le tout: Hubert Steiner

texte traduction universitaire traduction par groupe de mots commentaire

texte

Ecquid scis igitur, si quid de Corinthiis tuis amiseris, posse habere te reliquam supellectilem salvam: virtutem autem si unam amiseris (etsi amitti non potest virtus), sed si unam confessus eris te non habere, nullam esse te habiturum? 33 Num igitur fortem virum, num magno animo, num patientem, num gravem, num humana contemnentem potes dicere aut Philoctetam illum ? A te enim malo discedere; sed ille certe non fortis, 
«qui jacet in lecto umido, 
Quod ejulatu, questu, gemitu, fremitibus 
Resonando mutum flebiles voces refert. »
Non ego dolorem dolorem esse nego : cur enim fortitudo desideraretur ? Sed eum opprimi dico patientia, si modo est aliqua patientia; si nulla est, quid exornamus philosophiam aut quid ejus nomine gloriosi sumus? Pungit dolor, vel fodiat sane; si nudus es, da jugulum; sin tectus vulcaniis armis", id est fortitudine, resiste; haec enim te, nisi ita facies, custos dignitatis relinquet et deseret. 34 Cretum quidem leges, quas sive Juppiter sive Minos sanxit de Jouis quidem sententia, ut poetae ferunt, itemque Lycurgi laboribus erudiunt juventutem, venando currendo, esuriendo sitiendo, algendo aestuando. Spartae vero pueri ad aram sic verberibus accipiuntur, Ut multus e visceribus sanguis exeat, non numquam etiam, ut, cum ibi essem, audiebam, ad necem; quorum non modo nemo exclamavit umquam, sed ne ingemuit quidem. Quid ergo? Hoc pueri possunt, viri non poterunt? Et mos valet, ratio non valebit?
35 Interest aliquid inter laborem et dolorem. Sunt finitima omnino, sed tamen differt aliquid. Labor est functio quaedam vel animi vel corporis grauioris operis et muneris, dolor autem motus asper in corpore alienus a sensibus. Haec duo Graeci illi, quorum copiosior est lingua quam nostra, uno nomine appellant. Itaque industrios homines illi studiosos vel potius amantis doloris appellant, nos commodius laboriosos; aliud est enim laborare, aliud dolere. O uerborum inops interdum, quibus abundare te semper putas, Graecia ! Aliud, inquam, est dolere, aliud laborare. Cum varices secabantur C. Mario, dolebat; cum aestu magno ducebat agmen, laborabat. Est inter haec quaedam tamen similitudo; consuetudo enim laborum perpessionem dolorum efficit faciliorem. 
36 Itaque illi qui Graeciae formam rerum publicarum dederunt, corpora juvenum firmari labore voluerunt. Quod Spartiatae etiam in feminas transtulerunt quae ceteris in urbibus mollissimo cultu parietum umbris occuluntur. Illi autem voluerunt
«nihil horum simile esse apud Lacaenas virgines 
Quibus magis palaestra, Eurota, sol, pulvis, labor, 
Militia in studio est quam fertilitas barbara.» 
Ergo his laboriosis exercitationibus et dolor intercurrit non numquam, impelluntur, feriuntur, abjiciuntur, cadunt, et ipse labor quasi callum quoddam obducit dolori.

traduction universitaire

Or savez-vous qu'il n'en est pas des vertus, comme de vos bijoux? Que vous en perdiez un, les autres vous restent. Mais si vous perdez une seule des vertus, ou, pour parler plus juste, (car la vertu est inamissible) si vous avouez qu'il vous en manque une seule, sachez qu'elles vous manquent toutes. Vous regarderez-vous donc ou plutôt, afin que ceci ne tombe pas sur vous personnellement, regarderez-vous ce Prométhée ou ce Philoctète dont nous parlions, comme des personnages courageux, magnanimes, patients, graves, pleins de mépris pour les choses humaines ? Un tel éloge ne convient pas à un homme, qui, couché dans une caverne, 

«Par ses cris redoublés, par ses gémissements, Répandait dans les airs l'horreur de ses tourments»

