Le tout: Hubert Steiner

texte traduction universitaire (très infidèle...) traduction par groupe de mots commentaire

texte

37 Militiam vero - nostram dico, non Spartiatarum, quorum procedit ad modum acies ac tibiam, nec adhibetur ulla sine anapaestis pedibus hortatio; nostri exercitus primum unde nomen habeant, vides; deinde qui labor, quantus agminis: ferre plus dimidiati mensis cibaria, ferre, si quid ad usum velint ferre vallum; nam scutum, gladium, galeam in onere nostri milites non plus numerant quam umeros, lacertos, manus. Arma enim membra militis esse dicunt; quae quidem ita geruntur apte, ut si usus fuerit, abjectis oneribus expeditis armis ut membris pugnare possint. Quid? Exercitatio legionum, quid? Ille cursus, concursus, clamor quanti laboris est! Ex hoc ille animus in proeliis paratus ad vulnera. Adduc pari animo inexercitatum militem, mulier videbitur. 38 Cur tantum interest inter novum et veterem exercitum quantum experti sumus? Aetas tironum plerumque melior, sed ferre laborem, contemnere vulnus consuetudo docet. Quin etiam videmus ex acie efferri saepe sancios, et quidem rudem illum et inexercitatum quamvis levi ictu ploratus turpissimos edere; at vero ille exercitatus et vetus ob eamque rem fortior medicum modo requirens, a quo obligetur: 
«O Patrocles, inquit, ad vos adveniens auxilium et vestras manus 
Peto, prius quam oppeto malam pestem mandatam hostili manu, 
Neque sanguis ullo potis est pacto profluens consistere, 
Si qui sapientia magis vestra mors devitari potest. 
Namque Aesculapi liberorum saucii opplent porticus; 
Non potest accedi»
Certe Eurypylus hic quidem est, hominem, exercitum! 39 Ubi tantum luctus continuatur, vide quam non flebiliter respondeat, rationem etiam adferat cur aequo animo sibi ferendum sit: 
«Qui alteri exitium parat, 
Eum scire oportet sibi paratam pestem ut participet parem. »
Abducet Patricoles, credo, ut collocet in cubili, ut vulnus obliget. Siquidem homo esset; sed nihil vidi minus: quaerit enim quid actum sit: 
«Eloquere, eloquere, res Argivum proelio ut se sustinet. »
Non potest ecfari tantum dictis, quantum factis suppetit laboris. 
«Quiesce igitur et vulnus adliga.» (Etiamsi Eurypylus posset, non posset Aesopus.) 
Ubi fortuna Hectoris  nostram acrem aciem inclinatam ... » et cetera explicat in dolore. Sic est enim intemperans militaris in forti viro gloria. Ergo haec veteranus miles facere poterit, doctus vir sapiensque non poterit? Ille uero melius, ac non paulo quidem. 40 Sed adhuc de consuetudine exercitationis loquor, nondum de ratione et sapientia. Aniculae saepe inediam biduum aut triduum ferunt. Subduc cibum unum diem athletae: Jovem, Jovem Olympium, eum ipsum cui se exercebit, implorabit, ferre non posse clamabit. Consuetudinis magna vis est. Pernoctant venatores in niue, in montibus uri se patiantur, inde pugiles caestibus contusi ne ingemescunt quidem. 41 Sed quid hos quibus Olympiorum victoria consulatus ille antiquus uidetur? Gladiatores, aut perditi homines aut barbari, quas plagas perferunt! quo modo illi, qui bene instituti sunt, accipere plagam malunt quam turpiter uitare! quam saepe apparet nihil eos malle quam vel domino satis facere vel populo! mittunt etiam vulneribus confecti ad dominos qui quaerant quid uelint; si satis eis factum sit, se velle decumbere. Quis mediocris gladiator ingemuit, quis vultum mutauit umquam? quis non modo stetit, verum etiam decubuit turpiter? quis, cum decubuisset, ferrum recipere jussus collum contraxit? Tantum exercitatio, meditatio, consuetudo valet. Ergo hoc poterit 

«Samnis, spurcus homo, vita illa dignus locoque,»

vir natus ad gloriam ullam partem animi tam mollem habebit, quam non meditatione et ratione conroboret? Crudele gladiatorum spectaculum et inhumanum non nullis videri solet, et haud scio an ita sit, ut nunc fit. Cum vero sontes ferro depugnabant, auribus fortasse multae, oculis quidem nulla poterat esse fortior contra dolorem et mortem disciplina.

traduction universitaire 

en bleu, la version de Le Clerc, chez Garnier quand celle, en marron, de Nisard est différente, d'ailleurs souvent éloignée du texte, avec parfois, des... suppressions!!! En noir, le texte commun

Parlerai-je de nos armées? car je ne parle pas de celles des Lacédémoniens, qui marchaient au son de la flûte, et que l'on excitait au combat qu'en employant la cadence des anapestes. Vous connaissez l'origine de notre mot exercitus; vous voyez ensuite combien de travaux, quelle fatigue dans les marches cela exige; il faut que le soldat porte des vivres pour plus de quinze jours, qu'il porte son bagage, et un pieu pour les palissades.(Quel travail pour un soldat, lorsqu'il marche, de porter des vivres pour plus de quinze jours; et de porter outre cela son bagage et un pieu? chez Nisard) A l'égard du casque, du bouclier, et de l'épée, il ne les compte non plus pour un fardeau, que ses épaules, ses bras, ses mains. Un langage usité parmi les soldats, c'est que leurs armes sont leurs membres et dans l'occasion, déposant le reste de leur fardeau, ils (en effet, si l'occasion se présente, ils mettent bas le reste de leur fardeau , et) se servent aussi lestement de leurs armes, que si elles faisaient partie de leurs corps. Quel travail que celui de nos légions, dans leurs divers exercices, dans la course, la mêlée, les cris guerriers ! De là ce courage (Or c'est précisément de là que leur vient cette intrépidité) qui brave les blessures (les coups). Amenez-moi un soldat, qui ait dans l'âme le même degré de valeur, mais qui n'ait point passé par les mêmes épreuves (exercices); on le prendra pour une femme. Nous le savons par expérience: il y a une différence infinie ( Aussi l'avons-nous bien éprouvé qu') entre nouvelles et vieilles troupes (il y a une différence infinie). Ordinairement le nouveau soldat est d'un âge plus vigoureux mais d'être fait à la fatigue, et d'aller aux coups tête baissée, c'est ce qui ne s'apprend que par l'habitude. Vous verrez, lorsque, après une bataille, on emporte les blessés, vous verrez le nouveau soldat pleurer honteusement pour une légère blessure, pendant que l'ancien, dont le courage est relevé par l'expérience (accoutumé à la douleur et au courage), demande seulement un médecin qui lui bande sa plaie. Témoin Eurypyle, qui parle ainsi. 

