Le
catéchisme postmoderne
Notre
civilisation
politiquement correcte diffuse, par le biais des médias légitimes financés
par le marché, une pensée unique contre
laquelle un intellectuel digne de ce nom
ne saurait aller. Voici quelques-uns de ces lieux
communs du catéchisme de notre époque :
le libéralisme constitue un horizon indépassable
en dehors duquel il ne saurait y avoir que gauche irresponsable, stalinisme,
communisme, marxisme-léninisme, néobolchevisme et autres
billevesées d'irresponsables ignorant la science économique, religion
des temps sans religion; l'Europe est une chance
pour les nations et les peuples, une garantie
contre les guerres, les dévaluations, les krachs boursiers, le chômage de
masse ; Internet est un lieu de liberté
libertaire, un espace de circulation élargie de
la vérité qui échappe au marché ; l'islam est une religion
de paix, de tolérance et d'amour et quiconque, livre
en main, pointe dans le Coran pléthore
de sourates antisémites, homophobes, misogynes, phallocrates,
bellicistes, intolérantes, célébrant la torture ou la peine de mort, passe
pour un dangereux islamophobe compagnon de route du Front national ; le
terrorisme international provient des villages les plus reculés d'Afghanistan où
il faut faire régner la terreur militaire occidentale, mais sûrement pas du
Pakistan, qui a l'arme nucléaire, ni des monarchies du Golfe, qui possèdent le
pétrole...
Et puis cette idée largement répandue que
quiconque parle de démocratie réelle ou revendique le souci du peuple est
un démagogue ou un populiste ! Il faut bien que ces élites aient peur et
de la démocratie authentique et
du peuple véritable pour réagir
de façon pavlovienne avec pareille insulte...
La machinerie gaullienne a bipolarisé la vie politique. Elle ne laisse de chance,
pour gouverner la nation, qu'à deux formations libérales : une droite et une
gauche, que, souvent, le style et le ton séparent plus que les idées et le
fond. Dès lors, quiconque doute du bien-fondé
de ce système devient un homme à abattre.
Ainsi, cette antienne en passe de devenir vérité
de science politique qu'en 2002 un certain Jean-Pierre
Chevènement aurait fait perdre Lionel Jospin dont on s'évertue à oublier qu'il
avait pourtant clamé haut et fort que son programme n'était pas de gauche. Il
est tellement plus facile de massacrer le bouc émissaire
que d'analyser les raisons d'un échec pour prendre sa part de responsabilité.
Les mêmes belles âmes recommencent : Jean-Luc Mélenchon prendrait le risque de
faire perdre la gauche ! La gauche libérale, autrement dit la gauche de droite,
la gauche dite de gouvernement, ne perd pas une occasion de se placer au centre,
mais elle voudrait en même temps conserver le bénéfice et les suffrages de
son aile gauche... Plutôt que de savoir qu'on ne peut avoir le beurre centriste
et l'argent du beurre de gauche, la Rue de Solférino stigmatise
ceux qui revendiquent clairement une gauche digne de ce nom.
Pour éviter le débat sur la nature des
gauches, une fois les arguments remisés, on
insulte : populiste celui qui s'installe sur
d'authentiques positions de gauche et réaliste
celui qui nous vend une soupe libérale servie dans un bol vendu par le PS ! A
la queue leu leu, les billettistes,
les éditorialistes, les journalistes, les intellectuels qui disposent de leur
rond de serviette dans les officines médiatiques libérales activent la machine
à gifles : démagogue par-ci, populiste par-là...
Pourtant, il suffit de se souvenir des discours tenus par leurs soins depuis
des années : quid de la
panacée libérale ? L'euro devait apporter le paradis
sur terre, l'amour entre les hommes, du travail
à gogo, la fraternité entre les peuples, le cosmopolitisme
dans les chaumières, la fin du racisme... Nous en sommes loin : chômage, misère
en quantité, pauvreté, paupérisation
galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation
des peuples, pleins pouvoirs à une mafia richissime et un carcan
bureaucratique européen serré au plus près de la
nuque citoyenne...