Je ne nie pas que la douleur ne soit douleur. A quoi, sans cela, nous servirait le courage? Mais je dis que la patience, si c'est quelque chose de réel, doit nous mettre au-dessus de la douleur. Ou si c'est quelque chose d'imaginaire, à quel propos vanter la philosophie, et nous glorifier d'être ses disciples? Voilà que la douleur vous pique? Hé bien, je veux qu'elle vous déchire. Prêtez le flanc, si vous êtes sans défense. Mais si vous êtes revêtu d'une bonne armure, c'est-à-dire, si vous avez du courage, résistez. Autrement le courage vous abandonnera: et avec lui, votre honneur, dont il était le gardien. Par les lois de Lycurgue, et par celles que Jupiter a données aux Crétois, ou que Minos a reçues de ce Dieu, comme le disent les poètes, il est ordonné qu'on endurcisse la jeunesse au travail, en l'exerçant à la chasse et à la course, en lui faisant souffrir la faim, la soif, le chaud, le froid. A Sparte on fouette les enfants au pied de l'autel, jusqu'à effusion de sang : quelquefois même, à ce qu'on m'a dit sur les lieux, il y en a qui expirent sous les coups : et cela, sans que pas un d'eux ait jamais laissé échapper, je ne dis pas un cri, mais un simple gémissement. Voilà ce que des enfants peuvent : et des hommes ne le pourront pas? Voilà ce que fait la coutume : et la raison n'en aura pas la force? Travail et Douleur ne sont pas précisément la même chose, quoiqu'ils se ressemblent assez. Travail signifie fonction pénible, soit de l'esprit, soit du corps : Douleur, mouvement incommode, qui se fait dans le corps, et qui est contraire au sens. Les Grecs, dont la langue est plus riche que la nôtre, n'ont qu'un mot pour les deux idées. Aussi appellent-ils les hommes actifs amis de la douleur, moins heureusement que nous, qui les appelons laborieux; car travailler n'est pas la même chose que souffrir. Vous voilà donc, ô Grecs, vous qui nous vantez la richesse inépuisable de votre langue, réduits quelquefois à l'indigence! Autre chose est de travailler, je le répète, autre chose de souffrir.  Quand on coupait les varices à Marius, c'était douleur : quand il conduisait des troupes par un grand chaud, c'était travail. Mais l'un approche de l'autre, car l'habitude au travail nous donne de la facilité à supporter la douleur. Et c'est dans cette vue que ceux qui formèrent les républiques de la Grèce, voulurent qu'il y eût de violents exercices pour les jeunes gens. On y oblige à Sparte les femmes même, qui partout ailleurs sont élevées avec une extrême délicatesse, et, pour ainsi dire, à l'ombre. 

«Rien de tel chez les femmes spartiates, qui préfèrent les fatigues de la lutte, les bains de l'Eurotas, le soleil, la poussière, les exercices guerriers, à la fécondité dont se flattent les femmes barbares.» ("Mais à Sparte on les voit, dès l'avril de leurs ans, Braver les injures du temps, Et chercher dans les jeux une noble poussière. On leur voit dédaigner la laine, le fuseau, Et faire leur art le plus beau De la lutte et de la carrière", chez Nisard). Quelquefois, dans ces rudes exercices, la douleur accompagne le travail. On s'y entre-choque, on s'y frappe; on s'y terrasse, on y fait des chutes : et le travail même finit par endurcir au point qu'on ne sent plus la douleur (et par le travail même il se forme une espèce de calus, qui fait qu'on ne sent point la douleur).

traduction par groupe de mots

32: ECQUID SCIS IGITUR Est-ce que tu sais donc que, SI AMISERIS QUID DE TUIS CORINTHIIS si tu as perdu l'un =ALIQUID de tes + vases + corinthiens, TE POSSE HABERE RELIQUAM SUPELLECTILEM SALVAM tu peux (avoir ta) jouir (ta vaisselle restante) du reste de ta vaisselle (sauve) en bon état, AUTEM SI AMISERIS UNAM VIRTUTEM en revanche si tu as perdu une seule vertu - ETSI VIRTUS NON POTEST AMITTI même si la vertu ne peut pas se perdre - SED SI CONFESSUS ERIS TE NON HABERE UNAM mais, dis-je (SED reprend l'AUTEM), si tu as avoué (que tu n'en as pas une) qu'il t'en manque une, TE ESSE HABITURUM NULLAM (VIRTUTEM) tu n'en auras aucune?

