En préface : cette production ne prétend pas à
l’exhaustivité ; elle présente une approche que nous pensons utile pour
les Lycéen(ne)s ; il faut et il suffit qu’ils en fassent leur miel, sans
chercher à tout retenir : ce qui subsistera devrait permettre une prestation
estimable à l’oral du baccalauréat. DONC, ne pas hésiter à élaguer, éliminer
les bavardages ou ce qui s’avèrerait trop compliqué… Bonne taille !
En
avant-propos :
les 4 éléments dans Daphnis et Chloé:
1- l’eau avec la mer, la source dans
la grotte des Nymphes, le bain de Daphnis,
λειμῶσι ici ? 2- la terre avec l’île – dont une
« terre » ambigüe : Mytilène, non pas une ville mais une île, en
1,1 ; ἄνθη, δρυμοῖς ? cf.
aussi le jardin du père de Daphnis (livre 4), les collines, ici ὄρεια, 3
- l’air ? en écho de la musique de Daphnis + les oiseaux, les
abeilles ;4 - le feu de l’amour qui couve cf.
l’identité d’activités en 9 ; en 10 : κοινῇ/ ἐκοινώνουν/κοινὸν (faute de
commune union physique…)
|
I° Un texte
convoquant les sens dont
le
- Le monde végétal : cf. ἐν δρυμοῖς, ἐν λειμῶσι ;
il est d’abord complice de lui-même avec les fleurs puis, de par τὰς
λόχμας,
avec les oiseaux (animal), ensuite, cf. ἀνθερίκους et λεπτοὺς καλάμους,
il aide aux jeux de nos 2 personnages.
- le monde minéral : ὄρεια, lui aussi d’abord fleuri, puis animé
par les animaux ἄρνες ἐσκίρτων ἐν
τοῖς
ὄρεσιν, τῶν αἰγῶν ἀπὸ
τῶν
κρημνῶν
- le monde animal : μελιττῶν,
ὀρνίθων, ποιμνίων ;
ces derniers sont, bien sûr dans ces Pastorales,
privilégiés, d’où la reprise immédiate par ἄρνες ἐσκίρτων : mais ce serait oublier que
nous avons une œuvre d’art ; loin d’insister sur le travail concret du
berger, ce sont les fleurs sur lesquelles nous nous focalisons de prime abord
et qui sont offertes aux Nymphes (au rebours du sacrifice rituel, cf. la 1ère Bucolique de Virgile, en
fait un TOPOS de cette littérature). Plus fort, ce travail est même oublié (ἐξελθοῦσα
ποθὲν,
ἠμέλησεν τῶν ποιμνίων)
au profit de jeux (προσλιπαρήσαντος
ἀθύρματι), dont celui, ô combien artistique
chez Daphnis, de la Syrinx (συρίττειν).
Le champ lexical du regard est visible
– ce d’autant plus que notre narrateur, ne l’oublions pas, a été inspiré par un
tableau : la première impression, la plus évidente (passez-nous ces jeux
de mots), πάντα
ἤκμαζεν ἄνθη, après le présentatif d’ensemble, en (πάντα)
pan-orama (Ἦρος ἦν ἀρχὴ). Vient ce qui justifie le titre du
livre : ποιμνίων, le
reste des termes renvoie aux préludes de la reproduction tant pour les ovins
(sauts) pour les oiseaux (chant), à la production pour les abeilles (pas si
éloignée de la reproduction, mais cette remarque
repose sur les acquis de l’éthologie moderne, elle est donc inadéquate ici).
Aussi les premiers, les ovins, sont-ils mis en exergue par βλεπομένων
(repris par la polyptote βλέποντες),
d’où μιμηταὶ. La seconde
évocation de l’imitation (cf. l’ ἔκφρασις ), celle concernant les abeilles, μιμούμενοι
τὰς
μελίττας,
montre bien que le visuel l’emporte alors sur l’auditif : s’ils imitent le
chant des oiseaux, ils ne bourdonnent pas à l’instar des abeilles, et c’est
avec le regard - et non l’odorat, car ce
serait comique ! - que τὰ ἄνθη συνέλεγον ;
toujours le regard, sensuel, au moins chez le lecteur, avec εἰς τοὺς
κόλπους.
