sa tête; un collier d'or pare son cou, flotte sur ses épaules; attachée par de légers tissus, une étoile d'argent s'agite et brille sur son front. À ses oreilles pendent deux perles éclatantes, égales en grosseur. Libre de toute crainte, affranchi de cette timidité aux cerfs si naturelle, il fréquente les toits qu'habitent les humains. Il présente volontiers son cou aux caresses d'une main inconnue. Mais qui l'aima plus que toi, jeune Cyparissus, le plus beau des mortels que l'île de Cos ait vu naître ? Tu le menais dans de frais et nouveaux pâturages; tu le désaltérais dans l'eau limpide des fontaines : tantôt tu parais son bois de guirlandes de fleurs; tantôt, sur son dos assis, avec un frein de pourpre, tu dirigeais ses élans, tu réglais sa course vagabonde. C'était vers le milieu du jour, lorsque le Cancer aux bras recourbés haletait sous la vapeur brûlante des airs. Couché sur le gazon, dans un bocage épais, le cerf goûtait le frais, le repos, et l'ombre. Cyparissus imprudemment le perce de son dard; et le voyant mourir de cette blessure fatale, il veut aussi mourir. Que ne lui dit pas le dieu du jour pour calmer ses regrets ! en vain il lui représente que son deuil est trop grand pour un malheur léger. Cyparissus gémit, et ne demande aux dieux, pour faveur dernière, que de ne jamais survivre à sa douleur. Cependant il s'épuise par l'excès de ses pleurs. De son sang les canaux se tarissent. Les couleurs de son teint flétri commencent à verdir. Ses cheveux, qui naguère ombrageaient l'albâtre de son front, se hérissent, s'allongent en pyramide, et s'élèvent dans les airs. Apollon soupire : "Tu seras toujours, dit-il, l'objet de mes regrets. Tu seras chez les mortels le symbole du deuil et l'arbre des tombeaux".

traduction par groupe de mots

109 - NAMQUE ERAT INGENS CERVUS En effet il y avait un grand cerf SACER NYMPHIS TENENTIBUS ARVA CARTHAEA consacré aux nymphes occupant les champs de Carthée QUE IPSE PRAEBEBAT SUO CAPITI et lui-même fournissait à sa propre tête CORNIBUS PATENTIBUS LATE avec ses cornes s'étendant largement UMBRAS ALTAS des ombres profondes (par hypallage: ALTAS concerne plutôt CORNIBUS). CORNUA FULGEBANT AURO Ses cornes brillaient d'or QUE MONILIA GEMMATA, DEMISSA IN ARMOS et des colliers (gemmés) ornés de pierreries , (abaissés) répandus sur ses épaules PENDEBANT COLLO TERETI pendaient à son cou (arrondi) délicat. 114 - SUPER FRONTEM BULLA Au-dessus de son front une bulle ARGENTEA VINCTA PARVIS LORIS (LORUM I n) en argent (liée) retenue par de petites courroies QUE AETATE PARITI MOVEBATUR et d'un âge identique (était bougée) s'agitait; NITEBANT E GEMINIS AURIBUS brillaient à ses deux oreilles, CIRCUM TEMPORA CAVA BACAE autour (de ses tempes creuses) du creux de ses tempes des perles; QUE IS, VACUUS METU, (et) celui-ci, (vide) exempt de crainte QUE PAVORE NATURALI DEPOSITO et toute peur naturelle (ayant été) déposée, SOLEBAT CELEBRARE DOMOS avait l'habitude de fréquenter les maisons QUE PRAEBERE QUAMLIBET COLLA MULCENDA et de fournir à discrétion son cou à caresser (adj verbal de but) MANIBUS IGNOTIS à des mains inconnues. 