33: IGITUR NUM POTES DICERE VIRUM FORTEM Donc, est-ce que tu peux appeler homme courageux, MAGNO ANIMO, PATIENTEM, d'une grande âme, endurant, GRAVEM, CONTEMNENTEM HUMANA, sérieux, méprisant les choses humaines AUT ILLUM PHILOCTETAM par exemple cet illustre Philoctète? ENIM MALO DISCEDERE A TE En effet, je prèfère (me séparer de toi) ne pas te prendre comme exemple SED CERTE ILLE NON FORTIS Mais assurément celui-ci n'est pas courageux QUI JACET qui gîtIN TECTO UMIDO dans un abri humide QUOD MUTUM REFERT qui, + bien que + muet, (rapporte) résonne EJULATU, QUESTU, GEMITU, FREMITIBUS, de lamentations, de plaintes, de gémissements, de hurlements RESONANDO VOCES FLEBILES en faisant retentir des cris pathétiques.EGO NON NEGO (Moi, je ne dis pas que) ce n'est pas moi qui dirai DOLOREM ESSE DOLOREM que la douleur n'est pas une douleur - ENIM CUR FORTITUDO DESIDERARETUR En effet pourquoi +, dans ce cas, + le courage serait-il désiré? -, SED DICO EUM OPPRIMI PATIENTIA mais je dis qu'elle est (écrasée) jugulée par l'endurance SI MODO ALIQUA EST PATIENTIA si toutefois (l'endurance est quelque chose) l'endurance existe; SI EST NULLA si elle (n'est rien) n'existe pas QUID EXORNAMUS PHILOSOPHIAM pourquoi célébrons-nous la philosophie AUT QUID SUMUS GLORIOSI NOMINE EJUS ou pourquoi faisons-nous le fier (au nom de celle-ci) en excipant de celle-ci? DOLOR PUNGIT La douleur te (point) tourmente, VEL FODIAT SANE, même qu'elle te déchire, je le veux bien, SI ES NUDUS Si tu es (nu) désarmé, DA JUGULUM (donne) tends la gorge; SIN TECTUS ARMIS VULCANIIS Si au contraire, tu es couvert des armes de Vulcain, ID EST FORTITUDINE, RESISTE c'est-à-dire du courage, résiste. ENIM NISI FACIES ISTA En effet, si tu ne fais pas cela, HAEC, CUSTOS DIGNITATIS, ce courage, gardien de ton honneur, TE RELINQUET ET DESERET te quittera et t'abandonnera.

34: QUIDEM LEGES CRETUM Certes, les lois des Crétois, QUAS SIVE JUPPITER SIVE MINOS SANXIT que soit Jupiter soit Minos a consacrées (SANCIO: rendre inviolable par un acte religieux, cf. la formule d'exécration des tribuns de la plèbe: SACER ESTO) QUIDEM DE SENTENTIA JOVIS certes sur avis de Jupiter, UT POETAE FERUNT comme les poètes le rapportent, ITEMQUE LYCURGI de même que celles de Lycurgue ERUDIUNT JUVENTUTEM LABORIBUS forment la jeunesse par les efforts, VENANDO, CURRENDO, ESURIENDO, SITIENDO, en chassant, en courant, par la faim, par la soif, ALGENDO, AESTUANDO, par le froid, par la chaleur. VERO SPARTAE PUERI ACCIPIUNTUR Mais à Sparte les enfants sont reçus AD ARAM VERBERIBUS SIC à l'autel avec des coups tels UT MULTUS SANGUIS EXEAT E VISCERIBUS que beaucoup de sang sort de leur chair (les VISCERA UM est ce qui se trouve en fait sous la peau) NON NUMQUAM ETIAM (non jamais) parfois même AD NECEM jusqu'à la mort, UT AUDIEBAM CUM ESSEM IBI comme je l'entendais dire lorsque j'étais là-bas. NON MODO NEMO QUORUM EXCLAMAVIT UMQUAM Qui plus est (traduction de l'élément de liaison du relatif de liaison QUORUM) non seulement aucun d'entre eux ne poussa jamais un cri SED NE QUIDEM INGEMUIT mais pas même n'émit un simple gémissement. QUID ERGO? Quoi donc? PUERI POSSUNT HOC des enfants peuvent supporter cela, VIRI NON POTERUNT, et des hommes ne le pourront pas? ET MOS VALET Aussi la coutume triomphe-t-elle, RATIO NON VALEBIT? + et + la raison ne triomphera pas?