«Patrocle, à mon secours: sans vous ma mort est sûre.

Arrêtez, s'il se peut, le sang de ma blessure.

Les enfants d'Esculape ailleurs sont dispersés,

Et ne peuvent suffire au nombre des blessés».

Voilà bien le caractère d'un vieux guerrier, à qui la douleur ne coupe point la parole. Remarquez comme Eurypyle, loin de le prendre sur un ton lamentable (pleureur), ajoute lui-même pour quelle raison il doit patiemment souffrir sa disgrâce. 

«Quiconque au sein d'un autre a cru porter la mort, (a cru porter la mort)

A dû craindre pour lui l'effet d'un même sort», (si lui-même est frappé, ne s'intimide pas,)

dit-il : et moi là-dessus, je m'imagine que Patrocle va l'emmener, le mettre au lit, bander sa plaie. Oui, si Patrocle était un homme ordinaire. Mais il lui demande des nouvelles de l'action

«Parle, triomphons-nous? - Comment ma faible voix

Te pourrait-elle encore raconter tant d'exploits?

- Eh bien, prends du repos et songe à ta blessure.

Après ce grand combat, seigneur, apprenez-moi

Quel aujourd'hui des Grecs est l'espoir, ou l'effroi».

Quand Eurypyle le pourrait, Esope le pourrait-il?

Au lieu donc de songer à sa blessure, le malade reprend:

lLa fortune d'Hector ne l'abandonne pas;

Dès qu'il a vu fléchir nos valeureux soldats,

Hector, à qui les Dieux prêtaient leur assistance,

Voyant de nos guerriers mollir la résistance»,

et le reste : car il n'oublie rien (car il en vient au détail), malgré sa douleur; emporté par cette intempérance de gloire, dont un brave ne peut se défendre. Un homme éclairé, un philosophe serait-il donc au-dessous d'un vieux guerrier? Non, sans doute; il le surpassera même (... un philosophe ne pourra-t-il donc pas aussi bien qu'un vieux guerrier, montrer de la patience dans ses douleurs? Oui sans doute il le pourra, et incomparablement mieux.) Mais nous n'en sommes pas encore aux secours qui se tirent de sa raison : il s'agit présentement de ceux qui naissent de l'habitude. Une petite femme décrépite jeûnera sans peine deux et trois jours. Retranchez pendant un seul la nourriture à un athlète pendant vingt-quatre heures, il se croira mort, et appellera Jupiter à son aide, ce Jupiter l'Olympien, à qui ses travaux sont consacrés. Telle est la force de l'habitude. Un chasseur passe les nuits au milieu des neiges, et se brûle toute la journée au soleil. (Passer les nuits au milieu des neiges, et brûler toute la journée au soleil, c'est l'ordinaire des chasseurs). On n'entend pas même gémir ces athlètes, qui se meurtrissent à coups de cestes. Mais pourquoi parler de ces hommes pour qui une victoire avait autant de prix que le consulat pour nos pères. (Que dis-je? Une victoire remportée aux jeux Olympiques est à leurs yeux ce qu'a été autrefois le consulat dans Rome.) Mais les gladiateurs, des scélérats, des barbares, jusqu'où ne poussent-ils point la constance? Pour peu qu'ils sachent bien leur métier, n'aiment-ils pas mieux recevoir un coup, que de l'esquiver contre les règles? On voit que ce qui les occupe davantage, c'est le soin de plaire, et à leur maître, et aux spectateurs. Tout couverts de blessures, ils envoient demander à leur maître ce qu'il veut, prêts à mourir avec joie, s'il est content (: que s'il ne l'est pas, ils sont prêts à tendre la gorge.) Jamais le moindre d'entre eux a-t-il, ou gémi, ou changé de visage? Quel art dans leur chute même, pour en dérober la honte aux yeux du public? Renversés enfin aux pieds de leur adversaire, s'il leur présente le glaive, tournent-ils la tête? Voilà ce que l'exercice, la réflexion et l'habitude ont de pouvoir. Quoi donc, "Un Samnite, un coquin, le dernier des mortels", pourra s'élever à ce degré de courage, et il y aura dans le coeur d'un homme né pour la gloire, un endroit si faible que ni raison ni réflexion ne puissent le fortifier! Quelques personnes traitent d'inhumanité le spectacle des gladiateurs : et peut-être avec raison, surtout aujourd'hui. (je ne sais si, tel qu'il est aujourd'hui, on ne doit pas effectivement le regarder ainsi.) Mais lorsque des criminels combattaient (étaient seuls employés à ces sortes de combats), il ne pouvait y avoir, du moins pour les yeux, une école où l'on apprît mieux à mépriser la douleur et la mort.

traduction par groupe de mots

Avant-propos: exceptionnellement, nous prenons à notre compte certaines leçons intégrées dans l'édition d'Hervé Duchêne, chez Bréal, à partir de celle de Nisard (Paris, 1840). Cette dernière présente d'ailleurs souvent des options intéressantes. Nous ne l'avons pas retenue, sans autre raison que l'acceptation de l'existant: c'est l'édition des Belles Lettres qui fait, pour les lycéens, référence.

