le tout: Hubert Steiner
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Inde, per immensum croceo velatus amictu
1
aethera digreditur Ciconumque Hymenaeus ad oras
tendit et Orphea nequiquam voce vocatur.
adfuit ille quidem, sed nec sollemnia verba
nec laetos vultus nec felix attulit omen.
5
fax quoque, quam tenuit, lacrimoso stridula fumo
usque fuit nullosque invenit motibus ignes.
Exitus auspicio gravior: nam nupta per herbas
dum nova Naiadum turba comitata vagatur,
occidit in talum serpentis dente recepto.
10
Quam satis ad superas postquam Rhodopeius auras
deflevit vates, ne non temptaret et umbras,
ad Styga Taenaria est ausus descendere porta ;
perque leves populos simulacraque functa sepulcro
Persephonen adiit inamoenaque regna tenentem
15
umbrarum dominum pulsisque ad carmina nervis
sic ait: «o positi sub terra numina mundi,
in quem reccidimus, quicquid mortale creamur,
si licet et falsi positis ambagibus oris
vera loqui sinitis, non huc, ut opaca viderem
20
Tartara, descendi, nec uti villosa colubris
terna Medusaei vincirem guttura monstri:
causa viae est conjunx, in quam calcata uenenum
vipera diffudit crescentesque abstulit annos.
Posse pati volui nec me temptasse negabo:
25
vicit Amor. Supera deus hic bene notus in ora est;
an sit et hic, dubito: sed et hic tamen auguror esse,
famaque si veteris non est mentita rapinae,
vos quoque junxit Amor. Per ego haec loca plena timoris,
per Chaos hoc ingens vastique silentia regni,
30
Eurydices, oro, properata retexite fata.
Omnia debemur uobis, paulumque morati
serius aut citius sedem properamus ad unam.
Tendimus huc omnes, haec est domus ultima, vosque
humani generis longissima regna tenetis.
35
Haec quoque, cum justos matura peregerit annos,
juris erit vestri: pro munere poscimus usum.
Quod si fata negant veniam pro coniuge, certum est
nolle redire mihi: leto gaudete duorum.»
39
(texte vérifié sur l'édition Hatier-les Belles Lettres)
la traduction de G.T. Villenave, à Paris, en 1806 est une belle infidèle. Nous citons donc celle G. Lafaye, revue par H. Le Bonniec.
De là, Hyménée, couvert de son manteau de safran, s'éloigne à travers l'immensité des airs; il se dirige vers la contrée des Ciconiens, où l'appelle vainement la voix d'Orphée. Il vient, il est vrai, mais il n'apporte ni paroles solennelles, ni visage riant, ni heureux présage. la torche même qu'il tient ne cesse de siffler en répandant une fumée qui provoque les larmes; il a beau l'agiter, il n'en peut faire jaillir la flamme. La suite fut encore plus triste que le présage; car, tandis que la nouvelle épouse, accompagnée d'une troupe de Naïades, se promenait au milieu des herbages, elle périt, blessée au talon par la dent d'un serpent. Lorsque le chantre du Rhodope l'eut assez pleurée à la surface de la terre, il voulut explorer même le séjour des ombres; il osa descendre par la porte du Ténare jusqu'au Styx; passant au milieu du peuple léger et des fantômes qui ont reçu les honneurs de la sépulture, il aborda Perséphone et le maître du lugubre royaume, le souverain des ombres; après avoir préludé en frappant les cordes de sa lyre, il chanta ainsi:«O divinité de ce monde souterrain ^ù retombent toutes les créatures mortelles de notre espèce, »
1 - INDE (HYMENAEUS, IX, v. 796) VELATUS AMICTU CROCEO De là, Hyménée, revêtu de son manteau de safran (donc de couleur jaune), DIGREDITUR PER AETHERA (accusatif grec) INMENSUM (IN+MENSUM, donnant IMMENSUM par assimilation régressive) s'en va (DIGREDIOR: déponent: a déposé son sens passif pour l'actif en en gardant la forme) de par l'air sans limites QUE TENDIT AD ORAS CICONUM, (et) se dirige vers les rives (en fait les bords, donc ce qui est limité par eux, d'où le territoire) des Ciconiens ET VOCATUR NEQUIQUAM VOCE ORPHEA et est appelé en vain par la voix d'Orphée (adjectif). QUIDEM ILLE ADFUIT Certes, celui-ci (=Hyménée, a été) est présent, SED ATTULIT NEC VERBA SOLLEMNIA