Troisième partie :

La magie, à quel prix ?

          Chapitre premier :  Les Portraits de magiciennes

 

Qui croise la magie, rencontre l’interdit. Les personnages qui désirent rencontrer ceux qui pratiquent la magie, sont sans l’attente. Et lors de cette rencontre cette attente se transforme en angoisse. Quand Encolpe rencontre la vieille Prosélénos, il est déjà conditionné par le lieu de la rencontre, car ce lieu lui rappelle son échec de la veille, nous l’avons vu. Pourtant le lieu n’est pas le seul à mettre le jeune homme dans l’angoisse :

                                               Illa intervenit comitem aniculam trahens

 

Si Chrysis choisit le même lieu, elle répète également sa démarche, presque à l’identique : la veille, elle amenait à Encolpe une maîtresse ; ce jour-là, elle se présente également en compagnie d’une femme. L’angoisse peut alors naître de la mémoire que suscite cette scène, qui semble se rejouer, se répéter. Ce hoquet de l’histoire ne peut que faire écho à l’échec de la veille. Cette femme qui accompagne Chrysis, est peut-être là comme une nouvelle compagne pour Encolpe. Comme s’il allait falloir refaire ce que justement il n’a pas pu faire la veille. Le jeune homme ne peut que se raidir à l’idée de devoir faire l’amour à la "petite vieille", comme traduit Olivier Sers.

 

De cette angoisse devant la magicienne naît une résistance à se laisser approcher par celle-ci. C’est une sorte de combat qui se met en place entre le patient et la praticienne de l’acte guérisseur. Encolpe résiste[1], il recule presque. Et cette lutte intime entre les deux protagonistes est à l’image de celle que met en place la magicienne entre ses propres pouvoirs et ceux du mal, qu’elle veut pour ainsi dire chasser. L’échange d’eau, qui se concrétise dans le crachat réciproque des deux personnages, est une manière symbolique de faire sortir le mal d’Encolpe et de le remplacer par le pouvoir de la vieille femme. C’est pour cela qu’elle lui applique sur le front. Elle le marque. Cette marque fait de lui un malade et dans le même temps un futur guéri. Ce premier contact physique est la véritable rencontre entre Encolpe et la magicienne, car il est ce qui visiblement fait d’Encolpe quelqu’un à guérir, c’est à dire une personne sur qui la magie doit et va opérer. Ce signe n’est pas la nota, marque d’infamie, mais bien la marque, à la fois, du mal qui le frappe et du secours que la praticienne des arts magiques peut lui apporter, le signe qui nous renseigne sur la nature du mal et du secours qu’il implique. Il est un signe du fonctionnement de la pensée magique.

 

Rencontrer la magie, c’est bien souvent être touché par celui ou, plus souvent, celle qui la pratique. Et cela se justifie par le fait qu’Encolpe se croit littéralement « touché par un maléfice [2]». L’action magique est pensée comme une violence faite aux choses auxquelles elle s’applique. Le jeune homme pense que le maléfice l’a touché, il faut donc que la magicienne le touche, il faut qu’il y ait un contact physique, pour contrer les effets du maléfice.

Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre des principes même du veneficium qui agit de manière invisible et à distance ? Dans l’acte de la magicienne, il s’agit de réparer le mal produit par le veneficium supposé, c’est à dire de pratiquer ce qui va permettre d’aller à l’encontre de ce mal, de produire un effet inverse. C’est pourquoi les modalités du rite magique sont ici l’inversion du mode d’action du veneficium. Les deux conceptions ne sont donc pas contradictoires, mais bien complémentaires.

De plus là où les deux conceptions se rejoignent, c’est dans la contrainte qui s’exerce sur celui auquel toute pratique magique s’applique. Et les mains sont la partie du corps la plus appropriée pour exercer une contrainte sur le corps avec lequel le contact se produit. Ainsi quand la vieille femme palpe le sexe d’Encolpe, c’est pour vérifier que son rituel a fonctionné. C’est surtout pour presser le jeune homme à réagir, en comprimant cette partie intime. La pression physique se double donc d’une pression morale. Les mains de la petite vieille qu’il remplit soudain « d’un immense mouvement », sont ce qui parachève le rite, ce qui fait obéir le jeune homme[3]. Elles participent physiquement à l’ordre prononcé juste avant[4]. Elles sont l’expression physique de l’ordre, une modalité de la contrainte.

Il en est de même un peu plus loin dans le texte, puisque, l’effet n’ayant duré qu’un certain temps puis s’étant dissipé, Prosélénos, très fâchée contre Encolpe, l’agrippe et le tance vertement[5]. Ses mains sont ce qui annonce la parole. Elles la préparent. La violence du geste annonce la violence des mots.

Quant aux mains d’Encolpe, elles sont sollicitées quand il s’agit de lire son avenir dans le vin : ses mains sont placées entre le vin d’où la lecture se fera et les mains de la magicienne[6]. Comme si elles permettaient , elles aussi, la lecture de l’avenir, comme si l’avenir d’Encolpe pouvait se lire à travers ses mains. C’est le seul exemple de la littérature latine où on peut voir apparaître une forme de chiromancie. Mais on ne lit pas ici les lignes de la main. Les mains sont disposées au dessus du liquide qui permet de lire l’avenir du jeune homme. Ses mains peuvent se refléter dans le vin, mais surtout peuvent communiquer au vin les réponses que la magicienne, grâce à ses pouvoirs, peut extraire et lire.

Si le vin est placé infra manus, qui sont elles-mêmes sous les mains de la magicienne, c’est pour mettre chaque élément à sa place, pour renvoyer chaque élément à sa place dans l’univers, pour établir une sorte de hiérarchie dont chaque élément est localement déterminé. Du microcosme du rite, on passe au macrocosme de la pensée : la magicienne au-dessus, puisqu’elle sait communiquer avec les divinités d’en haut ; le patient au milieu qui correspond au cercle de la terre ; le vin par lequel la lecture est possible, en bas, car ceux d’en bas favorisent les arts magiques, car au reflet des mains dans le vin correspond le reflet du monde des vivants dans celui des morts, qui sont également localisés en bas et possèdent un savoir auquel seuls les magiciens ont accès. Et c’est ce reflet qui apporte la connaissance de ce qui est à venir. La structure du rite et son fonctionnement renvoient ainsi à l’organisation du monde, et plus exactement aux représentations mentales qui y sont rattachées.

 

« Pourquoi le demander, au lieu d’en faire l’essai ? » Voilà ce que dit fièrement Encolpe guéri, à son aimée. La jeune femme après avoir fait sa demande, fait l’essai des forces d’Encolpe. Celle attitude est exactement celle de la magicienne qui, après avoir prononcé une incantation qui est le plus souvent formulée sous la forme d’une demande, fait l’essai des forces viriles du jeune homme. Cette scène se présente comme une parodie de scène amoureuse, plus exactement comme une mise en scène analogue à celle d’un jeu de séduction.

Cette mise en scène trahit également le rôle que veut jouer Encolpe. En effet avant de perdre ses moyens, il a séduit la maîtresse de Chrysis, Circé, en usurpant le nom choisi de Polyaenos. Or Πολύαινος est le nom que les Sirènes donnent à Ulysse[7], et justement Encolpe perd, lors de cette aventure, la puissance sexuelle qui faisait de lui un héros[8]. Et il y croit vraiment, au point de penser entendre «  le chœur des Sirènes chantant dans la brise [9]». C’est l’épithète du voyageur qu’il usurpe, qui signifie "riche en conseils" ou "tant vanté", "célèbre"[10]. Se présentant comme un voyageur, déclinant une fausse identité, il joue un rôle : le voici comme un nouvel Ulysse, qui lui aussi usurpe différentes identités. Il en prend l’épithète, et va jusqu’à rejouer la scène où les Sirènes tentent de le séduire. Il se croit sur scène. Il se met en scène en se prenant pour un héros.