120 - SED TAMEN TIBI ERAT GRATUS Mais cependant il t'était agréable ANTE ALIOS (avant les autres) en premier, CYPARISSE, PULCHERRIME GENTIS CEAE, +à toi+, Cyparissus, le plus beau du peuple de Céos; TU DUCEBAS CERVUM toi, tu conduisais ce cerf AD NOVA PABULA vers les nouveaux pâturages, TU AD UNDAM FONTIS LIQUIDI toi, vers l'eau d'une fontaine claire; TU MODO TEXEBAS toi, tantôt, tu entrelaçais FLORES VARIOS PER CORNUA des fleurs diverses entre ses cornes, NUNC EQUES LAETUS RESIDENS IN TERGO, tantôt, cavalier joyeux assis sur son dos, HUC ET ILLUC +en allant+ ici ou là FRENABAS ORA (pl poétique) MOLLIA tu bridais sa bouche (flexible) qui accepte +le mors+ CAPISTRIS PURPUREIS avec des licols de pourpre. 126 - ERAT AESTUS C'était l'été QUE MEDIUS DIES et le milieu du jour QUE BRACCHIA CONCAVA CANCRI LITOREI et les bras recourbés du Cancer +hôte du+ littoral FERVEBANT VAPORE SOLIS brûlaient avec (les bouffées de) +la+ chaleur du Soleil; FESSUS, CERVUS POSUIT fatigué, le cerf posa SUA CORPORA IN TERRA HERBOSA (pl. poétique) son corps sur la terre herbeuse ET DUCEBAT (cf. DUCERE SPIRITUM: aspirer l'air) FRIGUS et tirait de l'air frais AB UMBRA ARBOREA de l'ombre des arbres. PUER CYPARISSUS, IMPRUDENS, Le jeune Cyparissus, sans se méfier, HUNC FIXIT le transperça JACULO ACUTO d'un javelot pointu ET, UT VIDIT MORIENTEM et quand il l'eut vu mourir VULNERE SAEVO de +cette+ blessure cruelle, 132 - STATUIT VELLE MORI il résolut de vouloir mourir. QUAE SOLACIA NON DIXIT PHOEBUS Quelles paroles consolatrices ne dit pas Apollon ET ADMONUIT UT DOLORET et il l'avertit de se lamenter LEVITER QUE PRO MATERIA (légèrement) sans outrance et en rapport avec l'objet! ILLE GEMIT (présent de narration) TAMEN Celui-ci gémit néanmoins QUE PETIT A SUPERIS et demande aux dieux d'en haut HOC MUNUS SUPREMUM cela +comme+ don suprême UT LUGEAT OMNI TEMPORE qu'il se lamente tout le temps. QUE JAM, SANGUINE EGESTO Et déjà, son sang (s'étant répandu) épuisé PER FLETUS IMMENSOS lors de ses pleurs sans mesure, MEMBRA COEPERUNT ses membres commencèrent VERTI IN COLOREM VIRIDEM à se changer en couleur verte 138 - ET CAPILLI QUI MODO et ses cheveux qui, tout à l'heure, PENDEBANT FRONTE NIVEA retombaient sur son front de neige FIERI (infinitif de narration) CAESARIES HORRIDA de devenir une chevelure hérissée QUE RIGORE SUMPTO et, (de la raideur étant prise) s'étant raidis, SPECTARE CAELUM SIDEREUM de regarder le ciel étoilé CACUMINE GRACILI avec une pointe grêle. DEUS TRISTIS INGEMUIT (et) Le dieu, +dans sa+ triste+sse+ gémit QUE INQUIT: LUGUBERE NOBIS et dit: «tu seras pleuré de nous QUE LUGEBIS ALIOS, tu pleureras les autres QUE ADERIS DOLENTIBUS et tu assisteras (les lamentants) ceux qui se lamentent.»