37: VERO MILITIAM et notre service militaire - DICO NOSTRAM je dis le nôtre, NON SPARTIATARUM non celui des Spartiates QUORUM ACIES PROCEDIT dont la ligne de bataille s'avance AD MODUM AC TIBIAM en mesure et au + son + (du tibia) de la trompette, NEC ULLA HORTATIO ADHIBETUR et (dont) aucune harangue (avant la bataille) ne se réalise SINE PEDIBUS ANAPAESTIS sans les mesures anapestes (deux brèves suivies d'une longue) - VIDES PRIMUM UNDE tu vois d'abord d'où NOSTRI EXERCITUS HABEANT NOMEN nos armées ont leur nom; DEINDE QUI, QUANTUS ensuite quelle, combien (QUI et QUANTUS déterminent en interrogatif LABOR, l'un sur la qualité, l'autre sur la quantité) de LABOR AGMINIS peine de l'armée en marche: FERRE CIBARIA porter l'intendance PLUS DIMIDIATI MENSIS pour plus de la moitié d'un mois, FERRE SI VELINT (ALI)QUID AD USUM porter s'ils voulaient quelque chose pour leur usage personnel, FERRE VALLUM porter la palissade! NAM NOSTRI MILITES en effet, nos soldats NON PLUS NUMERANT ne comptent pas plus SCUTUM, GLADIUM, GALEAM le bouclier, le glaive, le casque QUAM UMEROS, LACERTOS, MANUS que les épaules, les bras, les mains. ENIM DICUNT ARMA ESSE en effet, ils disent que les armes sont MEMBRA MILITIS les membres du soldat. QUIDEM QUAE GERUNTUR ITA APTE certes, d'ailleurs, ces armes (QUAE=relatif de liaison) sont portées si habilement UT, SI USUS FUERIT que, si l'usage (en a été) intervient, ONERIBUS ABJECTIS, les charges ayant été rejetées, POSSINT PUGNARE ils puissent combattre ARMIS EXPEDITIS avec leurs armes (préparées) ainsi disposées UT MEMBRIS + comme s'il s'agissait + de leurs membres. QUID? EXERCITATIO LEGIONUM, QUID? Que + dire + ? de l'entraînement des légions, qu'+ en + dire? ILLE CURSUS, CONCURSUS, CLAMOR cette course, cette charge (quand on attaque), ce cri de guerre EST QUANTI LABORIS (sont d') relèvent d'un tel effort! EX HOC ILLE ANIMUS de là (cette âme) ce courage PARATUS AD VULNERA IN PROELIIS prêt aux blessures dans les combats. ADDUC MILITEM INEXERCITATUM amène (au combat) un soldat inexercé ANIMO PARI avec un courage identique, VIDEBITUR MULIER il semblera une femme.

38 - CUR TANTUM QUANTUM EXPERTI SUMUS pourquoi une telle différence que nous avons éprouvée INTEREST INTER EXERCITUM NOVUM ET VETEREM existe-t-elle entre une armée (nouvelle) de recrues et (une ancienne) de vétérans? AETAS TIRONUM (EST) PLERUMQUE MELIOR l'âge des recrues est la plupart du temps meilleur (donc a l'avantage de la jeunesse), SED CONSUETUDO DOCET mais + c'est + l'habitude + qui + enseigne FERRE LABOREM à supporter la peine, CONTEMNERE VULNUS à mépriser la blessure. QUIN ETIAM VIDEMUS SAUCIOS bien plus, nous voyons des blessés EFFERRI SAEPE EX ACIE être souvent enlevés du champ de bataille, ET QUIDEM ILLUM RUDEM et que, certes, celui qui est (rude) néophyte ET INEXERCITATUM et non entraîné, QUAMVIS ICTU LEVI quoiqu'avec un coup léger, EDERE PLORATUS TURPISSIMOS émet des gémissements très honteux. VERO AT bien au contraire ILLE EXERCITATUS ET VETUS celui (qui est) entraîné) et (un) vétéran, FORTIOR OB EAM REM, plus courageux à cause de (cette chose) cela, REQUIRENS MODO MEDICUM, demandant seulement un médecin A QUO OBLIGETUR INQUIT par lequel il soit (ligaturé) bandé, dit:O PATRICOLES, ADVENIENS AD VOS Patrocle, venant vers vous, PETO AUXILIUM ET VESTRAS MANUS je demande de l'aide et vos mains (par hendiadyn = l'aide de vos mains; en fait, les soldats ont l'habitude de soigner leurs collègues; dans l'HECTORIS LYTRA d'ENNIUS (la Rançon d'Hector), Eurypile demande l'aide de Patrocle et d'Achille), PRIUS QUAM OPPETO MALAM PESTEM avant que je n'affronte un (peste) fléau mauvais MANDATAM MANU HOSTILI donné par une main ennemie NEQUE SANGUIS PROFLUENS et + avant que + le sang s'écoulant EST POTIS ULLO PACTO ne soit susceptible (POTIS EST=POTEST) en aucune manière CONSISTERE de s'arrêter SI MORS POTEST si ( leçon QUI dans l'édition les Belles Lettres: en quelque sorte) (la) ma mort peut DEVITARI MAGIS QUA SAPIENTIA VESTRA être évitée plus par une (sagesse) connaissance médicale qui est la vôtre. NAMQUE SAUCII OPPLENT et de fait, les blessés remplissent PORTICUS LIBERORUM AESCULAPI les portiques des enfants d'Esculape. ACCEDI NON POTEST on ne peut accéder.- CERTE QUIDEM HIC EST EURYPILUS assurément certes, celui-ci est Eurypile. HOMINUM EXERCITUM quel homme éprouvé (acc. exclamatif).

