(chez Hatier; Bréal: 292 - 322)

le tout: Hubert Steiner

 texte traduction universitaire traduction par groupe de mots commentaires

texte

Tum porro varios rerum sentimus odores 
nec tamen ad nares venientes cernimus umquam 
nec calidos aestus tuimur nec frigora quimus                          300
usurpare oculis nec voces cernere suemus; 
quae tamen omnia corporea constare necessest 
natura, quoniam sensus inpellere possunt; 
tangere enim et tangi, nisi corpus, nulla potest res. 
Denique fluctifrago suspensae in litore vestes                         305
uvescunt, eaedem dispansae in sole serescunt. 
At neque quo pacto persederit umor aquai 
visumst, nec rursum quo pacto fugerit aestu. 
In parvas igitur partes dispergitur umor, 
quas oculi nulla possunt ratione videre.                                   310
Quin etiam multis solis redeuntibus annis, 
anulus in digito subter tenuatur habendo, 
stilicidi casus lapidem cavat, uncus aratri 
ferreus occulte decrescit vomer in arvis, 
strataque iam volgi pedibus detrita viarum                               315
saxea conspicimus; tum portas propter aena 
signa manus dextras ostendunt adtenuari 
saepe salutantum tactu praeterque meantum. 
Haec igitur minui, cum sint detrita, videmus. 
Sed quae corpora decedant in tempore quoque,                       320
invida praeclusit speciem natura videndi. 
Postremo quaecumque dies naturaque rebus 
paulatim tribuit, moderatim crescere cogens, 
nulla potest oculorum acies contenta tueri, 
nec porro quaecumque aevo macieque senescunt,                   325
nec, mare quae inpendent, vesco sale saxa peresa 
quid quoque amittant in tempore cernere possis. 
Corporibus caecis igitur natura gerit res.

(texte contrôlé sur source fiable: édition des Belles-Lettres) 

traduction universitaire

De même nous sentons les diverses odeurs que répandent les corps, et jamais pourtant nous ne les voyons venir à nos narines; et nous ne pouvons ni voir les émanations de chaleur, ni saisir du regard le froid, ni apercevoir le son, toutes choses qui néanmoins sont nécessairement de nature matérielle, puisqu'elles peuvent ébranler nos sens: car toucher et être touché ne peut être que le fait d'un corps.

Enfin les étoffes suspendues sur le rivage où de brisent les flots se chargent d'humidité, de même qu'étalées au soleil elle sèchent. Et pourtant la façon dont l'eau s'est déposée reste invisible, comme sa disparition sous l'effet de la chaleur. c'est que l'eau se divise en particules que les yeux ne peuvent voir d'aucune manière.

Et même, à mesure que se succèdent les révolutions du soleil, l'anneau qu'on porte au doigt s'amincit par dessous; la chute de la goutte d 'eau creuse le rocher; bien qu'il soit de fer, le soc recourbé de la charrue rapetisse invisiblement dans les sillons; sous les pieds de la foule nous voyons que se sont usées les dalles de pierre des routes; enfin aux portes des villes, les statues de bronze montrent souvent leurs mains droites usées usées par le baiser des passants qui les saluent. Ces objets diminuent donc, nous les voyons bien, puisqu'ils sont usés par le frottement; mais des particules qui s'en échappent à tout moment, la nature jalouse nous a dérobé le spectacle. Enfin tout ce que les jours et la nature ajoutent peu à peu aux corps pour leur assurer une croissance régulière, nul regard, si tendu soit-il, ne saurait l'apercevoir, non plus qu'on ne peut distinguer ce que perdent à chaque instant les corps que l'âge dessèche et flétrit, ou les roches qui baignent dans la mer, et que ronge le flot salé. C'est donc au moyen de corps invisibles que la nature fait sa besogne. 