Quid d'Internet, qui devait nous apporter la Bibliothèque
nationale gratuitement dans nos campagnes reculées (ah ! ce bon Jacques Attali...), faciliter la
vie de l'intelligence en mettant le savoir
digne de ce nom à disposition de tout le monde ? Tout passe par le Net et quiconque
ne dispose pas d'un ordinateur est un citoyen de seconde zone. Les traces laissées
par l'usage de nos ordinateurs servent aux marchands, aux publicitaires, aux
polices diverses et multiples. Ne parlons pas de la possibilité pour chacun de
dire tout et n'importe quoi, de montrer son indigence
sans vergogne pour en informer la planète en temps réel.
Quid de la liberté qui devait régner à Bagdad, dont l'Occident jurait
qu'il deviendrait le phare de la démocratie dans
cette région ? Ou de l'Afghanistan ? Des villages détruits, des femmes et des
enfants massacrés par les armées d'occupation, dont la France, sous prétexte
d'empêcher des attentats dans le reste du monde.
Quid du peuple dont plus personne ne parle sans une moue de dégoût, sauf Marine Le Pen, qui pourrait bien en
retirer des bénéfices. On ne peut longtemps
l'humilier en le négligeant au profit de l'oligarchie
qui professe ce catéchisme politiquement
correct, sans générer une colère
qui, un jour, emporte tout sur son passage. Les élections présidentielles
sont, malheureusement, des occasions de régler des comptes - qu'on le veuille
ou non, c'est ainsi. L'oubli du peuple est la première cause de la colère du
peuple. Sachant cela, la colère s'évite - si l'on veut. Sinon...
Michel Onfray Article paru dans l'édition
du 09.01.11 , Le Monde.
1. Précisez la médiatisation de Michel Onfray, en fait sa surface d’intervention…
la couleur des caractère ne doit pas occulter la finalité de cette question: certes, nous partons d'un article du Monde comme précité; nonobstant, il s'agit pour l'apprenant d'opérer une recherche suffisamment pertinente et sans œillères sur Internet afin de préciser (cf. médiatisation: prouver que Michel Onfray relève bien de l'espace médiatique, qu'il cherche à l'occuper, y prendre toute la place à laquelle il pense pouvoir prétendre, bref qu'il dépasse de loin le quart d'heur de gloire promis à chacun par Andy Warhol en 1968 (dans le droit de Guy Debord en 1967 - la coïncidence historique est surprenante) dans notre société du spectacle:
§ les ouvrages rédigés et édités par M. O., et leur teneur, avec ses éditeurs (indication précieuse!) ainsi que [ce pour éviter la répétition du et, qui serait mal venue en l'occurrence] leur rythme de parution, donc leur date.
§ le lieu de ses différentes interventions (journaux, qu'ils soient quotidiens, hebdomadaires, revue mensuelle, voire trimestrielle), son espace radiophonique et/ou télévisuel, voire cinématographique si nécessaire, bref comment fait-il le Buzz, sur quoi fonde-til sa rumeur personnelle, le fait que l'on parle de lui et qu'il serve de référence soit positive soit négative... Sans oublier son physique (cf. B.H.L., par ex.)€
2.
Quels éléments
prouvent que Michel Onfray se veut un intellectuel de haut
niveau ?
A. Les tournures et expressions relevées font florès; nous n'en voulons pour preuve que les suivantes:
§ indigence sans vergogne (sachant que ce terme désigne au Moyen-Age le sexe, la honte, Onfray est trop fin écrivain pour ne pas en être conscient quand il écrit - puisqu'il répugne à l'inconscient), billevesées, pléthore de sourates, réagir de façon pavlovienne, bien-fondé, panacée qu'il sait ne pas être universelle - ce texte fleure aussi l'auto-correction humoristique... moue de dégoût. etc.