C’est pour mieux le faire chuter et mieux faire ressortir le ridicule de son personnage que Pétrone le représente si insouciant, si instable. Lui qui se veut célèbre et digne de grands éloges, comme l’indique l’usurpation de ce nom, voici qu’il perd tous ses moyens, et se trouve ainsi mis à l’épreuve. Cette mise à l’épreuve est aussi ce que mime le rite magique. Car en tâtant son sexe, la magicienne le met à l’essai ; elle met à l’épreuve les capacités physiques d’un jeune homme jusqu’alors bien prétentieux. Et c’est sans doute parce qu’il ne doute pas de lui-même, à l’inverse de Circé son amante, qui ce demande si le mal ne vient pas d’elle, qu’il met sa défaillance au compte d’un maléfice extérieur. C’est parce qu’il ne peut croire que la défaillance vient de lui, qu’elle est en lui, qu’il la repousse vers une extériorité, d’où viendrait ce manque. Cette extériorité comprendrait donc bien un manque. Si Encolpe manque à ses devoirs envers sa maîtresse, c’est selon lui qu’il manque à cet Extérieur quelque chose : sa défaillance renvoie donc à une défaillance extérieure qui se serait glissée en lui. Cet Extérieur n’a pas simplement le pouvoir de créer le manque, il est ce manque. Et ce manque, seule la magie peut y remédier. Elle peut rendre ses forces à Encolpe, comme elle peut combler le vide d’un Extérieur qui lui aussi apparaît comme impuissant. La magie seule peut faire agir le monde, comme elle peut, seule, faire réagir le corps d’Encolpe.

C’est pourquoi il faut contraindre ce jeune homme, quitte à lui faire violence, car c’est semble-t-il la seule voie possible, la seule possibilité pour répondre à la défaillance des corps, à la défaillance du monde. Ce corps qui ne répond pas, est à l’image de ce monde qui, sans la magie, n’apporte pas de réponse.

 

Si c’est la part d’inconnu en nous que suscite la magie, en promettant des réponses rapides et efficaces à des maux d’origine inconnue ou trouble, il y a également dans les représentations littéraires des pratiques magiques, qui nous sont parvenues, une place importante pour ce qui est connu, mais qui, bien que connu, dérange.

Il convient ici de recourir à une distinction entre angoisse et peur, qu’explicite avec clarté Jean Delumeau[11]. Si « la peur a un objet déterminé auquel on peut faire face », en revanche, l’angoisse  « est vécue comme une attente douloureuse devant un danger d’autant plus redoutable qu’il n’est pas clairement identifié ». Cette distinction explicitée par J. Delumeau se base sur l’objet du sentiment ressenti. En fonction de la connaissance que l’on en a, le sentiment penchera tantôt vers la peur, tantôt vers l’angoisse, les deux pouvant interférer. Cette distinction renvoie donc à la perception du monde extérieur, ainsi qu’aux représentations mentales qui s’y rattache, et non à la nature de ce monde.

 

Ainsi quand un personnage comme Encolpe est victime de la déstabilisation que crée à dessein la magicienne, c’est à dire celle qui pratique un art si peu enclin à se laisser appréhender et cerner, on peut à juste titre parler d’angoisse. S’il ne sait pas exactement ce qui va lui arriver, il sait en revanche ce qu’il rencontre : une vieille femme. Sa résistance à se laisser approcher est bien double. Il y a la part d’inconnu (son futur ; le mode de fonctionnement du rite) qui le met dans l’angoisse, et la part de connu (le fait que ses forces lui manquent, le fait que la compagne de Chrysis soit une femme) qui lui inspire la peur. A cela il faut ajouter la part de réminiscence symbolique qui le plonge dans le fantasme. Et c’est cette part du psychisme qui résout en elle les deux autres en une combinaison de craintes et de désirs.

 

Cette alliance complexe est mise en exergue par la contrainte qui s’exerce sur celui qui rencontre la magicienne. Car elle représente pour lui un mélange de connu et d’inconnu, mais surtout parce qu’elle le renvoie à lui-même et à la rencontre qu’il est en train de vivre avec la magie. En effet celui qui rencontre la magie se fait violence pour accepter de prendre part au rituel magique. Encolpe résiste à l’action de la magicienne, Didon reconnaît que c’est malgré elle qu’elle en vient à recourir à la magie. La violence est au centre de la quête à laquelle est censée répondre la magie, puisque c’est un acte violent qui pousse à y recourir, et qu’il se double de la violence qu’on exerce sur soi pour accepter que l’action magique ait lieu. C’est une sorte de mal dans le mal. A la douleur amoureuse, on ajoute la douleur personnelle, celle de l’amour propre, à se laisser approcher par un objet de crainte.

 

Les magiciennes font peur. Les représentations qui nous en sont parvenues ne sont pas flatteuses. Elles apparaissent souvent laides, vieilles et à la limite de l’être humain. Chez Pétrone, la magicienne n’est pas appelée saga, on parle d’une petite vieille, anicula, qui prouve par son attitude que ses pouvoirs semblent bien être de l’ordre de la magie. Ce sont les rites qu’elle pratique et l’incantation qu’elle prononce qui nous mettent sur la voie. Pourtant c’est avant tout, comme le pensait Marcel Mauss, le regard qu’on porte sur elle, l’attitude qu’on a à son égard, et la représentation qu’on s’en fait qui confirment qu’il s’agit bel et bien d’une magicienne.

Chrysis la présente comme la solution, quant à Encolpe, il la regarde avec une crainte mêlée de dégoût. Pétrone la représente vieille et repoussante. Elle correspond aux critères de la représentation qu’on s’en est fait au préalable. Comme si la représentation des attributs physiques de la magicienne correspondait à quelque représentation préalable propre à la magie. Il s’agit là du jugement moral qui est porté sur ceux qui pratiquent l’art interdit.

A ceux qui font violence aux dieux, on attribue une capacité à bafouer le sacré au profit de rognures d’ongles ou d’immondices… La transgression des règles établies et l’interdiction prononcée par cet ordre existant, qui se considère brisé en son sein, s’exprime dans une représentation mentale où les praticiens des arts magiques transgressent les critères traditionnels de définition de l’être humain normé, et où ils ne peuvent plus être désignés et reconnus que par les peurs et les angoisses qu’ils font naître autour d’eux.

Le rejet des règles et le refus de l’intégration au corps social qui s’exprime dans la pensée magique se trouvent reproduits dans la représentation de ses praticiens : le refus et le rejet sont ce que font naître comme attitudes des magiciennes comme Prosélénos ou Erichto. Mais si l’exclusion est prononcée, c’est par la société. De leur non-intégration au culte officiel, provient cette mise au ban de la société, qui se manifeste dans les représentations littéraires qui nous sont parvenues, notamment par la laideur, et même parfois par la cruauté, qui selon la tradition aristotélicienne sont à bannir de l’œuvre d’art. Les traits sous lesquels on représente la magicienne sont donc des signes qui permettent au lecteur de reconnaître le personnage à bannir, en l’invitant à le mettre dans la catégories des parias.

Bannir ce type de personnage, c’est exclure de manière délibérée ceux que la société peint sous les traits qui lui déplaisent, à défaut de pouvoir, dans la réalité, les faire disparaître. C’est les rendre étrangement reconnaissables, et laisser apercevoir le mode de fonctionnement de cette société à travers les modalités de sa représentation. C’est laisser entendre que ceux que l’on souhaite exclure sont à montrer du doigt, que dans la Rome impériale, l’exclusion prend une forme démonstrative, qu’elle ne cache pas ce qu’elle refuse d’accepter en son sein, mais au contraire qu’elle le fait ressortir en l’affublant de certains traits. C’est bien une discrimination qui est à l’œuvre ici : donner à certains des traits qui les fassent reconnaître comme objets à bannir, c’est à dire à faire sortir de la société, alors qu’ils ne peuvent qu’en faire partie.