Celui, plus loin, du gardien avec τὰ ἀποπλανώμενα puis τῶν κρημνῶν,
ensuite ἐφρούρησε ; ce regard change d’objet, pour
Chloé, qui en oublie ses brebis chéries : ἠμέλησεν, comme pour Daphnis – ce qui est
attendu -, qui joue… jusqu’à ce qu’il ne voie plus ! μέχρι
νυκτὸς· ;
sa création artistique est bien inspirée par ce qu’il voit. C’est donc un clin
d’œil que l’hypothèse finale évoquant l’impossibilité de « voir » nos
deux personnages séparés : ἄν
τις εἶδε…
-
par
les termes utilisés : d’entrée, en fanfare, βόμβος
(cf. son dénominatif ἐβόμβουν, le tout très expressif, voire
« onomatopéïque »), comme en reprise
(sic !), ἦχος ὀρνίθων conforté par μουσικῶν ;
plus loin, ὄρνιθες κατῇδον ;
l’insistance est réelle, ἀκουομένων repris à l’actif : ἀκούοντες μὲν τῶν
ὀρνίθων ᾀδόντων ᾖδον ; συνέστελλε
se fait à la voix autant qu’à la vue, voire plus, en présence de
buissons ; ἀκριδο ne renvoie pas aux cigales,
malheureusement, mais Daphnis συρίττειν
ἐμελέτα…
il monte d’ailleurs son instrument avec autant de soin que Longus ses
sonorités :
-
par
les sons ( les η et/ou les α en écho dans la première phrase
musicale), tant par les échos internes (cf. les génitifs pluriels abondants de
la deuxième phrase) que par les
répétitions( Ἦν, λειμῶσι , ὄρεια (adjectif)/ ὄρεσιν (nom), σκιρτήματα
(nom déverbatif)/ ἐσκίρτων (verbe), μελιττῶν/ μέλιτται,
βόμβος/ἐβόμβουν/, κοινῇ/ ἐκοινώνουν/κοινὸν ) ;
il serait pénible et artificiel de continuer le relevé ; mais ces redites,
comme en leitmotiv, participent à la
fascination qu’exerce le texte (il n’est pas interdit d’évoquer son
plaisir de lecteur… s’il est ressenti, bien sûr !): la plus grande
simplicité permet à la douceur printanière de nous enchanter – au sens
étymologique : ces reprises de sonorité ont un effet quasi hypnotique, du
moins plaisant : on se repose en un subtil
nonchaloir. Les parallélismes des expressions n’entrent pas pour peu
dans cette emprise :
τὰ
ἐν, ἐν
τοῖς,
πολλάκις
les homéotéleutes : τῶν ἀκουομένων ἐγίνοντο καὶ βλεπομένων
avec leurs voyelles fermées.
Tout ceci génère une impression de
bonheur et d’alacrité ; certes, Longus accumule les redites, joue en tout
enfantillage la constance avec une indifférence superbe au risque de forcer le
trait outre mesure, mais le résultat est paradoxalement touchant et ne
sombre jamais dans la niaiserie.
2°Ce texte est un bon exemple de la
maîtrise par Longus de sa création : la facilité, la labilité pourrait-on
dire, de l’ensemble sont dues à un travail d’orfèvre : il suffit de le
suivre dans sa démarche ; en fait, à une époque d’autant plus
prometteuse, ἦρος, qu’elle est à son début, ἀρχὴ, dans un cadre (notre jeu de mots est
volontaire : πάντα)
champêtre (ἐν δρυμοῖς, ἐν λειμῶσι, ὄρεια qui s’avèrera plus justement
pastoral : ποιμνίων ἄρνες ἄρνας τῶν προβάτων,
τῶν
αἰγῶν ἀγέλας ποιμενικὰ τὰ
ποίμνια
καὶ
τὰς
αἶγας),
que l’on qualifierait de paradisiaque si ce n’était anachronique, nous nous
contenterons donc d’idyllique (ἤκμαζεν ἄνθη) rythmé, βόμβος,
ἦχος, par les μελιττῶν et les ὀρνίθων , animé par les σκιρτήματα
ποιμνίων),
la narration nous convie à assister à de petits jeux d’enfants, νέοι
3° De fait,
si Longus joue avec nous, il se joue aussi de
nous avec esprit; ainsi
ἦρος passe de c. de temps, comme attendu
en cette place initiale, à c. de nom, en remontant à son début, comme le
souligne l’étymologie de prin-temps en français. Il
sait varier ses effets : il n’est que d’observer la construction de ses
structures ternaires : le parallélisme étroit des deux premiers
éléments τὰ ἐν δρυμοῖς, τὰ
ἐν λειμῶσι, se
brise avec ὅσα ὄρεια. Il procède de même ensuite : βόμβος,
ἦχος, mais pl. 3ème
déclinaison : σκιρτήματα,
avec une redistribution des lieux dans les c. de noms puisque les μελιττῶν
vont de pair avec λειμῶσι , ὀρνίθων va de concert avec δρυμοῖς, ποιμνίων
pâturent dans ὅσα ὄρεια ; il semble vouloir reprendre en
symétrie ποιμνίων
avec ἄρνες, en confirmant la distribution des
lieux : ἄρνες ἐσκίρτων ἐν
τοῖς
ὄρεσιν, procédé qu’il reprend les deux
autres fois, mais avec toute une série de transformations : il varie à
loisir la place du verbe, il rejette dans les deux derniers éléments le sujet à