commentaire

tableautins et merveilleux

1) une succession de tableautins touchants:

Le développement de cette courte tragédie domestique est très clair. L'anecdote est introduite par NAM, pour présenter le cerf lui-même, en se préoccupant surtout de ce qu'il y a de plus remarquable, classiquement, chez ce quadrupède: CAPITI en césure p en 111, CORNIBUS au dactyle 5ème au même vers. Leur masse imposante est soulignée par le PATENTIBUS en écho avec TENENTIBUS au v. précédent, volume dégagé aussi par les sifflantes finales et les voyelles ouvertes [a] qui abondent. Cette excroissance est reprise en polyptote, au début du v. suivant: CORNUA. Le regard descend ensuite sur les épaules: ARMOS en fin de v. 112, avec l'effet de rupture logique induit passagèrement par DEMISSA placé avant MONILIA qui déconcerte, donc amène à plus d'acuité. Les yeux remontent à son cou, COLLO fin 113, dont la souplesse est soulignée par l'adjectif TERETI à la césure p, en épithète de nature. La vision se poursuit sur le FRONTEM à la césure p, en 114. Ces différentes parties du haut du corps se succèdent en asyndète en une série de rapides coups d'oeil et se terminent sur AURIBUS en début de v. 116, puis TEMPORA en dactyle 5ème, tous deux avec des épithètes de nature, classiques: CAVEA, voire avec un pléonasme: GEMINIS. Ce portrait physique du cerf s'achève, par le truchement de l'enclitique -QUE, sur celui de son comportement, fin de 119: SOLEBAT, avec COLLA, comme démultiplié pour mieux se prêter aux caresses successives en fin de 118, résumant ce qui précède, alors que le IGNOTIS MANIBUS en césure h en 119 sert de transition pour la suite... Ce premier tableau de présentation reposait sur des verbes peu nombreux: 6 verbes à un mode personnel: ERAT, PRAEBEBAT, puis au pl.: FULGEBANT, PENDEBANT, sg.: MOVEBATUR, pl. NITEBANT, sg.: SOLEBAT, en un jeu d'alternance subtil, ce en 11 vers (109 - 119); qui plus est, les verbes d'état: ERAT souligné par la césure p en 110, de deuxième conjugaison dont le suffixe -EO marque l'état: FULGEO, NITEO, SOLEO, le verbe de mouvement, au passif, de façon révélatrice, soulignent à l'envie qu'Ovide a voulu nous donner une image définitive, fixe - mais non figée: PRAEBEO, PENDO - de ce cerf. Les verbes restants sont soit des participes renforçant l'état soit des PERFECTUM. Nous avons donc un portrait d'abord en gros plan ensuite en situation, de ce fameux cerf. La présentation du compagnon privilégié (ANTE ALIOS, en césure p) se fait par l'intermédiaire d'une interpellation directe: PULCHERRIME, CYPARISSE, 120, 121, avec un renforcement des articulations logiques, SED TAMEN, donc une opposition soulignée en début de 120 comme pour marquer l'intervention de l'histoire, d'un épisode plus personnel (GRATUS en début de v. 121). La présence quasi tangible du deuxième personnage se marque par le TIBI en césure h, repris par l'anaphore de ce pronom personnel, de plus en plus en avant dans les 3 vers (121 - 123), avec son compagnon: CERVUM en fin de 121, et l'encadrement en variation: AD NOVA, AD UNDAM de chaque côté du v. 122, d'un côté la nourriture, de l'autre, la boisson, les besoins premiers les plus communs; ceci a lieu et perdure, vu l'imparfait, dans un cadre bucolique on ne peut plus traditionnel et attendu: PABULA, FONTIS LIQUIDI, VARIOS FLORES. La relation affective est d'abord mentionnée: ERAT à