39 - UBI LUCTUS TANTUM CONTINUATUR au moment où la lamentation ne fait que se prolonger (TANTUM=seulement, donc: ne que), VIDE QUAM NON RESPONDEAT FLEBILITER vois comme il ne répond pas en pleurant, ETIAM ADFERAT RATIONEM mais qu'il (apporte) énonce la raison CUR SIT FERENDUM SIBI ANIMO AEQUO (pourquoi) pour laquelle (il est devant être supporté par lui-même) il doit supporter avec un courage égal (ou avec équanimité!):QUI PARAT ALTERI EXITIUM celui qui prépare (une sortie) la mort pour autrui, OPORTET EUM SCIRE il faut qu'il sache PESTEM + ESSE + PARATAM SIBI qu'un fléau est prêt pour lui, UT PARTICIPET PAREM pour qu'il ait sa part + d'un fléau + égal.PATRICOLES ABDUCET, CREDO Patrocle l'emmènera, je pense, UT CONLOCET IN CUBILI pour le placer sur un lit, UT OBLIGET VULNUS pour ligaturer sa blessure. SIQUIDEM ESSET HOMO si du moins il était un homme + commun +; SED VIDI NIHIL MINUS mais j'ai vu rien moins. QUAERIT ENIM QUID ACTUM SIT il demande en effet ce qui a été fait:- ELOQUERE, ELOQUERE, parle, parle, RES ARGIVUM l'affaire des Argiens PROELIO UT SE SUSTINET au combat, comment elle se (soutient) maintient.(N.B.: la phrase suivante est interprétée comme faisant partie de la pièce par A. Flobert, chez Hatier, alors qu'il s'agit chez Duchêne d'un commentaire permettant d'expliquer le vers suivant, ce qui est plus logique et torture moins la grammaire. Nous préférons, au moins pour le bac, la LECTIO FACILIOR - cette expression renvoie aux hyper-critiques allemands du XIX qui, face à un passage altéré lors de la transmission du texte, choississaient la LECTIO DIFFICILIOR, c'est-à-dire la solution la plus complexe, au prétexte que les copistes - comme les mauvais élèves - en cas d'incompréhension due soit à leur propre incapacité en lecture ou à l'audition (car des textes ont été recopiés en groupe par dictée) soit à une altération de l'état physique du parchemin ou du papier, éludaient cette difficulté tout simplement par une simplification abusive).NON POTEST ECFARI DICTIS il ne peut dire par des paroles TANTUM QUANTUM LABORIS SUPPETIT FACTIS combien de peine suffit pour (ces) actions.QUIESCE IGITUR ET ALLIGA VULNUS repose-toi donc et (fais) bander ta blessure.ETIAMSI EURYPILUS POSSET même si Eurypile le pouvait, AESOPUS NON POSSET Esope ne le pourrait pas (contraint qu'il est, comme acteur, de continuer le texte!).UBI FORTUNA HECTORIS NOSTRAM ACREM ACIEM INCLINATAM quand la fortune d'Hector + eut abattu + notre farouche armée lâchant pied (avec valeur de résultat)ET EXPLICAT CETERA IN DOLORE et (notre acteur, ici Esope) développe le reste (dans) malgré la douleur. ENIM GLORIA MILITARIS IN FORTI VIRO en effet, la gloire militaire chez un homme courageux EST SIC INTEMPERANS est ainsi sans mesure. ERGO MILES VETERANUS donc un (soldat qui a de l'ancienneté) vétéran POTERIT FERRE HAEC pourra supporter cela, VIR DOCTUS SAPIENSQUE NON POTERIT un homme savant et sage ne le pourra pas? VERO ILLE MELIUS Mais ce dernier de meilleure manière, AC QUIDEM NON PAULO et certes pas de peu (par litote: on dit le moins pour signifier le plus).

40 - SED LOQUOR ADHUC Mais (SED est plus subjectif que VERO, phrase précédente) je parle jusqu'ici DE CONSUETUDINE EXERCITATIONIS de l'habitude de l'entraînement, NONDUM DE RATIONE ET SAPIENTIA, pas encore de la raison et de la sagesse. SAEPE ANICULAE FERUNT INEDIAM souvent de petites vieilles supportent une absence de manger BIDUUM AUT TRIDUUM de deux ou trois jours. SUBDUC CIBUM supprime la nourriture UNUM DIEM ATHLETAE un seul jour à un athlète: IMPLORABIT JOVEM, JOVEM OLYMPIUM il implorera Jupiter, Jupiter Olympien, EUM IPSUM CUI SE EXERCEBIT celui-là même (pour) en l'honneur duquel il s'exerce(ra), CLAMABIT NON POSSE FERRE il clamera qu'il ne peut pas le supporter. VIS CONSUETUDINIS EST MAGNA (ce qui n'a rien d'original: l'habitude est une seconde nature, d'après Aristote!) la force de l'habitude est grande. VENATORES PERNOCTANT des chasseurs passent la nuit IN NIVE IN MONTIBUS dans la neige, sur les montagnes. INDI PATIUNTUR SE URI les indiens supportent qu'ils soient brûlés. PUGILES CONTUSI CAESTIBUS les pugilistes, meurtris par les cistes NE INGEMISCUNT QUIDEM ne gémissent même pas. (bonne leçon chez Bréal: ce n'est pas INGEMESCUNT!)

41 - SED QUID + DICAM + HOS mais pourquoi + parler + de ceux QUIBUS VICTORIA OLYMPIORUM auxquels une victoire (des) aux jeux olympiques VIDETUR ILLE ANTIQUUS CONSULATUS semble cet ancien consulat (avec nostalgie, car passé de mode!). GLADIATORES, AUT HOMINES PERDITI les gladiateurs, ou des hommes (perdus) sans aveu AUT BARBARI ou des barbares, QUAS PLAGAS PERFERUNT quels coups ils supportent (per=préfixe signifiant complètement). QUO MODO ILLI QUI INSTITUTI SUNT de quelle manière ceux qui ont été bien (institués) dressés MALUNT ACCIPERE PLAGAM préfèrent recevoir un coup QUAM VITARE TURPITER que de + l' + éviter (honteusement) en se couvrant de honte. QUAM APPARET SAEPE EOS MALLE comme il apparaît souvent que ces derniers ne préfèrent rien QUAM SATIS FACERE (que) à donner satisfaction VEL DOMINO VEL POPULO soit au maître soit au peuple! MITTUNT ETIAM, CONFECTI VULNERIBUS ils envoient même, + alors qu'ils sont + accablés de blessures, AD DOMINOS vers leurs maîtres QUI QUAERANT QUID VELINT + des gens + qui demandent + ce + qu'ils veulent; SI FACTUM EST SATIS IIS s'il a été fait suffisamment (pour eux) à leurs yeux, SE VELLE DECUMBERE ils (veulent) acceptent de (se coucher au sol) mourir. QUIS GLADIATOR MEDIOCRIS INGEMUIT? quel gladiateur moyen a gémi?