Voilà comment la magie est appréhendée : une part de l’homme, qui est en lui, qui lui est indissociable, et qu’il cherche à affubler de toutes les infamies afin de pouvoir mieux l’exclure de lui-même. C’est cette part de lui qu’il cherche en permanence à fuir, qu’exprime la magie. C’est pourquoi les représentations de la magie sont parcourues par les peurs, les angoisses et les fantasmes. Ils expriment cet interdit qui est la source de la magie. C’est ce qui explique leur place dans les textes que nous étudions.

 

La magicienne met ceux qu’elle rencontre dans l’angoisse dans le sens où elle représente à travers l’art qu’elle pratique, une puissance inconnue. Elle est l’incarnation du lien invisible entre ce monde et la surnature qu’elle met à l’œuvre. Mais c’est surtout dans les modalités du fonctionnement de son art qu’elle signifie à qui la rencontre cet inconnu angoissant. Elle seule sait produire l’action magique ; elle seule connaît les moyens de mettre en mouvement ces forces et ces puissances. Ces moyens sont secrets. On ne les divulgue pas. Tels sont les agrestes litterarumque ignari à qui Pline reproche de ne pas vouloir dévoiler leur connaissance des plantes[12].

C’est l’exclusivité du pouvoir des sorcières, le fait qu’elles seules sachent comment faire agir les forces qu’elles désirent voir à l’œuvre, c’est cette capacité unique à pénétrer les arcanes du monde, qui font d’elles des personnages qui ne peuvent que produire l’angoisse chez qui les rencontre. Le rapport qu’elles entretiennent avec l’inconnu, et le secret dont sont entourés leurs savoirs, voilà ce dont tout humain, sauf elles, se pense exclu. Ce rapport d’exclusivité est à rapprocher de l’exclusion dont elles sont victimes. Cette figure de l’exclusion qu’est le personnage de la sorcière est la projection sociale de cette exclusivité de pouvoir qu’on leur attribue. Les représentations de tels personnages possèdent un point commun : il s’agit d’êtres d’exception, à la limite de l’humain.

 

Médée est ainsi la figure de l’exclue qui, pour aller au bout de sa vengeance, sort même de l’humanité. Quand elle fait couler son propre sang lors du rituel de mort qui sert sa vengeance, elle entame le procédé d’auto-destruction qui trouve son apogée dans le meurtre de ses propres enfants. La violence qu’elle exerce sur ses ennemis et sur elle-même, fait d’elle un monstre, un être qui ne commet pas simplement un crime, mais qui commet le nefas. Cet acte interdit qu’on peut à peine dire, la fait sortir de l’humanité commune. Ce qu’elle commet, les mots eux-mêmes ont du mal à l’exprimer. Le seul terme approprié est nefas, l’interdit qui indique ce qu’il est défendu de faire, mais aussi ce qu’il est défendu de dire.

Cet acte est tel que le langage commun ne peut l’exprimer qu’avec difficulté, cet acte est presque de l’ordre de l’indicible. Son attitude face à la société est telle qu’il faut presque sortir du discours pour l’exprimer. C’est pourquoi, dans la pièce d’Euripide,  Jason ne peut que répéter : « Tueuse d’enfants ! »  Il n’ y a plus assez de mots pour dire ce que la magicienne a accompli dans sa logique de destruction. Il ne reste plus que la répétition, plus qu’une sorte de bégaiement pour exprimer, c’est à dire faire sortir de soi, la terreur, qui se résout presque en une stupeur muette. De même que le serpent, attiré par le chant de la magicienne, se love puis dans sa danse se fige[13], de même Jason ne peut que se débattre avec le peu de mots qui lui reste, et surtout ne peut que répéter cette expression figée par l’horreur d’un crime indicible. Les voici tous deux transis, recroquevillés, terrassés dans une position quasi foetale. Jason, comme le serpent, se replie sur lui, dans la position d’un enfant qui va naître, mimant ainsi ce que Médée a fait disparaître[14]. Les voici tous deux lovés, dans la position d’un enfant dont le propre est de ne pas savoir parler. Jason ne peut plus que balbutier.

 

L’interdit qui pèse sur les arts magiques se double dans le cas de Médée de celui que représente l’infanticide qu’elle commet. Tous deux sont nefas. Pour Florence Dupont, le nefas apparaît comme « un crime désintéressé, qui semble être sa fin en soi ». « C’est un crime gratuit, éthiquement inintelligible dans la mesure où celui qui l’accomplit n’a rien à gagner dans le monde où il vit, sinon d’être exclu de ce monde qu’il nie [15]». Ce monstre que devient Médée est identifié avec le désordre qu’elle a produit. Elle n’est pas punie. Elle ne peut pas l’être. Elle ne peut qu’être expulsée de ce monde ordonné, celui des hommes et des dieux, où elle n’a plus sa place.

Pratiquer la magie signifie quitter l’ordre établi. Médée va jusqu’au bout de sa logique de destruction, puisque lorsqu’elle tue ses enfants, elle ne pratique pas la magie. Ils ne meurent pas, à la différence de Creüse, sous les coups d’un maléfice. Elle quitte le personnage de magicienne malfaisante et criminelle pour celui d’un être qui par ses actes sort de l’humanité commune, non plus simplement en échappant aux règles établies, mais en commettant l’innommable de ses mains et sans avoir recours aux pratiques magiques. Cette sortie de la magie, qui était elle-même sortie des règles, n’est pas qu’un retour en arrière ou à un état antérieur. Il s’agit bien d’un mouvement double. Comme la magie n’intervient pas, cet acte est d’autant plus odieux, il la rend d’autant plus humainement coupable. Au point que cet acte pratiqué par un être redevenu pour un instant humainement normé, devient par conséquent absolument incompréhensible : il vient de la faire basculer dans l’inhumain.

 

Cette échappée à la commune condition des hommes est également ce qui caractérise la sorcière Erichto. Elle est représentée comme une femme très laide, mais la question qui s’impose est de savoir s’il s’agit bien d’une femme, s’il s’agit bien d’un être humain. Car lorsqu’« elle découvre son visage en écartant ses cheveux [16]», que peuvent bien voir Sextus Pompée et ceux qui l’entourent pour que l’épouvante ainsi qu’un tremblement incontrôlé les gagnent ? Que viennent-ils donc de voir pour avoir « les yeux fixes et le visage sans vie [17]» ?

Il semble que de la vision d’horreur, qu’est à elle seule la face terrifiante d’Erichto, naît un doute : cet être est-il en vie ? Assurément. Mais alors, est-ce un être humain ?

 

Si Erichto est bien l’incarnation du lien entre le monde des vivants et le monde des morts qu’elle sollicite, c’est qu’elle allie en elle la vie et la mort. Son portrait est celui d’une Furie, d’un être infernal qui, s’il peut agir sur le monde des vivants, n’en fait assurément pas partie. Voilà d’où vient la terreur des soldats. Elle est bien vivante mais sa vie n’est pas celle des hommes, elle semble se mouvoir grâce à la vie dont jouissent les morts après leur séjour parmi les vivants. Elle représente la mort au sein du monde des vivants. Son visage a la pâleur du Styx, la couleur de sa peau est celle d’un fleuve des Enfers[18].

Et cette pâleur, elle la communique à Sextus et à ses soldats. Ils perdent les couleurs de la vie et deviennent de la couleur des morts. Ce pouvoir de mort peut communiquer ce qu’elle touche :

                                        Semina fecundae segetae calcata perussit

 

Ses pas brûlent les semences d’une moisson féconde. Elle remplace la vie par la mort. Elle communique la mort comme elle communique avec les morts. C’est pourquoi elle donne un baiser macabre, en leur mordant la langue, aux corps qui viennent de passer d’un monde à l’autre : elle leur confie ainsi « quelque secret sacrilège pour les ombres stygiennes [19]».