traduction par groupe de mots

TUM PORRO SENTIMUS ODORES VARIOS RERUM Et puis, nous (res)sentons la variété des odeurs (<les odeurs diverses des choses) NEC TAMEN CERNIMUS UMQUAM et cependant nous ne les apercevons jamais VENIENTES AD NARES venant à nos narines NEC TUIMUR AESTUS CALIDOS ni nous ne voyons les tourbillons/souffles chauds NEC QUIMUS USURPARE OCULIS FRIGORA ni nous ne pouvons nous arroger avec les yeux le froid NEC SUEMUS CERNERE VOCES ni nous n’avons l’habitude de voir les sons. TAMEN NECESS(E) EST QUAE OMNIA CONSTARE NATURA CORPOREA (cf. texte: A CON: spondée quatrième, après 3 dactyles). Cependant, il est nécessaire que toutes ces (QUAE=relatif de liaison) choses soient de nature matérielle, QUONIAM POSSUNT INPELLERE SENSUS puisqu’elles peuvent frapper nos sens.: ENIM NULLA RES POTEST TANGERE ET TANGI, NISI CORPUS. En effet, aucune chose ne peut toucher ni être touchée, si elle n’est pas matérielle (< un corps). DENIQUE VESTES SUSPENSAE IN LITORE FLUCTIFRAGO UVESCUNT Enfin, les vêtements suspendus sur le rivage briseur de flots deviennent humides, EAEDEM DISPANSAE(< DISPANDO) IN SOLE SERESCUNT, les mêmes (EADEM chez Ernout (?), donc de la même manière, en LECTIO DIFFICILIOR?, avec EA ou EAE en une syllabe) étendus au soleil sèchent. AT NEQUE VIS(UM) EST QUO PACTO Mais il n’a pas été vu de quelle manière UMOR AQUAI PERSEDERIT (< PERSIDO) l’humidité de l’eau s’est déposée, NEC RURSUM QUO PACTO FUGERIT AESTU ni inversement de quelle manière elle a disparu (s’est enfuie!) à cause de la chaleur. IGITUR UMOR SPARGITUR IN PARVAS PARTES Donc, l’eau s’est disséminée en particules (< petites parties) QUAS OCULI NON POSSUNT VIDERE NULLA RATIONE que les yeux ne peuvent apercevoir en aucune façon. QUIN ETIAM MILTIS ANNIS SOLIS REDEUNTIBUS Bien plus, de nombreuses années du soleil revenant, ANULUS HABENDO IN DIGITO un anneau, par le fait d’être tenu au doigt (ablatif du gérondif au sens passif) TENUATUR SUBTER s’amincit par-dessous, CASUS STILICIDI la chute d’une eau qui tombe goutte à goutte (avec redondance étymologique, puisque CASUS vient de CADO - le cas est la forme que prend le mot quand il tombe dans la phrase - ainsi que -CIDIUM) CAVAT LAPIDEM creuse la pierre, VOMER UNCUS ARATRI FERREUS le soc recourbé de la charrue, en fer, DESCRESCIT OCCULTE IN ARVIS s’amenuise de façon invisible dans les champs, CONSPICIMUS STRATA SAXEA VIARUM Nous voyons les pavages de pierre des routes JAM DETRITA PEDIBUS VULGI déjà usés par les pieds de la foule. TUM PROPTER PORTAS Ensuite, près des portes, SIGNA AENEA OSTENDUNT SAEPE des statues de bronze montrent souvent MANUS DEXTRAS ADTENUARI que leur main droite est usée TACTU SALUTANTUM PRAETERQUE MEANTUM (< PRAETERMEO par tmèse) par le baiser de ceux passant devant et saluant (par hystéron-protéron). VIDEMUS IGITUR HAEC Nous voyons donc que ces choses, CUM SINT DETRITA, MINUI, puisqu’elles sont usées, sont diminuées, SED NATURA, INVIDA, PRAECLUSIT Mais la nature, envieuse, (pour tenter de garder le jeu sur les mots, cf. IN-VIDIA, ne pas pouvoir voir, donc la haine) a interdit SPECIEM VIDENDI (la vue) de voir (par pléonasme) QUAE CORPORA DECEDANT QUOQUE IN TEMPORE quelles particules (< éléments) disparaissent aussi à tout instant (< à l’intérieur du temps). POSTREMO QUAECUMQUE DIES NATURAQUE En dernier lieu, tout ce que les jours et la nature TRIBUIT PAULATIM REBUS ajoutent (accord en latin avec le plus rapproché) peu à peu aux choses, COGENS CRESCERE MODERATIM, pour les faire (< en les forçant à) croître par degrés, NULLA ACIES OCULORUM aucune pénétration (cf. acuité) des yeux, CONTENTA, POTEST TUERI (quelque) tendue (qu’elle soit), ne peut le contempler NEC PORRO QUAECUMQUE SENESCUNT AEVO QUE MACIE ni non plus tout ce qui décline à cause de l’âge qui rend maigre (< et de la maigreur, par hendiadys - ou hendiadyin, trope signifiant: une chose par deux mots, cf. boire dans des patères et de l’or pour: boire dans des patères d’or) NEC POSSIS CERNERE et on ne peut voir (POSSIS: subjonctif présent à la deuxième personne = équivalent de «on») QUID AMITTANT QUOQUE ce que perdent aussi SAXA QUAE INPENDENT MARE les roches qui surplombent la mer PERESA SALE VESCO (quand elles sont) érodées par la mer qui ronge. IGITUR NATURA GERIT Donc la nature produit RES CORPORIBUS CAECIS des choses aux particules invisibles (d’aucuns interprètent par: la nature agit avec des...)