(commentaire personnel, mais nécessaire car ce passage est par trop odieux. Cette remarque est une bonne indication de l'insensibilité romaine, avant le christianisme! Le fossé est si grand entre les gladiateurs et la (haute? car le bas peuple n'est pas de reste) société romaine que Cicéron ne peut même pas apprécier correctement ce comportement; nous retrouverons la même insensibilité avec les nazis (Pourquoi un tel rapprochement? Pensons aux bas-reliefs de la colonne trajane et aux divers massacres perpétrés par l'armée romaine - sauf en cas de valeur marchande des prisonniers), incapables eux-mêmes, par inhumanité acquise, comme certains Serbes (propagande, éducation), de percevoir comme hommes les Juifs. Le métier de LENO suppose le même «art» pour réussir à dégrader, ravaler son semblable au rang de la bête, ce qui permet de le voir disparaître sans état d'âme. Ceci explique aussi le silence des déportés qui ont échappé à la solution finale: comment oser protester, dire son vécu, alors que le bourreau a réussi, un temps, à faire perdre à sa victime toute humanité - sans se rendre compte qu'il se déshumanisait encore plus, en toute responsabilité, sinon en toute connaissance de cause, vu la pression lobotomisatrice de la propagande... même si je reste intimement persuadé que chacun reste responsable de sa propre pente. Au reste, le complexe d'Icare frappe ici: il s'agit d'une expérience américaine au cours de laquelle des hommes en tenue officielle - uniforme ou blouse blanche - demandèrent à un échantillon représentatif de leurs concitoyens de torturer, proprement bien sûr, via un système sophistiqué de manettes et d'électricité, et pour sauvegarder la démocratie, un être humain. 63 % de ces bourreaux virtuels ne s'arrêtèrent qu'à la mort - jouée bien sûr - de la victime. signé: H.S., catho. Revenons à nos... moutons?)

QUIS MUTAVIT USQUAM VULTUM qui a jamais changé de visage? QUIS NON MODO STETIT qui non seulement s'est (dressé) battu, VERO ETIAM DECUBUIT TURPITER mais encore s'est couché à terre honteusement? QUIS, CUM DECUBUISSET qui, alors qu'il s'était couché à terre, JUSSUS RECIPERE FERRUM (ordonné) sur l'ordre de revevoir le fer, CONTRAXIT COLLUM a contracté son cou? EXERCITATIO, MEDITATIO, CONSUETUDO l'entraînement, l'étude, l'habitude VALET TANTUM ont une telle + puissance +. ERGO POTERIT HOC donc pourra cela SAMNIS, SPURCUS HOMO un samnite, un homme immonde, DIGNUS ILLA VITA QUE LOCO digne de cette vie et de cette extraction,VIR NATUS AD GLORIAM + et + (asyndète) un homme né pour la gloire HABEBIT ULLAM PARTEM ANIMI aura une partie de l'âme TAM MOLLEM si molle QUAM NON CORROBORET MEDITATIONE ET RATIONE qu'il ne pourra la renforcer par l'étude et la raison (TAM corrélatif de QUAM, introducteur d'une relative consécutive)? SPECTACULUM GLADIATORUM le spectacle de gladiateurs SOLET VIDERI NON NULLIS (a l'habitude de sembler) semble d'habitude (non à personne) à de nombreuses personnes CRUDELE ET INHUMANUM cruel et inhumain ET HAUD SCIO AN SIT ITA et peut-être qu'il en est ainsi (donc un spectacle odieux) UT FIT NUNC comme il se fait maintenant. VERO CUM SONTES DEPUGNABANT FERRO mais quand des criminels combattaient avec le fer, MULTAE + DISCIPLINAE + AURIBUS beaucoup d'enseignements peut-être pour les oreilles, QUIDEM OCULIS mais assurément pour les yeux, NULLA DISCIPLINA POTERAT aucun enseignement ne pouvait ESSE FORTIOR CONTRA DOLOREM ET MORTEM être plus fort contre la douleur et la mort.

commentaire

ce texte nous confronte directement à la douleur à laquelle, en fait, nous pouvons résister: c'est une question d'entraînement, conviction à laquelle Cicéron induit notre adhésion et nous amène par le truchement de sa rhétorique.