Et ce baiser macabre pourrait suffire à dire de l’art de la représentation de Lucain, qu’il relève d’une esthétique du laid, qui embrasse en un baiser des fantasmes allant de la nécromancie à la nécrophilie.

 

Si le personnage d’Erichto peut faire naître la peur, c’est qu’il allie à des éléments surnaturels des traits bien réels. La peur naît de cette hébétude à trouver chez ce personnage des éléments presque familiers, mais qui n’ont rien d’humain. Le tremblement que la sorcière provoque trouve notamment sa source dans l’alliance dans le même personnage d’une laideur humaine et d’un bestialité toute animale.

Erichto est dite effera[20], sa tête est celle d’un bête féroce[21]. Son apparence est plus celle d’un fauve que d’un être humain.

                                                  Tunc omnis avide desaevit in artus

                                        Inmergit manus oculis gaudetque gelatos

                                        Effodisse orbes et siccae pallida rodit

                                        Excrementa manus [22].

C’est avec impatience qu’elle se jette sur les corps pour les dépecer, presque les dévorer. Car avide suggère aussi une sorte de voracité, presque de gourmandise. Elle se plaît à ronger les restes desséchés, à plonger ses mains dans les yeux qu’elle fait éclater. Son plaisir vient de la destruction qu’elle produit, mais surtout d’un goût morbide à se rouler presque sur le cadavre, à s’y vautrer. Tel un animal qui se roule dans des immondices, elle se souille avec délectation en se maculant du sang et des restes des corps morts.

Quand ses mains n’arrivent pas à déchirer certaines chairs, elle n’hésite pas à se servir de ses dents. Elle fait de sa bouche, de ses dents des instruments commodes pour arriver à ses fins[23].

Cette bouche qui sert d’habitude à parler, à se nourrir ou à embrasser, voici qu’elle sert ici à la menace, au dépècement et à la morsure. Le baiser macabre d’Erichto devient une morsure mortelle pour ceux qu’elle approche.

 Elle n’est d’ailleurs pas la seule à utiliser ses dents comme un véritable outil. Alors qu’Encolpe épluche soigneusement à la main les fèves qu’on lui a ordonné d’éplucher, la vieille Oenothée se met à les écosser avec les dents[24].

 

Il est également manifeste que le langage d’Erichto n’est pas celui de l’humanité commune. Lors du rituel qu’elle pratique, elle produit nombre de sons inintelligibles qui ressemblent à des bruits d’animaux.

                                                               Murmura primum

                 Dissona et humanae multum discordia linguae [25]

 

Elle s’exprime et communique avec les puissances de la nature par les bruits de la nature, puisqu’elle va jusqu’à rendre « les balbutiements de l’eau, le bruissement des forêts et le tonnerre de la nuée qui crève [26]». Quand la colère l’envahit devant l’esprit du mort qui rechigne à réintégrer son corps, elle s’emporte contre les divinités et aboie contre elles. Elle communique avec les puissances infernales par un aboiement. Elle s’exprime envers les dieux, précisément comme eux-mêmes, et particulièrement Hécate, peuvent communiquer avec les magiciennes. Hécate aboie trois fois pour signaler à Médée que son rituel a fonctionné, que sa vengeance s’accomplira.

 

                            Vota tenentur : ter latratus

                            Audax Hecate dedit [27].

 

S’il s’agit bien d’une manière de communiquer, cet aboiement n’est pas de l’ordre du discours, à l’instar du personnage d’Erichto qui ne relève pas de l’humanité. En aboyant contre les divinités, la magicienne se présente comme pouvant communiquer avec ces divinités grâce au langage qu’elles-mêmes emploient, mais pour cela, elle utilise un son animal. Elle sait établir un lien avec des entités non-humaines, et pour cela elle emploie des sons qui ne sont pas humains.

 

La ressemblance avec les bêtes est à son apogée lorsqu’après avoir produit des sons que d’habitude produisent les animaux, de l’écume sort de sa bouche et la fait physiquement ressembler à une bête furieuse. D’ailleurs la proximité qu’elle entretient avec eux, laisse penser qu’elle fait partie à sa façon du règne animal, à la différence de Circé, qui tient en respect même les animaux sauvages, lions et loups des montagnes qui sont charmés par ses drogues funestes[28]. Car elle approche, sans problème aucun, et surtout sans précautions préalables, nombre d’animaux qu’elle découpe pour les mettre dans ses potions, mais aussi de bêtes particulièrement féroces, comme les loups à qui elle sort de la gueule des membres humains par eux mâchés, car elle n’avait pu elle-même les sectionner[29]. Elle côtoie également les fauves et les oiseaux de proie qu’elle tente de devancer pour incorporer à ses potions des morceaux de choix[30].

Ainsi elle se ceint les tempes d’une couronne de vipères[31], et telle Méduse, pétrifie le regard qu’on porte sur elle. On ne peut que s’arrêter à la vue d’un tel être, à la lecture d’un tel vers. Pour Sextus et ses hommes, le temps est comme suspendu. Leur vie s’est pour un instant arrêtée. Leur visage en perd toute expression de vie[32]. Leurs yeux se figent et fixent cet être devenu en un instant fabuleux, alors qu’il l’ont sous les yeux. Les voici hypnotisés, comme condamnés à regarder ce personnage terrifiant, et quasiment à  mourir de peur.

 

Et si elle inspire la terreur aux hommes, même les animaux semblent vouloir la fuir. Car quand elle va chercher le cadavre qu’elle fera par la suite parler, « les loups prennent la fuite, tout comme les oiseaux inassouvis, aux serres repliées [33]». Et si les animaux fuient, c’est parce qu’Erichto se met à pratiquer la magie. Avant de se rendre dans ce lieu, elle a par son art doublé l’obscurité de la nuit, « et noctis geminatis arte tenebris ». Même les animaux prennent peur, pressentant sans doute quelque catastrophe naturelle, ou quelque acte surnaturel.

La peur que fait naître le personnage d’Erichto provient de cette alliance insolite d’éléments pour le moins connus et reconnaissables : la laideur d’une vieille femme, la couleur de la mort, les bruits et les attitudes des animaux, les sons de la nature. Réunis en un seul corps, en un seul être, ils forment cette alliance troublante d’éléments existants réellement, mais de coutume séparés et propres à des domaines distincts et bien définis.

La peur naît de la coexistence chez le même personnage de tant de traits, qui en font une sorte de pastiche artistique, faisant ainsi sortir ce personnage de l’humanité commune, mais aussi de la représentation de cette humanité. Un tel être est à l’image du désastre qui se prépare : il contient en lui les fantasmes d’un monde en ruine. Le monde que décrit Lucain est sur le point de s’écrouler et de sortir de l’ère de la liberté républicaine, au profit d’un monde de chaos ; de même, sa sorcière est prête à sortir de son humanité pour devenir un objet de fantasmes et de répulsion, comme l’est l’art qu’elle pratique.

 

Quant à la nature réelle d’Erichto, elle ne nous apparaît que par le prisme de sa représentation. Son corps comme son esprit se situent entre la bête et l’humain, autant qu’entre le surnaturel et le contre-nature, puisqu’elle est la seule à se réjouir du massacre à venir de Pharsale. Elle va à l’encontre de la survie du genre humain ; elle est suffisamment hors de l’humanité pour souhaiter le plus grand nombre de morts possible. D’ailleurs, quand Sextus vient la trouver, elle essaie des mots nouveaux et inconnus afin que la guerre ne s’éloigne pas de cette terre maudite qui est la sienne[34]. Elle n’est donc pas simplement criminelle, pas simplement sacrilège. Son esprit va à l’encontre de ce qu’il reste d’humain en elle. Elle ne fait pas partie de l’humanité, en tant qu’ensemble des êtres humains. Elle ne considère les hommes que comme des moyens pour pratiquer son art. Et encore pour cela, il est nécessaire qu’ils soient morts, c’est à dire qu’ils aient quitté le monde des vivants. C’est en cela qu’on peut dire des actes d’Erichto qu’ils sont nefas. Elle n’a rien à y gagner dans le monde des hommes, puisqu’elle vit à l’écart, sinon d’être exclue de ce monde qu’elle nie, pour reprendre les mots de Florence Dupont. Elle se situe en marge du monde des vivants et du monde des morts. Elle est l’incarnation de cette limite.