35: ALIQUID INTEREST INTER LABOREM ET DOLOREM (Quelque chose) Une différence existe entre l'effort et la douleur. SUNT OMNINO FINITIMA Ils sont absolument voisins, SED TAMEN ALIQUID DIFFERT Mais cependant quelque chose diffère. LABOR EST FUNCTIO QUAEDAM L'effort est une fonction déterminée VEL ANIMI VEL CORPORIS soit de l'âme soit du corps OPERIS ET MUNERIS GRAVIORIS à la tension physique et morale assez soutenue (génitif de qualité), DOLOR AUTEM + EST + MOTUS ASPER IN CORPORE la douleur en revanche est un mouvement rude dans le corps ALIENUS A SENSIBUS (étranger) contraire à ce que nos sensations. ILLI GRAECI, QUORUM LINGUA EST COPIOSOR QUAM NOSTRA Ces fameux grecs, dont la langue est plus riche que la nôtre APPELLANT HAEC DUO UNO NOMINE désignent ces deux notions d'un seul terme. ITAQUE ILLI APPELLANT HOMINES INDUSTRIOS C'est pourquoi ces derniers appellent les (êtres humains) gens actifs STUDIOSOS des passionnés VEL POTIUS AMANTES DOLORIS ou plutôt des amants de la douleur, NOS COMMODIUS LABORIOSOS nous plus justement des gens laborieux (workjunk?). ENIM LABORARE EST ALIUD, DOLORE + EST + ALIUD. En effet, s'efforcer est une chose, souffrir en est une autre. O INTERDUM INOPS VERBORUM O parfois pauvre en mots, QUIBUS PUTAS TE ABUNDARE SEMPER, GRAECIA dont tu penses que tu abondes toujours, Grèce! DOLORE, INQUAM, EST ALIUD, LABORARE + EST + ALIUD. Souffrir, dis-je, est une chose, s'efforcer en est une autre. CUM VARICES SECABANTUR GAIO MARIO, DOLEBAT Quand les varices étaiant coupées à Gaius Marius, il souffrait. CUM DUCEBAT AGMEN MAGNO AESTU, LABORABAT Quand il menait son armée sous une forte chaleur, il s'efforçait. EST TAMEN INTER HAEC QUAEDAM SIMILITUDO IL existe cependant entre ces deux notions une certaine similitude; ENIM CONSUETUDO LABORUM EFFICIT En effet (l'habitude) la pratique des efforts produit PERPESSIONEM DOLORUM FACILIOREM une endurance aux douleurs plus accessible.