mais il n'a apporté (avec son sens PERFECTUM: résultat présent d'une action passée) ni les formules consacrées (les mots propres aux cérémonies) NEC VOLTUS (puis le O s'est fermé en U, donc VULTUS!) LAETOS ni les visages joyeux (donc, ne les a pas rendus joyeux) NEC FELIX OMEN ni un heureux présage. QUOQUE FAX QUAM TENUIT De même, la torche qu'il (a tenue) tient FUIT USQUE STRIDULA FUMO LACRIMOSO (a été) est sans arrêt sifflante avec une fumée qui provoque des larmes QUE INVENIT NULLOS IGNES MOTIBUS et il n'a provoqué aucun feu avec ses mouvements. EXITUS GRAVIOR AUSPICIO la fin +a été+ plus pénible que le présage lui-même. NAM DUM NOVA NUPTA En effet, pendant que la nouvelle épousée, COMITATA TURBA NAIADUM, accompagnée d'une foule de Naïades, VAGATUR PER HERBAS se promène de par les prairies (par synecdoque), OCCIDIT, DENTE SERPENTIS RECEPTO IN TALUM elle meurt (I bref!), la dent d'un serpent (ayant été) reçue au talon. 11 - POSTQUAM VATES RHODOPEIUS QUAM (relatif de liaison=ponctuation + EAM) SATIS DEFLEVIT Après que le prophète du Rhodope l'eut suffisamment pleurée, NE NON (double négation=renforcement de l'affirmation) TEMPTARET ET UMBRAS pour essayer aussi +le royaume des+ ombres, EST AUSUS (demi-déponent, donc déponent au perfectum=passé composé) DESCENDERE PORTA TAENARIA AD STYGA (accusatif grec) il osa descendre par la porte du Ténare (promontoire de Laconie, cf. Sparte, célèbre pour ses marbres noirs, couleur infernale s'il en fut!) vers le Styx (un des fleuves des Enfers). QUE PER POPULOS LEVES Et de par les peuples légers (il s'agit des morts) QUE SIMULACRA FUNCTA SEPULCRO et les fantômes qui se sont acquittés d'un tombeau (qui ont eu donc droit à des obsèques, au rebours de ceux qui errent à l'entrée des enfers, sur les bords du Styx, sans sépulture, à en croire Virgile, dans l'Enéide, chant VI), ADIIT PERSEPHONEN (acc. grec) il s'approcha de Perséphone QUE TENENTEM REGNA INAMOENA et de celui qui possède (ici participe substantivé plutôt qu'en apposition à DOMINUM. tournure grecque) le royaume (pl. dit poétique, en fait emphatisant) affreux (IN, préfixe négatif), 16 - DOMINUM UMBRARUM, le maître des ombres (Nommons-le à voix basse pour ne pas le convoquer: c'est Pluton, le dieu des Enfers, Hadès chez les Grecs) QUE NERVIS PULSIS AD CARMINA et les cordes (celles de sa lyre, en nerf) ayant été frappées en vue de son chant (donc, pour préluder, avec une mise en abîme de la part d'Ovide, puisque CARMEN signifie aussi le vers, qui se désignerait ainsi lui-même dans le cadre du texte. Qu'est-ce qu'une mise en abîme? En héraldique, le point central d'un écu qui reprend l'écu lui-même, cf. La Vache Qui Rit! Gide, dans Les caves du Vatican évoque un roman du même nom), AIT SIC il parle (avec rupture temporelle, passage au présent) ainsi: O NUMINA MUNDI POSITI SUB TERRA O divinités du monde placé sous la terre, IN QUEM QUICQUID MORTALE CREAMUR RECCIDIMUS monde dans lequel, quelle que soit la nature mortelle dont nous sommes créés, nous retombons (admirons au passage l'oxymore: MORTALE # CREAMUR et le prudent: QUICQUID). SI LICET Si +j'+ en ai la licence ET SINITIS VERA LOQUI et que vous permettiez que des +paroles+ vraies soient dites, AMBAGIBUS ORIS FALSI POSITIS les propos ambigus d'une bouche trompeuse ayant été (dé)posés, NON DESCENDI HUC je ne suis pas descendu ici UT VIDEREM TARTARA OPACA pour voir le Tartare (neutre pl.) obscur, NEC UTI VINCEREM ni pour enchaîner TERNA GUTTURA MONSTRI MEDUSAEI les trois (ici, ce terme n'est pas distributif= par trois, mais simplement quantitatif) gorges du monstre (méduséen) engendré par Méduse, VILLOSA COLUBRIS (velues) hérissées de serpents (ici, en général, et non de couleuvres!). 