 

 

 

La représentation littéraire de la sorcière est bien en accord avec la représentation mentale qui s’est dessinée dans la première partie. La magie était apparue comme une sorte de monstre de la pensée, comme une monstruosité parmi les phénomènes religieux qui consistait à mélanger les savoirs, et à produire un syncrétisme de plus, au point d’être confondue avec d’autres religions, et de subir le même sort qu’elles : l’expulsion. C’est ce geste qui bannit qu’il nous reste à interroger.

 

Chapitre II :  Le danger, une réaction sociale face à la magie

  

 

La magie apparaît comme un art dangereux face auquel, pour nombre de Romains, il convient de prendre une prudente distance, afin de pouvoir mieux la juger, et souvent la condamner. Le jugement que porte Pline sur les arts magiques[35], et les différentes condamnations, lors de procès réels, qui les ont frappés, doivent être interrogés.

Pourquoi s’agit-il de prendre de la distance face à ces pratiques ? Pourquoi les condamne-t-on ? Pourquoi tient-on à faire sortir de la cité et à marquer distinctement ceux qui les pratiquent ?

 

C’est que la magie représente bien un danger, ou plutôt qu’on se la représente comme un danger. Et la crispation d’une société pour expulser ceux qui la pratiquent, reflète la crispation intime face à des désirs et à des fantasmes dont la magie toute entière promet la réalisation. Car si le but de l’action magique est bien de réaliser un désir, en agissant sur l’objet de ce désir, sa réalisation, quant à elle, c’est à dire l’acte magique en lui-même, se trouve du côté de l’angoisse et de la peur.

« La magie, domaine du désir [36]», comme l’écrit Marcel Mauss, est également exploitation des craintes, et plus encore, mise en scène de ces craintes. Si une société, où se pratique la magie, se crispe devant les phénomènes qui y sont liés, au point de vouloir les expulser, dans l’espoir secret que la magie elle-même disparaisse, cela révèle une chose. C’est la volonté de s’attaquer à la pensée magique, de la nommer, de dénoncer son fonctionnement et ses pratiques ; cela revient à regarder en face ce réceptacle de craintes et de désirs inavoués, et à vouloir en un geste civique (le procès ou le livre) les faire sortir de la société. Et cela nécessite d’en faire sortir les individus qui, de ces craintes et de ces désirs, sont comme les dépositaires.

Attaquer la pensée magique au sein de la cité, c’est quasiment bannir la pensée symbolique, ou plus exactement la reléguer à des objets légaux et encadrés par les lois de cette cité. C’est restreindre le champ de la pensée symboliquement libre, pour y mettre des limites légalement emprisonnantes. Car limiter le champ du sacré, c’est dire de ce sacré qu’il est délibérément déterminé. Vouloir empêcher la pratique de la magie, c’est choisir la voie de la raison policée, quitte à détruire la part de déraison de l’homme, qui s’exprime en ce refus de s’intégrer au corps social. C’est peut-être même délibérément choisir de détruire cette part de déraison, au profit d’une raison, qui dans le cadre de la cité, comme dans celui de l’intime, est avant tout une chose morale. Ce geste qui exclut de la société, révèle alors une pénétration de la sphère civique au sein de l’intime individuel.

 

Il s’agit de se tourner vers les accusations de magie qui ont eu lieu à l’époque impériale. Henri Janne met en avant qu’en 16 ap. J. C., les mathematici sont expulsés de Rome[37]. C’est le terme sous lequel on désigne les astrologues. Tacite présente cette mesure comme une conséquence du procès de Scribonius Libo, condamné pour magie. Et Suétone de dénoncer l’accusation, montée de toute pièce par Tibère arrivé au pouvoir en 14, contre ce jeune révolutionnaire.  « Res novas moliebatur [38]» dit l’historien. Cet exemple vise à montrer que l’accusation de magie peut servir de prétexte à des gens de pouvoir, pour se débarrasser d’indésirables un peu trop turbulents. Ce geste d’exclusion qui vise un révolutionnaire en herbe, et dans le même temps les astrologues, nous rappelle que les autorités ne distinguaient pas les magiciens de ceux qui s’en rapprochaient, et surtout des  « sectateurs indésirables » pour reprendre les mots de H. Janne. Selon lui, elles en étaient incapables. Nous avons déjà évoqué cette confusion[39].

Pourtant il semble bien dans le cas de Scribonius Libo, jeune noble aux idées peu orthodoxes, qu’il existe une volonté réelle de la part du pouvoir en place d’enfermer sous le nom d’accusés ceux à qui l’on attribue des pouvoirs, et de les expulser de la cité sous celui de condamnés. Il y a là deux types de pouvoir qui se font face : celui de la cité, de l’ordre établi qui a pour nom autorité, et celui des magiciens. Le danger que représente celui des magiciens envahit l’espace de ceux qui, sans recours à la magie, sont jugés dangereux pour l’Etat. Le danger que l’on attribue aux magiciens devient alors un prétexte pour faire sortir du lieu de vie commun ceux qui contrarient l’autorité en place.

 

Selon Fritz Graf, dans les dix accusations, que rapporte Tacite, sous les principats de Tibère et de Néron, dans lesquelles la magie aurait joué un rôle, elle apparaît « toujours comme un fait accessoire, jamais comme seul fait incriminé [40]». Cela montre selon lui que « l’accusation de magie, à elle seule, ne pouvait convaincre les juges et les sénateurs ». Il semble surtout que l’on traite la magie de la même manière qu’on se la représente. A ce qu’on voit comme une sorte de mélange informe de croyances et de pratiques, on applique une méthode qui consiste à mélanger la magie à d’autres motifs d’accusation. Comme pour faire poids dans l’accusation. Produire ce que la magie produit : la peur. Quoi de plus efficace que de faire naître chez les juges la fascination angoissée que produit la magie ? La magie se trouve prise dans son propre étau. On se sert de ce qu’elle représente pour mieux l’abattre. L’accusation de magie peut alors produire le même effet qu’Erichto, coiffée en Méduse, produit pour un instant sur Sextus et ceux qui l’accompagnent [41]: les regards se pétrifient, et dans un temps comme suspendu, ce que l’on voit devient de l’ordre du fabuleux.

 

Il y a dans la magie quelque chose d’hypnotisant ; certaines pratiques ou un instrument comme le rhombe, provoquent d’ailleurs délibérément un effet hypnotique[42]. On est éveillé, et pourtant disparaît une forme de conscience, au profit d’une certaine inconscience. L’acte magique qui se veut réalisation de désirs parfois inavouables, est l’acte qui, ne connaissant quasiment aucune limite, franchit précisément celles de la nature et de la société. C’est en cela qu’on peut dire de la magie qu’elle transgresse ce qui est établi : elle traverse l’obscurité des désirs, qui ne sont des désirs que jusqu’à leur réalisation, et permet d’accéder justement à cette réalisation. Ce qu’elle promet et qu’elle accomplit tout à la fois, c’est le fait de rendre réel ce qui n’était qu’à l’état de fantasme, c’est le fait de donner à voir et à lire l’accomplissement des désirs, projection individuelle des angoisses sociales.

Ce que la société rend coupable, en faisant de la magie une entité à combattre, et des magiciens des gens à abattre, c’est précisément cette attitude face à la possible réalisation des fantasmes. La lumière que la magie apporte sur ces désirs est combattue, comme si le désir devait rester à l’état obscur. Cette crispation interne à une société qui combat la magie existant en son sein, c’est cette lutte contre l’inconscience qui consiste à vouloir et à pouvoir réaliser ses désirs.