§ Sans répugner au mélange des genres: le contraste souligne les idées et les rend plus frappantes: «arguments remisés», comme une vieille carriole, l'expression déconcerte agréablement, le «Quid», ressassé, en latin macaronique ou de cuisine... «à la queue leu leu»= à la queue du loup, ancienne construction du complément du nom, directement, cf. Hôtel-Dieu, avec le corps présent: «carcan serré au plus près de la nuque», cet objet est bien un collier, l'expression plus banale pour un intello étant le joug...
B. la syntaxe même est mise à contribution dans cette démarche d'approche labyrinthique ou tortueuse
§ la multiplication des relatives indéterminées avec: «quiconque», formulation qui a les faveurs insignes de notre rédacteur; les relatives avec le pronom complexe «lequel» ne sont pas d'une manipulation si naturelle en français, mais elles ont l'heur de plaire à M. O. car elles forcent l'attention pour induire la compréhension...
§ la suppression empreinte de coquetterie de «pas» dans : «On ne peut», Onfray sait fort bien qu'il est facultatif et connaît tout de l'origine des négations en français...
§ les phrases nominales se multiplient, par ex. : Ainsi, cette antienne...
C. sans oublier (litote) les tropes chers aux rhéteurs, dont notre personnage relève au premier chef (paronomase à distance), : il est coutumier du fait (archaïsme, cf. chef), il en use et abuse (=homéotéleute), pour son plus grand plaisir... et le nôtre (=surenchérissement hyperbolique):
§ les répétitions, voire le martellement pour emporter la conviction: x digne de ce nom, un leitmotiv? devait apporter, politiquement correct.
§ en aparté: (ah! Ce bon jacques Attali...) M. O. sait être très méchant en peu de mot, avec la réticence... et il a l’art de nous mettre dans son camp : il inverse les regards, celui du mépris à son encontre n’est plus possible, la morgue passe en fait de son côté.
§ la cascade plaisante de subordonnées qui donne un côté cacophonique, voire infantile aux propos supposés tenus car Onfray frappe très fort pour exposer au grand jour les contradictions dialectiques de ses adversaires: «Quid de la liberté qui devait régner à Bagdad, dont l'Occident jurait qu'il deviendrait...»
§ la prétérition: «Ne parlons pas de la possibilité pour chacun de dire tout et n'importe quoi»
§ les reprises de la structure: «X digne de ce nom», comme si le langage était devenu creux, ambigu, trompeur... il importe de parler... vrai
§ la syndèse - ou polysyndète: «et... et», cf. «et puis» (familier). L'abondance de l'appareil logique est impressionnant: «pourtant, ainsi, Voici,» etc.
§ les asyndètes en énumération aggravante: «chômage, misère en quantité, pauvreté, paupérisation galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation des peuples, pleins pouvoirs à une mafia richissime et un carcan bureaucratique» (ce dernier est bien la cerise sur la gâteau, mis en valeur par l'article indéfini) pour terminer sur le mot: citoyen!
§ l'accumulation de structures binaires, à l'envi, doublées a bi(1)polarisé la vie politique (nom+adj). Elle ne laisse de chance, pour gouverner la nation (=2 tournure avec COD), qu'à deux (sic) formations libérales (nom+adj avec passage au pl.=2): une droite et une gauche (2) que, souvent, le style et le ton (=2, = la forme) séparent plus que les idées et le fond (=2, = le... fond, et l'on retrouve la dichotomie scolaire, éculée, du fond et de la forme.
§ Les effets sonores : «Sachant cela, la colère s'évite - si l'on veut. Sinon»... (en structure binaire, avec une réticence, les trois points de suspension) avec ses attaques inquiétantes en S. «moue de dégoût», «pauvreté, paupérisation galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation des peuples, pleins pouvoirs», cf. l'allitération en P...