23 - CONJUNX CAUSA VIAE +Mon+ épouse +est+ la cause de +mon+ voyage, IN QUAM VIPERA CALCATA dans laquelle une vipère foulée +au pied+ DIFFUDIT VENENUM a répandu (DIFFUNDO) son venin QUE ABSTULIT ANNOS CRESCENTES et lui a enlevé des années (croissantes) de plein développement. VOLUI POSSE PATI J'ai voulu pouvoir supporter (cette tournure alambiquée sur 3 verbes semble recherchée par Ovide - encore une marque de son intellectualisme: cf. v. 68 - 69: VOLUIT VIDERI ESSE, v. 132 VELLE MORI STATUIT) n'est pas sans NEC NEGABO ME TEMPTA(VI)SSE et je ne nierai que j'aie essayé +de le faire+; AMOR VICIT Amour a vaincu (avec une superbe asyndète et césure trihémimère). HIC EST DEUS Ce dernier est un dieu BENE NOTUS IN ORA SUPERA bien connu dans la contrée d'en haut. DUBITO AN SIT ET HIC J'hésite s'il +l'+ est aussi ici. SED AUGUROR TAMEN ESSE ET HIC. Mais je conjecture qu'il +l'+est aussi ici QUE SI FAMA RAPINAE VETERIS et si la rumeur de l'enlèvement il y a longtemps (avec forte disjonction entre RAPINAE et VETERIS) NON EST MENTITA ne ment pas (déponent), AMOR QUOQUE VOS JUNXIT l'amour aussi vous a unis. EGO PER HAEC LOCA PLENA TIMORIS Moi, au nom de (PER dans les supplications et les serments) ces lieux pleins d'épouvante, PER HOC INGENS CHAOS de cet (il l'a sous les yeux, donc HIC) immense Chaos (neutre sg) QUE SILENTIA VASTI REGNI et le silence (pl. emphatisant) de +votre+ vaste royaume, RETEXITE, ORO, FATA PROPERATA EURYDICES (génitif grec), retissez, je vous en prie, le destin (pl. poétique, donc emphatisant) +trop+ hâté d'Eurydice. OMNIA VOBIS DEBENTUR (toutes les choses) tout vous est dû (donc, tout va chez Pluton) QUO MORATI PAULUM et, étant restés peu de temps, 33 - PROPERAMUS SERIUS AUT CITIUS nous nous hâtons, +un peu+ plus tard ou +un peu+ plus vite, AD UNAM SEDEM vers (un seul) le même séjour. OMNES TENDIMUS HUC Tous, nous nous dirigeons ici, HAEC DOMUS EST ULTIMA cette demeure est la dernière QUE VOS TENETIS et +c'est+ vous +qui+ détenez LONGISSIMA REGNA GENERIS HUMANI le plus long pouvoir (du) sur le genre humain. HAEC QUOQUE, Celle-ci aussi, CUM MATURA PERAGRAVIT lorsque, (mûre!) en son temps, elle aura parcouru ANNOS JUSTOS +le nombre d'+années conforme à ce qui est attendu, ERIT VESTRI JURIS elle (sera de) dépendra de votre (droit) pouvoir; PRO MUNERE au lieu d'une faveur, POSCIMUS USUM nous demandons (l'utilisation - sic!) l'usufruit. QUOD (renforçateur de la conditionnelle) SI FATA NEGANT Si les destins refusent VENIAM PRO CONJUGE +cette+ faveur pour mon épouse, NOLLE REDIRE EST CERTUM MIHI ne pas vouloir revenir +sur mes pas+ est sûr pour moi=je suis bien décidé à... GAUDETE LETO DUORUM Réjouissez-vous de la mort de nous deux.
avant-propos:dans nos commentaires, une mesure en dactyle est abrégée en d, (dactyle=1 syllabe longue suivie de deux syllabes brèves), spondée en s (deux syllabes longues), le trochée ne se rencontre, dans l'hexamètre dactylique, que dans la sixième mesure, c'est-à-dire la dernière et revient à un dactyle catalectique - qui a laissé tomber une brève! quoiqu'il en soit, la dernière syllabe étant indifférenciée, il importe peu qu'elle soit longue ou brève... Nous avons traité en longue toute syllabe finale entravée, donc se terminant sur une consonne. L'hexamètre lui-même présente une césure (au minimum, un blanc de mot), soit, c'est le cas le plus fréquent, à la 5ème demi-mesure, ce qui se dit en grec: pent-hémi-mère, abrégée ici en p, soit une césure à la troisième demi-mesure, ce qui se dit trihémimère, abrégée en t, soit une césure, à la septième demi-mesure, hephthémimère, notée h.N.B.: dans une mesure d'hexamètre, composée d'une première longue marquée, frappée par l'ictus, puis soit de deux brèves, soit d'une longue, il y a deux demi-mesures. La césure se trouve donc, habituellement, après la première longue d'une mesure!!!
Deux aspects de ce texte nous ont intéressé: nous sommes particulièrement sensible à cette évocation touchante d'une morte par son mari (1). Cette perte explique aussi pourquoi le sentiment religieux qu'exprime ce texte est aussi profond (2). Avec toujours l'érudition présente (3).