la césure t de 122, puis les activités, d'abord de subsistance: DUCEBAS, puis ludiques, avec l'alternative en rupture: MODO, NUNC au début du v. suivant 124; le cerf est obéissant: MOLLIA au début de 125, ce qui permet d'esquisser une scène charmante: RESIDENS à la césure p (124), avec ses voyelles fermées, pour souligner le sérieux enfantin dont fait preuve notre PUER (v. 107, 130). Le rythme est aussi varié que les occupations de Cyparissus: la symétrie du v. 125: ddssds, vie de loisirs, de plaisirs innocents, déjà annoncée comme allègre - destinée à renforcer, par contraste l'effet tragique de la mort du cerf, inattendu après une telle scène «pastorale» - ce, dès 120: ddssds (avec élision du e), 121: dddsdt avec les deux césures t et h, comme un appel lors de jeux 122: ddssdt, 123: dsdsds en alternance de d s, comme pour incarner l'entrelacement des fleurs, 124: dsdsds, derechef, en évoquant le balancement régulier du cheval en osmose avec son EQUES. Tout ceci est bien plaisant, et Ovide nous fait partager ainsi le bonheur quotidien du jeune garçon. Les deux vers suivants montrent que ce qui va suivre est dans le droit fil de ce qui précède, avec deux imparfaits de verbes d'état: AESTUS ERAT (126), comme GRATUS ERAT; les notations temporelles sont précises: la saison, AESTUS, l'heure (toujours approximative à l'époque romaine: il faudra dépasser le gnomon - cadran solaire - et arriver à l'horloge à échappement des monastères pour que l'heure ne dépende plus du soleil, soit technique, uniforme et non plus naturelle, au gré des saisons): MEDIUS DIES, les conditions météorologiques: VAPORE SOLIS, dernière précision à partir d'un signe du Zodiaque: BRACCHIA CANCRI, donc au mois de juillet. Tout semble annoncer un autre épisode heureux, vu le rythme: dddsdt, avec césure h en 126, ddssds avec césure p en 127. L'alanguissement méditerrannéen provoqué par le soleil au zénith se ressent par les sifflantes [s], ainsi que les finales identiques en [a], avec l'homéotéleute: CORPORA TERRA, avec la recherche de l'ombre protectrice: UMBRA en fin de 129 - ce qui n'a rien d'inquiétant - générée par la verdure (annoncée par HERBOSA, confirmé par ARBOREA). Ovide joue avec nos automatismes, il passe au CERVUS (v. 129), alors que nous attendions Cyparissus (cf. CORPORA, 128), et le rythme incarne ce désir de repos, finalement propre aux animaux comme aux hommes: v. 128, dsddds rapide, puis 129: ddssds, avec un jeu d'opposition entre voyelles ouvertes [a] et fermées [u] (v. 129). En asyndète, non pas le coup de théâtre, malgré cette mise en scène rassurante, mais le coup du sort, en rupture avec le sujet précédent, ce qui met en valeur les deux «protagonistes» (sic!), l'un passif en début de v.: HUNC, suivi immédiatement du responsable, par ailleurs innocent, vu son âge: PUER; il s'agit d'un acte involontaire: IMPRUDENS à la césure p, avec le jet trop rapide pour qu'il soit évité: 130, rythme dsddds, ce qui souligne le rejet du parfait FIXIT; les termes n'éludent pas la réalité: ACUTO en fin de v. 130, et l'allitération en [k], ce que conforte le SAEVO à la césure p en 131, avec l'allitération en [w]! Cyparissus est confronté à l'horreur, sans fard (cf. rythme: dsdsds): VIDIT en fin du vers (ainsi encadré par deux parfaits) en construction participiale comme en grec, pour évoquer l'agonie, douloureuse physiquement pour le