1) ce texte n'hésite pas à évoquer la douleur concrètement, ainsi, à l'armée: MILITIAM en extraposition emphatique en début de § 37. Après une forte opposition: NOSTRAM DICO avec les Spartiates soulignant combien le sens du devoir rappelé par le général: HORTATIO n'a pas besoin d'accompagnement, même musical, Cicéron, via l'étymologie (UNDE NOMEN) insiste sur la force de cette armée, en la multipliant par ses corps, au pl. : NOSTRI EXERCITUS. Le lecteur attend un récit de combat, de blessures et de morts. Que non pas! le dernier combat digne de ce nom est, hélas! celui de la guerre civile, avec la défaite cuisante des Pompéiens, soutenus par Cicéron (expédié en 3 lignes à l'obscurité voulue en début de 38). Reste alors le parangon des beaux coups, Homère pour ne pas le citer, en 38, puis 39. Plus déconcertant encore: la mention des jeûnes rituels des ANICULAE en 40, suivi des athlètes, comme en vrac, puisque ce paragraphe passe par les chasseurs: VENATORES, pour se terminer sur les PUGILES. La mort elle-même, affrontée ou plutôt acceptée de face, sera réservée aux... gladiateurs (41). Donc, Cicéron poursuit sa démarche paradoxale: ce n'est pas la blessure au combat qui est présentée au début, car simplement évoquée en fin de 37: PARATUS AD VULNERA [terme repris en 38: VULNUS, son antonyme; LEVI ICTU, 39: VULNUS en deux fois, VULNERIBUS en 41] Tout ceci implique bien sûr la douleur et son corollaire, la mort, en fin de 41: DOLOREM ET MORTEM en structure binaire et comme en écho: la chair est malgré tout bien présente, voire sanguinolente: SAUCIOS en 38, avec le réaliste OBLIGETUR, la chirurgie pratique: VESTRAS MANUS. Rien ne nous est épargné dans ce passage: SANGUIS, PROFLUENS, avec l'afflux, donc l'encombrement dû aux blessés: SAUCII, OPPLENT. Avec reprise de PESTEM, l'obsédant, vu l'hémorragie: OBLIGET, VULNUS ALLIGA. le mot est lâché: IN DOLORE. Tout devient possible et s'oppose: FERUNT, FERRE NON POSSE. PATIUNTUR, NE INGEMESCUNT QUIDEM. Puis l'affrontement en direct: PLAGAS PERFERUNT en 41, ACCIPERE PLAGAM. Il est alors d'autant plus surprenant de voir évoqué au début de ce passage (37) la pénibilité du travail quotidien harassant: QUI LABOR du soldat de base: NOSTRI MILITES, celui de l'infanterie: QUANTUS AGMINIS, sans même la gloire à tirer du combat: FERRE en anaphore, sans refuser la trivialité du ravitaillement. Il ne s'agit pas de peu de choses - la vie souvent se compose de petits riens - PLUS, SI QUID VELINT AD USUM, le plus astreignant sans doute, en deux mots: FERRE VALLLUM. C'est cela qui a fait la grandeur de Rome, ce mot DISCIPLINA qui clôt la fin de 41. Le matériel au sg en structure ternaire équilibre le corps humain au sg, en asyndète comme la série précédente: UMEROS, LACERTOS, MANUS. Comme pris par son sujet, Cicéron s'ébroue sur deux interpellations interrogatives: QUID? avec les allitérations en gutturales et sifflantes où nous retrouvons le souffle rauque du combat. Une énième rupture: le paragraphe se clôt sur l'inattendu MULIER qui induit la honte, qui sera reprise par TURPISSIMOS en 38, opposé au comparatif sg FORTIOR, NON FLEBILITER (39), IN FORTI VIRO (39), voire le PERDITI HOMINES de 41. TURPITER de nouveau deux fois. Ainsi, les expressions sont frappantes, voire tranchantes: on retrouve le Cicéron ciseleur de formules, pour mieux nous confronter au réel: cette ORATIO ne se veut pas gratuite, elle s'ancre dans la vraie vie, celle de l'expérience militaire. Certes, l'exemple littéraire s'étend sur 38 et 39, sans nous épargner les détails (cf. texte, donc rentrer dans le détail ici). Puis une anecdote très rapide, plus triviale, au sens étymologique du terme: il s'agit de la vie quotidienne: les petites vieilles: ANICULAE, résistantes: FERUNT précédé de l'approximatif AUT, avec la gradation: DIB+DUUM, TRIDUUM en dichorée. Par contraste, comme pour nous interpeller, vient l'opposition vive par l'asyndète et l'apostrophe: SUBDUC, le comportement quasi indicent, pour le moins ridicule, des ATHLETAE, dénoncé comme en écho criard avec l'homéotéleute IMPLORABIT puis CLAMABIT. Les chasseurs peuvent être assimilés aux militaires: ils sont sur le terrain par n'importe quel temps, même le moins clément, avec la reprise IN NIVE IN MONTIBUS, et aussi longtemps que nécessaire: PERNOCTANT, mis en valeur par sa place en début de phrase. Plus exotique, plus intriguant, comme une solution d'énigme, le INDI clôt la courte phrase suivante, très frappante donc car évoquant une souffrance extrême, mais que certains supportent, bien qu'éloignés de la civilisation romaine. La série des exemples se ferme sur les PUGILES, avec les harmonies imitatives des voyelles fermées [u] et [i], soulignées par les sifflantes et les gutturales. L'évocation feutrée de la décadence (CONSULATUS ILLE ANTIQUUS) rappelle la confusion des genres et des mentalités, les efforts surhumains, donc les souffrances des sportifs (OLYMPIORUM) ne sont pas oubliées. Ainsi arrive-t-on, avec une insensibilité peu politiquement correcte pour notre époque, aux GLADIATORES, d'ailleurs moralement condamnés d'emblée: PERDITI HOMINES ou rejetés par ethnocentrisme: BARBARI. Les gutturales claquent comme la morsure du fer sur la chair au début de plusieurs phrases. Les exclamatives s'accumulent, suivies d'interrogatives formelles, purement évocatrices. Ici, Cicéron utilise tout ce que lui propose la rhétorique: l'extraposition emphatique: GLADIATORES, l'alternative: AUT... AUT, PLAGAM en facteur commun antinomique à ACCIPERE et VITARE, la polyptote: MALLE, puis MALUNT, une deuxième alternative d'équivalence cette fois-ci: VEL... VEL avec la mise sur le même pied du DOMINO et du POPULO. Ne faut-il pas voir un oxymore évocateur dans le rapprochement entre MITTUNT évidemment en début de phrase et le tragique CONFECTI quasi immédiat? Les interrogatives indirectes sont haletantes: QUID QUAERANT QUID VELINT. Combien prenante aussi cette série tendue de [i] dans la phrase suivante, suivie des voyelles plus ouvertes [e], comme marquant une fin salvatrice et le terme technique DECUMBERE, repris en polyptote par DECUBUISSET? Dénonçons pour finir le mépris du romain à l'égard des gladiateurs, tempéré par le rappel de l'origine (en fait d'abord religieuse, lors de funérailles) de ces combats: SONTES s'opposant à UT NUNC FIT... Ce qui en faisait un bel exemple pour la... jeunesse. Tant il est vrai que pour Cicéron, comme pour Aristote, l'habitude est une seconde nature. Ajoutons: ainsi que l'expérience, puisque nous venons d'évoquer la jeunesse, qui en a bien besoin. N'est-ce point là évoquer implicitement le MOS MAJORUM, comme semble vouloir l'attester l'opposition rencontrée en 38 entre AETAS TIRONUM et CONSUETUDO, qui se contrebalance aux extrémités de la phrase, avec un axe SED, mais de dissymétrie? D'un côté, une phrase nominale, doublement déterminé par TIRONUM et PLERUMQUE, avec une supériorité de pure illusion, car vite démentie par, de l'autre côté, le second membre de l'énoncé, lourdement scandé par deux structure binaires infinitives en asyndète...