Mais il est une autre inconscience frappante : c’est cette lutte avec cette part de soi qu’est le fonctionnement symbolique d’une pensée que d’aucuns voudraient efficace. Cette attaque contre la magie reflète donc une lutte avec la part de liberté qu’il existe dans un symbolisme s’appliquant au sacré. Attaquer la magie, et faire de la magie un objet à abattre, c’est refuser qu’une action symbolique puisse être efficace ; autrement dit, c’est refuser que la pensée d’un être puisse, par une volonté propre et une lecture libre du monde, agir sur ce monde. C’est refuser la lecture d’un monde extérieur grâce à la création symbolique d’un monde intérieur. On pourrait presque aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’exclure que cette lecture du monde puisse motiver une action sur ce monde.

 

Et cette faute à pratiquer la magie que crée la société, est sensible dans l’attitude de ceux qui choisissent d’y avoir recours. C’est malgré elle que Didon fait appel à une magicienne, c’est avec répugnance et en manifestant une certaine résistance qu’Encolpe accepte de participer au rituel magique. Mais cette faute à la pratiquer peut se doubler de celle que l’on a commise auparavant, et qui rend inévitable le recours à la magie, tout en inscrivant ce recours dans un complexe de culpabilité. C’est le cas d’Encolpe qui cherche par le rituel magique à se racheter. Il accepte de vaincre sa répugnance, parce qu’il se sait coupable. En réalité, on a fait de lui un coupable qui doit se racheter. Car de son échec cuisant, il gagne d’être expulsé du lit improvisé ainsi que du couple nouvellement formé. Il va même jusqu’à prendre le rôle de l’accusé[43], se reprocher d’avoir commis une lourde faute et proposer de se racheter[44]. Il prend le rôle qu’on attend de lui : de lui vient la faute, c’est lui qu’il s’agit d’expulser puis de réintégrer grâce au rite magique qui sert de mise à l’épreuve, voire de correction, autant que de remède.

Apparaît là une structure de la pensée antique. Pour les Anciens, il existe une seule et même personne à qui l’on peut attribuer une faute qui pèse sur l’ensemble de la société, et qu’il s’agit d’expulser, afin de faire sortir le mal qu’elle incarne, et de pouvoir la réintégrer dans la société. Et cette cure ne permet pas tant de libérer de ce mal cette personne, que la société qui a fait d’elle à la fois  un coupable à rédimer et un coupable rédempteur. C’est ce que les Grecs désignaient sous le nom de φάρμακος. C’est celui que l’on châtie pour le racheter, mais surtout que l’on désigne comme porteur tout à la fois du mal ainsi que de son remède. On le désigne comme source du mal dans la société mais, dans le même temps, comme celui par qui le mal pourra être expulsé, au prix de sa culpabilité. Il représente donc ce que l’on aimerait voir disparaître et à la fois le remède nécessaire à l’intégrité du corps social .

 

Mais que dire alors de ceux qui veulent faire sortir la magie de la cité ? Cette question nous ramène à l’attitude de l’autorité face à la magie. Elle est condamnée lorsqu’elle est nuisible. Mais là où elle peut produire un acte guérisseur, elle ne l’est pas. Peut-être parce que l’acte guérisseur ne fait que reproduire l’attitude de l’autorité face à la magie nuisible. Montrer du doigt, expulser symboliquement puis réellement, afin de faire sortir ce que l’on désigne comme mal. La magie, quand elle est guérisseuse, n’est pas poursuivie ni d’ailleurs perçue comme gênante, puisqu’elle vise à réparer, et surtout à réintégrer au corps social.

 

Cette volonté de préserver ce qui existe est la marque de l’autorité établie pour qui toute démarche qui ne passerait pas par elle, ou qui n’aurait pas recours à ce qui vient d’elle, est dangereuse. Et ce que l’on a désigné comme acte guérisseur dans notre première partie s’inscrit donc dans la reproduction d’un schéma propre à l’autorité. Ce schéma identification / désignation / expulsion / réintégration, est celui que met en place la magicienne qui guérit Encolpe[45]. La magie qui guérit ne peut donc être poursuivie. Bien que non-officielle, elle ne représente pas le seul recours, mais le seul efficace. Elle est ce qui s’impose, malgré la violence qu’elle fait naître, puisque cette violence est vécue comme réintégratrice. Cette magie guérisseuse n’est donc pas poursuivie car elle est pour ainsi dire une émanation de l’ordre. Elle permet un retour à l’ordre. Cette magie n’échappe pas à la société dans laquelle elle existe ; elle échappe aux sanctions de la loi car elle ne va pas à l’encontre de l’organisation sociale, qui au final la nourrit.

Mais ce n’est pas le cas de la magie nuisible. Et cela ne peut l’être. Car elle vise à détruire et non à reconstruire, à se passer de toute pratique et schéma émanant d’une instance officielle. Pour Fritz Graf, au début de l’Empire, la divination magique peut être accusée soit quand elle vise la maison impériale, en tant que crime de lèse-majesté, soit quand elle prend la forme de la nécromancie, en tant que violation des limites entre le monde des vivants et le monde des morts[46]. Quant à l’action magique qui vise à causer la mort d’un tiers, elle tombe sous le coup de la loi de Sylla De sicariis et veneficiis.

 

Mais il est un cas que les auteurs évoquent souvent : lorsque la magie rend fou. Elle ne tue pas. Mais elle rend inapte à l’exercice de la pensée commune. Et sur cela, Fritz Graf ne dit rien Ce sera la dernière question soulevée dans ce travail. Déterminer en quoi la folie et la magie se rejoignent dans les représentations littéraires des pratiques magiques, et ce que cela peut nous apprendre de la société romaine ainsi que de la manière dont elle perçoit la magie, voilà ce qu’il reste à traiter.

Les incantations et surtout les philtres des sorcières peuvent rendre fou. Ils sont considérés comme nuisibles au sens où ils portent en eux une puissance qui peut rendre fou.

                         Phitra nocent animis vimque furoris habent [47]

Ils peuvent donc faire perdre l’esprit. C’est ce que désire faire Alphésibée chez Virgile en tentant « par des rites magiques d’égarer la raison de (son) amant [48]» ; c’est également ainsi que Juvénal présente ceux dont il se moque : « Ici un colporteur de formules magiques, là un vendeur de philtres de Thessalie souverains pour détraquer la cervelle des maris [49]». Ainsi pour quelqu’un sans scrupule, la magie peut devenir un moyen très utile pour faire perdre la tête à un amant quelque peu oublieux ou refusant de se laisser approcher.

Et si les auteurs ne désignent pas nommément les herbes ou plantes qu’utilisent les magiciennes qu’ils mettent en scène, on peut supposer que ces plantes possèdent un principe actif, qu’elles contiennent donc une ou des substances qui seront ce qui permet à l’action magique d’avoir lieu. Il s’agirait de plantes « qui possèdent une action toxique, narcotique, euphorisante, excitante, et surtout hallucinogène [50]».

On peut alors penser à la famille des Solanacées, famille comportant plus de deux mille cinq cents espèces répandues dans les régions chaudes et tempérées, et plus particulièrement aux Solanacées vireuses. La Jusquiame, la Belladone, le Datura et la Mandragore sont en effet utilisées pour leurs propriétés psychotropes. Elles les doivent à leur contenu en alcaloïdes (atropine et scopolamine).

Les espèces à scopolamine sont puissamment sédatives. Elles peuvent provoquer d’intenses hallucinations délirantes, de l’amnésie et des perte de conscience. La scopolamine est particulièrement abondante chez le Datura, notamment dans les graines.

Quant aux espèces où domine l’atropine, elles provoquent une vive excitation physique et psychique, se caractérisant par une accélération du rythme cardiaque, une diminution des sécrétions -on se souvient d’Erichto à la bouche écumante, et des troubles de la vision.