cerf, psychiquement pour le meurtrier, ce que marque l'allitération en [t]. Avec des moyens très simples, Ovide réussit à nous émouvoir. Le spectacle est si cruel que, pour y échapper, en concomitance avec lui, Cyparissus choisit la mort, choix sans retour: parfait STATUIT, à la césure p du v. 132, avec le quasi-pléonasme: VELLE STATUIT qui encadre MORI, reprenant le MORIENTEM du v. précédent. comme STATUIT corrige le terme IMPRUDENSPour évoquer le deuil de Cyparissus, 4ème tableautin vivant et touchant, un autre personnage intervient dans le texte en fin de 132: PHOEBUS. Les paroles d'un côté, les gémissements de l'autre, s'accumulent sur 3 verbes, avec l'indifférence aux SOLACIA émis par Apollon, mis en valeur par l'adjectif exclamatif QUAE. Les efforts de Phoebus pour alléger la souffrance sont soutenus par le rythme du v. 133: ddsdds et le passage de DIXIT à ADMONUIT précédé d'une Proposition Conjonctive Complétive avec un subjonctif d'ordre, pour ce rappel à l'ordre: PRO MATERIA, désignant (DSF) le sujet d'un livre, le thème d'un discours, ici la cause du chagrin, le motif du deuil. Mais Cyparissus n'est plus maintenant, à nos oreilles, vu la brutale coupure due au passage au présent de narration, que gémissement, comme le précise la place de GEMIT après la césure t, en début de phrase, gémissement que reprendra d'ailleurs Apollon en début de 141, gémissements accentués, comme nous l'avons vu, par le présent; PETIT et par l'adjectif SUPREMUM qui éclate comme un ultime appel en fin de 134, la fin de 135 sur OMNI nous plaçant dans le cadre d'un deuil absolu, avec, en écho sémantique, le terme INMENSOS à la césure p du v. 136. Quoi qu'il en soit, le rythme rapide incarne-t-il les sanglots, avec deux [i] frappés de l'ictus: dsdddt? Le HOC, en début de v. 135, accentue la solennité de la demande, instante vu le rythme: ddsdds; les dieux sont invoqués par une pause phono-sémantique à la césure p, comme par l'allitération en [t]. Le LUGEAT semble déjà annoncer la fin de cette légende étiologique, puisqu'il sera repris en polyptote tout à la fin du passage (141-142).Dernière image: La métamorphose s'opère, en même temps que le deuil, comme l'indique le JAMQUE au début du v. 136. La présence du corps est insistante: SANGUINE, MEMBRA, FRONTE, CAPILLI, mais en l'état, comme passif: deux verbes, seulement, à un mode personnel sur 5 vers, dont l'un en relative, le reste: un participe passé passif: EGESTO, un infinitif au passif: VERTI, puis FIERI, un autre PPP: SUMPTO, l'infinitif de SPECTARE. Les disjonctions, comme incarnant la nostalgie, l'absence, abondent: en 137: VIRIDEM COLOREM, 138: NIVEA FRONTE, 140: SIDEREUM CAELUM encadrant GRACILI CACUMINE lui-même séparé par l'infinitif... Cette période se déroule en nous faisant participer émotionnellement à la transformation de Cyparissus. Ne reste plus que la conclusion prenante du dieu: TRISTIS, NOBIS en datif éthique qui nous fait participer par le «nous», NOBIS en fin de v. 141 et le passage brutal au style direct, puisqu'INQUIT, habituellement en incise est ici postposé, nous fait participer, disions-nous, à cette perte, à cette rapide oraison funèbre dont la simplicité des moyens, par la scansion des répétitions et de l'allitération en [s], augmente notre déréliction... Nous sommes donc touchés, mais nous ne sommes pas moins aussi frappé par ce récit merveilleux.