3. Qui attaque-t-il ici ? En quoi et comment ce texte est-il polémique ?
Onfray a en ligne de mire
les néo-libéraux, qui s'affichent clairement comme les contempteurs d'une voie
différente de celle promue par leur pensée unique: l'horizon indépassable du
capitalisme, en fait le marché et ses épigones, ses esclaves, qui prend la
force du destin antique. Qu'ils soient de gauche ou de droite. En fait, dans
cette bataille à fleurets démouchetés - car M.O. est très virulent - il défend
J.J.M. contre tous, contre tous les fanatiques de l'économie de marché.
sa
volonté de ravaler plus bas que terre notre mode de fonctionnement actuel est
totale: Notre civilisation politiquement correcte diffuse le
rapprochement de mots est piquant, et les guillemets implicites évidents), par
le biais des médias
légitimes financés par le marché ,(
ce qui revient à immédiatement dénier absolument ce que l'on vient d'avancer,
pour mieux d'ailleurs le délégitimer) une pensée unique
Il passe par une charge
contre l’Islam en commençant par une antiphrase, comme avec des pincettes
pour ensuite accumuler les invectives virulentes, en une inversion des valeurs
ou du décor, qui tombe : le roi est nu
Toutes les figures de
style précitées sont au service de ses règlements de compte, au point de
mettre dans le même sac, à droite, les deux partis de gouvernement actuels en
France. Et aucun ne trouve grâce à ses yeux, les pires semblant en fait les
contorsionnistes qui s’escriment à s’auto-justifier, «s’évertuent»,
leur seule vertu !
4. Pourquoi peut-on le considérer comme un idéologue ? (Onfray s’affiche néo-épicurien, donc complètement athée. En quoi ceci est-il paradoxal ici ?)
il a une
position aussi tranchée que celle de ses adversaires, et s'appuie comme eux sur
les évidences auxquelles il est sensible; néanmoins, s'il dénonce avec raison
le fanatisme idéologique, qui égale le délire religieux des talibans ou des
wahhabites, de certains néolibéraux qui ne supportent pas la moindre remise en
cause, voire le moindre recul critique, lui-même le fait, et ce avec un
vocabulaire marqué au coin, pour ne pas dire le fer rouge, de la religion
qu’il abomine en soi. Quantité
de termes relèvent
de la pratique chrétienne: qui professe, même si Onfray lui donne son sens...
commun, cf. antienne. Et la vérité, authentique, véritable, religion, Coran;
il faudrait dresser ici la liste exacte de toutes les occurrences, musulmanes ou
chrétiennes qui affleurent au fil du texte : catéchisme (bien sûr !),
livre, Coran, stigmatise, belles âmes, bouc émissaire, vérité, amour (on
sent comment en fait pour Onfray tout ceci n’est que poudre aux yeux, pure
phraséologie). Sans pouvoir prétendre que cette liste soit exhaustive. On
imagine même que, dans une vie antérieure, M.O. comme Voltaire, a été formé
par les bons Pères: les meilleurs ennemis de l'Eglise sont issus de son giron
ou son... sérail et ils mordent la mamelle qui les a nourris. Nous ne pouvons
pas ne pas penser à La Jeune Parque,
de Valéry: «Pâle, profondément mordue»...
Onfray a beau jeu de souligner le hiatus entre la théorie de ses
adversaires, et leurs pratiques immondes au nom des droits de l’homme qu’ils
se réservent car ailleurs, ils les piétinent gaillardement, sans aucun état
d’âme ; les exemples s’accumulent, indiscutables, en décelant leur
stupidité crasse : ils nourrissent et réchauffent des serpents en leur
sein, au Pakistan, comme dans les monarchies du Golfe…
Aucun crédit ne peut donc leur être accordé, leur faire confiance, c’est se suicider… M.O. Onfray se place aux antipodes, étymologiquement, de ceux qu’il vomit, mais il est leur portrait craché, en creux.