1) une évocation prenante et subtile de celle qui est morte trop tôt, ce par la négation, son absence. En fait, nous sommes pris d'emblée par le rythme des vers et leur délié en étroite adéquation avec le sens... C'est ici un texte profondément tragique, proche du thrène... Le ton est élégiaque... (choisissez ici le ou les éléments qui vous conviennent et par lesquels vous vous êtes senti concerné: il est hors de question d'imposer une solution pré-emboutie à un latiniste (terme asexué ici, en tant qu'élève) de terminale: dans le commentaire oral, ce qui est attendu de vous est une réaction personnelle en deux ou trois points, appuyés sur des remarques formelles pertinentes) La subtilité de cette évocation se marque d'emblée par le rythme du v. 1: dsdsds, en alternance, comme pour évoquer le voyage d'Hyménée. Ce dernier ne va pas sans une certaine ampleur: INMENSUM à la penthémimère, fortement disjoint d'avec AETHERA au début du v. 2, le PER du début du v. 1 amenant au AD de la fin du v. 2. C'est alors qu'un hexamètre entièrement dactylique développe ses volutes au v. 2, avec un spondée final précisant le lieu d'arrivée: ORAS, disjoint de son c. de nom: CICONUM. Entre ces deux références spatiales, DIGREDITUR, à la césure p, puis TENDIT au présent de narration nous montrent ces déplacements s'opérant, en pure perte: NEQUIQUAM: cette inefficience, paradoxalement, ne laisse pas le poète sans voix, vu l'harmonie imitative par leur fermeture des [u], avec l'insistance de la figure étymologique: UOCE UOCATUR. Comme si d'ailleurs le Poète n'était plus une personne, mais seulement l'écho de propre voix: Orphée devient un adjectif. Le jeu sur le rythme est très travaillé et participe à notre plaisir esthétique, quand nous pouvons en percevoir la portée. v. 3: dsssds p, v. 4: ddssdt p; c'est ainsi que v. 5 est spondaïque, funèbre, ce que corrobore l'anaphore des NEC plus loin. La présence d'Hyménée est affirmée, en début de vers 4, au parfait, mais sans ce qu'il apporte traditionnellement, cette rupture étant soulignée par ATTULIT en fin de v. suivant, et au vers précédent, l'opposition QUIDEM, SED: la structure ternaire des trois compléments, avec adj+nom, soulignée par les liquides, incarne le tragique de la situation. Notons que jusqu'ici les césures sont penthémimères, comme attendu classiquement dans l'hexamètre dactylique. Il en est de même pour le v. 6, avec l'éclat de FAX en début de vers, détaché par les trois labio-vélaires: QU. Mais cet objet privilégié du mariage, théoriquement facteur de joie, provoque des larmes: LACRIMOSO en hystéron-protéron (l'effet ici avant la cause), puis le sens auditif: STRIDULA, visuel: FUMO. Mais le 7 est trihémimère, comme pour souligner l'extinction des flammes (IGNES en fin de vers): NULLOS, ce qu'illustre la disjonction de ces deux termes. La phrase suivante, nominale, donc en rupture elle aussi par rapport à ce qui précède, précise la situation: AUSPICIO résume en fait les vers 4-7 et les deux césures suivantes, hephthémimères (v. 8-9), participent à cet effet tragique d'annonce; ainsi GRAVIOR se détache-t-il, avec les harmonies tendues en [i], en contraste évident - donc fortement attristant - avec les [a] joyeux de la suite, pour présenter la théorie des Naïades accompagnant Eurydice. Cette dernière est simplement évoquée par la périphrase NUPTA NOVA, en disjonction évocatrice, avec un rapprochement des mots qui rend encore plus insoutenable sa disparition. Celle-ci a lieu dans un cadre de bonheur idyllique: PER HERBAS, COMITATA TURBA NAIADUM. La fin d'Eurydice est d'autant plus rapide qu'elle se fait entre deux verbes (fin de 9, début de 10), avec l'hyperbate d'OCCIDIT. Les dentales [d,t] et les [e] fermés donnent toute sa rapidité à la morsure. Tout ceci est très prenant. La suite n'est pas moins touchante. Sans forcer le trait, avec une économie de moyens extrême, le VATES RHODOPEIUS (Orphée est originaire du Rhodope, cf. v. 50), en forte disjonction pour mieux incarner sa souffrance, passe de la terre aux enfers: AURAS en homéotéleute en fin de vers avec UMBRAS (cf. v. 48), l'ensemble étant conforté par les sifflantes finales qui abondent et rendent le passage angoissant. Y participent les oppositions de rythme: v. 11 ddsdds p, v. 12: ssssds p donc un hexamètre d'une langueur sinistre, v. 13: ddssds h, avec l'abréviation de TAENARI(A) EST. Eurydice reste toujours aussi évanescente: QUAM en relatif de liaison au début du v. 11. L'action centrale, frisant le sacrilège (AUSUS EST) mais qui marque combien est profond l'amour d'Orphée, est elle-même retardée, donc privilégiée, par la temporelle POSTQUAM avec son DEFLEVIT funèbre en