2) Nous sommes face à une métamorphose où les éléments propres au merveilleux qui a charmé (venant d'ailleurs du mot CARMEN, incantation certes, mais vers aussi!) notre enfance, abondent: D'abord, en jouant sur le suspens, comme une énigme: ADFUIT éclate au début du v. 106, et le nom de l'arbre qui imite les bornes, en une allusion très concise, n'est donné qu'à la fin du v.: CUPRESSUS. Sa valeur insigne est bien marquée, en contraste, par l'expression dépréciative qui résume les v. 90 à 105: HUIC TURBAE. Le texte continue en restant très allusif, malgré la précision du ILLO final (107) et la relative déterminative qui la suit, avec le jeu sur les deux réalités évoquées par le même mot: NERVA. Le passage de PUER à (110) CERVUS n'est pas plus éclairant et il faudra, comme dans un conte, et après la longue description du cerf sur 11 vers, interpeller directement le protagoniste pour que nous connaissions enfin son nom!Le pays où se passe l'action est précisé par ses habitantes, et non directement: NYMPHIS TENENTIBUS ARVA CARTHAEA où les disjonctions reportent la compréhension des indications à la fin du vers. Le terme INGENS nous place dans le conte, avec le verbe ERAT, comme dans nos textes enfantins: il était une fois, ce qui sera repris en 121, puis en 126. L'animal semble d'autant plus énorme que le lexique utilisé donne une impression d'expansion: LATE, PATENTIBUS, ALTAS, corroborée par l'allitération en dentale. Le texte continue à fonctionner en énigme: ALTAS est en très forte disjonction avec UMBRAS, fin 111, comme TENENTIBUS à PATENTIBUS. Le conteur insiste sur son personnage: IPSE en début de 111, cf. ISQUE en 117, en concentrant notre intérêt sur ses CORNUA, qui deviennent fantastiques et se transfigurent, alors qu'il n'y a rien de plus commun que cet appendice pour un cerf: FULGEBANT AURO en césure h. Cet animal est une véritable châsse, un présentoir à bijoux brillant de mille feux, éblouissant par ses reflets: FULGEBANT, NITEBANT; Ovide accumule ici les détails somptueux: GEMMATA MONILIA, BULLA ARGENTEA, précieux dans leur finesse aristocratique: PARVIS LORIS. Il termine par BACAE en 126. Tout ceci est d'un éclat fascinant, NITEBANT en fin de v. 125, dû au mouvement: MOVEBATUR. Mais il ne s'agit pas d'une profusion barbare: les parties décorées sont ainsi subtilement mises en valeur, et précisées spatialement: chaque chose, chaque bijou a sa place, à sa place attendue: MONILIA DEMISSA IN ARMOS (c. de lieu en fin de v. 112) - notons en passant une nouvelle obscurité: le DEMISSA pourrait faire croire, en une vision surréaliste, que les cornes se répandent sur les épaules! Autre énigme en suspens: BACAE sujet inversé de NITEBANT tout à la fin de la description; tout ceci est bien de l'ordre du conte - PENDEBANT COLLO. BULLA SUPER FRONTEM, avec une anthropomorphisation du cerf, puisqu'il la porte depuis sa naissance, comme un enfant son phylactère: PARITI AETATE. Autres compléments de lieu: AURIBUS E GEMINIS (pléonasme? Que non pas! Ceci accentue la symétrie, donc le fait que cet ordonnancement est calculé), CIRCUM CAVEA TEMPORA. Physiquement extraordinaire - même si les cornes des animaux destinés à être sacrifiés étaient aurifiées - ce cerf a aussi un comportement qui devrait intéresser un éthologue; cet animal est réputé pour être farouche? Comme dans les contes, il y a inversion du comportement; METU VACUUS mis en valeur par la césure p, avec la variation du passage de l'adjectif apposé à l'ablatif absolu; c'est tellement étonnant qu'Ovide insiste: NATURALI PAVORE en fin de 117, DEPOSITO sur le même plan donc que VACUUS. Le verbe principal peut être reporté à la fin: l'important est ce que fait le cerf, que ce soit une habitude ne fait que renforcer la surprise, le côté merveilleux, mais ne les crée pas: CELEBRARE, sans discrimination: DOMOS (en césure h). La sensualité même du cerf est satisfaite, ce n'est même plus un animal domestique, il est privé, sans