A la différence d’autres hallucinogènes qui produisent des visions sans cesse en mouvement dont le sujet a généralement conscience du caractère hallucinatoire, les solanacées vireuses provoquent des hallucinations comportant des personnages familiers mais aussi souvent des environnements terrifiants dont rien ne laisse penser au sujet qu’ils sont irréels[51]. C’est en cela que l’on peut supposer que les plantes utilisées par les magiciennes de nos textes étaient sans doute des Solanacées vireuses. La tradition médiévale et de l’époque moderne confirme l’usage de ces plantes. Leur participation à la mise en condition de la cérémonie magique se manifeste par les effets qu’elles peuvent produire. Cela reste cependant une supposition.

 

La magie à elle-seule peut rendre comme fous ceux qui l’approchent d’un trop près. C’est le cas de Lucius qu’Apulée nous présente comme curieux de connaître les secrets de la Thessalie. Lorsque Byrrhène le met en garde contre les pouvoirs de Pamphilé, qui, comme son nom le laisse entendre, désire posséder tous les jeunes gens qu’elle rencontre, voici Lucius qui semble perdre la tête[52] : il n’est plus lui-même. Son désir est si grand qu’il le fait apparaître semblable à un fou[53].

Parler de magie peut faire perdre la tête à qui recherche sa rencontre. Et tout récit de magie implique cette question pour celui qui l’entend : « Suis-je fou ? ». La magie se propose comme une solution, et propose surtout de mettre à l’épreuve sa méthode. C’est la question que se pose Aristomène, lorsqu’il voit se lever son compagnon qu’il a vu la nuit même atrocement mutilé par la sorcière Méroé[54]. 

 

La magie ne peut que déstabiliser ceux qui la rencontrent puisqu’elle agit par des moyens incompréhensibles. On sait qu’une magicienne a le pouvoir d’accomplir des choses surprenantes, mais on ne sait pas comment elle les réalise, c’est à dire comment fonctionne son pouvoir sur le monde. Par ailleurs devant une réalité qui peut changer par l’action de la sorcière, devant ce changement dont le fonctionnement nous échappe, on ne peut que se demander si ce n’est pas son mode de fonctionnement à soi qui est défaillant. Pour expliquer une expérience où l’irrationnel se loge, l’absence de logique ou la déraison semblent être les seuls fonctionnements de l’esprit qui restent .

Or ce ne sont pas les outils communs de la pensée ; et en cela ils posent la question angoissante qui consiste à se demander s’ils ne pourraient pas être par hasard les outils justes de la pensée. C’est de cette manière que la magie et son fonctionnement peuvent rendre fou : pouvant réaliser les désirs, mais d’une manière qui nous échappe, la magie est une exploitation des fantasmes, c’est à dire une incitation au désir, et à un désir sans retenue.

 

C’est cette limite entre le désir et sa réalisation que la magie promet de faire franchir. Et lorsqu’elle touche à des domaines qui touchent eux-mêmes l’autorité en place, lorsqu’elle frappe l’autorité en frappant certaines personnes, elle est condamnée non en tant que magie, mais en tant que réalisation sociale d’un désir individuel, perçu comme dangereux.

 

Lorsque l’irrationnel propose comme voie de l’entendement la voie de la déraison, lorsque la voix des magiciens propose de laisser résonner la voix obscure des désirs, un glissement peut s’opérer : il consiste à allier la magie à la folie. Il consiste à faire de la folie une figure de la magie, à représenter la magicienne comme folle, à unir en un personnage l’appel du désir et l’absence de logique.

 

Médée est représentée chez Sénèque comme une folle furieuse. Les deux thèmes de la folie et de la fureur apparaissent d’ailleurs comme très liés et employés très souvent ensemble. Furor, ainsi que ces dérivés et lymphatus forment une alliance dans des personnages où la colère entraîne des actions démesurées, à la limite du compréhensible.

 

                                     Furoris ore signa lymphati gerens [55]

C’est par les mêmes termes que Virgile peint la folie d’Amata provoquée par la colère de l’impitoyable Junon[56]. Et d’ailleurs les modalités de la folie sont chez la magicienne de Sénèque comme chez la reine de Virgile d’une nature assez spécifique. Quand Amata est véritablement habitée par la furie Allecto, Médée, elle, apparaît comme « qualis entheos [57]», comme si elle était, à proprement parler, possédée par le dieu, comme si elle avait le dieu en elle. Et si la magicienne est peinte sous ses traits, si les autres personnages de la tragédie la décrivent ainsi, on ne peut estimer que cette représentation est innocente.

Dire de Médée qu’elle est demens[58], qu’elle a perdu l’esprit, dire qu’elle est comme hors d’elle même, comme si un dieu la faisait agir, c’est considérer que ses pouvoirs sur le monde, et sa capacité à changer l’ordre du monde sont dangereux, car inhumains. Or les pouvoirs de Médée lui viennent principalement de sa connaissance. Et ce que l’on nomme folie, c’est l’usage de ces pouvoirs, l’utilisation de cette connaissance si secrète qu’est la magie. Cette attitude est celle d’une folle car l’usage qu’elle en fait est dangereux. Mais dangereux pour qui ?

                         Nemo potentes aggredi tutus potest

« On ne s’attaque pas impunément au pouvoir », traduit Florence Dupont [59]. Le danger que représente les pouvoirs magiques de Médée pour le pouvoir en place à Corinthe, est perçu comme assez grand pour que, lors de son entretien avec le roi Créon, on la fasse reculer et surtout qu’on la fasse taire. Ses pouvoirs font peur. Et il s’agit de faire sortir de la cité la peur qu’elle inspire, en espérant que de la cité la Peur sortira avec celle qui l’inspire. La cité est comme possédée par celle que l’on se représente comme une possédée. Ce qu’elle a en elle et qui habite la cité, c’est bien la magie et les peurs qui alimentent ses représentations. Sa présence et sa prise de parole font de la magie un objet du discours. Et faire sortir la magicienne, c’est aussi faire sortir le discours que l’on tient sur elle. Cela n’est pas sans rappeler que la magicienne est avant tout celle que l’on dit magicienne, que la magie est ce que l’on désigne comme magie. Le seul discours qui peut avoir une place dans la cité est celui qui renvoie à cette cité. Le discours qui ne renvoie pas à la réalité est dit fou, et de même la peur qui n’émane pas de l’autorité mais de ce qui s’y oppose, ne peut être dite que destructrice, quand l’autre sera dite unificatrice.

Unir la magie et la folie dans le personnage de Médée, c’est donc avant tout établir des critères extérieurs pour mieux l’entourer et l’exclure. Mais cela ne va pas sans avoir recours à des motifs extérieurs pour expliquer une colère intérieure. Expliquer la magie par la folie, et la folie par la possession, c’est bien chercher des raisons extérieures à un phénomène, pour expliquer ce phénomène. Et ce recours à une extériorité est ici une manière de ne pas dire clairement les fantasmes qui alimentent une telle conception du monde.

 

Un tel glissement est la marque d’une société qui se crispe, et qui identifie comme danger ce qu’elle ne peut encadrer. C’est en cela qu’on peut dire de la folie, à l’instar de la magie, qu’elle est la voix des exclus, comme le dit André Bernand[60]. Elles représentent toutes deux ce que la société combat à défaut de pouvoir le faire disparaître. « La menace d’une pollution générale est une arme qui permet la coercition mutuelle [61]». Et le geste qui vise à exclure Médée sous prétexte qu’elle est folle, est ce geste qui vise à exclure la magie d’une cité, dont l’autorité désire tout régir, jusqu’aux modalités d’accès au sacré.

 

Il apparaît là une ressemblance étrange entre la volonté d’abattre la magie en contrôlant les voies d’accès au sacré, et la volonté d’abattre les frontières, de transgresser les limites, afin d’accéder à l’objet de son désir : c’est le fantasme d’un entendement tout puissant qui réaliserait tout ce qu’il désire. La magie est reléguée à occulter la raison, tandis que l’autorité, elle, recouvre ce qu’elle identifie à la déraison d’un masque de laideur.