début de v. 12, puis la finale, vibrante par ses dentales, sa double négation, son adverbe ET. Le lieu de la quête est immédiatement énoncé: AD STYGIA. Au v. 14, Ovide accumule comme à plaisir en chiasme ce qui fait frémir de crainte tout romain moyen, avec un jeu entre les occlusives sourdes souvent labiales [p] et les liquides [l,r]; il nous prend à la gorge par le sinistre SEPULCRO en fin de vers, en sg collectif après les pluriels SIMULACRA FUNCTA. L'objet de la quête (ADIIT à la césure penthémimère) est PERSEPHONEN en début de v. 15 avec en écho son mari: TENENTEM. Face à leur pouvoir (TENENTEM, DOMINUM à la césure p), illustré ainsi par ces périphrases allusives pour éviter, par respect religieux ou crainte superstitieuse, d'évoquer le nom même de Pluton (ce qui conforte son prestige inquiétant), il n'a que son chant: CARMINA (v. 16: sdsdds). Dans toute cette tristesse évoquée par les harmonies imitatives (voyelles fermées pour le maître du Tartare, ouvertes pour AD CARMINA - sauf le I), voire la synecdoque: NERVIS qui rappelle que la lyre utilise de la matière charnelle, éclate (début du vers 17, au présent) l'imploration du poète, solennelle (v. 17: sdssds p), avec une forte opposition des voyelles fermées et ouvertes et la disjonction: POSITI... MUNDI. Le sort commun à chacun de nous est rappelé, comme à regret - ce thème sera repris aux v. 32 à 35: sdsdds p, avec le bouleversant oxymore: MORTALE CREAMUR, le RECCIDIMUS n'allant pas sans évoquer tragiquement l'OCCIDIT du v. 10. N'y a-t-il pas, envers et contre tout, l'affirmation de la vie - ou de la création? - avec le CREAMUR en fin de vers? Ceci ne ferait que renforcer l'impression d'angoisse générée par ce passage (cf. les sifflantes au v. 19), accentuée par la référence à une présentation véridique (FALSI d'abord par son contraire, puis VERA en début de v. 20), difficile, voire dangereuse à émettre: SINITIS à la césure p, correspondant à une pause phono-sémantique... le rythme lui-même étant en alternance (AMBAGIBUS): dsdsds. L'angoisse semble telle que le verbe DESCENDI (lui-même à la césure p) est séparé du HUC (en 3 monosyllabes très brefs) par une première finale contenant un oxymore: OPACA VIDEREM. Les éléments inquiétants s'accumulent: OPACA, UILLOSA, COLUBRIS, GUTTURA (resserrement de l'angoisse ?), MONSTRI, avec de lourds spondées: dsssds p au v. 22. Mais les deux finales ne sont pas la cause: la seule vraie, ô combien touchante, est la CONJUX, à la césure p, avec pause phono-sémantique, comme en dehors du temps, comme un absolu, vu la phrase nominale, avec des spondées attristés: dsssdt au v. 23. Il y a comme une accumulation de causes contraignantes qui n'ont pas laissé le choix à notre héros: CAUSA, VIPERA en début des v. 23 et 24, lui-même sujet de deux verbes DIFFUDIT et ABSTULIT, au parfait, car il n'est plus possible de revenir sur cela, et Orphée le ressasse comme pour mieux s'en persuader, se confronter à cette réalité insurmontable; ainsi le travail de deuil ne s'est pas encore opéré et en cela il participe de notre commune humanité: le passage du parfait UOLUI (à la césure p) au présent de la fin du v. 25: NEGABO donne tout son impact touchant à cette présence personnelle, avec la notation psychologique très fine, donc très touchante: UOLUI POSSE PATI. Le TEMPTASSE est lourd de sous-entendus: Ovide veut-il indiquer par là qu'Orphée a goûté au divertissement pascalien? Peut-être d'autres femmes pour chasser le souvenir de la morte? Mais ceci dans ce cas n'aurait été que pure LIBIDO car comme un cri de souffrance et en même temps de victoire éclate au début du v. suivant: VICIT (parfait, avec ici l'impact de son aspect: le résultat présent, encore valable, d'une action passée, comme l'atteste la présence physique, lors de cette catabase, du héros, en ce lieu: v. 20, HUC, v. 27: HIC, v. 34: HUC, v. 34: HAEC) AMOR, avec le verbe au début, et la césure t qui correspond à une pause phono-sémantique. La mention de ce sentiment suffit à supprimer toute tension: le rythme s'allège: ddddds, avec élision dans OR(A); le regard l'élève: SUPERA. Une série de monosyllabes souligne l'hésitation d'Orphée: AN SIT ET HIC, SED ET HIC, avec la redite, marque aussi d'émotion, comme le rythme enlevé des dactyles: v. 27: dddddt. Orphée remonte alors loin dans le passé, FAMA, VETERIS, avec une double négation, l'une syntaxique, NON, l'autre lexicale, le tout pour mettre en valeur le mot RAPINAE en fin de vers, puisque c'est ce que lui-même a subi, négativement, bien sûr, quand Eurydice lui a été enlevée. C'est dans ce type d'allusions qu'Ovide se montre le plus subtil et le plus touchant... ce qui permet l'interpellation