36: ITAQUE ILLI QUI DEDERUNT GRAECIAE C'est pourquoi ceux qui ont donné à la Grèce FORMAM RERUM PUBLICARUM la forme de ses constitutions VOLUERUNT CORPORA JUVENUM ont voulu que le corps des jeunes gens FIRMARI LABORE soit affermi par l'effort. QUOD SPARTIATAE TRANSTULERUNT C'est ce que les Spartiates ont étendu ETIAM FEMINAS même à leurs femmes QUAE IN CETERIS URBIBUS CULTU MOLLISSIMO qui, dans les autres cités au comportement (très raffiné) décadent OCCULUNTUR UMBRIS PARIETUM sont cachées par l'ombre des murs. AUTEM ILLI VOLUERUNT NIHIL HORUM Au contraire, ceux-ci n'ont voulu que rien - de ces choses - ESSE SIMILE (ne soit semblable) ne se retrouve APUD VIRGINES LACAENAS chez ces jeunes filles laconiennes QUIBUS PALAESTRA, EUROTA, chez lesquelles la palestre, l'Eurotas (la rivière qui passe à Sparte, donc la nage), SOL, PULVIS, LABOR, MILITIA EST MAGIS IN STUDIO le soleil, la poussière, l'effort, l'exercice militaire (est: accord avec le plus rapproché en latin) sont plus (en zèle) prisés QUAM FERTILITAS BARBARA que la fécondité barbare. ERGO IN EXERCITATIONIBUS LABORIOSIS Donc, au cours de ces exercices où l'on s'efforce, ET DOLOR INTERCURRIT NON NUMQUAM (et) la douleur intervient (pas jamais) parfois - IMPELLUNTUR, FERIUNTUR, ABJICIUNTUR, CADUNT (ils) on est bousculé, frappé, jetté au sol, on tombe, ET LABOR IPSE et l'effort lui-même OBDUCIT QUASI QUODDAM CALLUM DOLORI oppose comme une sorte de cal à la douleur.

commentaire

Un  texte vivant, en fait, malgré certains exemples trompeurs, profondément romain

1) un texte vivant, enlevé, qui n'a pour rôle que de donner des exemples précis - tiré de l'étude du langage (la douleur-effort, DOLOR-LABOR auquel correspond le seul PONOS grec) ou de l'expérience vécue - en privilégiant l'effort:

a) vivacité de l'énonciation: l'auteur conduit le débat: par le pronom EGO en extraposition emphatique, les verbes à la première du singulier: MALO, NON NEGO, SED DICO, INQUAM. Il intervient dans le débat en faisant référence, sinon à son expérience personnelle: AUDIEBAM, du moins à un témoignage reçu directement: CUM ESSEM IBI (-79/-78). Le pronom de 2ème personne est employé avec des valeurs différentes: d'abord un interlocuteur virtuel, féru d'art corinthien, un collectionneur esthète; il y a donc peu de chance qu'il s'agisse de notre jeune homme devant lequel Cicéron fait sa leçon: SCIS, AMISERIS (deux fois), ERIS CONFESSUS, HABITURUM pour les verbes, TUIS, TE, trois fois pour les formes non verbales. Ensuite, l'auditeur est interpellé, par l'anaphore des NUM, puis le POTES; brutalement, et de façon inattendue, ce qui réveille l'attention de son auditeur-lecteur, Cicéron semble sortir du cadre de l'interlocution avec le AUT PHILOCTETAM ILLUM, repris par ILLE, le QUI. Il reprend le dialogue (nous avons vu combien il était fictif, puisque c'est Cicéron qui a quasi constamment la parole, en donnant lui-même les réponses aux questions rhétoriques qu'il pose), avec la dissension violente induite par le AT en début de phrase et la force du préverbe: DIS-CEDERE. Cicéron généralise ensuite en dépassant le cadre de son duo: le EXORNAMUS, puis SUMUS ne renvoient pas à des référents précis dans le réel, ceci est global et concerne en fait tout un chacun. Comme est générale la 2ème du sg qui suit: ES, DA, RESISTE, FACIES et TE en facteur commun de RELINQUET et DESERET. Mais ces exhortations peuvent tout aussi bien s'adresser à son interlocuteur. Le paragraphe suivant se situe hors de ce cadre puisqu'il fait appel à la culture générale; après cet apparent oubli de l'autre, Cicéron reprend par des interrogatives brutales. Il n'y a pas de réponse, puisqu'elle coule d'elle-même. La réflexion générale reprend, sans être coupée par un NOSTRA global, puis NOS. Cicéron invoque alors la Grèce: TE PUTAS, GRAECIA; elle semble avoir la compréhension difficile: INQUAM. Aussi Cicéron se répète-t-il, comme pour un enfant un peu niais. Il achève par le rappel des varices de Marius. Cette rupture due au trivial participe bien sûr à la vie de ce texte... Et Cicéron de continuer son exposé, en faisant référence aux... femmes. La conclusion peut alors tomber: ERGO, ET... ET.