inhibition aucune: QUAMLIBET, IGNOTIS. Voilà bien une preuve de confiance extraordinaire. Le terme IGNOTIS permet alors, en un lien très fort, SED TAMEN ANTE ALIOS, car notre conteur veut attirer l'attention, de mettre en... lumière CYPARISSE. Comme souvent, Ovide rompt son récit pour l'interpeller. Ce héros est marqué par les dieux, c'est un être d'élection: PULCHERRIME. Notre animal est tellement habitué à l'homme, à son compagnon qu'il en a perdu toute autonomie de nourriture (NOVA) et de boisson (UNDAM), alors que ces besoins premiers ne sont jamais oubliés. c'est comme si c'était Cyparissus qui le rappelait au souci de son existence. Voilà une belle preuve d'amour, réciproque: aux gemmes l'enfant rajoute des décorations naturelles, dans une nature qui est bonne mère. Même si ceci est déconcertant, cela n'aurait rien d'extraordinaire si ce cerf ne se transformait pas en... cheval: RESIDENS IN TERGO (Cyparissus monte à cru), en moyen de transport, non improvisé: CAPISTRIS, avec le dernier raffinement de sa couleur impériale: PURPUREIS. L'anecdote banale reprend alors le dessus, avec les indications spatio-temporelles des vers 126 à 129. Ceci va-t-il se terminer sur la fin d'une chasse, avec la mort du cerf? Nouvelle surprise, retournement extraordinaire - incroyable au point même qu'un dieu ne le comprend pas, cf. ADMONUIT UT LEVITER PRO MATERIAQUE, v. 133 - et preuve évidente, indiscutable, indubitable, d'un amour absolu: MORIENTEM? VELLE MORI! Nous allons de surprise en surprise en découvrant que, non content d'aimer le cerf, Cyparissus était aimé de Phoébus, qui ne ménage pas ses efforts pour consoler son ami, comme le marque l'exclamative: QUAE SOLACIA. Peu lui en chaut, comme le proclame le GEMIT, et Cyparissus s'adresse, pour sa demande, à tous les dieux: A SUPERIS. Sa volonté de deuil perpétuel relève de la volonté divine, qui se réalise sans tarder, autre surprise étonnante, car les dieux sont souvent trompeurs et peu pressés. Le début de la métamorphose semble encore proche du réel: EGESTO SANGUINE (au rythme funèbre, v. 136: dsssds p) peut expliquer le verdissement des membres par corruption, une fois la mort venue; ce vert, qui a, en fait, en occultant le cerf, causé sa mort (HERBOSA, ARBOREA - 128 - 129), de symbole de vie devient la marque même de la mort, qui s'installe progressivement, par la disjonction forte de 137.Les cheveux mêmes changent de nature, en contraste avec la beauté enfantine passée: QUI PENDEBANT, de Cyparissus: NIVEA FRONTE. Les liquides [r] incarnent ce hérissement de la chevelure, au début du v. 139. SUMPTO RIGORE renvoie à la raideur du tronc et des branches et cet nouvel arbre lui-même subi à son tour une anthropomorphisation à rebours avec le verbe SPECTARE, avec la tension du cyprès exprimée par les gutturales [k] qui abondent dans le v. 140. Cette transformation, cette métamorphose opérées, Apollon n'a plus qu'à constater que la décision de Cyparissus a été respectée: au LUGEAT (135) répondent les deux LUGEBERE et LUGEBIS en début de v. 142, le NOBIS d'intérêt nous intègre dans cette déclaration finale, aux antipodes du conte traditionnel pour le sens, car ceci se termine mal, mais conforme à sa forme, vu l'intégration de l'auditeur dans le récit; ce passage aura un écho: il annonce aussi le chagrin d'Apollon à la mort d'Hyacinthe, dans la suite du texte. N'oublions pas non plus que ces paroles sont créées par Orphée pour chanter sa tristesse, ce qui crée une mise en abîme, avec la seule différence que le cerf n'est pas, malgré ses ornements, une biche.

Nous avons donc vu s'esquisser rapidement sous nos yeux 5 petits épisodes, de l'ordre du conte... N.B.: Cette histoire explique aussi pourquoi le cyprès est un arbre de deuil et, pour merveilleuse qu'elle soit, s'avère donc aussi en rapport avec les réalités romaines. (serait-ce un troisième volet, un troisième point de vue, une troisième approche, centre d'intérêt, éclairage??? A vous!)