brutale, directe, frontale du VOS, avec de nouveau l'évocation d'AMOR à la césure p, et l'union des corps: JUNXIT, sinon des sentiments du moins au départ, dans le rapt de Proserpine par Pluton. Le vers en devient allègre (v. 29: dddddt), avec Orphée qui s'efface (EG(O)) devant l'ampleur de ce qu'il évoque à l'appui de sa supplication (ORO à la césure p en 31): PER deux fois, l'un après la césure, l'autre en début de vers. Ceci est d'autant plus impressionnant que le EGO retarde l'objet de l'appel, avec le HAEC qui souligne leur proximité, en polyptote avec HOC du vers suivant. Les voyelles entravées (voyelles suivies d'une consonne, ce avant la coupe syllabique) semblent comme étouffer la vivacité de ces vers et de cette contradiction jaillit Euryridice enfin nommée au début du v. 31, avec la souplesse des dactyles: dsdddt, avec un jeu entre les consonnes sourdes et la liquide [r] soulignant la souffrance provoquée par la perte de l'aimée... Comme si Orphée s'était trop avancé personnellement, il généralise de nouveau (cf. v. 18) en passant par VOBIS en césure h, puis -MUS (cf. 34), avec un jeu d'opposition entre OMNIA en début de 32 et UNAM en fin 33, MORATI et PROPERAMUS, SERIUS et CITIUS en homéotéleute, car la mort égalise tout. Cette mort apparaît menaçante en fait avec le rythme du v. 33: ddsddt p. et semble comme un écho lointain du mariage: TENDIT au v. 3 et TENDIMUS en 34. Il y a de même reprise du REGNA TENENTEM du v. 15 par le REGNA TENETIS du v. 35. La présentation est ample, majestueuse; v. 35: dssddt p, v. 36: sdsddt p. Mais Orphée n'oublie pas son objet/sujet: HAEC en début de 36; comme par magie, son verbe semble avoir opéré: nous passons au futur, d'abord par le futur antérieur, puis le ERIT, laissant certes la place au VESTRI, à la césure p.. Notre orateur se montre fin réthoricien: JUSTOS, JURIS. L'asyndète et la rupture temporelle du POSCIMUS au présent ne fait que conforter le bien-fondé de cette demande à laquelle nous adhérons comme Orphée par le truchement du -MUS, sans exiger un déni de justice: SI FATA (cf. fin de 31), en soulignant malgré tout la cruauté d'un tel refus par le rapprochement PRO MUNERE # PRO CONJUGE. Emporté par la force de son amour, Orphée opte pour une mort commune, comme l'atteste le MIHI à la césure p, juste à côté de LETO, rapprochement confirmé par le touchant DUORUM final. Le rythme lui-même, mélangeant naturellement dactyles et spondées, efface ce que cette exigence (GAUDETE, en un brutal impératif aux puissances infernales) aurait d'exorbitante: sddsds h en 38, v. 39: ddssds p. C'est sur cette double mort - thème dont se gorge la littérature, nous n'en voulons pour preuve que Tristan et Yseut ainsi que Roméo et Juliette pour les plus connus - que s'achève la demande d'Orphée. (et chacun de sortir qui son mouchoir, qui son kleenex, qui le bout de sa toge!!!)
2) Tout ceci est corroboré par la complexité et la profondeur, l'intensité du sentiment religieux que génère ce texte.
a) complexité: d'abord le vol, somptueux (CROCEO, v; 1 ), d'Hyménée quittant Iphis et Ianthé, car il est convoqué par la voix - comme contraignante - du poète même si ce dernier ne peut changer la réalité: NEQUIQUAM. Ce déplacement s'opère donc en pure perte, mais cette inefficacité n'est-elle pas propre à l'ironie des dieux, souvent cruelle, car indifférente au malheur des hommes? Cette thématique de l'impuissance de l'être humain face aux puissances qui le dépassent est constante: nous avons d'abord une déesse dûment nommée PERSEPHONEN, en grec comme attendu puisqu' Orphée est un... Thrace; TENENTEM en fin de v. 15, DOMINUM v. 16 à la césure p montrent bien, par leurs périphrases allusives, le respect religieux ou la crainte superstitieuse de l'écrivain qui répugne à évoquer le nom même de Pluton, ou plutôt ici d'Hadès - ce qui conforte son prestige inquiétant. Orphée interpelle ensuite directement ces deux NUMINA MUNDI en fin de v. 17 par SINITIS en césure p au v. 20. Mais déjà un LICET plus général, concernant un interdit religieux absolu, et non édicté par un dieu individualisé, apparaît au début du v. 19, avec le précautionneux: SI, prudence corroborée en fait par le DUBITO à la césure p du v. 27. Car le dieu AMOR soumet déjà le monde d'en-haut: IN ORA SUPERA (cf. l'invocation à Vénus dans DE NATURA RERUM de Lucrèce), il a pu soumettre aussi à ses lois même les dieux d'en-bas. Comme conscient de manquer de respect au duo infernal, Orphée reprend une position plus conforme à ce qui est attendu d'un chétif humain: TIMORIS (fin de V. 29), voire la flatterie: INGENS, UASTI, où nous retrouvons une tonalité virgilienne conforme à la catabase