b) Le travail stylistique dans ce passage est aussi enlevé et permet à l'auditeur-lecteur de suivre. Nous ne commenterons pas la longue interrogation indignée composant la fin du § 32, remarquable par ex. par ses I, voire ses -IS du début, le rapprochement surprenant entre SUPELLECTILEM bien concret, au ras du sol, et le VIRTUTEM, le jeu entre UNAM et NULLAM; cette interrogation semble se prolonger sur le 33. Mais l'accumulation des phrases sèches, avec le verbe au début, induit un changement de ton, comme semblant vouloir nous pousser dans nos derniers retranchements. Contentons-nous d'observer rapidement quelques éléments du paragraphe suivant (34), qui fait appel à la culture générale; certes, il est apparemment nettement moins tendu: il évoque deux exemples précis, mais les accumulations des gérondifs (et leur jeu sémantique), la référence sacrée: JUPPITER, voire MINOS (Fénelon s'en souviendra dans ses Aventures de Télémaque), LYCURGI, ou l'évocation des mythes (UT POETAE FERUNT), les nasales finales de: NUMQUAM ETIAM... CUM...ESSEM... AUDIEBAM... NECEM... QUORUM - les QUORUM NON MODO NEMO avec leur voyelle [O], les clausules AESTUANDO et NON VALEBIT en dichorée (=2 trochées, la dernière syllabe étant comme toujours indifférenciée), la présence des connecteurs logiques: QUIDEM (deux fois), le balancement du SIVE... SIVE, l'accumulation des négations: NON NEMO NUMQUAM, tout concourt à vivifier aussi ce §. Il serait fastidieux ici d'appliquer le même traitement aux § 35 et 36, mais si tu manques d'idées pour ton commentaire oral au bac, ne te prive pas, cher(e) candidat(e) - ne sois pas, comme l'étymologie pourrait t'y induire subrepticement et perfidement, une oie... blanche - ne te prive pas, dis-je - et je t'y convie avec la dernière énergie - de ces remarques formelles pour nourrir ta réflexion et l'appuyer sur des critères formels indiscutables, même si leur interprétation reste sujette à caution: analyse les variations dans les accumulations, essaie de trouver une clausule, mentionne les connecteurs logiques, les dissymétries, les parallélismes, les échos sonores, qu'ils soient consonne ou voyelle, bref, les figures de style ou tropes.

c) Mais tout ce travail pour suivre quoi? l'intérêt principal de ce passage réside dans la distinction LABOR et DOLOR. Ce qui est un peu réduit et manque quelque peu d'ambition; serait-ce d'ailleurs que ceux qui visent plus haut sont imbus d'eux-mêmes? GLORIOSI SUMUS, avec le faux-semblant: NOMEN, celui des faux-sages, les PHILOSOPHI (et non les SAPIENTES), les professionnels de la sagesse. Mais par-delà son désir de rester ancré dans le réel - au rebours des stoïciens - en académicien orthodoxe, Cicéron est pris ici en flagrant délit de... d'aucuns diraient remplissage, délayage, voire bavardage: certes, nous trouvons des formules bien frappées, de brèves allusions à des souvenirs personnels - reposant en fait sur des on-dit - mais tout ceci reste succinct et n'apporte rien de nouveau au débat ni de perspectives différentes, le point de vue reste le même: Cicéron se contente d'apporter de nouveaux arguments pour mieux supporter la douleur: la vertu est une et indivisible, elle implique la résistance à la douleur, donc le courage (ex. de Philoctète); ce dernier s'entretient par l'entraînement, la confrontation à la souffrance physique, voire à la violence. L'habitude de l'effort, du dépassement de soi est essentiel ici et n'est pas sans rapport avec la souffrance. Le dernier argument n'est pas le moins fort; ce que femme peut, l'homme le veut. Mais sa conclusion est floue, QUASI QUODDAM CALLUM OBDUCIT, ce qui est une ambition somme toute bien humaine, mais limitée... Elle est d'ordre pratique et non éthique. Mais c'est que ce texte est profondément romain...