commentaire

Lucrèce pour

1) Lucrèce s’appuie sur des expériences, et, en bon matérialiste, il joue sur nos sens (ce plaisir n’est donc pas gratuit, cf. 2):

le texte lui-même le montre musicalement, en harmonie imitative en -O- au v. 298, s’opposant à la voyelle ouverte A du début du v. suivant qui se referme ensuite, comme les ailes du nez humant l’air, l’évanescence des effluves émanant des choses étant illustrée par le VENIENTES ce qui les anime, comme la présence forte des nasales dans ce vers (le même type d’effet sera obtenu en 306 avec les sifflantes; en harmonie, les I du v. 311; les liquides opposées aux occlusives sourdes en 314 comme pour rappeler que le labour est le travail qui mérite son étymologie - RAPPEL: torture). La chaleur écrasante se perçoit physiquement au v. 300 par un groupe binaire, par opposition à un FRIGORA solitaire, d’autant plus que l’expression USURPAR(E) OCULIS est recherchée, par rapport à la simplicité du TUIMUR (cf. 324) précédent, ces deux exemples tirée de deux situation antinomiques ne faisant que conforter la preuve; de fait, la réalité s’impose: CONSTARE (302), INPELLERE (303), TANGERE ET TANGI, elle crève les yeux: CERNIMUS déjà en 299 (cf. 301, 327), TUIMUR déjà évoqué, OCULIS (cf. 310, 324). Puis VISUMST au v. 308 (cf. 310, le vers se terminant sur VIDERE; cf. aussi 319: VIDEMUS, 321: VIDENDI, tous les deux en fin de vers. Avec un jeu sur le visible/invisible: OCCULTE, 314. La vision est convoquée en permanence, (316: CONSPICIMUS, 317: OSTENDUNT), pour nous imposer donc la constatation de corps... invisibles, comme le souligne le début du v. 328. C’est là le paradoxe de ce passage: le seul critère de vérité est la sensation (cf. SENSUS, v. 303), particulièrement la vue: malgré ses limitations avérées (cf. les négations: NEC CERNIMUS UMQUAM, NEC QUIMUS, NEQUE VISUMST, NULLA POSSUNT RATIONE VIDERE, PRAECLUSIT SPECIEM, NULLA POTEST, NEC POSSIS, entrelacées avec des incapacités physiques ainsi pointées, cf. QUIMUS, POSSE), nous constatons DE VISU, de par leur présence ou absence, l’existence des CORPORA CAECA.

sans forcer, puisque c’est de l’expérience commune; seul, le sens gustatif n’est pas convoqué ici. La variété des exemples rend l’argumentation indubitable: Lucrèce est partie des effluves, il a évoqué les températures chaude comme froide puis les sons. Ensuite, la vapeur d’eau, puis l’usure des minéraux - plus ou moins élaborés, cela revient au même: métal (bijou, donc en petit, décoratif), roche quelconque, fer (métal utile, taille moyenne), pierre travaillée, métal (statue, donc en grand, inutile), tous exemples tirés de l’expérience la plus quotidienne et la plus banale. C’est que la nature n’est pas providentielle: INVIDA (avec un rapprochement sémantique, par la négation, avec VIDENDI) et l’homme peu de chose: il suffit d’un NULLA en début de vers pour vider de sa réalité le ACIES OCULORUM CONTENTA POTEST TUERI. En écho d’une ironie sanglante, le SENESCUNT semble reprendre, en négatif avéré cette fois, le SERESCUNT du v. 306. On a même l’impression que le plus stable est finalement semblable au plus fluide: l’élément liquide absorbe le solide. Seule subsiste, étrangère à nos angoisse, la NATURA, au v. 328. Derrière ce problème de physique - l’existence de particules invisibles - et en liaison avec lui, revient l’affirmation de la Nature (3 fois dans le texte, 303, 321, 328 qui, dans un processus constant de création et de disparition, se montre totalement irréductible à notre humanité étriquée et inquiète. C’est que Lucrèce fait flèche de tout bois; en fait, il n’oublie jamais que la première cause de l’angoisse romaine est la RELIGIO, la crainte des Dieux; pour atteindre l’ataraxie, il est essentiel de désacraliser le monde. C’est dans le droit fil de ce texte apologétique de ... sinon l’athéisme, du moins l’indifférence à l’égard des dieux (alias le DE RERUM NATURA), que nous trouvons l’exemple des statues des dieux usées par le baiser des fidèles. C’est là un bel exemple de SUPERSTITIO: comment peut-on le considérer comme sacrées, puisqu’elles s’usent comme... les pierres des routes? Tout ce qui précède permet de corroborer les généralisations finales: QUAECUMQUE suivi d’une structure binaire (322, 325), avec l’obsession, frappante ici, de la mer (326-7, comme en écho à 305 - 310) qui débouchent sur la conclusion que Lucrèce avait... en vue!