d'Enée au livre VII de l'Enéide. Il suit la théologie homérique, classique: le destin ne peut être changé, les dieux ne peuvent empêcher les hommes de mourir (v. 18: IN QUEM RECCIDIMUS, QUICQUID MORTALE CREAMUR) mais il peut être retardé: RETEXITE FATA; mais de qui dépend effectivement la décision? QUOD SI FATA NEGANT VENIAM donne fermement la réponse et dénie en fait tout rôle de décision à notre duo infernal en soulignant que ceci relève du destin, obscur. Vénus elle-même, plus loin, au v. 724 ne se plaint-elle pas du destin? QUESTAQUE CUM FATIS? Au reste, ce n'est pas par hasard (sic!) si ce qui concerne notre vie dépend, aux yeux des Anciens, non pas d'un centre unique, mais de trois déesses: les trois Parques, ou les Moires: Clotho tenant la quenouille, Lachésis tournant le fuseau de notre vie et Atropos coupant le fil de notre vie avec ses ciseaux. En fait, les dieux infernaux gèrent le monde d'en bas (v. 17: MUNDI POSITI SUB TERRA), sans rien faire pour le remplir: v. 32 au passif révélateur: OMNIA DEBENTUR VOBIS. v. 32: le destin commun est très clairement affirmé comme inéluctable, c'est la dernière demeure, éternelle vu le superlatif LONGISSIMA, cf. v. 34-35: TENDIMUS HUC OMNES, HAEC EST DOMUS ULTIMA VOSQUE HUMANI GENERIS LONGISSIMA REGNA TENETIS. Pluton n'est-il pas en grec «le riche» car il y a plus de morts que de vivants? Le seul espace de liberté, et pour les dieux et pour les hommes est le PAULUM MORATI (v. 32; mais nous qui connaissons la deuxième mort d'Eurydice, nous savons bien que ce n'est qu'un leurre!). C'est sur ce PAULUM que joue l'argumentaire d'Orphée: en fait, il faut que chaque chose soit à sa place, il y a donc déséquilibre si l'on meurt trop tôt (cette notion d'équilibre du monde n'est-elle pas une notion stoïcienne?): le ABSTULIT CRESCENTES ANNOS annonce cet argument et rend d'ailleurs la VIPERA coupable de cette... iniquité (cf. JUSTOS). La suite est encore plus claire: PROPERATA FATA: ce n'est pas le FATUM lui-même qui est remis en cause, mais le fait qu'il s'est accompli CITIUS (v. 33); le terme MATURA (v. 36) le confirme a contrario, comme le JUSTOS ANNOS. Le remplacement du MUNUS par l'USUM, en une ratiocination juridique qui sent son artifice, permettra le retour à l'équilibre ainsi rompu (v. 39). Aussi Orphée ne fait-il pas une demande exorbitante, avec une habilité digne des meilleurs rhétoriciens, et une dose certaine de mauvaise foi, car le serpent, pour trivial qu'il soit, est un agent du destin, tout comme un autre. Ultime contournement opéré par notre rhéteur: il finit par le VENIAM demandé aux FATA (ce qui est dit définitivement de toute éternité, donc l'incontournable)... Remarquons alors que ces termes sont contenus, paradoxalement, dans le CERTUM qui concerne Orphée, en une sorte de renversement des rôles avec l'oxymore FATA NEGANT (en mot à mot des choses dites qui disent que ne... pas), l'aberrant NOLLE REDIRE en début de v. 39 car qui a donné à Orphée l'ordre de revenir sur terre, alors qu'il a pris le risque de la mort, dans cette catabase?
b) Mais cette dernière remarque ne remet pas en cause la profondeur et l'intensité de ce qui est ressenti ici ne serait-ce que, pour reprendre le début du texte, par les adjectifs relevant du registre religieux: SOLLEMNIA, LAETOS, FELIX, comme le nom OMEN en fin de vers. Ceci ne renvoie-t-il pas à la conception romaine de la RELIGIO: DO UT DES: on attend bien ceci en retour du chant d'hyménée. Ce sentiment religieux est intense et ici en rapport avec la survie après la mort (problématique à laquelle le paganisme n'a pas apporté une solution satisfaisante, vu le succès rapide du christianisme: pensons, chez Homère, à la NEKUIA d'Ulysse qui rencontre Achille préférant être un pauvre bouvier chez son père qu'Achille aux Enfers - ce qui contredit son choix antérieur d'une courte vie glorieuse plutôt que la longévité dans l'obscurité. De même, les âmes des morts sont avides du sang de la chèvre sacrifiée par Ulysse, ce qui les rapproche plus de vampires que d'esprits. Pour un romain, comme pour Erostrate, le pyromane du temple de Diane à Ephèse, cf. Sartre, dans sa nouvelle éponyme, l'important est de laisser une MEMORIA, soit dans l'histoire, soit par l'épitaphe de son tombeau, bâti sur une VIA fréquentée!). Ce sentiment religieux s'incrit bien sûr dans les REALIA du temps: la torche des épousailles; FAX en début de v. 6, qui se révèle de mauvais augure (GRAVIOR AUSPICIO, v. 8), avec des détails fort inquiétants pour les assistants: LACRIMOSO STRIDULA FUMO; les paîens sont sensibles à ce genre de détail, et pas seulement les esprits superstitieux: pensons au succès des oracles; d'ailleurs, si