2) nous sommes donc sensible à son ethnocentrisme: il prône les qualités romaines vu le chauvinisme étriqué dont fait - volontairement - preuve Cicéron: n'oublions pas que le parangon du MOS MAJORUM, Caton l'Ancien, parlait le grec en s'en cachant aux yeux du public et que César est mort en grec: kai su teknon. De même, dans ses plaidoyers contre Verrès, Cicéron dénonce comme décadente la passion de ce dernier pour les vases corinthiens (SIC! Ce d'autant plus qu'un siècle plus tôt, les romains faisaient le sac de cette ville... au reste, la précision dont fait preuve en l'occurrence Cicéron implique chez lui aussi une connaissance approfondie des mêmes objets...)

a) Ceci peut sembler paradoxal car n'affiche-t-il pas plusieurs fois des exemples claironnants de la vertu spartiate? Notons d'abord que celle-ci se détache des autres cités grecques, expédiées d'une brève formule: MOLLISSIMO CULTU en 36. Reste LYCURGI, SPARTAE en début de phrase, puis SPARTIATAE. Mais ces exemples concernent d'abord des enfants: PUERI (deux fois), puis des femmes (FEMINAS, VIRGINES), donc des mineurs au sens légal du terme. Et si les spartiates représentent implicitement l'ancien fond sévère romain, en fait, ils appellent les romains non à les imiter mais à les dépasser: sont très clairs à ce propos les deux termes: VIRI et la RATIO; la MOS permet la maîtrise de la souffrance - l'exemple a la force de l'évidence, les romains - du moins les sages - doivent pouvoir faire mieux.

b) De fait, à bien lire le texte, le mépris pour les grecs est évident (et Octave se resservira de ce préjugé contre les gens de l'Est, de l'Orient, dans son conflit ultérieur avec Antoine):d'abord, Philoctète, ILLUM!, a droit à l'injurieux, voire l'injuste: NON FORTIS; il est méprisable: JACET et les 3 vers lui donnent toute latitude pour hurler sans fin et en écho sa douleur. Ce piètre héros est aux antipodes des qualités évoquées au début du § 32. Et pour qui l'imite, la honte du RELINQUET et DESERET. La FORTITUDO, telle une sentinelle, CUSTOS, permet de garder ce qui est essentiel pour un romain, sa DIGNITAS - pensons à leur attention à leur MEMORIA et au culte de leurs ancêtres, donc à leur FAMA. ensuite anti-grecque dans les termes, cette dénonciation de la pseudo-philosophie, celle d'apparat, puisque sans la PATIENTIA (SI NULLA EST) il n'y a plus de raison de s'y référer: EXORNAMUS PHILOSOPHIAM, NOMINE EJUS; En fait, le vrai sage fait preuve, en toute modestie (et non GLORIOSI comme... les stoïciens, ou les cyniques qui cherchaient à causer le scandale - mais en fait pour mieux dénoncer l'hypocrisie de toute société), le vrai sage fait preuve donc de SAPIENTIA, implicite peut-être dans les deux PATIENTIA qui précèdent...