2) De fait, tout tourne autour de l'entraînement; il construit même l'architecture de ce passage: d'abord par l'exercice, hautement proclamé par l'étymologie en début de 37, puis 40, début 42 pour conclure, dans le droit fil de la rhétorique classique où l'on rappelle les acquis [ici, tu peux donc évoquer la structure ordonnée de ce passage...] Et cet entraînement nous entraîne aussi, de par le travail subtil de Cicéron sur son texte: nous n'en voulons pour preuve (ce qui suit est directement inspiré des notes de A. Flobert, cf. les questions, P. 73 et 74) que:

a) la cadence du début du § 37, avec l'anacoluthe due au MILITIAM lancée en tête de phrase. Ce terme reste en l'air, repris ensuite par NOSTRI EXERCITUS (mise en valeur par l'adjectif possessif). Cette rupture de construction (an-acoluthe!) simule le laisser-aller de la conversation familière et participe ainsi à notre imprégnation tout en s'expliquant par la parenthèse qui vient couper la phrase. Remarquons que cet énoncé est assez elliptique: SPARTIATARUM (MILITIAM), les deux relatives sont reliées par NEC, le relatif n'est pas repris, ce qui est rare quand il se trouve à des cas différents (QUORUM aurait pu être repris par EIS=QUIBUS). La période se poursuit ensuite sur une série de complétives dépendant de VIDES en une construction toujours relâchée: 3 interrogatives indirectes (avec ellipse du verbe SIT), QUANTUS (LABOR) précise QUI. Les infinitifs (avec anaphore de FERRE) peuvent se rattacher à VIDES. La disposition même des mots est intéressante: 3 termes de part et d'autre servent de cadre à la représentation de l'armée en marche: NOSTRI MILITES au centre (avec une pointe de chauvinisme). Cicéron fait donc défiler sous nos yeux l'armée spartiate pour remplacer aussitôt ce spectacle par celui de l'armée romaine, sur laquelle s'attarde le regard.

b) le jeu entre l'abstraction des noms abstraits qui fleurissent dans ce passage et l'inscription dans le concret par les allusions répétées à la vie quotidienne. Les deux suffixes les plus productifs et les plus caractéristiques ici sont ceux en -TUS (-US, m.) et -TIO (-ONIS, f.): USUS,(CON)CURSUS, ICTUS (cf. ICO), PLORATUS, LUCTUS (cf. - = CONFER ou conférerez, c'est-à-dire: reporte-toi à - LUGEO), aussi VULTUS, sans oublier, bien sûr, EXERCITUS, avec le jeu de mots sur son sens premier d'«entraînement». Ce terme corrobore notre analyse: il s'agit bien dans ce passage d'une dialectique subtile entre le concret et l'abstrait, chacun soutenant l'autre. La seule formation nominale est CONSULATUS. Ne retrouvons-nous pas ici, de par cette exception même - mais serait-ce inconscient? - un écho du si auto-célébré consulat de notre Père de la Patrie, de notre sauveur de la République face à Catilina - Cicéron lui-même pour ne pas l'évoquer? Le suffixe -IO est présent avec RATIO, HORTATIO, EXERCITATIO (qui reprend la valeur abstraite d'EXERCITUS!), MEDITATIO, le tout à partir de thèmes verbaux en - ARE. Notons que le suffixe -TUDO -INIS est un élargissement du suffixe de nom d'action -TUS: CONSUETUDO, terme ici essentiel. Ce suffixe, de par son sens même, renforce d'ailleurs l'idée de réitération, d'habitude, puisqu'il indique généralement la modalité de l'action ou le comportement. Citons, pour finir, le suffixe neutre en -MEN (parfois -MENTUM). Ce vocabulaire philosophique abstrait est d'autant plus convaincant que les REALIA du quotidien ne sont pas esquivés par Cicéron: l'endurance du légionnaire romain est proverbiale et est donc un lieu commun, certes, un topos éculé dès Cicéron, mais la précision dans l'évocation de l'armement est frappante: le SCUTUM, arme défensive, un long bouclier rectangulaire à face convexe, de bois recouvert de cuir, avec au centre, une pièce de métal, UMBO; le légionnaire - MILES, le fantassin, cf. TIRO, la jeune recrue, qui s'est engagée pour 20 ans depuis Marius, § 38) - prenait appui sur lui pour repousser l'ennemi. Le GLADIUS, glaive court à double tranchant, et pointu, pour le corps à corps. GALEA: casque en fer ou en bronze du légionnaire, porté pendant la marche suspendu sur la poitrine, orné pendant le combat d'une aigrette comme signe de reconnaissance. Cicéron évoque le soldat en tenue de combat: EXPEDITIS ARMIS. Il faut y voir et des souvenirs de jeunesse: Cicéron fit ses armes sous les ordres du consul 89, GNAEUS POMPEIUS STRABO, le père du grand Pompée, et de son proconsulat en Cilicie et de son séjour récent chez Pompée, avant la bataille de Pharsale, cf. VETERANUS, CLAMOR, AGMEN, ACIES. Le surprenant ANICULAE renvoie à des jeûnes rituels, sans doute en l'honneur d'Isis - ce qui ne relève pas du traditionalisme romain le plus pur, mais montre bien que Cicéron se réfère à ce que tout quidam a pu rencontrer. Le PERNOCTARE des chasseurs rappelle, en conformité avec la CONSUETUDO partagée par tous, les gardes de nuit, EXCUBIAE, cf. EXCUBARE, dans le droit fil de l'expérience militaire antérieurement évoquée... Et les combats de boxe! à l'imitation des grecs et des Etrusques. L'avant-bras et le poing étaient couverts de courroies de cuir garnies de petites boules de métal (CAESTUS). Relèvent aussi de la vie pratique les combats de gladiateurs. Certes, Cicéron ne cache pas sa réprobation par son mépris hautement affiché: PERDITI, BARBARI, car cette dépréciation est un coup de fouet, de rappel, pour l'orgueil romain. L'accumulation des exclamatives (QUAS, QUO MODO, QUAM), puis des interrogatives (QUIS X 4!) ici se veut percutante pour mieux claironner ce qui est essentiel, en une structure ternaire: EXERCITATIO, MEDITATIO, CONSUETUDO en asyndète. Notons que, dans tout ceci, l'origine religieuse de ce que l'on a le plus reproché à la civilisation romaine n'est pas évoqué; il s'agissait au départ d'exalter un mort en faisant lutter pour leur vie des prisonniers. Ils furent introduits à Rome en -264 aux funérailles de JUNIUS BRUTUS selon une coutume campanienne (cf. Pompéi, là où se trouve le plus ancien amphithéâtre), plus particulièrement samnite. L'aristocratie romaine fut loin de vouloir promouvoir ce type de divertissement populaire, car les conditions d'inconfort du spectacle ne furent éliminées qu'en -29 quand STATILIUS TAURUS fit ériger le premier amphithéâtre de pierre de Rome... il n'en reste pas moins que Cicéron semble s'étendre comme à plaisir sur ce sujet! Car les termes techniques, précis, se référant en fait à l'expérience, semble-t-il, de tout un chacun, abondent: PLAGA, DOMINUS (maître des jeux, Merci, Fort Boyard!), POPULUS, DECUMBERE, DEPUGNARE. Tout ceci s'inscrit donc dans l'expérience la plus banale...