tout a été écrit, ceci peut être... édité, donc être divulgué par des signes visibles, qui ne changeront rien à la situation, mais prouveront clairement que l'homme ne peut échapper à son... destin! Zeus, chez Homère, pèse les Kères. Les MOTIBUS, les mouvements des compagnons du marié n'arrivent pas à ranimer les torches (au sg ici puisque c'était celle d'Hyménée). Le SUPERAS à la césure p annonce la catabase d'Orphée, que ce dernier réalise apparemment non sans réticence, comme le souligne la double négation: NE NON (v. 17). Ovide réussit à rendre, par son vocabulaire, tangible l'impalpable des disparus: UMBRAS en fin de 12, la PORTA en fin de 13, qui implique franchissement d'un passage, celui de la vie à la mort, LEVES POPULOS au pl. multiplicateur, SIMULACRA. Le FUNCTA SEPULCRO rappelle aussi la contrainte religieuse des derniers services (soit par inhumation, soit par crémation) pour permettre une survie convenable après la mort. Le rythme aussi du v. 14 (ddddds p), v. 15 (dddddt p) marque que, pour le fidèle, l'approche se fait sans angoisse... Il n'en reste pas moins que le lieu n'a rien de désirable: INAMOENA (v. 15), il conduit à la vérité de soi: AMBAGIBUS ORIS FALSI POSITIS (v. 19). Le paysage infernal n'est qu'esquissé, en deux allusions rapides, non par superstition mais parce qu'Orphée n'a qu'une idée en tête: Eurydice. OPACA TARTARA, aussi classique que le STYGIA du v. 13, et le PORTA TAENARIA du même v. , aussi attendu que les trois têtes (ici GUTTURA par synecdoque) de Cerbère, VILLOSA COLUBRIS avec sa périphrase généalogique: MONSTRI MEDUSAEI. C'est pour sortir ce monstre au grand jour et le monter à Eurysthée qu'Héraclès est descendu, lui, aux Enfers (cf. aussi v. 65 - 66). La mort elle-même de l'épouse est sobrement présentée, avec sa conséquence: ABSTULIT CRESCENTES ANNOS. Notons alors que le dieu Amour n'est pas, comme chez nous, chrétiens, vainqueur de la mort, il vainc seulement la peur de la mort, mort qu'Orphée, comme tout homme, a voulu affronter de face: v. 25. Il évoque, par simple allusion, combien le fils de Vénus est le maître des Olympiens (SUPERA), Jupiter le premier, ainsi que des hommes, puisque SUPERUS renvoie aussi bien au ciel qu'à ce qui est au-dessus des enfers. Notons qu'au début du livre suivant, Orphée mourra de son absence d'amour envers les Bacchantes, ce qui lui permettra d'ailleurs de retrouver son Eurydice. Orphée devient lui-même, emporté par son CARMEN, augure: AUGUROR (v. 27, cf. le sens de VATES: poète et prophète). Il rappelle le vieux mythe de l'enlèvement de Proserpine, fille de Cérès-Déméter, par Pluton. Elle passera, après un jugement de Jupiter, à la Salomon (sic!), 6 mois sur terre avec sa mère déesse des moissons et son mari, lors de la période hivernale. Ce mythe étiologique à propos des saisons est ici comme souvent chez Ovide, transformé en épisode amoureux. Ce qui ne dévalue pas l'intensité du sentiment religieux chez Ovide: N'oublions pas que l'anagramme de ROMA est AMOR et que Vénus joue un grand rôle dans la fondation de Rome. D'ailleurs, cet investissement personnel loin de toute indifférence - au moins chez Orphée, ce qui est bien le moins! - se confirme par l'ampleur des serments en structure ternaire, avec le ORO respectueux, en incise à la césure p., nuançant ainsi la familiarité inattendue induite par l'impératif: RETEXITE, malgré la communauté établie par le VOS QUOQUE, qui annonce le HAEC QUOQUE (v. 36). L'acceptation de la mort, notre destin commun (v. 34), est totale et le rôle de propriétaire des dieux infernaux, hautement proclamé (v. 35). La disjonction JURIS... VESTRI relève de la même reconnaissance et du même respect, puisqu' ainsi VESTRI est à la césure p. L'ordre final qui fuse est un dernier appel instant et antinomique: par... et communauté de sentiments (l'amour), et divinité: Comment Proserpine et Hadès pourraient-ils se réjouir de cette double mort, alors qu'elle est ce qu'il y a de plus commun ici? Relevons aussi qu'Orphée adhère à ce qui le menace: certes, il affirme de pas vouloir revenir (NOLLE REDIRE), mais le peut-il? Loin de vouloir remettre en cause l'ordre de ce qui est, il y participe et se plie à toute injonction du destin: QUOD SI FATA NEGANT, malgré la légère réticence, profondément humaine en fait, induite par la conditionnelle.
Ainsi, dans ce passage profondément imprégné d'un intense sentiment religieux, Ovide nous fait participer aux tourments d'Orphée confronté à la perte de son épouse.
3) un troisième thème? La mythologie est sans cesse présente ici: il s'agit pour Ovide, dans ce CARMEN CONTINUUM, de se montrer poète érudit, l'ambitieux successeur de Virgile.