Enfin, cette mise en coupe réglée ne s'arrête pas là. La langue grecque a une réputation surfaite: Cicéron l'accorde, LINGUA EST COPIOSOR QUAM NOSTRA, mais pour DUAE HAEC, ils utilisent UNO NOMINE. Les ILLI sont donc ironiques, puisque encore entachés de leur sens emphatique. Le latin, comme attendu, est plus efficient, plus efficace: COMMODIUS (même si les romains sont peu innovateurs - pensons à leur réticence face aux RES NOVAE, aux difficultés ressenties par Cicéron comme HOMO NOVUS, ainsi qu'à la réaction de Néron face au créateur d'un verre incassable et malléable: il le couvre d'or, et le fait assassiner à la sortie! - ils savent s'adapter aux conditions nouvelles: pensons au corbeau pour transformer un combat naval en combat terrestre). L'hypocrite INTERDUM n'atténue guère la violence de l'INOPS VERBORUM, surtout avec la relative qui dénonce l'autosatisfaction des Grecs (PUTAS SEMPER) et leur superficialité (QUIBUS ABUNDARE). Remarquons que ce terme s'oppose à un laconisme (!), une concision de bon aloi (d'origine militaire?). L'apostrophe GRAECIA fuse donc comme un rejet de cette civilisation, ici battue sur son propre terrain, mais non à son propre jeu, car les romains sont étrangers à cette décadence qui privilégie les VERBORUM, sous-entendu au détriment de la réalité, que les romains savent maîtriser... La preuve objective de la différence à établir, au rebours de ce que semble impliquer la langue grecque, entre la douleur et l'effort est l'avatar du romain-type, une génération avant celle de Cicéron: MARIUS. On retrouve donc le réalisme, le sens de l'anecdote (étymologiquement, morceau choisi, donc révélateur), dont font preuve les portraits et les pièces romaines, le souci du détail concret: VARICES; LABORABAT évoque que la victoire de Marius contre Jugurtha, roi de Numidie, (AESTU) ne s'est pas faite sans mal... Mais l'exemple grec semble trop fort, et Cicéron y revient, car les grecs ont fondé la pédagogie: nous avions rencontré (34): ERUDIUNT JUVENTUTEM LABORIBUS, ce passage semble vouloir se clore sur: CORPORA JUVENUM FIRMARI LABORE (36). Certes, il s'agit des femmes, mais le sujet de verbes accumulés: IMPELLUNTUR, etc. est ambigu, ce d'autant plus que le BARBARA, jugement grec bien sûr, induit une différence entre le non-civilisé et l'occidental. Sans le dire, Cicéron assimile ainsi à Rome, par rapport au reste du monde, ce que la Grèce a... d'efficace. On retrouve alors le bon vieux sens pratique romain (d'aucuns parleraient de Real-Politik), qui ne s'embarrasse pas de questions de principe et sait jouer entre les contraintes de la tradition et celles du réel ! (cf. l'art des augures)

c) car tout ceci met au pinacle la vertu romaine. Moins en tant que PATIENTIA, une vertu, qu'en tant que FORTITUDO, une attitude face à la souffrance et une aptitude à la surmonter. Même les gladiateurs y participent: DA JUGULUM; n'oublions pas que, pour les romains, par-delà leur jouissance obscène à voir la mort, ce spectacle devait amener les jeunes à la mépriser. Le final s'avère paradoxal, prônant les vertus spartiates, choquantes pour un romain bon ton: la femme légale, à Rome comme en Grèce, sert à la reproduction. Certes, la femme n'est pas recluse dans le gynécée à Rome, elle n'en reste pas moins perpétuellement mineure. De plus, que les femmes se forment comme les hommes risquerait trop de les amener à s'en croire les égales. Quoi qu'il en soit, en ce cas précis, les spartiates tenaient à ce que leurs jeunes filles subissent un entraînement physique de type militaire par eugénisme: ainsi elles donneraient naissance peut-être à peu d'enfants - FERTILITAS, du moins à des enfants résistants, ce qui, vu les conditions d'hygiène de l'époque et la mortalité infantile (comme actuellement dans les pays défavorisés: 1/3 la première année, 50% en tout au bout de 5 ans), est à la base d'un renouvellement correct des générations... Les spartiates ne participent-ils pas alors de ce réalisme dont nous avons qu'il était profondément romain? En l'occurrence, ici un grec n'en cache pas un autre, mais un... romain... (astuce vaseuse, excuse-moi! Mais il faut mener le train... du commentaire)