Ce glissement pour éliminer le danger que représente la magie, est une simplification qui trouve son apogée lorsque le Christianisme arrive au pouvoir. Le châtiment des désirs jugés impurs est alors clairement exprimé, et la magie expressément condamnée sous toutes ses formes.

 

Voilà ce qui se dessine déjà sous la Rome impériale : une condamnation de la magie quand elle va à l’encontre de l’autorité, qui reflète une condamnation des désirs ne s’inscrivant pas dans la norme. Cela met à jour comment les Romains percevaient la puissance des désirs, celle de la magie, celle de l’Etat : dans un rapport de force où les luttes sociales vis-à-vis du sacré ne font que refléter les luttes intimes entre les possibles et leur accomplissement, entre les désirs et les craintes, entre l’inconnu et la connaissance, entre la conscience de l’ordre et l’inconscience du désordre.


[1] Pétrone, Satiricon, 131, 4, « frontemque repugnantis signavit»

[2] Pétrone, Satiricon, 128  « Veneficio contactus sum »

[3] Pétrone, Satiricon, 131, 6  « manusque aniculae ingenti motu repleverunt »

[4] Ibid. ,  « nervi parverunt imperio »

[5] Pétrone, Satiricon, 133, 4  « iniecta manu… » et 135, 5  «ergo… imperio parete »

[6] Id. , 137, 10

[7] Odyssée, XII, 184

[8] Pétrone, Satiricon, 129 β)  « Funerata est illa pars corporis qua quondam Achilles eram »

[9] Pétrone, Satiricon, 127     « tam dulcis sonum peremptatum mulcebat aera, ut putares inter auras canere Sirenum concordiam »

[10] Pétrone, Satiricon , note 1 p. 215 de Pierre Grimal, Le livre de poche. « Tant vanté » est la traduction de Frédéric Mugler  du vers 184 de l’Odyssée chez Babel p. 217.

[11] Jean Delumeau, La peur en Occident, Fayard, 1978, repris en Poches-Pluriel, Introduction, p. 30

[12] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXV, 16  « Sed quare non plures noscantur causa est quod eas agrestes litterarumque ignari experiuntur, ut qui soli inter illas vivant » , « Turpissima causa raritatis quod etiam qui sciunt demonstrare nolunt »

[13] Sénèque, Médée, 688-690                              « Carmine audito stupet

 Tumidumque nodis corpus aggestis plicat

                                               Cogitque in orbes »

[14] Ces lignes concernant l’attitude de Jason sont inspirées de la mise en scène de la Médée d’Euripide par Jacques Lassale, en 2000, dans la cour du palais des papes en Avignon.

[15] Florence Dupont, La Médée de Sénèque. Comment sortir de l’humanité ?, Belin Sup, 2000, p. 28

[16] Lucain, la Pharsale, VI, 655  « vultusque aperitur crine remoto »

[17] Id. , VI, 658  « exanimi defixum lumina vultu »

[18] Id. , VI, 517  « terribilis Stygio facies pallore »

[19] Id. , VI, 567-569          « siccoque haerentem gutture linguam

                               Praemordens gelidis infundit murmura labris

                               Arcanum nefas Stygias mandavit ad umbras »

[20] Id. , VI, 506-507  « Hos scelerum ritus, haec dirae carmina gentis

                                    Effera damnarat nimiae pietatis Erichto »

[21] Id. , VI, 511   « …ferale caput … »

[22] Id. , VI, 540-543

[23] Id. , VI, 543-544  « Laqueum nodosque nocentis / Ore suo rumpit » ; VI, 449  « …nervo morsus retinente pependit » ; VI, 566-568  « …compressaque dentibus ora / Laxavit siccoque haerentem gutture linguam / Praemordens »

[24] Pétrone, Satiricon, 135, 6  « dentibusque folliculos pariter spoliat »

[25] Lucain, La Pharsale, VI, 686-687

[26] Id. , VI, 691-692, Paris, Belles Lettres,1967, trad. par Abel Bourgery

[27] Sénèque, Médée, 840-841

[28] Odyssée, X, 212-213

[29] Lucain, La Pharsale, VI, 552-553                  « Morsusque luporum

                                                               Expectat siccis raptura e faucibus artus »

[30] Id. , VI, 551  «Ante feras volucresque sedet »

[31] Id. , VI, 656  « Et coma vipereis substringitur horrida sertis »

[32] Id. , VI, 658  «Conspicit exanimi defixum lumina vultu »

[33] Id. , VI, 627-628

[34] Lucain, La Pharsale, VI, 579-580  « Namque timens ne Mars alium vagus iret in orbem

                                                                   Emathis et tellus tam multa caede careret »

[35] Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXX

[36] Marcel Mauss, Esquisse d’une théorie générale sur la magie, Paris, 1902-1903, repris dans Sociologie et anthropologie, PUF, 1973, p. 120

[37] Tacite, Annales, II, 32 ; Dion Cassius, LVII, 16

[38] Suétone, Tibère, 25

[39] Première partie, chap. II, p. 17 

[40] Fritz Graf, « Une histoire magique », in La Magie. Actes du colloque international de Montpellier, Tome I, 2000, pp. 41-60 

[41] Lucain, La Pharsale, VI, 656  « Et coma vipereis substringitur horrida sertis »

[42] Anne-Marie Tupet, La magie dans la poésie latine, p.101, et plus particulièrement sur le rhombe pp. 50-55

[43] Pétrone,  Satiricon, 130, 2  « Habes confidentem reum »

[44] Id. , 130, 6  « …placebo tibi, si me culpam emendare permiseris… »

[45] C’est aussi celui que peut mettre en place un Etat policier. Voir 1984 de Georges Orwell, trad. de l’anglais par Amélie Audiberti, 1950, Gallimard, repris en Folio.

[46] Fritz Graf, « Une histoire magique », in La Magie. Actes du colloque international de Montpellier, Tome I, 2000, pp. 41-60 

[47] Ovide, Art d’aimer, II, 106

[48] Virgile, Bucoliques, VIII, 66-67  « Coniugis ut magicis sanos avertere sacris / Experiar sensus »

[49] Juvénal, Satires, VI, 610-611   « Hic magicos adfert cantus, hic Thessala vendit

            Phitra, quibus valeat mentem vexar mariti  »

[50] Anne-Marie Tupet, La magie dans la poésie latine, Paris, Belles Lettres, 1976, p. 63

[51] Ces lignes très techniques sont inspirées des allusions qu’Anne-Marie Tupet fait au sujet de ces plantes. Elles trouvent leurs sources dans des ouvrages scientifiques, principalement La Pharmacopée Française, 10ème édition.

[52] Apulée, Les Métamorphoses, II, 6, 3  « vecors »

[53] Id. , II, 6, 4  « amenti similis »

[54] Apulée, Les Métamorphoses, I, 18, 2  « Et mecum : vesane, aio, qui poculis et vino sepultus extrema somniasti »

[55] Sénèque, Médée, 386

[56] Virgile, Enéide, VII, 287-341(desseins de Junon et convocation d’Allecto) puis 342-405 (folie bachique d’Amata) ; plus particulièrement v. 377  «Immensam sine more furit lymphata per urbem » 

[57] Sénèque, Médée, 382  « Incerta qualis entheos gressus tulit »

[58] Id. , 174  « Compesce verba, parce iam, demens, minis »

[59] Sénèque, Médée, 430 ; traduction du latin par Florence Dupont, Imprimerie Nationale, coll. Le spectateur français, p.41

[60] André Bernand, « La voix des exclus », in La Magie. Actes du colloque international de Montpellier, Tome II, 2000, pp. 7-17, particulièrement Des déracinés aux marginaux, p. 8

[61] Mary Douglas, De la souillure – essai sur les notions de pollution et de tabou, La découverte, 1992, traduit de l’anglais par Anne Guérin, préface, p. IV