c) cette complicité subtilement établie se renforce avec les citations de tragiques latins qui ne sont pas indifférentes ici: Cicéron les intègre avec soin dans son propos et elles sont le témoignage de son érudition. Par coquetterie sans doute, Cicéron ne cite pas ses sources, mais courtes et allusives, elles étaient sans doute assez répandues pour que son interlocuteur puisse en dégager toute la signification; elles illustrent l'exposé théorique par des exemples littéraires empruntés à la légende ou à l'histoire. Cicéron semble avoir été un des premiers à utiliser ce procédé, un usage assez peu répandu. Ceci montre l'importance qu'il accordait à la culture générale dans tous les domaines, comme il le soutenait dans le DE ORATORE. Ces citations sont elles-mêmes commentées, soit dans leur présentation, soit dans ce qui suit. Pour la citation d'ENNIUS, il présente Eurypile avant qu'il soit amené à Patrocle, sous la tente d'Achille: EXERCITATUS et VETUS OB EAMQUE REM FORTIOR. Cet exemple illustre le développement sur la CONSUETUDO; EXERCITATUS répond à INEXERCITATUM, VETUS à VETERANUS, lui-même opposé à TIRO. La suite de la citation met en valeur l'enseignement que l'on peut tirer de l'exemple d'Eurypile, en opposition totale avec le comportement de la foule des soldats. La qualité dominante du héros est la lucidité: NAM (première citation), RATIONEM ADFERAT CUR; s'y ajoute le courage physique et moral (NON FLEBILITER, AEQUO ANIMO). Patrocle se comporte en héros: au rebours de toute attente (cf. le futur ABDUCET), Patrocle demande à son ami blessé où en est la bataille car il n'a rien d'un homme du commun: SIQUIDEM HOMO ESSET. Exit alors le spectacle de l'humanité basse, place au monde héroïque: IN FORTI VIRO. L'allusion à Esope indique que la pièce était jouée à l'époque.. INTEMPERANS attribut de MILITARIS GLORIA justifie la longueur du dialogue, au mépris de toute vraisemblance quand un homme est grièvement blessé. Le raisonnement A FORTIORI qui suit sera démontré par la suite: la sagesse et la raison sont au-dessus de l'habitude et c'est devant l'épreuve que se teste et se manifeste la vertu du sage...

d) Ce courage, Cicéron l'admire. Il n'est que de relever les fréquentes phrases exclamatives: QUI LABOR, QUANTUS AGMINIS, QUANTI LABORIS EST, QUAM NON FLEBILITER RESPONDEAT, QUAS PLAGAS PERFERUNT, QUO MODO ILLI..., QUAM SAEPE... qui se combinent souvent à des interrogations oratoires indignées: ERGO... NON POTERIT, cf. aussi le passage sur les gladiateurs. L'opposition y participe: ANICULAE... FERUNT suivi de SUBDUC UNUM DIEM ATHLETAE, pluriel#singulier, deux jours#UNUM DIEM, place des deux mots ANICULAE#ATHLETAE. Le renchérissement n'est pas de reste: QUID suivi de ADDUC, puis QUIN ETIAM, avec la prétérition: QUID HOS (DICAM) [on prétend ne pas en parler, mais on évoque la question tout de même: par ex. je me garderai bien d'évoquer ici l'injustice flagrante que mon jury de CAPES pratique m'a fait subir en me reprochant de faire trop d'informatique en latin en... 1983! Je me gausse]. Faut-il ajouter à notre étude celle des répétitions: FERRE, des énumérations, CURSUS, CONCURSUS, CLAMOR, avec ses allitérations?

e) Ces effets sonores ne sont pas les seuls utilisés pour mieux nous persuader: le travail sur les clausules sert le propos: il suffit d'un survol rapide du37 pour s'en rendre compte: NOMEN HABE/ANT VIDES (37) en péon premier puis crétique, un spondée-dichorée: VELINT/ FERRE/ VALLUM, deux crétiques: (UME)ROS, LACER/TOS, MANUS, deux crétiques: (PA)/RATUS AD / VULNERA car la dernière est indifférenciée: -- - -- / -- - --38: spondée-crétique: EXPER/TI SUMUS, finale indifférenciée; (TUR)/PISSIMOS / EDERE en deux crétiques, finale indifférenciée...39: crétique-dichorée: EXPLICAT/ IN DO/LORE, (FOR)/TI VIRO/ GLORIA, deux crétiques; (SAPI)/ENS QUE NON/ POTERIT: deux crétiques; NON PAU/LO QUIDEM: spondée-crétique40: (U)/NUM DI(EM) ATH/LETAE: crétique-spondée; POSSE CLA/MABIT: crétique-spondée, finale indifférenciée; IN NIV(E) IN/ MONTIBUS en deux crétiques à finale indifférenciée, avec les [i] fermés et les dentales nasales; INGEMIS/CUNT QUIDEM en deux crétiques avec indifférenciée.41: (ANTIQU)/US VI/DETUR en dichorée; PLAGAS / PERFERUNT, spondée-crétique; (TURPI)/TER VI/TARE en dispondée à indifférenciée; (QUAE)RANT QUID/ VELINT en dispondée; VELLE DE/CUMBERE en deux crétiques à indifférenciée... Si le coeur t'en dit, continue ce pensum et tiens-nous au courant: moi, je craque...

C'est ainsi que Cicéron peut exprimer son admiration, qu'il tient à nous faire partager bien sûr, pour le courage - dont lui-même - nous ne pouvons résister à ce coup de Jarnac pour finir (ou le finir!) - à moins que vous ne préfériez, pour éviter cet anachronisme évident, à cette flèche de Parthe - n'a fait montre que lors de sa propre mise à mort puisqu'il ne l'a acceptée que pour éviter le mal de mer!