 

2) car nous retrouvons dans ce texte, comme toujours, la volonté de convaincre:

d’abord rationnellement par une architecture logique stable:

le TUM PORRO du début de vers 298 répond au PRINCIPIO de 271 qui présente le vent par lui-même puis un passage fondé sur l’analogie entre le vent et l’eau; Ce TUM PORRO, déterminant un premier ensemble se rapportant à des sensations olfactive, tactiles et visuelle, est suivi d’un pseudo-paradoxe: TAMEN, dont l’impact est souligné par l’encadrement négatif: NEC... UMQUAM (299); la reprise des NEC en anaphore renvoie à des réalités qui échappent à nos sens, et qui existent pourtant, comme le soulignent le relatif de liaison et l’adversatif TAMEN du début du v. 302. le QUONIAM appuie le raisonnement, lui-même renforcé par un ENIM emportant la décision; l’équivalence entre TANGERE et TANGI est patente, soulignée par les dentales sourdes (t) et nasales (N). le NISI suit la pause à la penthémimère. Différentes exemples ont été rapidement évoquées entre 298 et 301. Lucrèce en développe d’autres: DENIQUE pour l’humidité déposée ou évaporée, donc une expérience quotidienne qui renvoie à un phénomène physique classique. Un AT NEQUE... NEC insiste sur l’invisibilité de l’humidité. Un IGITUR conclut fermement: 309. le QUIN ETIAM de 311 amène une accumulation d’exemples divers (cf. infra), globalement sur des minéraux qui s’usent; ces exemples, censés se terminer sur un QUE (315), repartent sur un TUM en 316, après la pause à la penthémimère, sur deux dactyles, suivis de deux spondées. Le IGITUR de 319 conclut précisément sur ce dernier exemple. Le POSTREMO (322) surenchérit sur cette kyrielle d’exemples pour présenter une série de constatations négatives (NULLA 324, NEC 325, NEC 326, toujours en début de v.). On peut donc (pour reprendre le POSSIS finale du v. 327) conclure (IGITUR) sur cet ensemble annoncé en 269 (ACCIPE PRAETEREA), et partiellement réalisé en 295.

Ensuite, rythmiquement: est-il besoin d’évoquer la scansion et les césures de vers autres que ceux déjà traités? La constatation est renforcée au vers 298 par 4 spondées, avec sa césure penthémimère attendue, les césures sont aux endroits cruciaux: NARES (penthémimère), NEC, à l’hephthémimère en 300, avec TUIMUR après, NEC après la penthémimère en 301 donc OCULIS à la césure, CORPOREA à l’hephthémimère en 302 après 3 dactyles, à la trihémimère en 303 après NATURA (lui-même suivi de QUONIAM); rythme dactyle/spondée ainsi que deux élisions (GER(E) EN(IM) ET) en 304, dégageant ainsi le ENIM; UVESCUNT et SERESCUNT jouent en fait le même rôle argumentatif, l’un en positif, l’autre en négatif, donc ils encadrent le vers 306 et le premier vers est avant la trihémimère. QUO PACTO à la trihémimère souligne ici la cécité humaine, rejetée par le VISUMST au début du vers 308, à la trihémimère. Il serait fastidieux de poursuivre... Les césures mettent en valeur les articulations logiques (IGITUR à la penthémimère de 309, QUI ETIAM à la trihémimère de 311) ou les mots essentiels pour le raisonnement (NULLA, à la penthémimère, pour VIDERE en fin de vers en 310, MINUI, 319, penthémimère, etc.)