la fin de chaque phrase juxtaposée, les δρυμοῖς
se réduisent à des λόχμας ;
la simplicité campagnarde du vocabulaire (cf. la reprise des mêmes racines, les
répétitions multiples qui soulignent l’absence totale de recherche lexicale)
est brutalement battue en brèche par l’ ἅπαξ (λεγόμενον), le
mot dit une seule fois, un hapax : εὐωρίας ;
Sa particularité singulière, en pépite, s’oppose bien sûr à ἁπαλοὶ ;
sur ce point, Longus lui aussi fait partie des νέοι,
absolument pas au sens de béjaune : en imitant le tableau vu, mais avec le
décalage de l’ironie, il crée bien une œuvre nouvelle, tout en travaillant
avec des moyens très simples, comme nos deux pastoureaux… Il persiste à rester
dans le droit fil le plus strict des ἁπαλοὶ,
avec la structure ternaire (encore !) qui suit, en mettant cette fois-ci
les oiseaux en premier, suivi des ovins ; cela doit donc se terminer sur
les abeilles. Mais, contre toute attente, là où on attend que, de façon bien
infantile, en tout ridicule, nos deux jeunes vrombissent puisque μιμούμενοι,
nous avons droit, en toute lettre (cette expression a déjà été convoquée ;
nous répugnons certes à l’ânonnement, au ressassement, et Longus en est, lui
aussi, par-delà les apparences aux
antipodes, mais il faut parfois ne pas hésiter à prendre notre auteur au pied
de la lettre, car il nous met en fait au défi de saisir ses subtilités) à une antho-logie : συνέλεγον
τὰ
ἄνθη car le rapprochement est trop
évident pour être fortuit : nos jeunes pastoureaux font leur propre
anthologie, leur florilège en latin, ils en font leur… miel, vu la présence des
abeilles, une figure animale de l’inspiration, cf.. plus
tard Valéry dans Charmes, l’Abeille.
Nous avions vu en 2 que, par leur imitation, Daphnis et Chloé
faisaient l’ἔκφρασις
du printemps, en une
expression corporelle avant la lettre (désolé). Force nous est de constater que
nous avons ici une métaphore de ce processus littéraire. Et Longus de passer
alors à une structure binaire, comme pour annoncer le chapitre suivant, Daphnis
d’un côté, Chloé, de l’autre, en disjonction pour mieux souligner
paradoxalement leur communauté ! Il fait d’ailleurs tresser des couronnes
aux deux, πλέκοντες,
donc à Daphnis aussi, mais c’est Chloé qui, plus loin, pratique plutôt cette
technique féminine : ἔπλεκε. Longus se plaît à nous confondre.
N’est-il pas plaisant que les deux troupeaux ne forment qu’un, τὰς
ἀμφοτέρας ἀγέλας, alors chacun suit soit le troupeau
de l’autre, soit son propre loisir ? Encore mieux : ce passage,
débutant par l’évocation de la proximité, πλησίον ἀλλήλων νέμοντες,
se clôt, en un encadrement subtil, sur un accord final, ἢ Χλόην καὶ Δάφνιν
(en une comparaison bien prosaïque qui prend comme référence nos ovins) ;
le plus subtil : cette « union », ce rapprochement est dû, à
suivre le texte, d’abord à la nécessité de nourrir les animaux, πλησίον
ἀλλήλων νέμοντες
(comme déjà relevé) puis, derechef en encadrement, à la prise de repas communs,
γάλακτος
καὶ
οἴνου,
τροφάς,
soyons cru (sic : ce sont des repas froids !): « à la
bouffe ». Ils se rencontrent en fait pour satisfaire ce besoin essentiel,
ce qui manque, avouons-le, de…poésie. On retrouvera plus tard ce type de
décalage, non plus entre la réalité et le couple, mais à l’intérieur du couple,
par rapport à la réalité (cf. Chez Prévost, dans Manon Lescaut (titre
standard): « Elle appréhende la faim. Dieu d’amour ! quelle grossièreté de sentiments ! et
que c’est mal répondre à ma délicatesse ! » ; Voltaire, tout
aussi tortueux dans sa misogynie, ne fait-il pas dire à Cunégonde dans Candide, après une séparation quasi à la
Ulysse entre les deux amants : « Vous devez avoir une
faim dévorante; j'ai grand appétit ; commençons par souper »). Ces traits
d’esprit sont à l’instar du travail de Longus :
Hors-bac :Parti
comme nous le sommes nous ne pouvons plus nous arrêter… Donc, c’est un serious game qui se termine bien,
au rebours des couples morts qui parsèment la littérature mondiale :
Pyrame et Thisbé, (la belle Aude de Roland ne vit que
sur une quarantaine de vers), Tristan et Iseut, Roméo et Juliette. Mais
brisons-là, sinon nous coulerons, comme le Titanic…