Enfin, rhétoriquement: par les différents procédés pour accrocher, puis garder l’attention du lecteur: l’évocation de l’expérience commune, donc indubitable, par un «nous»: SENTIMUS (298), etc., jusqu’à SUIMUS et SUEMUS à la fin des vers 300-1. 302-3 et 4 se situent dans l’absolu (on passe alors par toute une série d’exemples impersonnels: VIDEMUS reviendra en fin de v. 319. Le retour à la présentation objective marquera les vers 320 à 326; le POSSIS ne s’adressera pas à Memmius: il est du même type que: CREDAS, on croirait, CREDERES, on aurait cru). La frappe des anaphores NEC en début de vers 299 - 300 se veut persuasive, comme le pléonasme CALIDOS AESTUS que leur pluriel incarne, comme FRIGORA; la régularité syntaxique des vers précédent est rompue par la disjonction CORPOREA NATURA, lui-même en rejet, pour montrer combien ceci est incontournable: NECESSE EST en fin du vers 302; comme le reprécise la double négation: NISI... NULLA du vers suivant, qui corrobore l’affirmation. Le parallélisme SUSPENSAE IN LITORE... DISPANSAE IN SOLE - avec le clin d’oeil de la pseudo FIGURA ETYMOLOGICA! - revient à proclamer que tout ceci est patent. (cf. la répétition de QUO PACTO et l’opposition PERSEDERIT, antinomique de FUGERIT, mais ce qui fait sentir que la cause est la même, comme le parallélisme évoqué supra). Autre disjonction en 310 (NULLA... RATIONE) pour emporter l’adhésion par absence d’explication plausible... en ce qui concerne les yeux! 313: STILICIDI CASUS en FIGURA ETYMOLOGICA, comme pour mieux enfoncer le clou. 314, disjonction FERREUS... VOMER comme pour nous faire mieux appréhender cette réalité. Le DETRITA de 315 sera repris en 319, pour nous confronter en fait à notre faiblesse. 318, l’hystéron-protéron renvoie aux pratiques superstitieuses du peuple, donc nous fait palper le réel. Double disjonction en 321, avec un pléonasme: SPECIEM VIDENDI, pour mieux dégager le PRAECLUSIT (à la penthémimère): interdit à nos sens, mais pas à notre intelligence. l’homéotéleute en 323 (cf. aussi 318)? Les «choses» grandissent, imperceptiblement mais incoerciblement. L’hendiadys de 325 nous renvoie au processus contraire, tout aussi naturel!

De plus, poétiquement: oublions les paroles gelées de Rabelais (cf. 301); subsiste l’image rapide de FLUCTIFRAGO - à la penthémimère - qui, par sa valeur descriptive, éveille l’imaginaire tout en jouant un rôle dans le raisonnement, par analogie: en effet, comme la mer est dispersée en gouttelettes par le littoral - image classique des côtes italiennes, cf. 326) - chacune de ces gouttelettes, l’HUMOR AQUAI, peut se disperser elle-même en éléments plus petits. Les vêtements étendus à sécher évoquent brièvement , de par les compléments de lieu, un petit tableau de la vie quotidienne, comme plus tard, l’anneau au doigt, avec l’endroit de l’usure: SUBTER, les dalles des routes ou les statues des Dieux, couvertes de baisers. suite, sans nous angoisser outre mesure (au rebours de Ronsard: le temps s’en va, le temps s’en va, ma dame, las, le temps s’en va et nous nous en allons), Lucrèce réussit à évoquer subtilement la fuite du temps (311) au présent: TENATUR, CAVAT, comme si ceci se faisait actuellement devant nous, plus vite que nous le pensons: JAM CONSPICIMUS... L’évanescence des choses se perçoit avec le VULGI... DETRITA que le SAXEA ne peut plus contredire au début du v. 316. En 317, s’érige l’image paradoxale des SIGNA... ADTENUARI, le vers suivant rendant parfaitement anecdotique le comportement de chacun, par l’hystéron-protéron. L’image même de la stabilité: SAXA avec sa relative au COD direct: QUAE IMPENDENT MARE, s’effrite sous les assauts de la mer dévoreuse (VESCO et PERESA). Le mot clef revient: IN TEMPORE (320, 327). C’est en partie cette obsession du temps qui passe qui a permis l’interprétation traditionnelle d’un Lucrèce mélancolique...